Patrick Süskind : Le Parfum (1985)

janv.
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Il serait juste de défendre l’idée selon laquelle le XXIème siècle est une ère inodore.

N’est-il pas vrai que l’homme contemporain tend à oublier ce sens pour mieux se consacrer aux quatre autres ? Notre vue, plus particulièrement, n’est-elle pas constamment sollicitée  par les réclames surdimensionnées aux couleurs chatoyantes qui ornent les abribus, les murs des métros, les couloirs de l’université ou encore les pages internet que nous prenons le temps de consulter entre deux cours ? Alors que nous évoluons dans un monde que se disputent l’ouïe, la vue, le goût et le toucher, l’odorat, lui, meurt silencieusement…

Aussi, quelle n’est pas notre joie de parcourir les pages épicées, sucrées ou encore aigres-douces de Patrick Süskind, et, de la lavande provençale aux ruelles crasseuses de Paris au XVIIIème siècle, de nous laisser emporter au gré des aventures de son héros !

Le roman Le Parfum nous conte l’histoire d’un meurtrier que l’on peut considérer comme l’un des plus géniaux et des plus monstrueux de son époque : Jean Baptiste Grenouille, un homme que la nature a pourvu d’un odorat extraordinairement développé, mais qui, marginalisé et rejeté par ce pouvoir, a décidé de se retourner contre la société et de s'attacher, par la maîtrise des odeurs, à maîtriser le cœur des hommes… Il s'agit d'un récit haletant mais aussi du drame d’un être solitaire et blessé.

Cependant, la force de ce roman réside d'abord dans la capacité de Süskind à faire de notre nez le guide ultime de notre lecture. Par ce récit, qui nous entraîne dans une véritable épopée des odeurs, nous sommes invités à redécouvrir le monde. L’on sort étourdi de cette lecture puissante. Et quelle délicieuse sensation que de redécouvrir un sens négligé !

Par ailleurs, cette lecture nous donne l’occasion de découvrir le siècle des Lumières sous un angle tout autre. La plume de Süskind, empreinte d’une cruelle réalité, peint cette époque avec brio. Elle s’attache à la misère et à la précarité qui l’ont accompagnée  ― les personnalités que côtoient Grenouille, tout au long de sa quête, ne sont pas sans rappeler le Coupeau ou l’Etienne Lantier de Zola. Mais aussi à ses mœurs. C’est dans un véritable souci de réalité que sont décrits les ravages causés par la misère ou encore l’absence d’éducation.

C’est donc en grande partie, je pense, la volonté de restituer une époque dans sa plus grande exactitude qui assurera à Süskind le passage du Parfum à la postérité. L’originalité du thème des odeurs et  le réalisme historique dont est chargée sa plume donne à cette œuvre toute sa fertilité et sa saveur. A vue de nez, un vrai chef d’œuvre.


Rozenn Morgat – L1 Humanités