La Haine (1995), Mathieu Kassovitz


lacomme.lucas - Posted on 24 novembre 2012

La Haine avec un grand H, on l’a tous en nous. Elle est là, terrée au fond de notre âme -ou explicitement affirmée-. Presque maladive, elle se répand dans les veines, fait de nous des êtres aveuglés par une violence intérieure inouïe. Dans son deuxième long-métrage en tant que réalisateur, Mathieu Kassovitz (La Haine, Métisse, Cauchemar blanc), que l’on connaît aujourd’hui pour ses succès cinématographiques controversés, jette ce sentiment  dans l’esprit des jeunes de la banlieue de Paris, et livre un récit de la violence profonde inédit.


 Vinz, menaçant comme toujours, Saïd et Hubert
On se retrouve plongé au lendemain d’une journée d’émeutes sans précédents dans la cité des Muguets à Chanteloup-les-Vignes (78). À la suite des violences perpétrées pendant une garde à vue à l’encontre d’un jeune de la cité, Abdel Ichaha, nous suivons Vinz (Vincent Cassel), jeune impulsif et désinvolte, Hubert (Hubert Koundé), dealer de haschisch et boxeur prometteur, et Saïd (Saïd Taghmaoui), garçon perdu et ami des deux premiers, dans leur journée absurde et effrénée qui sera probablement celle dont ils se souviendrons tous. Vinz trouve un revolver égaré par un membre des forces de l’ordre pendant les affrontements, et promet qu’il s’en servira pour abattre un policier dans le cas où Abdel Ichaha ne survivrait pas à ses nombreuses blessures.
« L’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage »
Mathieu Kassovitz aime Martin Scorsese et il le montre. Vinz, devant sa glace imite le Robert de Niro de Taxi Driver (« are you talkin’ to me ? »). C’est de ces influences que naissent les films comme La Haine. Inspiré de faits réels, aussi. Par le meurtre de Makomé M’Bowolé, tué d’une balle dans la tête en 1993.  Puis, par la politique, celle menée par Charles Pasqua dans les années 1990 visant la sécurité, qui fait écho aux quinze années de violences urbaines précédant la sortie du film.
Prix de la mise en scène 1995, césar du meilleur acteur et du meilleur réalisateur, voilà donc les récompenses logiques d’une œuvre qui impose le débat et qui bouscule, tant son message est limpide et dérangeant : comment la jeunesse survit-elle dans un milieu si hostile, très mal jugé et trop souvent associé à des clichés ? Pourtant, il fait naitre en nous l’espoir, transmis par l’attitude des trois gosses. Ils sont drôles, attachants, se rient des normes du politiquement correct. Bien que Vinz soit mué d’un désir de vengeance inébranlable, Hubert et Saïd tentent au long de la journée de le raisonner, ils sont ce qui rattache Vinz à la dure réalité, solidaires. Parce que « L’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage », Vinz réussit à surmonter la Haine qui l’habite au matin, mais la fatalité aura finalement raison de lui. C’est son atterrissage à lui, qui est bien plus important que tout le déroulement de la journée : « Tout ce que j’sais, c’est que je cours pas plus vite que les balles ».  
« 06h01. Un coup de feu est tiré hors champ. Qui est touché ? On le devine. »
Le film s’ouvre et se ferme sur la solitude. La solitude d’un homme, un manifestant, faisant face à des dizaines de policiers armés. La solitude de trois amis faces à la violence de toute une tranche de la société. C’est ce sentiment, parmi d’autres, qui va être le fil conducteur de l’oeuvre, allégorique d’une jeunesse hagarde. De nombreuses scènes d’affrontement sont présentées, où des pavés sont lancés, des insultes sont proférées et où des CRS sont armés de bombes lacrymogènes. Pourtant rien n’incite à la violence physique, tout tend plutôt à la rejeter.
C’est une violence presque douce qui en ressort, inoffensive tellement les amis sont noyés dans le flot des évènements qui les entourent. Ils errent dans la capitale, tantôt pour chercher de l’argent, tantôt pour se voir arrêter par des policiers ou se battre.
 
De gauche à droite Vinz, Saïd et Hubert, attendent que le temps passe dans une monotonie emprunte d’adrénaline.
           L’absence de couleur (le film a été tourné en noir et blanc) rajoute au dramatique. Il n’y a pas de nuances, tout est d’une certaine manière ou son contraire. De plus, l’astucieux découpage de la journée de Vinz et de ses amis, à la manière d’un drame antique, rend le spectateur familier avec le rythme du film : assez lent, mais qui a de brusques poussées d’adrénaline. La première partie relate la violence au lendemain d’affrontements qui se sont passés dans la nuit. La deuxième fait part de la virée nocturne des trois amis dans Paris, pendant laquelle ils découvrent jusqu’où leur haine et leur violence peuvent les mener. On arrive alors au dénouement, car après avoir chuté, il faut bien atterrir, et c’est là toute l’ingéniosité du film. Ce qu’il se passe avant la fin n’a en soi pas beaucoup d’importance, si ce n’est que pour mieux préparer l’impact au sol du retour à la réalité.
L’acharnement est une valeur récurrente chez Mathieu Kassovitz. L’acharnement physique bien sûr, avec la constante pression infligée par Vinz. Policiers, skinheads, passants, tous sont objets de sa haine. L’horloge qui indique l’heure exacte de chaque scène clé vient corroborer cet acharnement par un autre, psychologique.
Mais l’acharnement psychologique est surtout véhiculé par la parole. Au commissariat, un stagiaire reste muet, bien que dérangé et choqué, quand un de ses collègues violente Saïd et Hubert. Quand Vinz pointe son arme vers un skinhead, Hubert le retient. C’est le vecteur directeur du film : il y a plus de parole que d’action. Hubert et Saïd tentent constamment de raisonner Vinz qui est aveuglé par une haine difforme, celui-ci parlant  de venger Abdel Ichaha.
« Sans déconner, la façon dont tu viens de parler là, on aurait dit un mélange entre Moïse et Bernard Tapie »
               Aujourd’hui culte, le film a marqué toute une génération. Trois inconnus du cinéma français (Vincent Cassel, Hubert Koundé et Saïd Taghmaoui) issus de la même cité des Muguets ont permis d’expliquer des évènements que certains ne comprenaient pas -ou ne voulaient pas comprendre-. Mathieu Kassovitz a non seulement réussi son film en créant des polémiques dès sa sortie en salles (un bon film de Kassovitz est un film controversé, sinon n’en est pas un), mais il a également réussi le tour de force de produire une bande originale hors du commun en appelant plusieurs artistes de  rap à composer à partir des émotions que leur avait inspiré le film. Des artistes maniant la rime mieux que personne, comme dj Cut Killer (NTM) faisant d’ailleurs une brève apparition dans le film derrière ses platines et le groupe IAM, y ont participé.
 
 
Date de sortie : 31 mai 1995
Réalisé parMathieu Kassovitz
Film français

Durée : 1h35min
 
Lucas Lacomme - L1 Humanités