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déc.
22

La Même Histoire

 


 

LA MÊME HISTOIRE

Comédie en trois actes

 

PERSONNAGES

Nino Ryagard, écrivain.
Mia de Sursaud, éditrice.

Michaël Dussud dit Mika, patron.
Mélanie Dreulane, serveuse.
Gaëlle Nafrau, serveuse.
Célia Riviot, serveuse.

Alphie Dupussid, écrivain.

 

ACTE I

SCENE 1

Une petite cuisine juxtaposée à une salle de réception. Deux tables couvertes de plateaux de bouchées et de cocktails. Gaëlle espionne discrètement la salle de réception.

Mélanie, Gaëlle, Célia

 

Mélanie. M. Dussud devrait arriver d'une minute à l'autre et on n’a pas fini d'arranger les bouchées !
Gaëlle. C'est ta première réception ici ?

Mélanie. Oui, pourquoi ?

Gaëlle. Pour rien. Simplement, ça se voit.

Mélanie. M. Dussud n'est pas du genre à cheval sur les horaires ?
Gaëlle. Non. C'est sur autre chose qu'il est à cheval, « M. Dussud ».

Mélanie. Ah oui ?

Gaëlle. Oui. Et c'est Mika, pas M. Dussud.

Mélanie. Il me l'a mentionné lors de notre entretien par téléphone. Mais c'est trop informel, je préfère m'en tenir aux patronymes.
Gaëlle. Donc tu comptes m'appeler Nafrau ?

Mélanie. Non, comme nous sommes collègues et sans écart hiérarchique, la règle ne s'applique pas. Mais imaginons que nous nous retrouvions, dans un futur plus ou moins lointain, pour un autre travail, et que tu sois, à ce moment-là, ma supérieure... On peut goûter le champagne ?

Gaëlle. ― Non.

Mélanie boit une coupe.

Célia. (A l'oreille de Gaëlle :) Tu ne lui as toujours pas dit sur quoi il est à cheval, le Mika.

Entre Mika.

Mika. Ça va comme vous voulez, les filles ?
Mélanie. Oui. Tout est prêt.
Mika. (Il s'approche d'elle.) Tu dois être Mélanie.

Mélanie. Oui.  
Mika. ― Bien. Vous pouvez commencer le service.

Mélanie. ― Oui Monsieur.
Mika. ― Mika.
Mélanie. ― Mika.

Mika. Bien.
Mika. (Il se dirige vers la porte avant de se retourner.) Mélanie ?

Mélanie. Oui ?

Mika. ― Ton tee-shirt n'est pas assez ajusté. Il y en a d'autres dans le petit placard. (Il sort.)
Gaëlle. ― J'aurais pu te prévenir avant, pour le tee-shirt. Ça serre un peu, mais on s'y fait.

Mélanie. (Elle va vers le petit placard.) ― Si ça fait partie des conventions...

Gaëlle. (Elle se remet du rouge à lèvres, attrape un plateau et se dirige vers la porte.) Mélanie ?
Mélanie. Oui ?
Gaëlle. C'est moi qui sers Nino. (Elle sort.)

Mélanie. Nino ?
Célia sourit, attrape un plateau et sort.

 

SCENE 2

La salle de réception du même établissement. Au fond, une estrade sur laquelle se dresse un pupitre. Les invités sont nombreux. Mélanie, Gaëlle et Célia circulent dans la salle avec leurs plateaux.

Mia, Nino

 

Mia. Je te rappelle que cette soirée est pour toi. Toute la presse est là, pour toi. (Nino prend une coupe de champagne sur le plateau de Gaëlle.)

Nino. Pour moi. Ça, j'ai bien compris. (Il boit.)

Mia. Je serais peut-être un peu moins insistante si tu ne semblais pas si détaché. (Un temps.) Il est vingt heures, il va falloir que tu commences les dédicaces.
Nino. Tu devrais goûter le champagne, il est exquis.

Mia. Bien sûr qu'il est exquis, c'est moi qui l'ai choisi. Nino, je sais que tu n'es pas très à l'aise avec ce genre d'exercice...
Nino. Mais je suis très à l'aise. Je vais gribouiller de jolies petites signatures à qui en voudra, et puis je ferai un discours tout aussi joli, avec deux plaisanteries, peut-être trois, je ne sais pas encore, qui ravira absolument tout le monde, même cet abruti d'Alphie, ne t'inquiète pas.

