Si Cassandre a obtenu le prix du public et le prix des lycéens, ce n’est pas un hasard… Une assemblée réunie vendredi 7 décembre à l’espace Reverdy, en clôture du festival Nanterre sur Scène, s’est fait habilement chahuter par un spectacle hybride et tempêtant. 

À la suite d’un spectacle foisonnant, On est tous mortels un jour ou l’autre, les Compagnons butineurs ont voulu en 2011, se retrouver dans une pièce aux contours plus épurés. Quoi de plus évident, dès lors, que de se tourner vers la tragédie antique, et d’imaginer Cassandre, personnage central de la Guerre de Troie mais auquel aucune œuvre n’a été dédiée, en héroïne ? Inspirés par la place publique grecque et dans un retour aux sources du spectacle vivant, ils donnent Cassandre dans la rue où un échange s’installe avec l’auditoire. C’est à l’occasion du festival Nanterre sur Scène que Cassandre arrive sur les planches, et la pièce trouve un autre souffle. 

De bout en bout, le spectacle s’articule autour d’une dynamique plurielle : dynamique entre les textes, entre les genres, entres les comédiennes, avec l’assemblée… Les tons et les rythmes s’enchaînent et se rompent, entre rire et effroi, le spectateur est souvent bousculé. Plus qu’une réinterprétation du mythe de Cassandre, c’en est une exploration… Les cinq comédiennes incarnent en parallèle, et parfois d’une même voix, cinq visages de la paria de Troie. Après s’être refusée à lui, Cassandre est condamnée par Apollon : plus personne ne voudra croire les paroles de celle qui peut pourtant prédire l’avenir. La pièce débute à Troie, un instant avant l’entrée du cheval, que Cassandre sait source de malheurs immenses. Comment agir ou réagir, alors même qu’elle n’est pas entendue, et pourquoi parler, alors que la fatalité guette ceux qui l’ont enlevée à sa patrie ? Les cinq comédiennes figurent ces voix discordantes de Cassandre face à son destin. À la foi militante, de celle qui jusqu’au bout se battra, répondent le mutisme de celle qui s’est résignée, les déclamations de l’infaillible raisonnée, le mysticisme de celle qui veut encore croire, et l’ironie désespérée de l’aliénée.

Pour mieux entrelacer les personnages, brouiller les vérités, confondre le spectateur, les comédiennes tiennent également tour à tour les rôles de leurs contradicteurs ; Hector, Priam, Pâris sont autant d’incursions ennemies dans le déroulé de la pièce et dans le destin de Cassandre. Ennemis dont Cassandre s’extrait à coups d’argile et d’invectives au public. Mais déjà, les Cassandre s’affrontent à nouveau. Dans ce débat tantôt violent, tantôt cacophonique ou poétique, qui semble la noyer, elle parvient pourtant à joindre ensemble ses visages, à se réunir : elle se fait entendre ! De ruptures de ton brutales en glissements de sens subtils, Cassandre cueille l’auditoire dans sa perplexité, et peut enfin lui parler. À travers ces jeux multiples, une réflexion se fait jour, sur le rôle du théâtre et la place de la narration, sur le poids de la fatalité et les choix de chacun, sur l’échange enfin et sa vertu salvatrice. C’est sur cette note que s’achève la pièce.  Point de morale. De ces dilemmes irrésolus, chacun sort désorienté, égaré face au monde et laissé à lui-même.

Mathilde Cottin et Tiphaine Mérot


Cassandre, par les Compagnons Butineurs, mise en scène de Marie Maucorps, avec Adèle Gascuel, Nouch Papazian, Eloïse Sauvion, Flora Souchier et Laura Müller ; Festival Nanterre sur Scène, le 7 décembre 2012.  

       

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