L'affaire Google Books: une approche comparative des exceptions légales à l'utilisation d'une œuvre sans l'autorisation de son auteur, par Cécile Dessault.

"L'Internet se nourrit de nombreuses créations de l'esprit : sons, images, textes,.. et suscite la création de nouvelles œuvres. " (Le droit de l'Internet, Vincent Fauchoux, Pierre Deprez, Jean-Michel Bruguière). Se pose alors la question de la protection de ces œuvres exposées sur la Toile, à la vue de tous.

La plupart des pays reconnaissent qu'il est nécessaire de protéger ces œuvres contre leur exploitation non autorisée. C'est ainsi qu'est apparu le droit d'auteur. Le droit d'auteur est une forme de propriété intellectuelle qui donne à l'auteur un droit exclusif sur son œuvre pendant un certain temps, avant que l'oeuvre ne tombe dans le domaine public. Ce droit n'est cependant pas exempt d'exceptions relatives à l'utilisation de ladite œuvre sans l'autorisation de son auteur. Par ailleurs, le développement accru des médias a amplifié la diffusion et les échanges de fichiers sur Internet ; ceci a introduit de nouvelles difficultés quant à l'interprétation de ces exceptions. L'affaire Google Books en est le parfait exemple.

Cette affaire qui dure depuis plus de 10 ans, a donné lieu à des contentieux dans plusieurs pays, et a donné lieu à une jurisprudence pour le moins très hétéroclite selon le système juridique concerné. La dernière décision en date a été rendue aux Etats-Unis le 16 Octobre 2015 par la Cour d'appel (United States Court of Appeals, 2nd Circuit) où le juge a pu trancher sur le bien fondé de l'exception de fair use. La société américaine Google Inc.(le défendeur à l'action) a lancé au cours de l'année 2004 un projet de référencement de livres sur Internet “Google Book Search”. Le géant de l'Internet a ainsi numérisé plus de mille livres sans demander l'autorisation à leurs auteurs, alors que ceux-ci étaient titulaires de droits d'auteurs. Google permet aux utilisateurs du site d'accéder à des extraits des ouvrages numérisés. L'affichage des extraits apparait à l'aide d'une recherche par mot-clé par un procédé appelé le " Text Mining " ( ou "fouille de données"). La coalition d'auteurs (demanderesse à l'action) reproche à Google de reproduire intégralement et de rendre accessible sur son site Google Books des extraits de livres sur lesquels les auteurs sont titulaires de droits d'auteur, sans leur autorisation, commettant ainsi des actes de contrefaçon de droits d'auteur.  Google, de son côté, se repose sur l'exception d'utilisation équitable et plaide la défense de "fair use". La question qui se posait au juge américain était donc de déterminer si l'exception de “fair use” s'appliquait pour la numérisation et la diffusion non autorisée sur Internet d'ouvrages protégés par le droit d'auteur, réalisées dans le but d'établir une bibliothèque numérique de référencement publique (Google Books). Le juge de première instance a donné raison à Google, retenant que l'usage des livres par Google Books était un usage équitable (fair use) car l'usage que fait le site des livres est un usage " transformatif " qui ne permet en rien à Google de faire concurrence aux libraires en ligne. Les auteurs ont interjeté appel. La Cour d'Appel a donc du déterminer de nouveau si l'exception de “fair use” s'appliquait en l'espèce. Par l'étude de cette décision américaine, nous nous interrogerons sur les réponses qu'aurait apporté le système juridique civiliste français à la même question de droit, sans qu'il soit nécessaire d'aborder la question, non centrale en l'espèce, des droits moraux, car l'étude de cas vise fondamentalement les droits patrimoniaux des auteurs.

L'enjeu des nombreuses actions en justice intentées contre Google est majeur car les décisions rendues conditionnent la future numérisation en masse d'oeuvres mises en ligne pour les rendre disponibles au public. Les répercussions de ces décisions sont qu'elles ouvrent la porte à d'autres violations du droit d'auteur : videos, images, …. ou, au contraire qu'elles marquent le début d'une prise de conscience que le droit doit être plus flexible afin de s'adapter aux réalités d'une société de plus en plus dépendante de la numérisation et de l'Internet.

Cette affaire fascine d'autant plus par son caractère international qui nous permet de réaliser qu'à une même question juridique, les réponses données par la justice, selon le système juridique, peuvent être radicalement différentes, alors que les faits, en l'espèce, sont similaires.

