Commentaire d’une décision du BAG du 8 mai 2015 (28 Ca 18485/14), relative au droit de réparation en raison d’une discrimination suite à un licenciement répété illicite d’une femme enceinte

En France, comme en Allemagne le droit du travail doit avant tout protéger les salariés. Malgré les dispositions précises des textes juridiques relatifs au droit du travail, des discriminations ont lieu tous les jours, que ce soit lors de l’embauche, lors de l’exécution du contrat de travail ou lors de sa rupture.

 

Les salariées bénéficient d’une protection contre le licenciement pendant leur grossesse et les semaines suivant l’accouchement, en vertu du Mutterschutzgesetz (MuSchG) qui constitue la loi allemande relative à la protection de la mère. Cette protection contre tout licenciement a pour but de protéger les (futures) mères d’un stress émotionnel lors de cette situation sensible qui pourrait être engendrée par un licenciement[1].

Ceci est tout à fait semblable au droit français. En France, l’article L.1132-1 du Code du travail[2] interdit toute discrimination liée à une grossesse. La salariée ne peut être licenciée pendant sa grossesse et dans les quatre mois suivants l’accouchement.

 

Le licenciement pendant une grossesse fait l’objet de plusieurs domaines en droit. Ce sujet touche notamment au droit du travail, aux  libertés fondamentales et en particulier, au droit des discriminations[3]. Ces libertés fondamentales sont consacrées dans le préambule de la Constitution  de 1946. On ne retrouve pas une telle protection constitutionnelle en droit allemand.

 

En outre, celui qui se voit être discriminé en raison de son sexe dans le monde du travail peut être contraint de devoir payer des dommages-intérêts, c’est-à-dire une réparation (Entschädigung), en vertu de la loi allemande de lutte contre la discrimination. Plus précisément ce sont les §§  15 Abs. 2 et 2 AGG[4] (Allgemeines Gleichbehandlungsgesetz) qui posent ce principe.

 

Ainsi, deux ans avant que notre décision ait lieu, le BAG a décidé le 12 décembre 2013 que le licenciement d’une salariée enceinte représente un préjudice en raison du sexe  et que ce licenciement peut donner lieu au droit à une réparation[5]. Dans cette décision, la salariée licenciée était rémunérée de 750 euros par mois, pour 30 heures de travail par semaine.  Pendant sa grossesse, la salariée avait fait une fausse couche. Pendant que cette dernière était encore hospitalisée, l’employeur avait déposé la lettre de licenciement dans la boîte aux lettres de la salariée en question. L’employeur en raison de la violation de son devoir de sollicitude (Fürsorgepflicht) a dû payer une réparation (Entschädigung) à hauteur de 3000 euros, l’équivalent de quatre mois de salaire.

 

Une décision du BAG du 8 mai 2015 illustre bien le fait que quatre mois de salaire en tant que réparation ne peuvent pas toujours être revendiqués :

 

En l’espèce, l’employeur, un avocat, avait auparavant licencié sa salariée enceinte, une assistante juridique, pendant sa période d’essai. Dans une procédure préalable (Kündigungsschutzverfahren[6]) le tribunal fédéral de travail allemand a rendu que le licenciement était frappé de nullité en vertu du § 9 MuSchG[7], pour les motifs suivants : à la suite de son licenciement la requérante avait immédiatement dit à son employeur, le défendeur, qu’elle était enceinte en lui montrant son carnet de maternité et qu’il n’avait pas demandé l’autorisation de la licencier à l’inspection du travail (Arbeitsschutzbehörde).

 

Quelques mois plus tard, le défendeur avait licencié son employée de  nouveau sans autorisation de l’autorité en question. Le tribunal a rejeté l’argument du défendeur qu’il pensait que la grossesse était terminée. Le tribunal a décidé que ce second licenciement était également frappé de nullité et a condamné le défendeur à payer une indemnisation (Entschädigung) en vertu du AGG. Le tribunal a jugé qu‘en raison de la première décision et la connaissance de l’existence du carnet de maternité, l’employeur pouvait admettre que la grossesse perdurait[8].

 

Ressort-il du commentaire de ce jugement que le licenciement répété d’une salariée enceinte justifie un droit à la réparation en raison d’une discrimination, en vertu du  §9 MuSchG ?

 

Dans un premier temps, nous allons aborder le droit à une réparation à la suite de la discrimination d’une femme enceinte (I). Dans un second temps, nous allons analyser dans quel cas le licenciement d’une salariée au cours d’une grossesse n’entraîne pas la nullité du contrat de travail (II).

