Holy Motors


coline.lemaire - Posted on 11 janvier 2013

 Monsieur Merde lèche l’aisselle d’Eva Mendès avant de l’entraîner dans les égouts. Ce rouquin répugnant, tout de vert vêtu, déambulant dans les allées du Père-Lachaise, est assurément une des images fortes de Holy Motors. Il bouscule, mange les fleurs, croque le doigt d’une femme et retourne dans les égouts. En réalité, ce personnage ne figure que dans une des douze scénettes que nous propose le réalisateur Leos Carax (Les Amants du Pont-Neuf,Tokyo). En effet, le film nous raconte la journée d’un acteur nommé Oscar, délicieusement interprété par Denis Lavant, qui enchaine douze rôles à la suite. Il se prépare dans la limousine de Céline, véritable loge ambulante traversant Paris pour l’amener d’un « rendez-vous » à l’autre. Holy Motors nous offre alors deux heures d’imagination foisonnante, de créativité condensée, où Denis Lavant  se révèle un génie de l’interprétation : il est successivement une vieille mendiante, un père allant chercher sa fille à sa première fête, un mafieux venu tuer son double, un grand-père mourant, etc. Si l’on peut rapidement cerner le métier d’Oscar, la difficulté de compréhension réside dans la raison et l’intérêt de son travail. Pour qui joue-t-il ? Il n’y a pas de véritable public, comme au théâtre, venu applaudir le jeu d’acteur d’Oscar. Ils n’y a pas de caméras non plus. A quel moment Oscar est-il véritablement lui-même et non un acteur ? De même, on se demande sans cesse si ceux qui font partie des scènes avec lui sont des acteurs conscients du caractère fictif de celles-ci ou des victimes de la supercherie. Comment peut-on alors être subjugué par un film dont le sens reste vague ? C’est là toute la valeur du travail de Leos Carax : ce film, au-delà d’un scénario  original, est la démonstration de son talent.

            En effet, il fait preuve d’une étonnante capacité à réaliser tous les genres existants, comme la comédie musicale, le film social ou fantastique mais aussi à mettre en scène le drôle, le beau, le laid, l’émouvant ou le dérangeant. Et  il se révèle un maître en la matière. Cependant, Carax ne fait pas qu’exposer son génie, il parle de lui-même. Ainsi, la première scène du film, jouée d’ailleurs par lui-même, est une allusion explicite à son retour au cinéma : il se réveille et, grâce à l’apparition d’une clef au bout de son doigt, ouvre une porte qui donne sur une salle de cinéma. De plus, il faut reconnaître derrière plusieurs « rendez-vous » des références à ses anciennes œuvres comme le personnage de Monsieur Merde tout droit tiré du film Tokyo  ou encore la scène avec Kylie Minogue dans la Samaritaine qui se rapporte aux Amants du Pont-Neuf. Tout œuvre d’art dit quelque chose de son auteur. Il ne faut pas, pour autant, ne voir en Holy Motors  qu’un prétexte pour laisser à un Carax autocentré la liberté de s’exprimer. Ce dernier, au contraire, va beaucoup plus loin. En réalité, son film est un vaste hommage au cinéma et propose ainsi de retraverser son Histoire, du drame psychologique français au dernier film Pixar, Cars. Mais que dit-il de l’état du cinéma de nos jours ? Il est en péril avec l’animation numérique qui rode, semble nous dire le combat en performance capture du troisième rendez-vous. On sent aussi le progressif estompement du cinéma lorsque Oscar se lamente : « les caméras me manquent » puis ajoute « Je continue comme j’ai commencé, pour la beauté du geste ». Le cinéma serait-il en train de mourir ? Léos Carax ne semble pas adopter un point du vue si pessimiste. Il serait temps plutôt pour le cinéma de revivre, dans une forme nouvelle. En cela, c’est un message d’espoir que porte ce film.

On peut interpréter ce film comme la présentation du métier d’acteur poussé à son extrême, d’un acteur constant dans un théâtre total et ininterrompu. En ce sens, certains éléments du film ne peuvent être rationalisés : Oscar ne jouerait donc pour personne véritablement et peu importe si les gens qui l’entourent ne savent pas qu’il n’est, dans les « rendez-vous », qu’un personnage. Finalement, Holy Motors peut être interprété comme bon nous semble, il parle avant tout du cinéma et cela avec brio.