Mia. Si, je m’inquiète. Je sais que tu n'as pas envie d'être là, mais pense à...

Nino. Merci de savoir, ça me touche beaucoup. (Il boit.)
Mia. Tu sais, si tout se passe bien, tu seras chez toi à vingt-deux heures. Ta femme n'aura même pas remarqué ton absence. (Son téléphone sonne. Nino finit sa coupe, la lui donne, et va s'asseoir à sa table pour commencer les dédicaces.)

Mia. (Au téléphone :) ― Oui ? Non, tu sais que je ne peux pas ce soir. Je ne serai jamais là avant minuit. Oui, embrasse-les pour moi. A demain. 

 

 

SCENE 3

Dans la cuisine.

Entrent Célia et Mélanie


Mélanie. Nino Ryagard ?
Célia. Oui.

Mélanie. Nino Ryagard !

Célia. Il va falloir t'en remettre. Même si c'est chasse gardée, tu vas devoir circuler autour de lui, et sans faire valser les bouchées au saumon sur tout le monde. Quoique si ça pouvait en détendre certains, comme cette journaliste odieuse... Tu l'as aperçue ? Elle est aussi haute que large et a jugé bon d'enfiler un tailleur rouge tomate ! À y réfléchir, une petite tache de saumon irait, en fait, parfaitement avec le tout ! Tu ne trouves pas ? (Elle prend un plateau.)

Mélanie. Nino Ryagard...

Célia. Voilà, c'est ça. (Elle sort. Entre Gaëlle.)

Gaëlle. Pourquoi tu fais cette tête ?

Mélanie. Pour rien.

Entre Mika.
Mika. Vous faites une petite pause, les filles ?

Gaëlle. ― Non ! (Elle sort. Mika s'approche de Mélanie et reste silencieux. Il la fixe en souriant. Elle répond avec des sourires gênés.)

Mika.J'ai vraiment l'œil pour les vêtements. Cette taille te va beaucoup mieux.

Mélanie. Merci.

L'échange de sourires insistants et gênés reprend. Mélanie prend un plateau vide.
Mélanie. J'y retourne !

Elle sort, et revient quelques secondes plus tard. Elle repose le plateau vide et en saisit un rempli de bouchées. Elle sort.

 

 

 

 

SCENE 4

Dans la salle de réception.
Gaëlle, Nino, Mia, Alphie

 

Gaëlle. Une petite coupe, M. Ryagard ?
Nino. ― Merci. (Il boit, et repose le verre vide sur le plateau.)

Gaëlle. Une autre ?
Nino. Non merci, vous êtes gentille.

Gaëlle. C'est que, si vous me permettez, vous avez l'air... (Arrive Mia.)

Mia. Nino, ça va être à toi. Tu es prêt ?

Nino. Aussi prêt que frais !

Mia. ― Super.

Nino. ― Parce que si on y pense bien, c'est la fraîcheur qui compte ! Tu auras beau être aussi prêt que tu veux pour n'importe quoi, tant que tu n'es pas frais, tu ne feras jamais aucun effet sur quiconque. Qu’en penses-tu, Mia ?

Mia. Nino, pense à ton livre. (A Gaëlle, qui se tient toujours juste à côté de Nino qu’elle fixe amoureusement :) Je peux vous aider, peut-être ? (Gaëlle s'éloigne.) Pense à ta carrière, le temps de ton discours au moins. (Alphie rejoint l'estrade.)

Alphie. Bonsoir à tous. Nous sommes très heureux que vous soyez parmi nous ce soir. Alors évidemment, je pourrais me lancer dans une longue présentation élogieuse de cet auteur qui m'est cher et pour lequel nous nous sommes tous déplacés ce soir, mais je ne pense pas que ce soit nécessaire. Ne le prends pas mal, Nino, mais je ne vois pas ce que je pourrais dire que tout le monde ne sache pas déjà, et moi-même, je n'en peux plus de me répéter à ton sujet. Alors pour une fois, je ne vais pas faire mon boulot. Je vais t'inviter à me rejoindre sur cette estrade et t'y laisser profiter de la lumière pendant que je savoure le spectacle avec une bonne coupe ! Mesdames, messieurs, Nino Ryagard ! (Nino monte sur l'estrade.)

