La Loi 6/2007 du 12 avril 2007 : La protection des actionnaires minoritaires par la réforme du droit des OPA en Espagne - Stéphanie Scherrer

Résumé :

L'Espagne a réformé tardivement son droit en matière d'OPA avec la loi du 12 avril 2007, transposant la directive européenne OPA, mais a apporté un véritable changement notamment en ce qui concerne la protection des minoritaires. La question de la condition des minoritaires a été vue comme une question majeure, d'où l'instauration d'une contrainte pesant sur l'initiateur, instaurant une meilleure protection des minoritaires grâce au mécanisme français de retrait obligatoire.

Introduction :

La directive européenne en matière d'OPA du 21 avril 2004 a été source de réforme des régimes français et espagnol des OPA qui, après transposition, permet de réguler ces opérations. En France, l'Autorité des Marchés Financiers (AMF) définit les OPA comme étant une « procédure boursière permettant de prendre le contrôle d'une société cotée en bourse ou de renforcer une participation au sein d'une société cotée déjà contrôlée ». Cette opération permet à l'initiateur de l'offre d'informer le public de son intention de détenir les titres d'une société cible cotée en bourse, dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé. Cette définition est retrouvée en droit espagnol où les OPA sont également des opérations lancées par des personnes physiques ou morales dans le but de détenir les titres d'une société cotée en bourse.

Au niveau européen, la Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 définit l'OPA dans son article 2.1.a) comme étant une offre « faite aux détenteurs des titres d'une société pour acquérir tout ou partie desdits titres, que l'offre soit obligatoire ou volontaire, à condition qu'elle suive ou ait pour objectif l'acquisition du contrôle de la société visée selon le droit national ». Si la France a transposé la directive par l'adoption de la Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006 relative aux OPA dans les délais accordés par l'article 26 de la directive, à savoir jusqu'au 20 mai 2006, l'Espagne l'a transposée avec retard par la Loi 6/2007 du 12 avril 2007, complétée par un décret royal 1066/2007 du 27 juillet 2007. Cette réforme pose un intérêt considérable dans l'optique d'une meilleure protection des minoritaires, mais également en vue d'une augmentation du nombre d'offres publiques sur le marché financier espagnol, protection déjà proposée par la directive, qui s'inspire également du droit français.

En quoi la transposition de la directive de 2004 en Espagne améliore-t-elle la protection des minoritaires et ainsi déboucher sur un rapprochement entre les droits français et espagnol en matière d'OPA ?

Force est de constater qu'une telle réforme a mis en lumière une certaine similitude des droits français et espagnol en matière d'OPA, constatée par une contrainte plus forte exercée sur l'initiateur de l'offre (I), dans le but d'obtenir une meilleure protection des minoritaires au cours de ces opérations (II).

I. Des contraintes intensifiées pesant sur l'initiateur de l'offre

Suite à la transposition tardive de la directive européenne par l'Espagne en 2007, le droit espagnol des OPA a subi de nombreuses modifications significatives dans l'optique d'une meilleure protection des minoritaires, notamment par l'adoption d'une offre publique obligatoire à posteriori (A), à l'instar de la France qui se trouvait déjà dotée de ce système, mais également l'obligation de proposer un prix équitable au cours d'une offre (B).

A) L'adoption d'une offre publique obligatoire a posteriori portant sur la totalité des titres

La grande nouveauté de la loi du 12 avril 2007 repose sur l'adoption d'un système d'offres publiques obligatoires à posteriori, un système qui existait auparavant en France avant même la transposition de la directive. En effet, l'Espagne avait opté pour la formulation d'offres publiques obligatoires à priori, un système dans lequel il était impératif de formuler des offres publiques dès lors qu'il existait une intention de dépasser un certain pourcentage du capital social d'une société cible. Avant la transposition tardive de la directive en Espagne, il s'agissait simplement d'une procédure d'acquisition sans véritable obligation de contracter, étant donné l'existence d'une liberté de réaliser ou non l'offre. L'Espagne abandonne donc l'offre publique obligatoire à priori et décide d'opter pour un système d'offre publique à posteriori afin de pouvoir conclure l'opération préalable dans les conditions posées par le droit commun, une logique dans laquelle il est obligatoire de formuler l'offre dès lors qu'un seuil du capital social de la société cible est dépassé, supposant une obligation de contracter. De par cette renonciation au système antérieur d'offre obligatoire a priori, l'Espagne montre non seulement son adaptation au droit européen des OPA mais également un véritable rapprochement au droit français en la matière, dans le but d'augmenter le nombre d'offres au public sur ses marchés financiers.

