La légalisation du mariage entre personnes de même sexe en Angleterre – Le « Marriage (Same Sex Couples) Act » 2013, ultime étape de la reconnaissance juridique des cellules familiales fondées par un couple homosexuel ?

La lutte animée des mouvements LGB afin d’obtenir une reconnaissance par l’état des couples homosexuels et des familles homoparentales se rapproche de l’objectif d’égalité dans de nombreux pays européens : après les Pays-Bas (2001), une douzaine de pays membres à l’Union Européenne a légalisé le mariage gay.

L’Angleterre, en instituant symboliquement le mariage entre personnes de même sexe en 2013 franchit une étape en effaçant l’une des discriminations affectant la communauté LGB.

Depuis 2004, la loi propose aux couples homosexuels l’union civile aux couples homosexuels grâce au « Civil Partnership Act 2004 », lequel consacre des droits quasiment identiques à ceux du mariage. Les différences entre les deux régimes sont peu nombreuses : les partenaires d’une union civile peuvent se séparer plus aisément, et le mot « mariage » n’est pas utilisé dans le cadre de l’union civile.[1]

Cependant, comment justifier l’utilisation de deux contrats différents sans qu’une différence majeure existe entre ces deux liens juridiques ? Comment justifier l’exclusion d’une partie entière de la population du contrat de mariage à cause d’un critère aussi arbitraire que le genre administratif des personnes ?

I. Le chemin vers l’accès au mariage gay

A. Les discriminations assumées

Si aujourd’hui la question qui prévaut en Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord est celle de la reconnaissance du mariage et des familles homoparentales, la communauté LGB a longtemps formé une minorité opprimée.

En 1967, l’Angleterre a dépénalisé l’homosexualité entre hommes par le « Sexual Offences Act 1967 ».[2] La stigmatisation des LGB n’a pas disparu par la même occasion. En 1977, l’homosexualité d’un père de famille a suffi aux juges pour rompre les liens de filiation qui existait entre cet homme et son fils.[3]  En 1986, il était encore possible de poursuivre des personnes homosexuelles à cause de démonstrations d’affections publiques.[4]

Il est donc peu surprenant de découvrir que le « Nullity of Marriage Act 1971 »[5] bannissait de manière très explicite le mariage homosexuel. Cette loi précisait que le mariage était défini par l’union entre un homme et une femme. Par conséquent, si les époux n’étaient pas de sexe différent, leur union était frappée de nullité.[6] Le « Matrimonial Causes Act 1973 » s’est inscrit dans cette lignée en condamnant les unions avec deux personnes de même sexe à la nullité.[7]

En 1988, les autorités locales étaient sous le joug d’une loi interdisant toute « promotion de l’homosexualité ».[8] Ces dispositions décourageaient grandement ces mêmes autorités à financer des associations dont les activités étaient clairement dirigées à cette minorité. Cette loi n’a été abrogée qu’en 2003 ! Bien que cette loi n’ait eu qu’un impact minimal en pratique[9], elle met en évidence la volonté des responsables politiques de marginaliser toute une partie de la population.

Ces différentes affaires permettent de mettre en exergue les préjugés et la discrimination institutionnelle que subissaient les personnes appartenant à la communauté LGB.

B. La reconnaissance progressive du couple homosexuel

1. Les avancées jurisprudentielles

En Angleterre, la reconnaissance légale des couples homosexuels a été progressive et pragmatique. Différentes solutions jurisprudentielles ont permis de pallier les inégalités et les omissions des textes législatifs.

Nicholas Bala, considère que de nombreux pays européens (y compris l’Angleterre) ont atténué la distinction entre les couples mariés et les couples de concubins.[10] En réalité, la reconnaissance des droits des concubins a permis d’améliorer la situation de nombre d’unions de personnes de même sexe.