Nino. Mesdames, messieurs, vous venez d'assister à la meilleure plaisanterie de la soirée. Le jour où Alphie fera son boulot, peut-être que moi, j'obtiendrai une bonne critique dans les colonnes de Télérama ! Vous savez, parler de son livre n'est pas l'exercice le plus facile qui soit, la seule chose que l'on ait vraiment envie de dire étant « achetez-le ! ». Bien sûr, on espère que l'achat sera suivi de la lecture et pour les plus optimistes d’entre nous, que celle-ci ne sera pas tout à fait désagréable. Chaloupe d'ange est un livre relativement court. Je me suis dit que je ne pouvais pas vous refaire le coup de L'eau qui court. J'ai eu envie de m'éloigner davantage du monde policier pour m'attacher à une histoire d'amour. À voir la mine déconfite de certains, je me dois d'ajouter : Dan Grayniro est toujours là, et il s'est encore fourré le nez dans une affaire impossible, soyez sans crainte. Seulement, notre Dan doit désormais composer avec l'arrivée, ou plutôt la réapparition de quelqu'un de très particulier. Et je n'en dirai pas plus. Je ne vais pas me risquer à perdre des lecteurs potentiels avant même la sortie du livre ! Et surtout, moi, je l'ai déjà fait, mon boulot ! Merci.

(Nino descend de l'estrade. Gaëlle se rapproche pour lui offrir une coupe. Il se dirige vers la sortie et prend une bouchée sur le plateau de Mélanie.)

 


ACTE II

 

SCENE 1

Dans la cuisine.
Gaëlle, Mélanie

 

Gaëlle. Tu te moques de moi ?

Mélanie. Pardon ?

Gaëlle. ― Oui, tu te moques de moi !

Mélanie. ― De quoi est-ce que tu parles ? (Elle boit un verre.)

Gaëlle. ― Tu aurais pu me dire que tu connaissais Nino ! Et arrête de boire les coupes réservées aux invités !

Mélanie. ― Quoi ? Mais je ne le connais du tout !

Gaëlle. ― Tu continues, en plus.

Mélanie. ― De boire ?

Gaëlle. ― De te moquer de moi ! Je t'ai dit de ne pas servir Nino !

Mélanie. ― Non, tu m'as ordonné de ne pas servir Nino, il y a une différence.

Gaëlle. ― Tu veux dire que tu n'as pas compris quand je te l'ai dit ?

Mélanie. ― Je veux dire que je n'aime pas qu'on m'impose des choses sans raison. Et, pour que ce soit clair, tu es en train de faire un drame parce que Nino a pris une bouchée sur mon plateau ?

Gaëlle. ― Oui.

Mélanie. ― Tu es en train de faire un drame parce que Nino a pris une bouchée sur mon plateau, alors que j'allais vers un autre invité et que c'est lui qui est venu vers moi ?

Gaëlle. ― Voilà.

Mélanie. ― Et maintenant; je suppose que je dois m'excuser pour quelque chose que je n'ai pas fait intentionnellement, et qui repose, de surcroît, sur une demande complètement insensée de ta part ?

Gaëlle. ― S'il te plaît.

Mélanie. ― Gaëlle, je m'excuse d'avoir fait quelque chose que je n'ai pas fait intentionnellement, et qui repose, de surcroît, sur une demande complètement insensée de ta part.

Gaëlle. ― Merci.

Mélanie. ― C'est bon, on peut y retourner ?

Gaëlle. ― Allons-y. (Elle sort, Mélanie reste boire son verre. Gaëlle réapparaît.) Nino est parti ! Il t'a vue, et il est parti ! Arrête de te moquer de moi ! Qu'est-ce que tu lui as dit ?

Mélanie. ― Gaëlle ?

Gaëlle. ― Quoi ?
Mélanie. ― As-tu déjà vu le film Meurtres en cuisine ?