Cette nouveauté est suivie d'une obligation de déposer une offre publique visant la totalité des titres de la société cible. Cette obligation est posée par la directive dans son article 5 alinéa 1er et est retrouvée tant en droit espagnol qu'en droit français, preuve d'une certaine cohérence entre ces pays. Ainsi, l'obligation de déposer une offre sur la totalité des titres naît dès lors qu'une personne agissant seule ou en concert détient directement ou indirectement un certain degré des droits de vote de la société ciblée, un mécanisme pensé dans la protection des minoritaires contre un ramassage de titres en masse. En France, l'article 234-2 du règlement général de l'AMF pose l'obligation de proposer une offre sur la totalité des titres en informant l'AMF dès lors que cette personne, physique ou morale, viendrait à acquérir plus du tiers des titres ou du droit de vote de la société ciblée. L'Espagne rejoint la France sur ce principe à l'article 8 de la loi de 2007 et passe d'un système d'offre publique obligatoire partiel a priori à un système d'offre publique obligatoire total a posteriori à l'instar de la France qui disposait déjà de ce système. De plus, ces deux États, ayant transposé la directive, assortissent ce système d'une obligation de proposer un prix équitable.

B) La proposition obligatoire d'un prix équitable

Cette nouveauté en Espagne s'accompagne de l'obligation de proposer un prix équitable, obligation posée à l'article 8 de la loi de 2007, ainsi qu'à l'article 5 de la directive, qui considère le prix équitable comme « le prix le plus élevé payé pour les mêmes titres par l'offrant, ou par des personnes agissant de concert avec lui, pendant une période déterminée, par les États membres, de six mois au minimum à douze mois au maximum précédant l'offre ». La directive permet aux États membres de choisir librement la période de paiement des titres. L'Espagne a retenu la période maximale de douze mois dans son décret royal, à l'article 9.1). Le prix sera dit équitable s'il est au moins égal au prix le plus élevé payé par l'auteur de l'offre, tout comme en France où l'article L.433-3.I) du Code monétaire et financier retient également le prix le plus élevé payé par l'initiateur. Cependant, l'article 5 alinéa 4 de la directive prévoit également des cas de dérogation au principe d'établissement d'un prix équitable dans la mesure où les autorités de contrôle dans chaque État membre peuvent être autorisées et amenées à modifier le prix en question à condition de publier la motivation de la modification du prix équitable. Ainsi, l'AMF s'est vue élargir ses compétences par la possibilité de contrôler le prix équitable. A l'instar de la France, la Commission Nationale des Opérations de Bourse en Espagne (CNMV en espagnol) se trouve également compétente pour contrôler et apprécier le prix équitable d'une offre. Ces autorités de marchés ont le pouvoir de modifier le prix en fonction de critères objectifs d'évaluation pris en compte dans la protection des minoritaires comme, à titre d'exemple, la valeur moyenne de marché sur une période déterminée ou encore la valeur de liquidation de la société en question.

En suivant cette logique, le Tribunal Suprême (équivalent de la Cour de cassation et du Conseil d'Etat) s'est prononcé dans sa récente jurisprudence de 2015 (STS 1474/2014 du 10 juillet 2015), en s'appuyant notamment de l'article 5 alinéa 4 de la directive pour rappeler ce qu'est un prix équitable, à savoir un prix qui ne soit ni différent à celui accordé par les actionnaires ayant agi de concert, ni inférieur au prix par lequel ont été achetés les actions sur le marché. Par ailleurs, cet arrêt évoque également l'obligation qu'incombe à la CNMV d'éviter la dévalorisation des titres des actionnaires ou bien que se produisent des situations de détention d'information privilégiée par certains actionnaires au cours d'une OPA. Ainsi, le Tribunal Suprême espagnol a estimé qu'en autorisant le dépôt d'une offre publique présentée par le groupe « Mapfre » sur la société « Funespaña », l'arrêt attaqué de la « Audiencia Nacional » (une juridiction nationale exclusivement compétente en matière de certains crimes et délits) était contraire à l'article 9 du décret royal 1066/2007. Le Tribunal Suprême soutient que les minoritaires se trouvaient dépourvus de toute protection, raison pour laquelle l'OPA a été invalidée et la CNMV obligée à recalculer le prix de l'offre afin qu'il soit considéré comme équitable. Cette jurisprudence souligne non seulement la compétence de la CNMV en matière de contrôle du prix équitable mais également la volonté de développer une protection des minoritaires introduite en Espagne.

II. L'introduction d'une protection impérative des actionnaires minoritaires en Espagne

L'intérêt de la réforme espagnole se trouve illustrée par l'arrêt du Tribunal Suprême de 2015 où la question de la protection des minoritaires prend tout son sens. Il ne s'agit pas uniquement de rappeler la compétence de l'autorité de marché en matière de contrôle de prix équitable mais également de mettre en lumière la nécessité de protéger des minoritaires. La réforme espagnole a adopté le droit de retrait ou de rachat obligatoire, inspirée du mécanisme français du « squeeze out » (A) dont l'offre doit être dotée d'une transparence accrue (B).

