Application de l’article 13 de la CEDH au regard de l’arrêt A.C. et autres contre Espagne rendu le 22 avril 2014 de la Cour européenne des droits de l’homme. Analyse comparative entre le système européen et le système américain

La Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt en date du 22 avril 2014, A.C. et autres contre Espagne, sanctionne l’Espagne en estimant que cette dernière contrevient au droit au recours effectif au sein du système européen des droits de l’homme, au titre de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme. Dans cet arrêt, la Cour reconnait notamment que « lorsqu’un individu se plaint de manière défendable que son renvoi l’exposerait à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, les recours sans effet suspensif ne peuvent être considérés comme effectifs au sens de l’article 35§1 de la Convention » (§94). En comparant le système américain avec le système européen, on peut estimer que le premier peut se montrer parfois plus protecteur que le système européen des droits de l’homme, interprétant de manière plus large le recours effectif.

En l’espèce, trente requérants, d’origine sahraouie, ayant participé au campement de protestation de Gdeim Izik au Sahara Occidental pour dénoncer les conditions de vie déplorables dans les territoires occupés par le Maroc, arrivent en Espagne entre 2011 et 2012, demandant une protection internationale, après le démantèlement de ce campement par les forces de police. Aucune protection ne fut accordée. Les requérants décident donc de former des recours contre ces décisions de rejet, en demandant parallèlement, la suspension des mesures d’expulsion. Après avoir ordonné à l’administration de surseoir provisoirement aux expulsions, l’Audiencia Nacional[1] rejeta les trente demandes de suspension.

Les requérants décident alors de saisir la Cour européenne des droits de l’homme qui ordonne au gouvernement espagnol de ne pas procéder au renvoi des requérants pendant la durée de la procédure, en se fondant sur l’article 39 du règlement de la Cour (§109). L’Audiencia Nacional décide de rejeter certains recours. Les requérants ayant vu leur requête rejetée, ont demandé au Tribunal suprême[2] de se pourvoir en cassation.

Dans cet arrêt, il s’agissait de savoir si l’absence de caractère suspensif des procédures judiciaires portant sur les demandes de protection internationale contrevenait ou non au droit à un recours effectif au sens de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Il conviendra parallèlement d’étudier la question de la protection judiciaire effective au sein de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme et notamment l’article 25 de la Convention interaméricaine des droits de l’Homme, en comparaison avec le système européen.

I.              L’examen rigoureux du grief par les autorités espagnoles exigé par la Cour Européenne des droits de l’Homme

Comme le rappelle l’arrêt de la Grande Chambre De Souza Ribeiro contre France, du 13 décembre 2012, §77, l’article 13 constitue l’expression du principe de subsidiarité, qui est au cœur de la Convention européenne des droits de l’homme.

La Convention exige un « recours » permettant aux autorités internes compétentes à la fois de connaître le contenu du grief fondé sur la Convention et d’offrir le redressement approprié (CEDH, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, §288). Un recours n’est effectif que s’il est disponible et suffisant. Il doit être suffisamment certain, non seulement en théorie, mais également en pratique (CEDH, McFarlane contre Irlande, 10 septembre 2010, §114). Il doit être effectif tant en pratique qu’en droit, eu égard aux circonstances individuelles de l’affaire (CEDH, Kudla contre Pologne, 26 octobre 2000, §152). Toutefois, l’effectivité d’un recours ne présage pas forcément d’une issue favorable pour le requérant (CEDH, Kudla contre Pologne, 26 octobre 2000, §157).

L’« instance nationale » à laquelle se réfère l’article 13 n’est pas nécessairement une institution judiciaire, mais ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entreront en ligne de compte pour apprécier l’effectivité du recours s’exerçant devant elle (CEDH, Kudla contre Pologne, 26 octobre 2000, §157).

L’allégation d’une violation doit être un grief défendable. La question de savoir si le grief est défendable ou non doit être examinée à la lumière des faits et de la nature du ou des problèmes juridiques en jeu.

