Conjoint salarié, lien de subordination et contrat de travail à l’épreuve des systèmes de droits français et russe

En France comme en Russie, l'application du Code du travail à la relation professionnelle entre époux est l'une des solutions envisagées pour conférer un statut au conjoint travaillant dans l'entreprise familiale. Si en France il est question d'un véritable faisceau d'indices [1] dans la qualification du statut de conjoint salarié, le Code du travail russe[2] ne fait pas la distinction entre une relation de salariat habituelle et celle au sein d'un couple.

La législation française et russe mettent en garde contre les deux extrêmes: la conclusion d’un contrat de travail ne correspondant à aucune fonction réelle dans l'entreprise dans le but d'assurer au conjoint une rémunération ou à l'inverse, l’absence de toute reconnaissance de statut à l'un des conjoints conduisant à l’absence de rétribution de son travail au sein de l’entreprise.

L’égalité dans le rapport conjugal et matrimonial qui s’élève au statut de la règle fondamentale de deux ordres juridiques en question, se heurte différemment au concept de subordination. Peut-on être à la fois égal et subordonné? Disons-le d’emblée, bien que le sujet a fait couler beaucoup d’encre en France[3], les deux pays admettent la licéité de principe des contrats de travail entre époux. Nous verrons ici comment les deux ordres juridiques tentent de « réconcilier l’inconciliable »[4], à savoir le lien de subordination entre le salarié et l’employeur et le principe d’égalité entre époux.

Les éléments déterminants dans la qualification d’une relation de travail entre époux

Ces éléments sont cumulatifs et au nombre de trois[5] : la qualité d'époux, le travail effectif, l'existence d'une rémunération.

Concrètement, le législateur vise le conjoint du chef d'entreprise salarié par lui. Cette définition englobe également les partenaires pacsés. Pour ce qu’il y ait de l’union libre, les concubins ont la possibilité de développer une même entreprise ou encore l’un pourrait apporter son travail au service de l’autre.

Dans le but d’éviter le faux salariat et le travail dissimulé[6] (condamné pénalement[7] en France et valant une amende importante en Russie[8]), le conjoint doit participer effectivement à l'activité de l'entreprise de son époux à titre professionnel et habituel. Ainsi l’accomplissement des actes professionnels doit être répété pour constituer une profession. L’exigence du caractère habituel de ses actes assure l'exclusion de l'intervention occasionnelle du conjoint qui relèverait de l’expression du devoir d’assistance entre époux et non d’une relation de travail.

La rémunération est exigée[9] en contrepartie de travail du conjoint. Son montant doit être supérieur ou égal au salaire minimum interprofessionnel de croissance. Si la rétribution est inférieure au SMIC, il y a un risque de requalification du contrat de travail en activité bénévole ou assistance entre époux en France. Une telle omission à la règle vaut des sanctions financières importantes pour le chef d’entreprise en Russie. Le législateur tente ainsi d’assurer le respect l’interdiction [10] de la conclusion des contrats alternatifs tels que mandats ou des contrats d’entraide, utilisés pour éviter l’établissement du salariat entre époux, procédure coûteuse pour l’entreprise (souvent au début de son activité).

L'assouplissement des conditions légales d'application du statut de conjoint salarié

Avant 2001, en France, le conjoint salarié était placé sous l’autorité du conjoint employeur. Depuis l’arrêt du 6 novembre 2001[11], la subordination n’est plus une condition dont la preuve doit être rapportée à l'aide des critères évoqués précedemment. Ladite solution fait disparaître opposition entre le concept de subordination et l’égalité entre époux. En faisant complètement abstraction de l'éventuelle absence de tout lien de subordination entre les conjoints, les conséquences d'une telle conception des dispositions légales devront bien être mesurées et par le conjoint salarié et par le chef d'entreprise qui se trouvera systématiquement tenu de toutes les obligations découlant du contrat de travail. Cette indifférence, à l'égard du critère qui est classiquement considéré comme déterminant pour qualifier le contrat de travail, semble abandonner[12] le critère de contrôle sur l’activité du salarié. Dans ce cas, qu’en est-il également du pouvoir du chef d'entreprise? Toute conciliation de l’exercice d’un pouvoir disciplinaire avec l’absence de lien de subordination apparaît difficile, voire impossible.