A) Une protection efficace inspirée du droit français

L'Espagne s'est inspirée du droit de retrait obligatoire, connu sous le nom de squeeze out à la française, existant en France depuis la loi du 31 décembre 1993, un mécanisme selon lequel l'offrant est en mesure d'évincer des minoritaires mais dont l'acquisition des titres doit se faire par la proposition d'un prix équitable. Ces minoritaires sont des actionnaires disposant d'une influence moindre au sein de la société dont il détient une certaine quantité de parts. En effet, son droit de vote ne permet pas de s'imposer au cours des assemblées générales, raison pour laquelle ces actionnaires sont sujets à une meilleure protection afin d'éviter une prise de contrôle par les majoritaires et tenter d'atteindre une certaine égalité entre actionnaires au cours des offres. Le mécanisme de retrait obligatoire permet d'exclure les minoritaires par la vente forcée des titres de ces derniers. Si l'Espagne a également décidé d'adopter ce mécanisme inspiré du droit français, elle ajoute un double seuil soumis à la condition que l'initiateur de l'offre soit titulaire de 90% du capital avec le droit de vote de la société cible et que le 90% des titulaires des droits de vote aient accepté cette offre. Grâce à ce double seuil, le droit espagnol se montre plus protecteur de la condition des minoritaires qu'en droit français, dont il s'inspire, ainsi même qu'en droit européen, dont la directive pose la règle dans son article 14. Si l'Espagne adopte un double seuil, la France elle s'attache au critère de détention de 95% des droits de vote de la société cible. Bien que le droit espagnol des OPA se rapproche sensiblement du droit français des OPA, ces derniers trouvent une nuance quant au niveau de protection des minoritaires tenant au seuil à atteindre.

Au regard de la directive, les articles 15 et 16 proposent ce mécanisme de retrait obligatoire selon lequel l'initiateur de l'offre évince les minoritaires mais assorti d'un mécanisme de rachat obligatoire, connu sous l'appellation de « sell out », selon lequel ici les minoritaires eux-mêmes ont la possibilité d'imposer le rachat de leurs titres du capital. Ces mécanismes adoptés en France et en Espagne assurent une protection efficace des minoritaires accentué par le principe de traitement équivalent.

B) La protection des minoritaires par le principe de traitement équivalent

Dans son article 3.a), la directive européenne a instauré un principe de traitement équivalent des actionnaires dans l'optique d'accroître la protection des minoritaires face aux majoritaires au vu de leur condition notamment lors des opérations qui surgissent au cours de la vie sociale. En effet, en transposant la directive en droit interne, la France et l'Espagne admettent également ce principe de traitement équivalent des actionnaires dans le but de les placer sur un pied d'égalité. Ce principe repose notamment sur la proposition d'un prix équitable et sur le fait que l'OPA soit transparente, dont l'article 10 de la directive liste les éléments à publier lors d'une OPA afin qu'elle respecte ce principe de transparence. Le fait d'imposer une transparence de l'offre permet de diffuser non seulement une offre complète mais qui permet également d'évaluer les conditions et conséquences que pourrait entraîner une telle offre sur la société visée par l'initiateur et répondre favorablement ou non à l'offre en toute connaissance de cause.

Cependant, en formulant une offre qui respecte le principe de traitement équivalent, cela implique qu'en théorie l'offre proposée se dirige à tous les actionnaires. En pratique, l'égalité entre actionnaires semble toutefois différente puisqu'en réalité il convient de préciser que seuls les minoritaires sont susceptibles d'être défavorisés au cours d'une d'offre publique, surtout lorsqu'une offre propose des avantages aux majoritaires, remettant en cause la théorie du principe de traitement équivalent entre actionnaires mais soulignant tout de même la nécessité de protéger davantage les minoritaires au cours de ces opérations. Cette réalité traduit un paradoxe entre cette égalité de traitement et la protection des minoritaires étant donné que la protection ne vise finalement qu'une poignée d'actionnaires, alors que tous devraient être sur un pied d'égalité au cours d'une offre, qui de plus n'intervient uniquement en cas de disparition d'un actionnaire de la société, supposant la répartition des titres. Ainsi, l'égalité de traitement se traduit par la répartition égale entre actionnaires afin d'éviter la détention de ces titres par les majoritaires, sans pour autant favoriser un actionnaire majoritaire ou minoritaire.

 

BIBLIOGRAPHIE

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- Réglementations :

- Directive 2004/25/CE du 21 avril 2004 (Directive européenne)

- Loi n° 2006-387 du 31 mars 2006.

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- Réglementations :

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- Real Decreto 1066/2007 del 27 de julio.

- Ouvrages et doctrine :

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