Dans cet arrêt, A.C. et autres contre Espagne, la Cour européenne contrôle la rigueur avec laquelle les risques de traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la Convention ont été examinés par le tribunal espagnol (§88). Si la Cour valide le sérieux de l’examen, c’est tant parce qu’il apparaît comme un préalable à prendre en considération pour une éventuelle expulsion des requérants de l’Espagne vers le Maroc que parcequ’il est un élément caractéristique du recours effectif.

Aussi, la Cour rappelle que « les principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties fournies par les États contractants en cas d’expulsion d’un demandeur d’asile en vertu des articles 13 et 3 combinés de la Convention sont résumés dans l’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce (…) » (§81). L’article 13 avait « pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié » (selon l’arrêt M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, §288). L’examen rigoureux du grief à la Convention semble être un élément caractéristique du recours effectif.

Selon la Cour, il appartient en premier lieu aux autorités espagnoles, responsables en matière d’asile, d’examiner elles-mêmes les demandes des requérants ainsi que les documents produits par eux et d’évaluer les risques qu’ils encourent au Maroc. La Cour doit, elle, savoir s’il existe en l’espèce des garanties effectives qui protègent les requérants contre un refoulement arbitraire vers leur pays d’origine, dès lors que les recours sur le fond des requérants sont pendants devant les juridictions nationales. 

L’équivalent du droit au recours effectif dans le système américain est l’article 25 de la Convention interaméricaine des droits de l’homme. Il traite de la protection judiciaire.

Cet article a été rédigé après l’article 13 de la Convention Européenne des droits de l’Homme. Il consacre aussi le droit à la justice et l’obligation des États de garantir à toute personne l’accès à la justice, afin de faire valoir ses droits (CIDH, Caso Loayza Tamayo contre Pérou, 27 novembre 1998, §42). Il s’agit d’une disposition de caractère général qui comprend la procédure d’amparo, qui a pour objet la tutelle de tous les droits reconnus par les constitutions et lois des États partis et par la Convention interaméricaine des droits de l’homme (CIDH, Habeas Corpus bajo Supension de Garantias, opinion consultativa OC-8/87, 30 janvier 1987, §32).

Pour que l’article 25 de la convention interaméricaine des droits de l’Homme soit respecté, le recours doit être simple, rapide et effectif. La Cour interaméricaine des droits de l’homme n’a pas défini le concept de simplicité, mais face à chaque cas, celle-ci se doit d’analyser les faits au regard de la Convention. Pour la rapidité, le recours doit se résoudre dans un délai qui permet au requérant d’être protégé contre la violation en question (CIDH, caso « instituto de reeducacion del menor » contre Paraguay, 2 septembre 2004, §245). Il arrive que l’article 25 de la Convention doive être interprété à la lumière de l’article 8 de cette même convention qui traite du droit à un procès équitable. Enfin, en ce qui concerne l’effectivité, il faut que le recours soit prévu par les textes mais aussi qu’il soit capable de produire le résultat pour lequel il a été créé (CIDH, Caso Velasquez Rodriguez contre Honduras, 26 juin 1987, §66). Ainsi, pour la Cour, l’effectivité a un lien avec la capacité potentielle du recours de produire en fait et en droit le résultat requis pour protéger le droit violé.

On peut donc constater que la protection judiciaire dans le système américain et le droit au recours effectif dans le système européen reposent sur les mêmes fondements. Cependant, certains aspects diffèrent et notamment les conditions établies par les textes et la jurisprudence des deux Cours pour qu’un recours soit effectif.

De plus, concernant l’arrêt traité, les requérants n’avaient pas accès à un recours remplissant les conditions de l’article 13 de la Convention pour faire valoir leurs griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention. En effet, selon la Cour, l’absence de caractère suspensif des procédures judiciaires portant sur les demandes de protection internationale contrevient à l’article 13 de la CEDH, et donc au recours effectif.