 

 

 

I. Le droit à une réparation à la suite de la discrimination d’une femme enceinte lors du licenciement

 

Dans cet arrêt, le BAG procède tout d’abord à la constatation de la non-validité du licenciement (A), avant de s’intéresser au problème principal de l’arrêt, à savoir la discrimination de la salariée en raison du sexe lors du licenciement (B).

 

 

  1. Le constat de la non-validité du licenciement (sans préavis)  

 

Le tribunal fédéral de travail de Berlin constate ici de manière non problématique que la résiliation immédiate du contrat de travail ait frappé de nullité en vertu du § 9 Abs. 1 Satz 1 MuSchG i.V.m. § 134 BGB, car au moment de la prononciation du licenciement la salariée était déjà enceinte et l’autorité compétente n’avait pas été saisie par l’employeur et n’a donc pas pu accorder un tel licenciement à l’employeur.

 

            Toutefois, le défendeur était informé de la grossesse depuis le mois de juin 2014. De plus, la requérante n’a pas prétendu que la grossesse était terminée et n’a pas adopté un comportement qui laisserait présumer une grossesse terminée, ce qu’elle aurait dû notifier à l’employeur notamment depuis une décision du BAG du 18 janvier 2000[9].

 

En effet, le fait que la salariée pendant son arrêt maladie (pendant sa grossesse) ne communiquait plus avec son employeur et qu’elle ne cherchait pas à entrer en contact immédiatement après son arrêt maladie, avec son employeur, ne justifiait pas la présomption d’une grossesse terminée. L’argument de l’employeur selon lequel il ne savait pas que la salariée était encore enceinte n’a alors pas été retenu par le tribunal fédéral de travail de Berlin.

 

En droit français, le régime est similaire. En effet, selon l’article L.1225-4 du  Code du travail, l’employeur n’a pas le droit de licencier une salariée enceinte, lorsque cette dernière a été constatée par un médecin[10], sauf si elle a commis une faute grave. Ici, comme en droit allemand, le licenciement peut être valide, s’il est prononcé à la suite d’un évènement non lié à la grossesse[11].

Cependant, il peut arriver que l’employeur ne soit réellement pas au courant de l’état de grossesse de sa salariée. Dans ce cas, le droit français permet à l’employeur d’annuler la procédure de licenciement. Selon l’article L.1225-5 du Code du travail, il est prévu que la salariée a l’obligation de prouver son état de grossesse quinze jours après avoir été notifiée du licenciement en envoyant un certificat médical à son employeur. Si la procédure est respectée, la salariée sera réintégrée à son poste initial ou un poste similaire.

 

 

  1. La discrimination en raison du sexe

 

Il en suit que le point majeur de cette décision de justice réside dans la demande de droit à une réparation à la suite d’un préjudice subi en raison du sexe. Elle fond sa demande sur le § 15 Abs. 2 Satz 1 AGG. En vertu de ce fondement, elle prétend avoir droit à une compensation financière (Geldentschädigung), en raison du préjudice immatériel subi.

 

Selon la norme du § 15 Abs. 1 AGG, l’une des conditions pour une telle indemnité, est la violation de l’une des interdictions de discrimination (Benachteiligungsverbot) par l’employeur. De plus, selon le §7 Abs. 1 AGG, l’employeur ne doit pas discriminer ses salariées en raison de l’un des caractères du § 1 AGG – l’un des critères étant le sexe. Le sens du § 1 AGG sera étudié au cours du commentaire. La requérante admet ici que le licenciement en décembre 2014 représente une mesure discriminatoire quant à son état de grossesse et, de ce fait, quant à son sexe, en vertu du § 3 Abs. 1 Satz 2 AGG.

 

Cependant, selon le § 2 Abs. 4 AGG, le licenciement est exclusivement régi par les normes du régime général et spécial de protection contre le licenciement (allgemeinen und besonderen Kündigungsschutz). Il se pose donc la question si la salariée peut invoquer cette norme pour obtenir une indemnité financière selon le § 15 Abs. 2 AGG ou non. Ce cas de figure est très discuté parmi les juristes allemands. Le BAG a décidé que lorsqu’une discrimination, et donc une atteinte au droit de la personnalité (Persönlichkeitsrecht), a lieu cette dernière peut être sanctionnée par l’obligation de verser une indemnité, indépendamment du fait que  la nullité du licenciement soit constatée ou non. 