La législation russe, quant à elle, assimile depuis longtemps[13] les conjoints salariés à des salariés dont ils se voient appliquer le statut. De ce fait, ils se trouvent dans une situation purement statutaire. La loi russe distingue le statut salarial et les règles relatives au pouvoir du chef d'entreprise, inapplicables en l'absence de lien de subordination. Toutefois, cette interprétation ne permet pas d’éviter la difficulté de la cloison perméable puisque le mandat tacite et la société créée de fait existant aussi bien en Russie qu'en France, demeurent des contrats tacites.

 

 

Bibliographie/ Webographie

Articles de sites juridiques ou blogs spécialisés (en français) :

  • Conjoint du chef d'entreprise - Bernard SAINTOURENS, juin 2010
  • Le droit du travail et la famille - Kiteri Garcia, Droit social 2009. 12
  • Salariat entre époux. Application du statut de conjoint salarié malgré le défaut de rapport de subordination et de rémunération du travail accompli - Jean Savatier,Droit social 2008. 242
  • Contrat de travail et lien de subordination entre époux ou entre partenaires liés par un Pacs - Patrick Rossi, D. 2002. 987
  • La relation de travail entre époux : un contrat de travail sans lien de subordination ? - Pascal Lokiec, D. 2002. 767
  • Comment définir le contrat de travail entre époux ? – Cour de cassation, soc. 6 novembre 2001, AJ fam. 2002. 33
  • Subordination et indépendance : un Sisyphe juridique ? - J.-P.Chauchard, TPS oct. 2001 p. 4

 

Les ouvrages (en russe) :

  • I. Vakhnine, Les techniques de la conclusion d’un contrat, 2009
  • B. Pouginsky, Contrat de travail, la régulation des relations de salariat, 2008

 

Articles de sites russes spécialisés (en russe) :

http://hr.superjob.ru/hr-novosti/priem-na-rabotu-bez-dogovora-obojdetsya-v-100-000-rublej-deshevle-dogovoritsya-s-rabotnikom-863/

http://www.spok.by/izdaniya/ya-spok/ogranichenie-sovmestnoi-raboty-blizkikh-_0000000

http://www.consultant.ru/

http://www.garant.ru/

 


[1] L’article L. 784-1 du Code du travail, créé par  la loi n°82-596 du 10 juillet 1982 et abrogé par  l’ordonnance n°2007-329 du 12 mars 2007  et l'article L.121-4 du Code de commerce

[2] L’article 15 du Code du travail

[3] RF Le BRIS « La relation de travail entre époux» LGDJ 1965

[4] La relation de travail entre époux : un contrat de travail sans lien de subordination ? – Pascal Lokiec, D. 2002. 767

[5] Comment définir le contrat de travail entre époux ? – Cour de cassation, soc. 6 novembre 2001, AJ fam. 2002. 33

[6] L. 324-9 et suivants du Code du travail

[7] Crim. 22 oct. 2002, JCP, éd. G, 2003, II, 10176, note Cathy Pomart 

[8] L’article 5.27 du Code des infractions administratives de la Fédération de Russie

[9] Cass. soc. 28 janvier 1998 Dr. soc. 1998, 528

[10] La loi fédérale N ФЗ 421 du 28 décembre 2013

[11] Cass. soc. 6 novembre 2001, Bouvard c/ Zanaria, D. 2002. 987

[12] Subordination et indépendance : un Sisyphe juridique ? - J.-P.Chauchard, TPS oct. 2001 p. 4

[13] Le décret du 10 janvier 1918 sur l’égalité entre les hommes et les femmes  issu du projet de la déclaration de droits des travailleurs établi par Lénine