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Peau d'Âne aujourd'hui ? sticky icon

bertille.pacquement - Posted on 18 mars 2012

Peau d'Âne est un conte populaire écrit par Charles Perrault en 1694 plus tard rattaché aux Contes de ma mère l'Oye ou Histoires et contes du temps passé. C'est grâce à ce recueil, sa plus célèbre oeuvre, que Perrault donna une dimension littéraire aux contes : non seulement il a inscrit dans le patrimoine littéraire des histoires qui étaient transmises depuis plusieurs générations mais il a aussi préservé leur tradition folklorique en imitant le style et la simplicité des nourrices qui contaient ces histoires imaginaires aux enfants. Il leur donne une dimension divertissante par l'utilisation du merveilleux et éducative par leur morale utile, faisant ainsi passer son travail d'auteur et son style personnel au deuxième plan. L'enfant est confronté à des angoisses et soumis à des sentiments contradictoires : la haine, l'amour, le désir et la peur. Ce chaos est démêlé grâce aux contes de fées dans lesquels l'enfant trouve une aide pour surmonter les épreuves de la vie.

Peau d'Âne raconte l'histoire d'une famille royale qui vit dans un splendide palais et jouit d'une existence paisible. Ce statut initial stable se trouve bouleversé par la mort de la reine mère. Sur son lit de mort, elle fait promettre à son mari de n'épouser qu'une femme plus belle et plus sage qu'elle. Seule princesse du pays pouvant égaler ces qualités, le roi décide donc d'épouser sa propre fille. Pour dissuader les avances déplacées de son père qui est pris d'un amour incestueux, la jeune fille, sur les conseils de sa marraine la fée des Lilas, tente de mettre fin à ses désirs en y opposant des demandes extravagantes : trois robes, une couleur du temps, une couleur de lune et une couleur de soleil ainsi que la peau de l'âne faisant la richesse du palais (il défèque des pièces d'or). Mais ses demandes sont satisfaites et l'âne est sacrifié par amour pour l'infante. Devant l'impossibilité de détourner le roi de ses intentions la princesse n'a d'autre issue que de fuir son père et son royaume. Elle vit donc dans la plus grande précarité, cachée de tous dans la métairie d'un roi, en tant que souillon et revêtue de la peau de l'âne sacrifié par son père, d'où son nom « Peau d'Âne ». Un jour, par hasard, lors d'une partie de chasse, le prince de cette contrée découvre la jeune femme dans sa cabane et vêtue d'une de ses plus belles robes. Sous le charme de sa beauté, il devient éperdument amoureux et demande que Peau d'Âne lui fasse un gâteau où elle fera tomber un anneau par mégarde (ou par dessein ?). Le prince devient malade d'amour, ses médecins lui préconisent le mariage et il décide de prendre pour femme celle à qui ira l'anneau trouvé dans le gâteau. Parmi toutes les femmes du pays, seule Peau d'Âne a le doigt assez fin. Le conte se termine : la princesse retrouve son rang social ainsi qu'une relation purement filiale avec son père. Quelle est donc la morale soulevée dans ce conte ?

A travers le choix de Peau d'Âne de mettre à distance l'amour malsain de son père afin de se préserver de l'inceste et du complexe oedipien, Perrault nous montre que l'évolution des enfants vers l'âge adulte passe par le détachement vis-à-vis des parents.

C'est d'abord dans la découverte de sa féminité que Peau d'Âne marque sa première étape vers l'âge adulte. Le côté minimaliste et simple du conte nous permet facilement de départager les différents moments de la vie de Peau d'Âne : dans son enfance sa grande beauté surpasse celle de sa mère, et celle de toutes les autres princesses des alentours. C'est une fille douce et paisible, mais son adolescence, marquée par la perspective de l'amour et du mariage, est nettement plus tourmentée. La beauté de la jeune fille qui s'échappe du château doit faire place à la laideur qui permettra d'échapper à l'empressement du père : elle s'enduit de suie et se couvre de la peau de l'âne pour passer inaperçue. Cet aspect de Peau d'Âne représente les moments tourmentés de l'adolescence, de cette période de l' « âge ingrat » qui est clairement représenté dans l'adaptation cinématographique de Jacques Demy où Peau d'Âne est sujette à des moqueries et des humiliations dans la métairie dans laquelle elle s'est réfugiée. Sa laideur et sa puanteur repoussent les gens et la rendent encore plus seule qu'auparavant en décidant de quitter son palais et sa famille. En cela Peau d'Âne est un véritable « vilain petit canard » qui se révèlera un cygne et cela par l'intervention du prince, tout comme dans Cendrillon : le laideron qui devient belle, montre qu'il ne faut pas s'inquiéter des transformations physiques, cette laideur n'est que transitoire, une épreuve qui donne une véritable beauté intérieure.

A l'issue du conte elle est devenue une femme authentique. Entre temps, sa féminité s'est épanouie et elle a su se détacher de son père. Son indépendance vis-à-vis de lui se fait en deux moments et passe par la différenciation du bon et du mauvais amour.

Ainsi que lui dit sa marraine : « on aime ses parents mais on ne les épouse pas ! ». Pour mener à bien son évolution et la recherche du véritable amour, Peau d'Âne entreprend un voyage initiatique où elle affrontera les peurs de l'enfance : la solitude, la précarité extrême, et en ressortira grandie. C'est en luttant contre cet amour moralement impossible que Peau d'Âne a réellement pu trouver sa place dans le monde, avoir la maîtrise de sa vie et le bonheur. L'amour du père apparaît comme destructeur et malsain puisque dans son désir de la faire femme, il l'enchainerait dans le cocon de l'enfance, ne lui laissant ni son indépendance ni le temps d'évoluer et de grandir. Cet amour imposé apparaît comme une impasse où la jeune fille n'a aucune prise sur son destin. C'est ce que l'on voit aussi dans le conte Blanche-Neige et les sept nains où la figure maternelle de la belle-mère, jalouse de la beauté de l'héroïne, lui refuse son indépendance au point de vouloir la supprimer. La peau de l'âne symbolise un véritable crime, une souillure, que la princesse arbore tout au long de sa quête. Elle la quittera seulement lorsqu'elle découvre une autre forme d'amour.

Peau d'Âne ne trouve sa véritable identité et sa place dans le monde que lorsqu'ayant mis à distance l'amour de son père elle se tourne vers le prince : comme dans Cendrillon et la pantoufle en vair, l'identité de la princesse sera révélée par une séance d'essayage : celle d'une bague ne convenant qu'au doigt le plus fin. Mais cela n'aurait pu avoir lieu sans l'intervention de la figure maternelle de la marraine : comme dans la plupart des contes, la fée des Lilas a un rôle d'adjuvant et de protection pour l'héroïne. Elle la guide dans son périple en mobilisant la magie. Peau d'Âne ne devient adulte qu'à l'issue du conte lorsque sa quête du véritable amour prend fin, ce qui libère son père d'un serment impossible à tenir.

De même que cette histoire qui avait été transmise depuis des générations avait ému Perrault qui l'a retenue parmi ses contes, elle nous émeut encore. C'est que ce conte étrange a une dimension qui lui permet de conserver sa pertinence à travers le temps et l'espace, à la manière d'un mythe. Là où Oedipe appartient à la culture érudite, Peau d'Âne est plus proche de nous notamment par sa fin heureuse grâce à laquelle, aujourd'hui comme hier, tous les enfants bercés par ce conte savent une chose essentielle : la vie saura toujours leur trouver des bonnes fées pour les tirer d'affaire !

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