C’est en pleine répétition que nous rencontrons Noémie Fargier, co-auteure et metteur en scène de Rona Ackfield. Sur un coin de la scène du Théâtre Bernard-Marie Koltès, nous glanons quelques informations sur cette création collective mystérieuse et innovante…

MCEI : Peux-tu nous présenter la compagnie ?

Noémie Fargier : La No Panic Compagnie, c’est en premier lieu une bande d’amies (Lucie Panettrat, Élise Boch, Axelle Grégoire, Lara Khattabi, et Noémie Fargier). Nous nous sommes rencontrées en 2004 en Hypokhâgne option théâtre. Deux ans plus tard, nous formions la compagnie. Une première pièce a vu le jour, En Pièces. Nous nous sommes tout de suite tournées vers la création collective. L’idée qu’il naît autre chose du dialogue et de la réflexion commune a été et continue d’être notre moteur.

MCEI : Comment le procédé d’écriture s’est-il mis en place sur votre second projet, Rona Ackfield ?

N.F. : Tout d’abord, nous avons décidé ensemble d’un synopsis pour chacune des histoires. Puis, nous avons travaillé individuellement à l’écriture afin de donner une voix singulière à chaque jeune femme : une plume-un personnage. Malgré le risque de fragmentation qu’induit cette démarche, une réelle cohérence se dégage de nos singularités. Cependant, la pièce appelle un regard : il faut assumer une direction. Il est difficile d’être à la fois auteur, comédien et metteur en scène. Nous nous sommes donc réparti les rôles : puisque j’ai un parcours de metteur en scène, j’en ai assuré la direction, Lucie qui suit la formation des Beaux-Arts a signé la scénographie, Élise et Lara qui souhaitent devenir comédiennes jouent la pièce.  Nous nous sommes révélées parfaitement complémentaires.

MCEI : Parlez-nous un peu de Rona Ackfield. Comment est né le projet ?

N.F. : Nous sommes parties d’une thématique : le mensonge. En approfondissant la question de l’usurpation, nous nous sommes rendues compte que nous étions également sensible à la question de l’identité. L’histoire de Rona Ackfield est née d’un fait divers qui nous avait toutes énormément marqué, celui de la petite Marion, enlevée en 1996. Ce traumatisme avait suscité des questions, un imaginaire… nous avions toutes les mêmes mots pour en parler. De là est née l’idée de quatre femmes qui, pour des raisons différentes, prétendraient être cette petite fille enlevée (Rona) dix-huit ans après sa disparition.

MCEI : Bien souvent ces faits divers n’ont malheureusement pas de suite. La pièce en propose une, voire plusieurs. Y-a-t-il une volonté de nous rassurer ? 

N.F. : Ce qui est sûr, c’est que nous avons d’emblée écarté le sujet de la pédophilie. Bien que  certains textes travaillent sur le cliché, cette thématique qui est pourtant attendue n’est pas traitée dans la pièce. Au départ, il y a un manque. Même si c’est odieux de mentir,  si l’on peut blâmer l’usurpation d’identité qui est une sorte de viol, le pire finalement, c’est l’absence de cette petite fille et tout ce que l’on peut imaginer autour d’elle. Les versions que ces femmes nous proposent sont en fin de compte plus acceptables, loin de cette horreur-là.

MCEI : Comment souhaitiez-vous aborder le mensonge ? Est-il d’entrée de jeu perçu par les spectateurs par exemple ?

N.F. : Nous avons fait le choix de la sincérité chez les personnages. Au départ,  elles croient véritablement à leurs mensonges, le but étant que, bien qu’il soit averti, le public se laisse duper, oublie qu’elles mentent et se demande qui dit vrai. Susciter chez lui  l’envie qu’il y en ait au moins une qui soit la véritable Rona.

MCEI : La mise en scène travaille énormément la vidéo et le son. Qu’apportent ces éléments dans la pièce ?

N.F. : Il s’agit d’un travail sur le sensoriel. La vidéo et le son servent une réflexion sur les médias. Ce qui nous intéressait dans le fait divers était son extrême médiatisation. La rumeur, relais de la peur mais aussi du fantasme, qui finalement ne dit rien et se focalise seulement sur un visage. Nous avons alors travaillé avec la vidéaste sur le visage, celui de la disparue mais aussi celui des menteuses. Il s’agit à la fois de faire émerger des ressemblances et d’explorer les questions d’identités qui passent à travers lui. En sondant leur regard ou en analysant les expressions qui s’y inscrivent, on peut imaginer y découvrir une vérité. La pièce se situe vraiment dans un imaginaire, un après…

MCEI : Que vient justement souligner ce décor de ruines par rapport aux personnages ?

N.F. : Le décor, sorte de terrain vague, les situe en marge, comme si elles étaient déjà mises au ban la société. C’est aussi l’idée d’un lieu où tout est possible, un espace symbolique qui tend à laisser libre cours à l’imagination et au rêve. Nous voulions situer cette histoire dans un ailleurs indéfini et non dans la vraisemblance. Ce qui explique également le choix du nom, Rona Ackfield, qui amène l’étrangeté que nous recherchions.

 

Elsa Rosais et Marion Duc