Sur la route: Un anti American way of life

janv.
7

Etats-Unis d'Amérique, New-York, 1947. Sal Paradise rencontre Dean Moriarty, jeune hyperactif, absolument et affreusement dingue. C'est un type au sang chaud. Un mec de l'ouest. Sauvage et libre. Cette liberté impressionne Sal, emprisonné dans une vie urbaine et monotone. Alors, il prend ses jambes à son cou et part, en stop, traverser le continent, direction Frisco. Tout au long du roman, la symbiose Dean/Sal se fait plus forte, plus évidente, plus belle et plus dangereuse. Tels "deux anges déchus", ils sillonnent les Etats-Unis, à la recherche d'autodestruction, de liberté et d'un père disparu.

Ce roman décrit aussi les grandes étendues américaines, de New-York à Frisco, de Denver à Mexico, mais c'est un désir de liberté qui en ressort. Etre Libre dans sa vie, dans sa façon de penser. Et c'est aux antipodes de l'évolution de la société américaine. S’y rendre, travailler, dormir ne sont pas les valeurs que Kerouac transmet ici, alors que c’est le rêve, ou l’obligation, de très nombreuses personnes. Le personnage principal en fait d’ailleurs l’expérience. Mais quand il découvre la vie de vagabond, il ne peut que fuir. Fuir cet emprisonnement.

Le style de Kerouac, sans contraintes, sans style littéraire propre à un genre, traduit ce besoin : « Le saxo en chapeau était en train de souffler à l’apogée d’une improvisation merveilleusement réussie une suite en crescendo et decrescendo qui allait du « I-Ah ! »à un « I-di-li-ah ! » encore plus délirant, et qui cuivrait sur le roulement fracassant des tambours aux cicatrices de mégots, que matraquait une grande brute de nègre à cou de taureau qui se foutait de tout sauf de corriger ses caisses d’explosifs, boum, le cliquetis-ti-vlan, boum. Un tumulte de notes et le saxo piqua le « it » et tout le monde comprit qu’il l’avait piqué. » Vivez ces récits, ces aventures. Découvrez ces clubs de jazz noirs avec Dean et Sal. Laissez-vous porter par cette musicalité. Elle est transmise par le rythme des mots, des phrases que l’auteur choisit.

Suivez le « Beat », le tempo. C’est ce que clame cette « Generation ». Ce mouvement, auquel appartient Kerouac, regroupe des penseurs, des écrivains, des artistes, assoiffés de cette liberté. Qu’ils soient drogués, alcooliques, peu importe, ce sont des Indiens modernes qui aiment prendre leur temps, savourer l’instant présent et vivent portés au gré de leurs émotions et de leurs pulsions. Ils ne construisent pas leur vie et rompent avec le modèle du travailleur d’après guerre : Le « Square », ce mot qui signifie à la fois carré et droit et désigne l’homme qui aime la justice et la normalité. La « Beat Generation », mouvement de pensée à l’origine des Beatniks puis des Hippies, ne durera certes pas, mais reste remarquable par sa nouveauté et sa marginalité. C’est celle-ci, d’ailleurs, que combattent les gouvernements américains (nous sommes à l’époque du Maccarthisme). Ce sont des fous et des détraqués, disent-ils. Mais quoi de mieux qu’un fou ? Quoi de plus libre ?

Dean en est un, dans ses pensées et ses paroles apocalyptiques. Il n’a pas de port d’attache. Personne ne le comprend, au fur et à mesure qu’il avance. Sauf Sal peut être. Et c’est pourquoi ce duo est si attirant. Leur contact crée des étincelles, des explosions, comme deux atomes qui ne devraient pas être ensemble. Ils sont la honte des Etats-Unis parce qu’ils n’appartiennent à rien. Ils font peur, peur par leurs différences, peur par leur liberté, peur par leur nouveauté. A travers ces anges déchus, on découvre la face cachée des Etats-Unis. On célèbre cette année les quarante ans de la mort de Jack Kerouac, et l’on ne peut que constater que le type de société qu’il déplorait s’est intensément développé. Avec un air de « be-bop », lisez, peut-être que vous choperez le « It ».

Jack Kerouac Sur la route Editions Gallimard 1957 Romain Meaulard