Satrostiche

ven, 01/29/2016 - 13:10 - julie.destombes

M comme MAUS. Dans ce roman graphique des années 1980, un père raconte à son fils la déportation et l’expérience de l’Allemagne nazie. La bande-dessinée signée par Art Spiegelman, est souvent citée par les médias comme influence majeure de Satrapi. Erreur et préjugé! Dans Persépolis, l’analyse politique compte plus que l’autobiographie et la situation de crise individuelle. Une simple citation de l’auteur a mené à ce rapprochement trop simple, qui noie l’histoire de Marjane dans le bain des récits de survivance.

A comme Animation. Cette technique cinématographique basée sur le dessin vaudra une nomination aux Oscars à Persépolis pendant son séjour cannois en 2008. Censuré en Iran, le film, qui répond à un modèle d’autofiction et de satire apprécié des jurys occidentaux, connaît un succès fulgurant en France. Parce que nous, en France, on donne la parole aux marginaux, on accueille ceux qui se confrontent aux régimes autoritaires par le biais de l’art. Mais quelle place a t-on donné aux intentions exprimées par l’auteur, qui ne revendique pas son film comme un acte politique, mais comme un film contre les idées reçues.

R comme République (islamique). Née en 1969 à Téhéran, Marjane Satrapi voit grandir les prémisses de la révolution iranienne menée par l’ayatollah Khomeiny. Subordination de toutes les instances à la charia, interdits sociaux, parole murée. Exil.

J comme Joyau. « Marjane Â», en arabe, désigne une pierre précieuse. Peau mate, cheveux d’un noir de jais, rouge a lèvres vif … C’est un charme élégant, fin, et généreux qui émane de Marjane Satrapi. C’est aussi un caractère énergique et bien trempé. Elle déclare par exemple sur France Inter en août 2015 : « Ca me gonfle qu’on dise de moi que je suis française d’origine iranienne Â». Fine et pourtant d’une grande fermeté, elle a toujours démenti le statut imposé par la sphère médiatique, celui de l’artiste pseudo-engagée qui prend son crayon pour une épée. 1

A comme Animaux. Un chien qui raisonne son maître schizophrène, un chat (Mr. Moustache) qui le pousse dans ses envies de tuer. C’est sur ce scénario inattendu que repose son dernier film, The Voices, moyennement accueilli par la critique. Cette réaction médiatique nous interroge : faiblesse de scénario, lacunes de post-production, ou déception quand l’auteur nous emmène à un endroit où l’on ne l’attend pas. Le personnage principal d’un film doit il incarner la perte identitaire et l’engagement politique pour que ce dernier soit récompensé ?

N comme Nasser Ali Khan. C’est le personnage principal de sa seconde bande-dessinée Poulet aux prunes. Ce musicien iranien renommé perd l’inspiration quand son épouse brise son violon, et se laisse mourir de chagrin. Dans l’adaptation cinématographique, sortie sur les écrans en 2011, les huit derniers jours de vie de Nasser y sont relatés dans un décor en carton pâte, entrecoupés de souvenirs de jeunesse. La cinéaste s’allie de nouveau à son comparse Vincent Paronnaud, pour raconter des histoires romantiques, les siennes et celles des autres. La bande-dessinée reçoit le Fauve d’Or, prix du meilleur album, au 32e festival international d’Angoulême.

E comme Etrange. C’est le nom du festival qui a primé The Voices en 2014 à Paris, dans la catégorie « Nouveau Genre Â». C’est finalement, un choix pertinent pour qualifier l’univers de Marjane Satrapi, qui change sans cesse du tout au tout, dans un détachement pur et simple des on-dit. Le vrai procès intenté par l’auteur, c’est celui qu’elle mène contre les clichés. En noir et blanc ou en couleur, du dessin journalistique au film d’animation, tantôt diatribe cathartique des régimes dictatoriaux, tantôt comédie d’horreur à l’esthétique pop. Vous reprendrez bien un peu de punk viennois ou de poulet aux prunes ?

[1] Â« Longtemps j’ai pris ma plume pour une épée Â», Les Mots, Jean-Paul Sartre, 1964

Leïla Izrar