Le BAG s’est également prononcé sur ce sujet dans une décision du  BAG du 19.12.2013[12].  Ceci est également valable pour les licenciements prononcés en dehors et dans le cadre de la loi allemande sur la protection contre les licenciements (Kündigungsschutzgesetz).

 

En droit français, le Code du travail n’évoque pas explicitement le lien entre la discrimination en raison d’une grossesse et, ainsi du sexe. Néanmoins,l’article L. 1142-1, 2° du Code du travail dispose que « nul ne peut refuser d’embaucher une personne en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse »[13].

De plus, comme en droit allemand la salariée licenciée sans cause réelle et sérieuse est en droit de prétendre à des dommages et intérêts, si l’employeur connaissait l’état de grossesse de la salariée au moment où le licenciement est prononcé. Ceci a été prononcé lors d’un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 décembre 1970[14]. Toutefois, c’est à la salariée qu’appartient la charge de la preuve.

 

 

II. Les conditions donnant lieu à réparation en raison d’une discrimination

 

La discrimination requiert qu’il ait une présomption de causalité entre le traitement défavorisé de la personne en question et le principe du § 1 AGG qui vise à supprimer des traitements défavorisants (A). Ce désavantage ne constitue pas une discrimination donnant lieu à une réparation, sauf s’il est particulièrement grave (B).

 

 

  1. La présomption de causalité entre le traitement défavorisé de la salariée et le § 1 AGG

 

Le droit à une réparation du dommage subit en vertu du § 15 Abs. 2 AGG a pour condition la présomption de causalité (§ 22 AGG) entre le traitement défavorisé et le critère de discrimination § 1 AGG. Nous sommes en présence d’une telle causalité, lorsque le préjudice (Benachteiligung) est lié à un ou plusieurs critères du § 1 AGG ou s’il en est motivé.

Le § 1 AGG a pour but de « (…) supprimer les préjudices pour des raisons concernant la race, l’origine ethnique, le sexe, la religion (…). »

 

Le fait de licencier une salariée enceinte ne suffit pas pour remplir le critère de la présomption du préjudice en raison du sexe. Mais la prise en compte de la grossesse de la salariée dans la décision de licenciement (ou d’autres circonstances extérieures) peut représenter des raisons pour une telle présomption. Ici, la violation par l’employeur des dispositions de protection de la maternité peut aussi représenter un préjudice subi par la salariée enceinte. 

En droit français, on retrouve également la volonté de supprimer les préjudices pour des raisons similaires. En effet, l’article L.1132-1 du Code du travail énonce une liste de motifs de discrimination prohibés. Parmi cette liste, l’article en question dispose que « …aucun salarié ne peut être licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte…en raison de son sexe ou de sa grossesse. » Ces discriminations ne peuvent donc pas justifier un licenciement.

On remarque donc que le droit du travail français est plus explicite et protecteur que le droit du travail allemand, car il établit un lien direct entre l’état de grossesse d’une salariée et une discrimination quant au licenciement d’une femme enceinte.

 

  1. Un licenciement discriminatoire particulièrement grave

 

Le tribunal fédéral de travail allemand n’insiste pas ici sur la question d’un licenciement discriminatoire particulièrement grave (Kündigung deren Belastung über das Normalmaß hinaus geht). Plus précisément selon la huitième chambre du sénat du BAG, un licenciement discriminatoire donne lieu au droit à réparation selon le § 15 Abs. 2 AGG,  si et seulement si le préjudice subi par la salariée est plus grave que « la norme ».

 

Autrement dit, il faut que la gravité de la discrimination soit comparable à une atteinte au droit de la personnalité (Persönlichkeitsrecht). Le tribunal n’insiste pas sur cette problématique dans cette décision, car il était d’une évidence que le licenciement de la salariée enceinte en question était plus grave que « la norme ».

 

De plus, il serait difficile de précisément définir ce qu’on entend par une discrimination lors du licenciement qui est plus grave que « la norme » et en quoi celle-ci donnerait lieu à un droit de réparation en vertu du § 15 Abs. 2 AGG.

 

Dans une décision du 22 janvier 2009 le BAG a énoncé que nous sommes en présence d’un préjudice immatériel subi, dès lors qu’il y a eu violation de l’interdiction de discrimination (Benachteiligungsverbot) et que le droit résultant du § 15 Abs. 2 AGG n’a pas pour condition ni une atteinte particulièrement grave au droit de la personne ni un dénigrement du salarié. Il faut noter que la nature et la gravité de la discrimination doivent être respectées lors de la fixation du  montant de l’indemnisation.

