Un art égal à la vie, John Cage

 


 
 
 
 
John Cage interprétant Water Walk dans l’émission de télévision I’ve Got A Secret sur CBS  en 1959
 
La scène artistique du XXème siècle s’efforce de renverser les codes établis pour guider l’art vers de nouveau concepts artistiques, en rupture avec les modes traditionnels. Les divers happening et autres nouveaux supports artistiques tendent à abolir les frontières entre art et non art. L’objet du plus trivial quotidien entre alors dans le noble univers de l’art. On pense aux Ready Made de Duchamp, aux collages dadaïstes, ou encore aux plus extravagantes performances qui donnent une dimension spatio-temporelle à l’œuvre d’art.
John Cage est une figure majeure de cette nouvelle scène artistique. Il exerça une influence considérable sur ses contemporains comme sur les générations à venir d’artistes. Élève de Schoenberg, il est avant tout compositeur, mais s’essaye également à divers autres moyens d’expression artistique, telles les créations plastiques ou le cinéma. Il contribue à redéfinir l’art en abolissant toute frontière entre les différents arts, et l’art et la vie elle même. Les jugements de valeur disparaissent dans son oeuvre. Le beau n’a plus son mot à dire dans la création artistique. Dans le cadre de la composition, tout son, ou bruit, le silence même, est alors mis au rang d’ouvre d’art au même titre que les notes harmonieuses d’un instrument. C’est la vie elle même que Cage tente d’intégrer dans un art désacralisé.
Son interprétation de sa composition Water Walk sur un plateau télévisé en 1959 illustre tout à fait cette nouvelle approche artistique ouverte à tous les sons.
Dans cette émission de télévision populaire, Cage se met lui même en scène, en interprétant une musique physiquement. En effet, il se déplace sans cesse pour produire divers bruits grâce à des objets placés au préalable sur le plateau. Ces objets sont tous des objets du plus banal quotidien, tels un pichet, un bouquet de fleurs dans un vase, une théière, une radio, ou encore une baignoire, élément de la plus grande intimité triviale. Ces objets sont utilisés par Cage afin de produire une composition musicale. Il a l’air totalement absorbé dans ce qu’il fait. Le public a disparu. Il joue en fait le rôle de tout le monde, qui, dans son appartement, s’occupe à ses affaires et fait ainsi de la musique, sans même s’en rendre compte.
Les gestes qu’il fait n’ont rien de spectaculaires, extraits du quotidien, et il ne fait que les organiser, minutieusement, chronomètre à la main. Il les met ainsi au rang d’instruments, ou d’œuvres d’art, ce qui change le regard du spectateur sur ces objets si banal et le bruit qu’ils produisent lors de leur utilisation. On peut considérer que Cage reprend ici des sons Ready-made, notamment l’eau qui a toujours existé, et en fait des collages, à la manière de son ami Duchamp. C’est une redécouverte du monde sonore qui nous entoure pourtant incessamment.
Le public contribue à intégrer la vie même à l’oeuvre. En effet, les rires provoqués par les gestes parfois humoristiques de Cage, ou tout simplement qui paraissent absurdes font partie intégrante de l’œuvre. Le rire est sûrement l’expression humaine la plus « vivante ». Il utilise ces rires tel de réels instruments en les provoquant. Il peut prévoir, supposer quel moment de la composition soulèvera l’amusement, et même l’hilarité du public. Cet humour, souvent présent dans l’œuvre de Cage, et trait de sa personnalité, va participer dans cet œuvre à la désacralisation de la musique comme art « noble », le rapprochant ainsi de la vie même.
John Cage dans cette interpénétration de la vie quotidienne à l’art désacralisé s ‘inscrit dans la continuité de son siècle. Mais il exprime dans le même temps une réelle philosophie de vie qui nous amène à reconsidérer notre regard sur le monde environnant, à prêter plus d’importance aux éléments de la vie quotidienne qu’on ne considère que pour leur utilitarisme.  

 Cécile Ketcheian - L1 Humanités