A titre d’exemple, depuis 1990, le mariage n’accorde plus de réduction d’impôt pour les couples mariés.[11] L’un des rares bénéfices accordé aux couples mariés concernait les questions d’héritage.[12]

Cependant, ces distinctions sont devenues minimes au fil des années. En 1999, dans un jugement relatif aux successions immobilières, les juges ont admis qu’un compagnon homosexuel puisse être considéré comme la famille du partenaire décédé.[13] Par la suite, la jurisprudence a pu considérer que « vivre en tant que mari et femme » incluait les couples homosexuels, reconnaissant le concubinage entre deux partenaires de même sexe.[14]

2. Les avancées légales

Dès 2002, « l’Adoption and Children Act 2002 » aborde la question de l’homoparentalité.[15] Le texte précise clairement que le couple peut être formé par « deux personnes (de même sexe ou de sexe différent) vivant durablement ensemble en tant que famille ».[16] Cette loi est décisive puisqu’elle reconnaît légalement le couple homosexuel, mais aussi la possibilité des familles homoparentales. Ce texte permet aussi l’adoption de l’enfant du conjoint.

En 2004, le cadre légal d’une union civile accessible aux couples homosexuels est posé grâce au « Civil Partnership Act 2004 ». Certains auteurs expliquent que cette union accordait exactement les mêmes bénéfices que le mariage, à la seule différence du nom de l’union.[17] D’après certains articles, cette loi évitait consciencieusement le mot « mariage », mais d’un point de vue juridique l’union civile aboutissait à la même situation.[18]

Les différences étaient minimes et incluaient notamment l’impossibilité de faire reconnaître par l’union religieuse d’un couple homosexuel par l’état.[19] Les cérémonies célébrant des unions civiles entre personnes de même sexe se devaient d’être complétement laïques, afin de séparer très clairement les questions religieuses des questions légales. Ces unions devaient donc être vierges de tout élément religieux.[20]

Cet élément pouvait être considéré comme une limite à la liberté religieuse des minorités religieuses. Certaines formations religieuses comme l’église unie réformée célébraient déjà des bénédictions d’union.[21]

Dans le but de concilier la liberté religieuse de tous, la législation anglaise a abrogé les dispositions interdisant l’implication de tout élément religieux et celles relatives à la reconnaissance de ces cérémonies.[22]

II. Le mariage homosexuel

A. L’aspiration à l’égalité effective

Plusieurs affaires portées devant la justice ont tenté de faire reconnaître des mariages homosexuels en Angleterre avant le « Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 ».

Dans le cas « Wilkinson v. Kitzinger », deux femmes se sont mariées en Colombie-Britannique en 2003. A leur retour en Angleterre, elles se sont aperçues que leur union n’était pas reconnue. Suite à la création de l’union civile en 2004, leur mariage a été reconnu en tant qu’union civile.[23]

Cependant, les requérantes souhaitaient une procédure d’exéquatur pour leur mariage. L’un des moyens consistait à défendre que le « Human Rights Act 1998 » (loi qui incorpore la convention européenne des droits de l’homme dans la législation nationale), imposait à l’Angleterre de reconnaître leur mariage.[24]

Les juges ont décidé que l’union civile suffisait à respecter la Convention Européenne des Droits de l’Homme.[25] Par cette décision, similaire à une autre de la House of Lords,[26] la jurisprudence anglaise a écarté le principal argument strictement juridique en faveur du mariage homosexuel en Angleterre.[27]

En 2010, la Cour européenne des Droits de l’Homme a ajouté que l’article 12 de la convention européenne des droits de l’homme n’exigeait pas l’introduction du mariage homosexuel dans les différents états membres. Cette question est laissée à la discrétion des Etats.[28]

En rejetant les arguments juridiques relatifs au mariage homosexuel, les différents juges ont laissé le combat pour l’égalité des droits se mener sur des questions plus morales que juridiques. De plus, les questions relatives au mariage homosexuels sont devenues des questions nationales et par conséquent, politiques dans plusieurs pays européens.

