14 mai 2011, concert de Kaly Live Dub et Brain Damage au théâtre Montansier, à Versailles (Potager du Rock 2011, photo Albertine Guillaume).

 

Vingt et une heure… Il n’y a pas grand monde. Je me demande bien pourquoi... Le lieu ? Un théâtre du dix-huitième siècle en guise de « dub area », c’est plutôt inhabituel ! Quoiqu’on y aurait bien vu Ez3kiel aussi, tiens... Toutes ces volutes et boiseries ! On admire le lieu, sans aucun doute… Je suis plus que motivé (c’est mon premier concert de Brain Damage…) et ce décor à la Marie-Antoinette m’enthousiasme d’avantage. Drôle de rapprochement…

Le public, très hétéroclite, prend place alors que les derniers réglages ont lieu sur scène. Certains investissent les balcons. D’autres s’assoient sur les strapontins. Il flotte un air de cinéma dans la salle. On attend les images, à travers le son ; la féérie est au rendez-vous. C’est tout juste si l’on ne chuchote pas en attendant les artistes.

Kaly Live Dub ouvre le bal. L’acoustique est bonne malgré une salle plutôt maigre. Cela ne trompe pas une foule de danseurs invétérés qui surgissent d’on ne sait où. En quelques secondes, dès le premier morceau, ils investissent le devant de la scène. Les fauteuils Louis XV qui occupent l’espace sont poussés…ça y est, le lieu est imprégné.

Alternant morceaux de Repercussions (2005), Fragments (2008) et Lightin’ The Shadows (2010), les Kaly se laissent porter tranquillement. Leur set est bon. Presque symphonique, puissant et fin à la fois. Le rassemblement existe à travers des titres emblématiques : l’adjudant autoritaire du Full Metal Jacket de Kubrick fait résonner sa voix dans la réverbe de «Crossing Rules »pour invoquer la fête. Tout le monde répond. Bien vite, un couple de jeunes retraités, peut-être désireux de s’initier à la bass music, est contraint de quitter le troisième rang. On ne voit plus les artistes avec les jeunes qui dansent ! Dame oui ! Quelques questions me taraudent…

Les morceaux se suivent avec cette homogénéité propre à Kaly Live Dub. Leur maîtrise est exemplaire et leur feeling est pur : jusqu’au bout, ils donnent leur meilleur son, malgré une petite erreur anodine sur une introduction. Il faut dire qu’ils jouent au millimètre, couplant machines, ordinateurs et instruments selon diverses combinaisons. L’effort est magnifiquement soutenu par les jeux de lumières du théâtre, manifestement bien équipé. J’essaye le dancefloor improvisé et les sièges de cinéma. Tout est bon, ça vibre.

Entracte. Bon, c’est étrange tout ça…En France, on a la fâcheuse tendance à museler les endroits où la musique amplifiée et conviviale indépendante se produit. Du coup, on les intègre dans des cadres officiels pour mieux en contrôler le développement sans avoir l’air de faire censure. Ça doit être pour ça qu’un set de Kaly est encore meilleur au squat des Tanneries à Dijon... Si ça continue, on ira voir des mixs technos dans les kermesses. Pourquoi pas, ceci dit, c’est même une bonne idée après tout ! Mais admettons quand même que rien ne vaut un concert en pleine friche (industrielle ou naturelle), à l’arrachée, avec les seules envies des artistes pour la scène, une asso de motivés et la foule au rendez-vous.

Toujours est-il que ce soir, l’ambiance est particulière, presque tendue. Imaginez un public enthousiaste, voire excité, qui essaierait de tenir sur des sièges plutôt raffinés, alors qu’en face d’eux une des plus grosses pointures de la scène dub française balance du dubstep entre deux hip hops dans les règles. Pas facile. La vendeuse de billets approuve. J’ai du mal à imaginer le concert de Mass Hysteria à Montansier en 2010…

Après vingt minutes de break, une bière ou deux et quelques réflexions sur la place physique de la culture et du spectacle dans la société française, les deux Brain Damage montent sur scène. Derrière leurs visages fatigués par la route se cache une machine de guerre. Martin Nathan, le « machineman », s’échauffe en faisant quelques étirements…

C’est incroyable. Dès le premier sample, la première ligne de basse, on sent qu’ils veulent en découdre. Et c’est ce qu’ils font. Du pur Brain Damage, déchaîné et intense. Le public, emplafonné par les basses (que les Brain s’amuseront même à faire saturer pour atteindre une infrabasse improvisée d’une douzaine de secondes à la fin de « Mistaken Identity »), en redemande. Les sièges Louis XV sont piétinés. J’aperçois des ados qui sautent les strapontins pour gagner l’espace de danse.

J’en profite pour passer par les balcons : vue imprenable sur le jeu de scène des deux compères. Les cris de Martin Nathan se font entendre et son visage incroyablement expressif, toujours en mouvement, trouve sa place sur une scène de théâtre. Au milieu, Raphael Talis est un chaman danseur qui a vraiment la classe, si l’on peut dire. Sa basse brille. Pendant un court instant, où les sons deviennent très ambiancés, presque cinématiques, je crois à une mise en scène, à un spectacle d’un genre nouveau.

Avant d’entamer un autre morceau, sur une introduction où se mêlent samples de piano et voix de petites filles d’outre-Rhin, Martin lance au micro: « Dédicace à mon frangin…Et à tous les keupons quadragénaires ». Au même moment, Raphaël se fait une crête avec la main et reste immobile quelques secondes, penché en avant. Au fond de la salle, un groupe de voix sourdes et joyeuses répond. Tout le monde les entend. Martin sourit. Comme s’il disait à son bassiste qui le regarde: « Il y en a ! Je le savais. » Il lance ses yeux malicieux en direction des punks cachés dans les loges du théâtre. Le beat repart dans l’instant, à toute allure, dévoilant un autre riddim plein de rage…tout aussi hypnotique que les autres.

Pressés par la programmation, les Stéphanois quittent la scène rapidement. Ils sont quand même rappelés, pour six ou sept minutes… Voilà des hommes vraiment respectueux du public : on leur interdit de jouer plus mais ils se donnent tout de même jusqu’au bout dans la bonne humeur et avec énergie.

Après le concert, je discute avec Thibault Louis des Kaly Live Dub. Il me fait savoir qu’il a aimé le principe : c’est vrai que moi aussi j’aurais bien aimé activer un générateur de basses pour voir si le lustre géant du théâtre pouvait se décrocher… Dubwise !

 

- Kaly Live Dub & Brain Damage - 14 mai 2011 au théâtre Montansier, pour le festival « Potager du rock » à Versailles.

 

- Kaly Live Dub – Lightin’ The Shadows (Jarring Effects, 2010).

- Brain Damage – Burning Before Sunset (Jarring effects, 2010).

 

Baptiste Godineau

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