Gaëlle. ― Non.
Mélanie. ― Mais tu peux certainement imaginer le sujet du film, non ?

Gaëlle. ― Non, ça ne me dit rien. Est-ce qu'on peut en revenir à Nino

et toi ?

Mélanie. ― Non.
Gaëlle. ― Mais si !

Mélanie. ― Mais non. Je ne le connais pas. Je n'avais jamais vu sa tête avant ce soir.
Gaëlle. ― Vraiment ?

Mélanie. ― Vraiment. Qu'est-ce que je dois faire pour que tu me laisses tranquille ?

Gaëlle. ― Tu as une idole ? Quelqu'un que tu admires vraiment énormément ?

Mélanie. ― Oui, j'aime beaucoup Édith Piaf. Pourquoi ? M'entendre chanter une chanson te calmerait ?

Gaëlle. ― Connais pas. Elle est vivante ?

Mélanie. ― Oui ! D'ailleurs elle partage un appartement avec Claude François, si mes souvenirs sont bons.

Gaëlle. ― Très bien. Alors jure sur la tête d'Édith Piaf que tu ne connais pas Nino.
Mélanie. ― Je jure sur la tête d'Édith Piaf que je ne connais pas Nino. C'est bon, on peut y retourner ?

Gaëlle. ― Allons-y.

Elle sort. Mélanie se sert un autre verre. Mika entre.

Mika. ― Alors, on fait une petite pause ?

Mélanie. ― Pas vraiment.

Mika. ― Tu as tort, il faut savoir s'accorder de petits moments de répit. (Échange de regards.)
Mélanie. ― J'y retourne.

Elle sort.

 

SCENE 2

Devant l'établissement, Nino fume une cigarette sous le porche. Alphie le rejoint.

Nino, Alphie

 

Alphie. ― Tu en as une pour moi ? (Nino lui tend une cigarette.) Tu fuis la foule ?

Nino. ― Je fuis Mia. Elle est constamment sur mes talons. Quand elle n'est pas en face de moi à observer mes moindres faits et gestes, je la sens dans mon dos, l'oreille bien tendue pour entendre si je fais ma promotion correctement.

Alphie. ― Si ça peut te forcer à parler convenablement aux journalistes...

Nino. ― Ah ça ! C'est très convenablement que je leur demande de me parler d'eux, de leur métier, et même, de temps en temps, quand je sens qu'ils sont très heureux de me raconter toutes ces choses-là, de leurs petites affaires personnelles.

Alphie. ― Tu as vraiment un souci.

Nino. ― Non, le souci, c'est que je sois obligé d'attendre que mon éditrice s'éclipse aux toilettes pour pouvoir sortir fumer une cigarette.

Alphie. ― En tout cas, si ça t'intéresse, ça fait deux minutes que tu es parti, et elle est déjà en train de se jeter sur tous les petits fours qui passent.

Nino. ― Elle n'a pas eu l'idée de venir voir ici si j'y suis ?

Alphie. ― Si.

Nino. ― Alors ?

Alphie. ― Alors me voilà.

Nino. ― Ah ! Monsieur s'exécute, et Madame est servie.

Alphie. ― Si ça peut te faire plaisir...

Nino. ― Ça ne me fait pas plaisir. Je constate simplement. Il n'y a pas besoin d'être un fin observateur pour voir que tu fais tout pour lui plaire.

Alphie. ― Ah oui ?

Nino. ― Oui.

Alphie. ― Première nouvelle ! Je ne savais pas qu'être serviable avec quelqu'un voulait forcément dire qu'on souhaite finir au lit avec cette personne.

Nino. ― Maintenant tu sais.

Alphie. ― (Un temps.) Mais alors, la maîtresse d'Angélique à qui j'ai donné le numéro d'un bon dentiste croit certainement qu'elle me plaît ?

Nino. ― Certainement.

Alphie. Tu fais bien de me le dire ! J'éviterai d'être avenant à l'avenir. Est-ce que ça marche aussi pour ma belle-sœur ? Je l'emmène une fois par mois à l'hôpital. Et la mamie de mon immeuble que j'aide de temps en temps avec ses courses ? Et mon copain...