B. Le mariage homosexuel, un symbole

En 2012, le gouvernement anglais (coalition entre le parti conservateur et le parti libéral-démocrate) a commencé des auditions en vue du projet de loi relatif au mariage homosexuel. La loi a été votée par une grande majorité des membres du Parlement : 400 voix se sont exprimées en faveur de la loi, face à 175 votes.[29]

La justification de l’adoption du mariage homosexuel s’est effectuée à l’aide d’arguments moraux. En effet, les consultations menées afin de mettre en place cette loi ont évité les questions strictement juridiques.[30] La question du bien-être de la communauté LGB a été abordée, puisque les psychiatres anglais ont déclaré que les différences de traitement entre les personnes homosexuelles et les personnes hétérosexuelles pouvaient mener la minorité en question à se sentir exclue.[31]

Les opposants à cette loi n’ont pas été aussi véhéments que le mouvement de la « manifestation pour tous ». Il est possible que la question du mariage homosexuel ait été moins controversée parce qu’elle était détachée de l’homoparentalité, prise en compte dès 2002.

En comparaison, la France était dans une situation paradoxale puisqu’elle reconnaissait le droit à un homosexuel célibataire d’adopter[32],  mais que le code civil français réservait l’adoption aux couples mariés (lequel excluait les couples homosexuels).[33] C’est pourquoi, la question du mariage homosexuel en France a été intrinsèquement liée à celle de l’homoparentalité.

En Angleterre, les problématiques soulevées par l’adoption du mariage homosexuel étaient assez limitées. Deux questions principales étaient à mettre en place. La mise en place du mariage homosexuel posait quelques questions administratives relatives notamment aux unions civiles et aux procédures d’exequatur (1). Les autres questions étaient principalement religieuses, dans la mesure où il a fallu prendre en compte les organisations religieuses qui refuseraient d’officier de telles cérémonies tout en acceptant que d’autres organisations puissent faire le choix inverse (2).

 

1. Les questions administratives

Le texte prévoit en sa section 9, la procédure relative à la conversion des unions civiles antérieures en mariages.[34] Ces provisions permettent aux couples déjà engagés par une union civile de bénéficier des droits afférés au mariage. Grâce à la section 11 de la loi, il est clair que les distinctions entre les mariages entre deux personnes de même sexe et entre personnes de sexe différents disparaissent : le texte dit que les effets du mariage sont les mêmes.

Le texte prévoit aussi la possibilité pour les mariages célébrés à l’étranger d’être reconnus par les autorités anglaises et galloises. D’après la section 10 de la loi, les mariages célébrés à l’étranger doivent être reconnus en tant que mariages en Angleterre et au Pays de Galles. Cependant, ces actes sont soumis au régime juridique de l’union civile en Irlande du Nord.[35] L’Ecosse était soumise au même régime, mais, entre-temps, le parlement écossais a adopté le mariage homosexuel.[36]

La grande avancée de la loi en matière de droits LGBT est la possibilité de rester marié quand l’un des partenaires du couple change de genre.[37] En effet, le texte du Gender Recognition Act 2004, loi qui permet aux personnes transgenres de changer leur genre légal, ne donnait pas la possibilité de rester marié dans de telles situations.[38]

2.Les questions religieuses

L’une des problématiques qui soulève des questions est la combinaison entre les libertés religieuses et l’égalité en droit des couples homosexuels. La loi interdit explicitement à l’Eglise d’Angleterre de célébrer des mariages homosexuels.[39] En effet, le texte préserve le droit canonique de l’Eglise canonique en vigueur qui définit le mariage comme l’union entre un homme et une femme.

Les mêmes questions se sont donc posées quant aux autres organisations religieuses. Dans la section 2 de la même loi, le texte prévoit qu’il soit impossible de poursuivre une organisation religieuse qui refuse d’officier des cérémonies pour célébrer des mariages de même sexe.[40] Cependant, le texte prévoit aussi la possibilité et les procédures à adopter pour les organisations religieuses qui acceptent de célébrer des mariages entre personnes de même sexe.[41]

Certaines questions qui ont été ouvertes pendant les débats ont été reportées. A titre d’exemple, la question de savoir si des organisations de croyance non-religieuses pouvaient célébrer des mariages a été reportée à début 2015. Les consultations sur ce sujet ont par ailleurs déjà commencé.[42]

 

Conclusion :

Le mariage homosexuel est une reconnaissance effective de l’égalité entre les couples hétérosexuels et les couples homosexuels. Il permet l’accès aux mêmes droits pour les couples composés de deux personnes de même sexe.

