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Sylvestre II

 

Sylvestre II montait péniblement l’imposant escalier de marbre qui menait aux appartements pontificaux, en relevant légèrement sa robe à chaque marche. De temps à autre, il s’arrêtait pour reprendre son souffle et contempler les superbes ornements de la rampe en colimaçon. Et un sourire un peu ironique se dessinait alors, par instants, sur ses lèvres.

Il atteignit enfin la porte de sa chambre et entra. Il avait lui-même choisi, après son ordination papale, cette pièce austère. Là, il pouvait sans difficulté se souvenir de sa vie passée ― du temps où il n’était encore qu’un petit pâtre dans les monts du Cantal ― sans se sentir trop étranger à elle, ni trop éloigné.

Il s’assit sur son lit et se souvint. Il était entré au monastère de Saint Gérard d’Aurillac alors qu’il n’était qu’un enfant. Et c’est là qu’il avait appris à lire, puis, peu à peu, à déchiffrer toutes sortes de pensées savantes, dans la bibliothèque remplie de manuscrits.

Mais c’étaient les chiffres plus particulièrement, qui lui avaient plu. Ils avaient révélé en lui un potentiel extraordinaire, un talent (divin, disaient certains) pour les sciences. Il sourit. Oui, on pouvait le dire, les chiffres l’avaient fait pape. Comme la vie était étrange ! Lui qui, au départ, était si timide, si peu sûr de lui ! Il avait peu à peu gagné en confiance, en ambition et en force à mesure que les hommes le reconnaissaient et le réclamaient à leurs côtés.

Gerbert d’Aurillac fronça les sourcils. Il ne pouvait se remémorer son entrée au monastère sans qu’aussitôt une image, toujours la même, ne jaillît dans son esprit et ne vînt le frapper de plein fouet. C’était le visage d’une jeune fille – la seule qu’il eût jamais aimée. Il le contemplait au fond de lui : des yeux bleus comme le ciel, des cheveux blonds comme les blés, un teint de lis.

Le jour où il l’avait rencontrée, il avait cru voir une sainte dévalant la colline. Il avait alors pensé qu’elle ne s’arrêterait jamais. Ses pieds sous sa robe sombre semblaient ne pas toucher terre…

Pourtant, elle s’était arrêtée, l’avait regardé, lui avait parlé. Ils avaient passé toute la journée ensemble, se promettant amour et fidélité. Pourquoi, le lendemain même, était-il entré au monastère ?

Le vieux pape contempla un instant ses mains ridées. Il remarqua pour la première fois l’étendue des taches qui les recouvraient. Puis il regarda sa chambre, plongée dans la pénombre. Il n’y avait plus que dans cette petite pièce qu’il se sentait vraiment chez lui, même si elle lui semblait désespérément vide. Il s’étendit sur son lit et ferma les yeux. Entre ses poumons, une boule l’oppressait. Il était vieux et extrêmement las de son existence. Et il ne savait plus vraiment, maintenant qu’il était parvenu à la lisière de la mort, s’il devait considérer sa vie comme un échec ou comme une réussite.

Il inspira et expira l’air péniblement. Il songea que, bientôt, il serait incarné par une statue de marbre aussi imposante et froide que les murs de son palais ― lui qui haïssait tellement la froideur ! Certes, le choix qu’il avait fait l’avait rapproché au plus près de Dieu ― il en avait le sentiment. Mais il l’avait aussi tenu à l’écart d’un autre d’amour. Un amour sans borne, lui aussi. Et un feu sacré auquel il pouvait, encore aujourd’hui, dans ses moments d’égarement, se consumer tout entier. Avait-il pris la bonne route ? 

Puis il songea à ce que lui avait appris d’Aristote, qu’il avait lui-même introduit en Occident. Les écrits du philosophe ne lui avaient-ils pas enseigné que la sagesse réside dans le fait d’accepter de ne pas savoir ?

Alors il se releva. Une audience papale l’attendait.

 

Juliette Dubreuil – L1 Humanités