Nino. ― Tu as fini ?

Alphie . ― On discute !

Nino. ― Non, on ne discute pas. Ça fait trois ans qu'on ne discute plus. Et ça m'arrangerait si ça pouvait rester comme ça. C'est déjà suffisamment pénible de devoir jouer la comédie lors de ces soirées insupportables.

Alphie. ― Deux heures, une fois par an, c'est trop pour toi ? Tu es vraiment incroyable. S'il y en a un de nous deux qui devrait haïr ces moments-là, c'est bien moi. C'est toujours la même rengaine. Tu veux ce que tu n'as pas, et une fois que tu l'as, ce n'est pas suffisant, alors il t'en faut toujours plus ! Résultat, tu es bien loin de ceux à qui l'on donne ça (Il mime avec de grands gestes :), et qui prennent ça. Non ! Toi, tu prends tout ça d'emblée, sans demander l’avis de personne, tu ne donnes rien et tu en veux toujours plus ! (Il fait un grand geste et frappe accidentellement Nino à la tête.)

Nino. ― Mais ça ne va pas ?
Alphie. ― Je t'ai à peine frôlé. Il faut dire que tu n'es vraiment pas résistant...

Nino. ― T’es gonflé ! Tu viens de me frapper violemment au visage ! C'est une vraie manie !

Alphie. ― Je ne l'ai pas fait exprès !
Nino. ― Tu ne le fais jamais exprès ! J'ai besoin de glace. Tu veux bien faire diversion pour que j'accède aux cuisines sans que la folle ne me voie ?

Alphie. ― Ai-je vraiment le choix ?

Ils rentrent dans l'établissement.

  

SCENE 3

Dans la cuisine. Mélanie boit.
Mélanie, Nino

Entre Nino.

Nino. ― Excusez mon intrusion. Quoique je n'aie pas vraiment l'air de vous déranger. Auriez-vous de la glace s'il vous plaît ?

Mélanie. ― Bien sûr ! (Elle va chercher de la glace.) Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?

Nino. ― Un accident, paraît-il.

Mélanie. ― C'est drôle !

Nino. ― Ah ?

Mélanie. ― (Elle lui applique la glace sur le front). Non, je veux dire que c'est drôle, parce qu'on vient justement de me faire une scène ridicule pour quelque chose que je n'ai pas fait intentionnellement.

Nino. ― Et qu'avez-vous donc fait que vous ne souhaitiez pas faire ?

Mélanie. ― Figurez-vous que je vous ai servi ce soir.

Nino. ― Je n'avais pas remarqué, mais je suppose que je dois vous remercier.

Mélanie. ― Non, c'est normal.

Nino. ― Mais j'insiste.

Mélanie. ― Si vous y tenez...

Nino. ― Bon, et en quoi cela a-t-il un rapport avec notre histoire ?

Mélanie. ― C'est la chose que je ne devais pas faire : vous servir.

Nino. ― Voilà qui est surprenant. Mia ne sait vraiment plus quoi inventer.

Mélanie. ― Mia ?

Nino. ― La folle qui me publie.

Mélanie. ― Oui, je crois que je vois. Elle m'a arraché un plateau de petits fours des mains il n'y a même pas deux minutes. Mais elle n'a rien à voir là-dedans. Mon bourreau, c'est une folle qui sert avec moi.
Nino. ― Voilà autre chose.
Mélanie. ― N'est-ce pas ? (Un temps.) C'est drôle !

Nino. ― Vous trouvez ?

Mélanie. ― Non, c'est drôle parce que je n'avais pas la moindre idée que cette soirée était en votre honneur. Et si je suis là, c'est un peu à cause de vous. (Elle boit.)

Nino. ― Comment ça ?

Mélanie. ― C'est une triste histoire, je n'ai pas vraiment envie de vous la raconter. (Un temps.) A bien y réfléchir, c'est entièrement de votre faute.

Nino. ― Enfin, expliquez-vous.

Mélanie. ― Si je me retrouve là, à essayer de servir correctement vos invités, ce que je fais très mal, comme vous pouvez le voir, c'est parce que j'ai perdu deux choses très importantes le même jour, il y a une semaine précisément : mon amoureux et mon travail. (Elle boit.)