II.            Violation des articles 2, 3 et 13 de la Convention européenne des droits de l’homme par les autorités espagnoles selon la Cour Européenne des droits de l’Homme

Ainsi, l’examen « indépendant et rigoureux de tout grief aux termes duquel il existe des motifs de croire à un risque de traitements inhumains et dégradants » est fondamental. Mais si le seul recours habilitant à examiner le contenu du grief et à offrir le redressement approprié ne répond pas aux exigences d’accessibilité et de réalité qui découlent de l’article 13, qu’en est-il du devenir des requérants si aucune garantie juridique ne leur permet de faire valoir leurs griefs tels qu’énoncés dans l’article 2, traitant du droit à la vie, et dans l’article 3 de la Convention, traitant de l’interdiction d’être soumis à la torture ou peines et traitements inhumains ou dégradants ?

Dans cet arrêt, la cour cite notamment des rapports de diverses organisations telles que Amnesty International ou Human Rights Watch, mais également du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, rappelant les risques encourus par les trente requérants de retourner au Maroc.

L’application de l’article 39 du règlement de la Cour européenne des droits de l’Homme a pu suspendre l’éloignement des requérants. « L’effectivité des recours au sens de l’article 13 de la Convention ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant » (§84). Mais, sans intervention de la Cour, les requérants auraient été refoulés vers le Maroc  sans que le bien-fondé de leurs recours ait fait l’objet d’un examen aussi rigoureux et rapide que possible, les recours du contentieux administratif n’ayant pas d’effet suspensif automatique susceptible de surseoir à l’exécution des ordres d’expulsion prononcés à leur encontre.  Dès lors qu’un recours n’a pas d’effet suspensif, ou que la demande de suspension est rejetée, il est essentiel que dans les affaires d’expulsion où sont en cause les articles 2 et 3 de la Convention et lorsqu’il y a application de l’article 39 du règlement de la Cour, les juridictions fassent preuve d’une diligence de célérité particulière et statuent sur le fond dans des délais rapides (§103). Si ce n’est pas le cas, le recours perd de son effectivité.

La violation de l’article 13 découle de l’absence du caractère suspensif des procédures judiciaires portant sur les demandes de protection internationales présentées par les requérants. L’Espagne doit donc garantir le maintien des requérants sur le territoire espagnol pendant l’examen de leurs causes et, ce, jusqu’à la décision interne définitive sur leurs demandes de protection internationale. La cour décide donc qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ainsi que les articles 2 et 3.

En ce qui concerne le système américain des droits de l’Homme, selon l’arrêt Castaneda Gutman contre États Unis du Mexique de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, du 8 aout 2008, même s’il n’y a pas de violation d’un droit fondamental, l’État est dans l’obligation de respecter le droit à un recours effectif, ce qui consacre une protection plus ample que celle de l’article 13 de la Convention européenne. En effet, l’application de l’article 25 de la Convention interaméricaine, contrairement à l’article 13 de la Convention européenne, n’est pas subordonnée à la violation d’une autre disposition de la Convention, ce qui rend le champ d’application de l’article 25 de la Convention interaméricaine plus large.

En ce qui concerne les obligations générales de la protection judiciaire dans le système américain, selon la Cour, les États en auraient deux principales liées à la protection judiciaire. Premièrement, les États doivent la consacrer normativement et assurer le droit à un recours effectif devant les autorités compétentes (CIDH, caso de los « ninos de la calle » contre Guatemala, 19 novembre 1999, §200). Deuxièmement, ils doivent garantir les moyens pour exécuter les décisions de justices émises par les autorités compétentes (CIDH, Caso Suarez Rosero contre Équateur, 12 novembre 1997, § 65).

La Cour interaméricaine ajoute des obligations supplémentaires aux États lorsqu’il y a violation d’un droit fondamental.

Lorsqu’il y a violation de la protection judiciaire et du droit à la vie, selon l’article 4 de la Convention interaméricaine des droits de l’homme, et notamment des exécutions extrajudiciaires, les États jugés ont certaines obligations. Doivent être mis en place tous les moyens techniques et scientifiques pour déterminer en quelles circonstances se sont produits les faits, selon CIDH, caso de la comunidad Moiwana contre Surinam, du 15 juin 2005 (§ 208).  Ainsi, selon l’arrêt CIDH, Caso Juan Humberto Sanchez contre Honduras, du 7 juin 2003 (§108 et suivants), l’État doit identifier la victime, se procurer un maximum de preuves, identifier les témoins, obtenir des déclarations, déterminer les causes de la mort, ainsi que le lieu et enfin déterminer si la mort était naturelle ou accidentelle.

