Rencontre avec Isabelle Crolle, éditrice responsable du domaine étranger aux Editions Fetjaine

mar, 01/24/2012 - 20:54 - Anonyme

Isabelle Crolle aime son métier, en témoignent ses rires récurrents lorsqu’on rentre dans son bureau et qu’on la surprend… à travailler. Ce qui la fait tant rire : le dernier tome en date de la collection des Simpson. Sur les vingt à trente livres qu’on lui doit par an, comptent parmi ses plus grands succès en librairie, outre les Simpson : le livre making-off des films Harry Potter, un livre sur Jimmy Hendrix, un sur les Beatles, un autre sur le reggae, la série humoristique des « Livre de »… Un éclectisme et une grande variété, pour une éditrice pas comme les autres, au parcours surprenant et au rôle capital pour les éditions Fetjaine.


MCEI : Bonjour ! Tout d’abord, pourriez-vous nous raconter comment vous êtes devenue éditrice dans un groupe éditorial tel que La Martinière ?

Isabelle Crolle : A en croire mon parcours, je n’étais pas destinée pour l’édition. Après un bac littéraire, j’ai fait des études d’interprétariat et de traduction. Cependant, je ne me suis pas dirigée vers cette branche car l’avenir dans ce domaine semblait réservé aux langues maternelles. Je suis alors rentrée – pour dix ans – dans une agence de publicité, Havas Conseil. Je travaillais dans ce qui s’appelait à l’époque l’achat d’art : je m’occupais de la logistique des prises de vue publicitaires, depuis les recherches de photographes aux castings des mannequins, en passant par les recherches des costumiers, des décorateurs, et même des lieux de prise de vue. Je me suis ensuite mise à mon compte, pour devenir styliste et accessoiriste pour les photos publicitaires. J’ai fait cela pendant deux ans. C’était un métier assez difficile parce que très stressant et trop irrégulier. C’est pourquoi j’ai recherché un travail salarié, après quelques années de pause durant lesquelles j’ai eu mes deux enfants. Je suis arrivée dans l’édition en 1994, par piston je l’avoue, grâce à Jean-Louis [Festjens], qui cherchait alors une assistante. Je suis donc entrée, à l’essai, chez Hors Collection, qui appartient au groupe éditorial Editis, et où j’ai appris tout le b.a.-ba de l’édition. Comme mon atout résidait dans mon aisance à parler et surtout à lire l'anglais, que j’avais conservée, Jean-Louis a pensé à moi lorsqu’il a entrepris de développer les achats de livres étrangers. Je suis finalement devenue responsable du domaine étranger de la maison d’édition à la fin des années 1990 et, quand Jean-Louis [Festjens] a quitté Hors Collection pour créer les éditions Fetjaine en 2007, je l’ai suivi !

MCEI : En quoi consiste exactement le rôle du responsable du domaine étranger dans une maison d’édition ?

I.C. : Le rôle du responsable du domaine étranger, ou responsable des droits, se compose de trois phases principales. La première est une phase de prospection, de recherche des livres étrangers qui correspondent à notre ligne éditoriale, c’est-à-dire à nos thèmes de prédilection (principalement la musique, le sport, l’humour et la photographie), à notre ligne directrice : l’actualité, l’air du temps et enfin à nos goûts : nous apprécions les maquettes originales et belles, qui font qu’on remarque un livre. Le coût rentre également en ligne de compte durant la prospection : le compte d’exploitation prévisionnel indique si le livre sera rentable, et son prix de vente pas trop élevé. Ce travail de prospection se fait tout au long de l’année avec les éditeurs étrangers, ainsi que pendant les salons de Londres (en avril) et de Francfort (en octobre), durant lesquels je rencontre surtout des éditeurs anglo-saxons pour qu’ils me présentent leurs projets ou leurs livres terminés. Une fois qu’un livre nous convient, commence alors la phase de négociation de prix avant les signatures des contrats, puis tout le travail sur la traduction, la relecture, les corrections d'épreuves en enfin sa validation. Mon travail prend également en compte le suivi de la livraison jusqu’à l’entrepôt, l’arrivée des livres prenant parfois du retard, en raison des délais de fabrication et de transport. En effet, dans les cas des achats de livres terminés, l’impression se fait en Chine, il faut donc prévoir des délais plus longs que pour les achats de droits, pour lesquels les livres sont principalement imprimés en Europe.

MCEI : Pouvez-vous nous expliquer la différence entre achat de livres terminés et achats de droits ? Vous n’achetez donc pas toujours les droits des livres que vous éditez ?

I.C. : Ce sont deux cas différents. L’achat de livres terminés, ou coédition, consiste à fournir la traduction mise en page à l’éditeur étranger à qui le livre a été acheté, et c’est lui qui se charge de l’impression et de la livraison du livre. La mise en page reste fixe, tous les pays étrangers ayant acheté le livre devant s’y soumettre. C’est le cas le plus répandu chez Fetjaine, puisque nous publions beaucoup de livres illustrés. Les achats de droits s’appliquent plus facilement quand il s’agit de livres texte. Ainsi, toute notre collection « Livre de » appartient aux achats de droits parce que ce sont des livres avec beaucoup de texte et seulement quelques petits dessins. Une fois l’achat de droits effectué, nous gérons le nombre d’exemplaires et l’impression, et  nous reversons des royalties à l’éditeur à qui nous avons acheté les droits (l’éditeur touche un pourcentage en fonction des ventes). Lors de  l’achat de droit, une échelle de droit est définie, allant de 5-6% (pour des livres illustrés)  jusqu’à 10-12%. Par exemple, 5-6% jusqu’à 8.000 exemplaires, 8% jusqu’à 10.000, 10% au-delà de 10.000. Nous contrôlons nos tirages, contrairement à l’achat de livres terminés où nous devons donner le tirage très tôt, ce qui pose parfois problème. En ce qui concerne les achats de livres terminés, les royalties sont comprises dans le prix d’achat unitaire. Par exemple, si nous achetons 5.000 exemplaires d’un livre à 5 euros, nous payons 25.000 euros à la maison d’édition étrangère. En cas de réimpression, celle-ci nous refait un prix pour tel nombre d’exemplaires. C’est une gestion totalement différente.

MCEI : Vous n’avez donc aucun contact avec les auteurs eux-mêmes ? Ne le regrettez-vous pas ?

I.C. : En tant qu’éditrice responsable du domaine étranger, je travaille seule sous la direction de Jean-Louis Fetjaine, avec mon équipe extérieure de traducteurs et de correcteurs. Au moins je suis indépendante, autonome, je peux travailler depuis chez moi, et j’aime ce que je fais ! Je dialogue uniquement avec les éditeurs qui sont mon lien avec les auteurs, ou bien avec des agents, comme c’est le cas pour les livres sur les Simpson. J’ai rencontré Rachael McKenna, une photographe qui vit en France et dont nous avons publié plusieurs ouvrages, et qui est venue chez moi pour photographier mes chats. Mais c’est un cas particulier, en général je n’ai aucun contact avec les auteurs eux-mêmes. Pourtant, je rêverais de rencontrer Matt Groening !  

 

Propos recueillis par Lucile Margot.


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