Nino. ― Je suis désolé.

Mélanie. ― Vous faites bien ! Mais ne le soyez pas trop, je n'ai pas bu un champagne aussi bon depuis le soir où Martin, le fameux, m'a demandée en mariage.

Nino. ― Voilà un point positif ! Mais qu'est-ce que je viens faire là-dedans, moi ?

Mélanie. ― « Il comprit qu'il ne rentrerait pas chez lui. Pas ce soir, ni les soirs suivants. Un autre destin l'attendait. ». Ça vous dit quelque chose ?

Nino. ― Non, pas vraiment.

Mélanie. ― Eh bien ce sont vos mots. J'ai offert votre premier roman à Martin, qui était aussi mon patron, pour tout dire. Il lui a beaucoup plu, félicitations.

Nino. ― Merci.

Mélanie. ― Non, c'est normal.

Nino. ― Pardonnez-moi, mais je ne vois toujours pas bien où...

Mélanie. ― Eh bien, cette phrase lui a complètement retourné la tête. Un soir, je suis rentrée à la maison, et il était parti. (Elle se met à pleurer.) Et la seule chose qu'il avait laissée, c'était une page déchirée, celle qui clôture votre livre, avec cette phrase surlignée en vert.

Nino. ― C'est drôle !

Mélanie. ― Quoi ? Le vert ?

Nino. ― Non, je veux dire, c'est drôle, parce que je trouvais cette phrase très mauvaise, complètement insipide, mais mon éditeur a tenu à ce que je la laisse.

Mélanie. ― (En pleurant :) Oui, c'est très drôle !

Nino. ― Arrêtez de pleurer. (Il la prend dans ses bras.) Je suis vraiment confus. Mais il faut vous dire que si cette stupide phrase a suffi à votre petit ami pour vous quitter, ce n'est peut-être pas la peine de le regretter à ce point...

Célia entre, les voit, et ressort sans faire de bruit. Mika entre.
Mika. ― Qu'est-ce qu'il se passe ici ? Ça va, Mélanie ? On ne vous dérange pas trop ? Vous vous accordez suffisamment de... (Il reconnaît Nino.) Monsieur Ryagard ! Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? Tout va bien ?

Nino. ― Oui, merci, ça va. Juste un malheureux incident… (Entre Mia.)
Mia. ― Nino ! Qu'est-ce que tu fais là ? Mon dieu, mais tu es blessé ?
Nino. ― Non non, rassure-toi. (Gaëlle entre.) Mélanie s'est bien occupée de moi.

Gaëlle. ― Je le savais ! Je le savais ! Tu m'as menti ! Je t'ai fait confiance ! Et tu as juré sur la tête d'Édith Piaf. Le jour où elle mourra, ce sera ta faute, et Claude François, il se retrouvera tout seul ! Et moi, je serai bien contente !

Mélanie. ― Tout de suite les grands mots ! Que tout le monde se calme, j'ai des choses à dire. Mika, merci beaucoup pour vos regards pervers, votre haleine de poney, et vos tee-shirts pour enfants, mais non merci, je démissionne ! Gaëlle...

Gaëlle. ― Oui ?

Mélanie. ― Édith Piaf et Claude François sont morts il y a belle lurette, paix à leur âme, et tu dois vivre dans un monde bien particulier pour ne pas savoir qui ils sont. Je te répète aussi que je ne connais pas Nino. Par contre, je n'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi égocentrique que toi, et excuse-moi de te le dire, mais tu ressembles vraiment beaucoup à cette serveuse ahurie de Meurtres en cuisine. Et ce n'est pas un compliment ! D'ailleurs elle se fait tuer dans la première demi-heure du film tellement elle insupporte absolument tout le monde. Et tu as du rouge à lèvres sur les dents, aussi. (Elle prend une bouteille de champagne au réfrigérateur.) Sur ce, bien le bonsoir !

Elle sort.

 

ACTE III

 

SCENE 1

Devant l'établissement. Il pleut. Mélanie vient de sortir, elle s'abrite sous le porche. Alphie la rejoint.

Mélanie, Alphie

Alphie. ― Vous partez ?