Lorsqu’il y a violation de la protection judiciaire et violation de l’article 5 de la CIDH, en lien avec l’intégrité physique et notamment violation de l’interdiction de torture, peine ou traitement inhumain ou dégradant, l’État doit rechercher les possibles actes de torture ou autres traitements, selon l’arrêt CIDH, Caso Ximenes Lopes contre Brésil, 4 juillet 2006 (§ 177). Ces cas doivent être étudiés de manière impartiale (CIDH, Caso Maritza Urrutia contre Guatemala, 27 novembre 2003 § 119).

 

Bibliographie sélective :

Ouvrages:

DAILLIER P., FORTEAU M., PELLET A., Droit international Public, Paris, L.G.D.J., 8ème Ed., 1709 p.

RENUCCI J.F., Droit européen des droits de l’Homme- Contentieux européen, Paris,  LGDJ, 2010, 4e édition, 476 p.

SUDRE F., Droit européen et international des droits de l'Homme, Paris, PUF, 2015, 12ème édition, 976 p.

TIGROUDJA H., PANOUSSIS I., La Cour interaméricaine des droits de l’homme-Analyse de la jurisprudence consultative et contentieuse, Bruxelles,  Brylant, coll. Droit et Justice 41, 2003, 330 p.

Articles :

Nicolas HERVIEU, Droit à un procès équitable et droit à un recours effectif (art. 6 et 13 CEDH) : Poursuites pénales initiée tardivement et délais de jugement, La Revue des Droits de l’Homme, Centre de recherches et d’études sur les droits fondamentaux (CREDOF-Paris Ouest Nanterre-La Défense), 2010, 2 p.

Christian STEINER, Patricia URIBE, Juana María IBÁÑEZ RIVAS, Convención Americana sobre Derechos Humanos. Comentario. Artículo 25. Protección judicial, Convención americana sobre los derechos humanos, 2014, 1056 p.

Benoît DELAUNAY, Le droit au juge et à un recours effectif selon la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 13), 2014, 9 p.

Francisco SANCHEZ RODRIGUEZ, La saga du droit à un recours effectif de nouveau devant la CEDH : le droit espagnol des étrangers propice au refoulement des demandeurs de protection?, ELSJ, Réseau universitaire européen, Droit de l’espace de liberté, sécurité & justice, 2014

Décisions de justice :

CIDH, Habeas Corpus bajo Supension de Garantias, opinion consultativa OC-8/87, 30 janvier 1987, §32

CIDH, Caso Velasquez Rodriguez contre Honduras, 26 juin 1987, §66

CIDH, Caso Suarez Rosero contre Équateur, 12 novembre 1997 §65

CIDH, Caso Loayza Tamayo contre Pérou, 27 novembre 1998 §42

CIDH, Caso de los « ninos de la calle » contre Guatemala, 19 novembre 1999 §200

CEDH, Kudla contre Pologne, 26 octobre 2000, §152 et §157

CIDH, Caso Juan Humberto Sanchez contre Honduras, du 7 juin 2003 §108 et suivants

CIDH, Caso Maritza Urrutia contre Guatemala, 27 novembre 2003 §119

CIDH, Caso « instituto de reeducación del menor » contre Paraguay, 2 septembre 2004, §245

CIDH, Caso de la comunidad Moiwana contre Surinam, du 15 juin 2005, §208

CIDH, Caso Ximenes Lopes contre Brésil, 4 juillet 2006 §177

CIDH, Castaneda Gutman contre États Unis du Mexique, 8 aout 2008

CEDH, McFarlane contre Irlande, 10 septembre 2010, §114

CEDH, M.S.S. contre Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, §288 et §81

CEDH, Grande Chambre De Souza Ribeiro c. France, du 13 décembre 2012, §77

 

 

[1] L’Audiencia Nacional espagnole est un haut tribunal situé en Espagne, situé à Madrid. Il est réservé pour les cas qui ont une importance nationale ou internationale.

[2] Le Tribunal Suprême est situé au sommet de l’organisation du pouvoir judiciaire espagnol.