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Entretien avec Monica Waitzfelder, assistante à la mise en scène pour "Salomé"

 


Attachée pendant 19 ans à l'Opéra de Paris, Monica Waitzfelder a mis en scène des grands classiques du spectacle lyrique comme Carmen, La Flûte enchantée ou Parsifal, elle travaille aujourd'hui au côté de Lev Dodin pour Salomé. Passion de la mise en scène et oeuvres de prestige.


MCEI : Comment avez-vous appréhendé la mise en scène de Salomé, et quel a été votre travail sur cette oeuvre ?
M. W. : Avant d'aborder le travail sur une oeuvre, j'écoute d'abord plusieurs fois la musique, je m'en imprègne, puis je lis la partition, plusieurs fois aussi, et j'essaie de me figurer pour chaque mesure ce qui peut se passer sur scène. Salomé est une des oeuvres les plus perturbatrices. Le fond érotique est très actuel aujourd'hui. Cet opéra interroge la place de la femme dans la société, et trouve plusieurs résonances avec la situation actuelle. Le jeu avec les voiles rappelle le conte des Milles et Une Nuits, mais aujourd'hui, une autre perspective s'entrevoit, à savoir la question du port du voile.


MCEI : Et le rapport du prophète à cette femme qui se joue de ses voiles
M.W. : Iokanaan refuse tout ce que dit et propose Salomé, mais malgré son ancrage dans la religion, il est avant tout un homme, et il est attiré par cette femme. Attirance, et peur de l'attirance... Donc son refus est encore plus grand. Salomé quant à elle est une enfant gâtée, sa famille est dépravée, et elle rencontre une personne incarnant une morale. Elle est attirée par cet homme parce qu'il n'est pas ce qu'elle est. Comme elle a l'habitude d'obtenir toujours ce qu'elle demande, elle se heurte ici à un mur, car Iokanaan se refuse à elle. Mais en réalité, ce n'est pas le corps qui l'intéresse, mais la tête, l'intelligence.


MCEI : Comment se déroule cette nouvelle interprétation de Salomé ? La nouvelle distribution et le nouveau chef d'orchestre ont-ils eu un impact sur la mise en scène de départ ?
M. W. : Quelques changements sont intervenus en effet, trois ans se sont écoulés. Le metteur en scène n’était pas la même personne il y a trois ans ! Il a donc adapté son idée de départ avec la situation artistique actuelle.


MCEI : Combien dure en moyenne une répétition ?
M. W. : Cela dépend des productions. Cela varie entre trois semaines et deux mois. Il faut pouvoir mobiliser les artistes, ce n’est pas comme au théâtre, les chanteurs doivent reposer leur voix, on ne peut pas les solliciter tout le temps.  Idéalement je préfère avoir deux mois de répétition. Chacun arrive avec sa préparation, et le travail en groupe commence.


MCEI : Vous est-il arrivé de changer la mise en scène au cours des répétitions ?
M. W. : Nous changeons  tout le temps, nous adaptons le travail, sinon nous n'évoluons pas ! C’est véritablement une interaction avec les artistes. C’est toute la différence avec le cinéma. Certains soirs, le spectacle est meilleur que d’autres. Il y a des avantages et des désaventages à cette situation.


MCEI : Y-a-t-il des répétitions entre les représentations ?
M. W. : En général non, mais ça peut arriver.


MCEI : Lors de la répétition scène-orchestre à laquelle nous avons assisté, vous aviez commencé au milieu de l’œuvre avec la danse des sept voiles : qui a fait ce choix d’organisation  de la répétition ?
M. W. : Pendant la répétition scène-orchestre, c’est Alain Altinoglu, le chef d’orchestre qui prend les décisions.


MCEI : Comment définissez-vous votre rapport aux artistes ?
M. W. : Selon les artistes, je vais avoir un rapport très différent. D’une manière générale j’ai un rapport très affectif. Chacun a besoin de quelque chose de différent dans des lieux différents, pour des raisons différentes : technique, précision, adaptation, créativité. Là, j’interviens en essayant de faire sortir du cœur de chacun ce qu’il a de meilleur à donner. En somme, je suis là  pour que cela se passe le mieux possible !


MCEI : Comment concevez-vous le travail de metteur en scène ?
M. W. : Le metteur en scène doit sculpter, pour les artistes,  les sentiments des personnages, et attend de voir ce que le chanteur est capable d'apporter à son personnage. Il existe différentes interprétations possibles de l'opéra de Salomé ; le metteur en scène a donc un choix à faire, mais l'espace doit toujours rester ouvert pour laisser un champ d'interprétation possible au spectateur. La préoccupation première du metteur en scène est de se poser des questions autour de l'oeuvre. Il fait aussi face à cet antagonisme ; d'un côté il doit prendre un parti, c'est à dire faire un choix de mise en scène ; mais en même temps, laisser une certaine ouverture. Il doit toujours veiller à rendre l'oeuvre claire et lisible tout en l'interrogeant dans son rapport avec l'actualité.


MCEI : Comment avez-vous été amenée à vouloir diriger des artistes sur une scène ?
M. W. : C’est une longue histoire, trop longue pour votre demi-heure ! C’est  un concours de circonstances. Mes professeurs de musique et de danse me disaient déjà que j’étais faite pour diriger. A l’époque je ne comprenais pas pourquoi, jusqu’au jour où j’ai fait un stage à l’opéra. C’était pour le Barbier de Séville, c’était vraiment quelque chose d’incroyable. J’avais déjà une grande formation en musique, une formation plus spécialisée. Mais j’ai surtout eu la chance de travailler avec de grandes personnalités du spectacle lyrique. C’était la meilleure école, meilleure que toutes celles que j’avais faites.


MCEI : Vous êtes de quelle nationalité ?
M. W. : J’ai trois passeports ! Je suis née au Brésil, avec un passeport français et allemand… A choisir !


MCEI : Quel est le premier Opéra que vous avez vu ?
M. W. : C’était Le Vaisseau fantôme de Wagner. Cela me faisait penser au film de Fellini Et vogue le navire, qui est pour moi un de ces plus grands films.


MCEI : Dans quelles productions avez-vous travaillé ?
M. W. : Plus de 40...


MCEI : Avec lesquelles avez-vous pris le plus de plaisir ?
M. W. : Ce que je dis toujours c’est : « l’opéra que je préfère  c’est celui que je vais faire ». Mais c’est vrai que j’adore La Traviata, j’adore  La Tosca. Comment l’expliquer…. C’est un peu comme l’homme qu’on aime.


MCEI : Votre prochain Opéra ?
M. W. : Faust.


MCEI : Depuis combien de temps êtes-vous dans le milieu artistique ?
M. W. : La première fois que j’ai touché un piano, j’avais trois ans, et puis j’ai été comédienne, danseuse aussi.


MCEI : Aviez-vous rêvé de devenir étoile ?
M. W. : Non jamais, je n’ai jamais souhaité devenir une étoile, j’avais plutôt la tête dans mon travail ! J’aime le travail. Maintenant je comprends mieux ce que mes professeurs me disaient… Au début je voulais être chef d’orchestre, mais on m’a vite découragée parce qu’évidemment j’étais une femme. Heureusement ! Car aujourd'hui, j'adore ce que je fais.

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Propos recueillis par Aurore Bachelet et Maeva Lapeyre.