Mélanie. ― Dès qu'il s'arrête de pleuvoir.

Alphie. ― Je comprends. Mes cheveux ne supportent pas non plus l'humidité.

Mélanie. ― Et vous êtes ?

Alphie. ― Alphie. Et vous ?

Mélanie. ― Transparente apparemment. Je suis celle que vous remercierez demain matin en vous levant.

Alphie. ― (Il sourit.) Ah ?

Mélanie. ― Vous avez une jolie descente !

Alphie. ― Ah... la serveuse au tee-shirt trop court. Pourquoi partez-vous si tôt ?

Mélanie. ― Je me suis fait virer !

Alphie. ― Ah...

Mélanie. ― Rassurez-vous, ça me va très bien comme ça !

Alphie. ― Vous y avez même gagné, visiblement. (Il montre les bouteilles de champagne qu'elle tient dans ses mains.)

Mélanie. ― Cadeau de départ ! (Un temps.) Est-ce que vous êtes acteur ?
Alphie. ― Pas du tout. Je vous fais penser à quelqu'un ?

Mélanie. ― Pas du tout. Simple principe de précaution. J'ai assisté à votre discours, j'ai trouvé ça vraiment très mauvais.

Alphie. ― Pardon ?

Mélanie. ― Oui, vous jouiez le rôle du mec très à l'aise, alors que ça se voyait gros comme un jambon que vous ne l'étiez pas. Vous ne l'aimez donc pas, ce Nino que tout le monde adore ?

Alphie. ― Comme un camion.

Mélanie. ― Pardon ?

Alphie. ― On dit gros comme un camion.

Mélanie. ― Vous avez raison. N'écorchons pas une si jolie expression ! Vous ne m'avez pas répondu pour Ryagard.

 Alphie. ― Vous êtes très indiscrète.
Elle lui donne les bouteilles et enlève son manteau qu'elle met dans son sac.

Alphie. ― Ou seulement très alcoolisée... Qu'est-ce que vous faites ?

Mélanie. ― Je rentre chez moi ! (Elle récupère les bouteilles.)

Alphie. ― Comme ça ? Vous allez attraper la mort !

Mélanie. ― Je dois rendre ce manteau demain.

Alphie. ― Pourquoi ? Il vous rend désagréable lorsque vous le portez ?

Mélanie. ― Oh, vous êtes drôle en plus ! Non pas que ça vous regarde, mais j'ai acheté ce manteau très cher pour faire bonne impression ce soir, et aussi un peu parce que j'étais très très déprimée, mais maintenant que je n'ai plus de boulot...

Alphie. ― Je suis sûr que vous trouverez autre chose.

Mélanie. ― Bingo, il est drôle et gentil ! Laissez-moi déjà trouver le chemin pour rentrer chez moi. Le nord, c'est par là ?

Alphie. ― Non. Vous avez bien fait des études ?

Mélanie. ― Oui, beaucoup ! Mais apparemment, il ne suffit pas de connaître Rousseau et Stendhal par cœur pour trouver du travail aujourd'hui. Par contre, prenez un bouquin de Ryagard entre vos mains, et là, votre vie en sera complètement chamboulée !

Alphie. ― Une autre fan, bien sûr.

Mélanie. ― Je vais par là, je crois.

Alphie. ― Je suis garé juste là. Laissez-moi vous ramener chez vous.
Mélanie. ― A une condition.

Alphie. ― Je vous écoute.

Mélanie. ― Vous restez regarder Meurtres en cuisine avec moi.

 

SCENE 2

Dans la cuisine. Célia réconforte Gaëlle qui pleure.
Célia, Gaëlle, Mika

 

Gaëlle. ― Est-ce que tu crois que j'ai toujours une chance avec Nino ?

Célia. ― Oui.

Gaëlle. ― Parce que je m'étais faite jolie ce soir.
Célia. ― Oui.

Gaëlle. ― Tu avais remarqué ?

Célia. ― Oui, très très jolie !

Gaëlle. ― Est-ce que tu crois qu'il va demander mon numéro à Mika ?

Célia. ― Oui, c’est possible...

Gaëlle. ― Et il m'emmènera chez lui, à Périgueux ?