 

En droit français,  l’employeur doit également communiquer au juge tous les éléments qui justifient sa décision. Si ce dernier a un doute, ce dernier profitera à la salariée enceinte (en vertu de l’article articles L 1225-3 du Code du travail).

 

Comme en droit allemand, en droit français certaines circonstances peuvent donner lieu à un montant plus élevé quant au préjudice subi.

 

Selon un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 7 novembre 2006[15], c’est plus particulièrement le cas lors qu’une salariée perçoit les salaires non reçus dus au licenciement, ainsi que des dommages et intérêts. Les dommages et intérêts sont fixés par le juge en fonction de la faute commise par l’employeur.

 

Enfin, on retrouve ici, comme en droit allemand, la notion de gravité du préjudice subi. Elle est prise en compte dans la décision du tribunal quant à l’appréciation du préjudice subi par la salariée et la faute commise par l’employeur.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

Droit allemand 

Ouvrages généraux 

  • BUSEMANN A., SCHÄFER H., Kündigung und Kündigungsschutz im Arbeitsverhältnis, 5. Auflage, 2006, Erich Schmidt Verlag
  • DÜTZ W., THÜSING G., Arbeitsrecht, 20. Auflage, 2015, C.H.Beck
  • G. ETZEL, P. BADER, E. FISCHERMEIER, KR - Gemeinschaftskommentar zum Kündigungsschutzgesetz und zu sonstigen kündigungsschutzrechtlichen Vorschriften, 11. Auflage, 2016, Luchterhand Verlag

Articles

  • K. GÖHLE-SANDER, « Entschädigungsanspruch wegen Diskriminierung nach wiederholter unzulässiger Kündigung einer Schwangeren. », Juris, 29 Juli 2015
  • HENSCHE M., « Wiederholte Kündigung als Diskriminierung. », Arbeitsrecht Aktuell, 11 Dezember 2015
  • Pressemitteilung Nr. 23/2015 du ArbG Berlin du 21.07.2015

 

Jurisprudences

  • BAG, Urteil  8 mai 2015 28 Ca 18485/14
  • BAG, Urteil 12 décembre 2013, 8 AZR 838/12
  • BAG, Urteil 18 janvier 2000, 9 AZR 932/98
  • BAG Urteil 19 décembre 2013 - 6 AZR 190/12

 

Textes légaux 

  • Arbeitsgesetze, 87. Auflage, 2015, Beck

 

Sites internet

 

 

Droit français

Ouvrages généraux

  • AUZERO G., DOCKES E., Droit du travail, Dalloz, 28e édition
  • PESKINE E., WOLMARK C., Droit du travail, Dalloz, 2016

 

Articles

  • LANGLET V., « La protection des femmes enceintes contre le licenciement au-delà des obligations légales », août 2014

 

Jurisprudences

  • Cass. Soc. 02.07.14, n° 13-12496
  • Cass. Soc. 07.11.2006, n° 05-42413
  • Cass. Soc. 10.12.1970, n° 70-40071

 

Textes légaux

  • Méga Code du travail 2016, Dalloz

 

Sites internet

 

[1] HENSCHE M., « Wiederholte Kündigung als Diskriminierung. », Arbeitsrecht Aktuell, 11 Dezember 2015, page 1.

[2] Méga Code du travail 2016, Dalloz

[3] AUZERO G., DOCKES E., Droit du travail, Dalloz, 28ème édition, 2014

[4] Arbeitsgesetze, 87. Auflage, 2015, Beck, page 81.

[5] BAG, Urteil 12 Décembre 2013, 8 AZR 838/12

[6] On pourrait traduire le terme de Kündigungsschutzverfahren par un processus de protection contre le licenciement.

[7] Article 9 de la loi allemande relative à la protection de la mere

[8] Pressemitteilung Nr. 23/2015 du ArbG Berlin du 21.07.2015

[9] BAG, Urteil 18 Janvier 2000, 9 AZR 932/98

[10] Cass. Soc. 02.07.14, n° 13-12496

[11] LANGLET V., « La protection des femmes enceintes contre le licenciement au-delà des obligations légales », août 2014

[12] BAG Urteil 19.12.2013 - 6 AZR 190/12

[13] Méga Code du travail 2016, Dalloz

[14] Cour de cassation chambre sociale. Audience publique du jeudi 10 décembre 1970. N de pourvoi : 70-40071

[15] Cour de cassation chambre sociale. Audience publique du mardi 7 novembre 2006. N de pourvoi: 05-42413