 

[1] Eekelaar, J. (2014). Perceptions of Equality: The Road to Same-Sex Marriage in England and Wales. International Journal of Law, Policy and the Family, 28(1), 1-25.

[2] Sexual Offences Act 1967

[3] Re D [1977] AC 617

[4] Masterton v. Holden [1986] 3 All ER 39

[5] Nullity of Marriage Act 1971

[6] Commentary on the Nullity of Marriage Act 1971 STATUTES. The Modern Law Review, 35: 57–72

[7] Matrimonial Causes Act 1973

[8] Local Governments Act [1988] s. 28

[9] Eekelaar, J. (2014). Perceptions of Equality: The Road to Same-Sex Marriage in England and Wales. International Journal of Law, Policy and the Family, 28(1), 1-25

[10] Bala, N. (2006–07) ‘Debates about same-sex marriage in Canada and the United States: Controversy over the evolution of a fundamental social institution’, BYU Journal of Public Law 20, 195–231.

[11] Finance Act 1988

[12] Eekelaar, J. (2014). Perceptions of Equality: The Road to Same-Sex Marriage in England and Wales. International Journal of Law, Policy and the Family, 28(1), 1-25.

[13] Fitzpatrick v. Sterling Housing Association Ltd [2001] 1 AC 27

[14] Ghaidan v Mendoza [2004] 2 AC 557

[15] Adoption and Children Act 2002 s. 144 ss. 4 (b)

[16] Bis

[17] Bamforth, N. (2007) ‘The benefits of marriage in all but name? Same-sex couples and the Civil Partnership Act 2004’, Child & Family Law Quarterly 19, 133.

[18] Eekelaar, J. (2014). Perceptions of Equality: The Road to Same-Sex Marriage in England and Wales. International Journal of Law, Policy and the Family, 28(1), 1-25.

[19] Bis

[20] Marriage Act 1994, revision du Marriage Act 1949

[21] Civil Partnership Registration, The United Reformed Church < http://www.urc.org.uk/resources/civil-partnership-registration.html> Consulté le 25 mars 2016

[22] Equality Act 2010

[23] Wilkinson v. Kitzinger (2006) EWHC 2002 (Fam)

[24] Ibid

[25] Ibid

[26] M v. Secretary of State for Work and Pensions [2006] UKHL 11

[27] Eekelaar, J. (2014). Perceptions of Equality: The Road to Same-Sex Marriage in England and Wales. International Journal of Law, Policy and the Family, 28(1), 1-25.

[28] Schalk and Kopf v. Austr [2010] CEDH

[29] ‘Gay Marriage: MPs back bill despite backbench Conservative opposition’, BBC News, 5 février 2013 < http://www.bbc.co.uk/news/uk-politics-21346220> Consulté le 24 mars 2016

[30] Government Equalities Office, Equal Civil Marriage: A Consultation, March 2012

[31] Royal College of Psychiatrists, Consultation Response (Juin 2012)

[32] E.B. c/ France, 2008, CEDH

[33] Article 343 du Code Civil français

[34] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.9

[35] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.10

[36] “Scotland’s same-sex marriage bill is passed”, BBC News, 4 février 2014 < http://www.bbc.co.uk/news/uk-scotland-scotland-politics-25960225> Consulté le 24 mars 2016

[37] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.12

[38] Gender Recognition Act 2004

[39] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.1

[40] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.2

[41] Marriage (Same Sex Couples) Act 2013 s.4, s.5, s.7, s.8

[42] Ministry of Justice, “Marriages by Non-Religious Belief Organisations”, 18 Décembre 2014