Célia. ― Euh...

Gaëlle. ― Et ensuite, il écrira sur notre histoire ? (Entre Mika.)

Mika. ― Mais qu'est-ce qu'il se passe ce soir ? C'est la pleine lune qui chamboule vos hormones comme ça ?

Célia. ― Oui, c’est possible...

Mika. ― C'est pas bien grave, tout le monde est parti. Célia, je peux compter sur vous pour la fin de la soirée ?
Célia. ― Oui.

Mika. ― Ah, et avant que j'oublie : samedi prochain, on organise une soirée pour Antoni Clotrebimi. Donc si vous êtes disponibles, et même, si vous avez une copine pour…

Gaëlle. ― Oui ! Oui ! Oui ! Oui ! Oui !

 

 

SCENE 3

Dans la salle de réception.
Nino, Mia

 

Nino. ― Je suis vraiment désolé. Mais je n'avais pas non plus prévu de finir le nez en sang.

Mia. ― Il est vingt-trois heures. Tu devrais rentrer chez toi.

Nino. ― S'il te plaît, ne fais pas cette tête-là.

Mia. ― Tu te fous constamment de moi et de ce que je fais pour toi. J'ai encore le droit de faire la tête que je veux.

Nino. ― Ce n'est pas contre toi, Mia. Je suis désolé, je suis juste complètement paumé en ce moment. Entre la sortie du bouquin, le déménagement, et Marion, je ne m'en sors plus. Je suis complètement flippé, tout est allé si vite, j'ai du mal à gérer tant de changements. Ce n'est pas contre toi. Je sais que tu fais tout ce que tu peux pour m'aider. Et moi, je suis…

Mia. ― Un petit con ?

Nino. ― Ce n'est pas ce que j'allais dire, mais…

Mia. ― Non, tu as raison, un gros con, ça sonne mieux.

Nino. ― Oui, mais... (Il se met à chanter sur un air de Voulzy, Rockcollection, dont il transforme les paroles :) on a tous dans le cœur un gros con préféré, nez cassé, bien bourré, à la sortie de la soirée...
 

Mia. ― (Elle rit.) Viens-là. (Elle le prend dans ses bras.) Il va quand même falloir que tu songes à d'autres manières de t'excuser pour les prochaines fois. Voulzy, ça devient franchement lassant.

Nino. ― Promis.

Mia. ― Et demain, tu enverras un petit mot à cette serveuse que tu as fait pleurer pour t'excuser.

Nino. ― Ah bon ?

Mia. ― J'ai trouvé qu'elle avait de l'esprit. Tu lui diras de passer me voir au bureau. J'ai peut-être quelque chose à lui proposer.

Nino. ― Promis. J’espère que ton homme est bien conscient de la chance qu’il a de t’avoir, lui ! (Son téléphone sonne :) Allô ? Oui, je rentre, je suis en… Quoi ? Maintenant ? J'arrive ! (Il raccroche.) Marion est en route pour l'hôpital, je vais être papa ! (Il prend Mia dans ses bras.)

Mia. ― Nino ?

Nino. ― Oui ?

Mia. ― Tu as bien fait de la voler à Alphie.
Nino embrasse Mia et sort. Elle prend une coupe à moitié vide sur une table et se met à chanter la chanson Désir Désir de Voulzy.
Mia. ― Mais toutes les chansons racontent la même histoire. Il y a toujours un garçon et une fille au désespoir. Elle l'a…

Gaëlle. ― (En chantant, depuis la cuisine :) Elle l'appelle, et il n'entend pas.

Mia et Gaëlle. ― (Toujours en chantant :) Elle voit que lui, mais il ne la voit pas.

Mia finit sa coupe.

Mia. ― Eh bien au moins, après ça, je peux être certaine que j’aurai droit à un bon bouquin. (Elle prend son téléphone :) Allô, je te réveille ?... Non, tout va bien, je voulais juste te dire que je rentre finalement plus tôt que prévu. Tu m’attends ?... A tout de suite. (Elle sort de scène en chantant :) Mais toutes les chansons racontent la même histoire. (Elle transforme les paroles :) Elle rentre chez elle, et c’est mieux comme ça !

 

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