Bien que les droits patrimoniaux soient protégés de façon semblable par le droit d'auteur en droit français et américain (I), il est manifeste que le juge américain dispose de beaucoup plus de latitude dans l'appréciation des exceptions au droit d'auteur, tandis que son homologue français, appliquant le droit français, dérivé d'une directive européenne, est limité par une interprétation stricte de la loi. Ainsi, ce ne serait pas la loi qui différencierait les deux juridictions, mais la manière dont celle-ci est appliquée (II) .

 

I- Un régime de protection des auteurs équivalent.

Les droits américains et français semblent partager le même objectif, celui de protéger les auteurs en leur accordant un droit exclusif, le droit d'auteur (A), mais les deux systèmes ont également réalisé la nécessité d'accepter des exceptions à cette protection, dans l'intérêt du public (B).

 

A/ Une mise en oeuvre du droit d'auteur similaire.

Aux Etats-Unis, la Constitution Art I, Section 8 donne pleins pouvoirs au Congrès pour "promouvoir la progression des sciences". Ainsi, Section 106 du US Code codifie les droits exclusifs conférés à l'auteur (Copyright). Ce dernier dispose des droits de reproduction (reproduction right), de distribution (distribution right) et de présentation au public (public display right) de son oeuvre.

De l'autre côté de l'Atlantique, la loi française envisage la protection de l'auteur de manière similaire. En effet, le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI) énonce à l'article L.111- 1: L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous.(...) ". Le droit patrimonial d'auteur comprend les droits exclusifs de représentation et de reproduction de l'oeuvre (Art. L.122-1 et suivants CPI). Par ce droit, l'auteur peut donc seul contrôler l'exploitation de son œuvre et en " tirer un profit pécuniaire " (Art. L123-1 CPI).

En l'espèce, le juge américain rappelle ces principes, et indique que sa décision sera fondée sur ces textes. Il conclu que les demandeurs sont les auteurs des livres litigieux et titulaires du droit d'auteur, donc la reproduction totale et la publication de leurs livres sur Internet nécessitait leur autorisation. Puisqu'il n'y a pas eu d'aval de leur part, l'action pour contrefaçon de droits d'auteur est bien fondée. En France, les tribunaux sont arrivés à la même conclusion (TGI, 3ème chambre 2ème section, 18 décembre 2009).

Ainsi, il n'est pas étonnant que les deux juges aient fait la même analyse, ils se basent sur des textes similaires et les deux systèmes de droits partagent la même finalité de protection des droits d'auteur. Cependant, il existe dans les deux cas l'idée que des exceptions à ce régime de protection sont nécessaires pour promouvoir un intérêt plus grand encore, celui du public.

 

B/ Une vision commune de la nécessité de prévoir des exceptions au droit d'auteur.

Aux Etats-Unis, comme en France, un défendeur accusé de violer des droits d'auteur, peut choisir de faire valoir les exceptions au droit d'auteur afin de se libérer de son obligation de demander l'autorisation de l'auteur pour exploiter l'oeuvre.

La Cour rappelle qu'aux Etats-Unis, il est de jurisprudence constante que le premier bénéficiaire voulu du Copyright n'est pas l'auteur, mais le public. Ainsi, la jurisprudence a créé l'exception de " fair use " (usage raisonnable), qui permet à un défendeur de copier l'oeuvre d'un auteur sans lui demander sa permission si l'usage permet d'accroître les connaissances du public (juge Chin Authors Guild v. Google, Inc., 804 F.3d 202 (2d Cir. 2015)). Cette exception a été, par la suite, codifiée à la Section 107 du Copyright Act de 1976 qui énonce les critères (factors) que le juge américain doit appliquer afin de décider si l'usage de l'oeuvre est un " fair use " ou non : "1) L'objectif et la nature de l'usage, notamment s'il est de nature commerciale ou éducative et sans but lucratif ; 2) la nature de l'oeuvre protégée ; 3) la quantité et l'importance de la partie utilisée en rapport à l'ensemble de l'oeuvre protégée ; 4) les effets de l'usage sur le marché potentiel ou la valeur de l'oeuvre protégée ". La jurisprudence rappelle que ces “ 4 facteurs doivent être pesés l'un contre l'autre dans l'optique constitutionnelle d'accroître les connaissances du public " (Campbell v. Acuff-Rose Music, Inc., 510 U.S. 569, 114 S. Ct. 1164, 127 L. Ed. 2D 500 (1994).

En France, le besoin d'avoir un régime d'exceptions au droit d'auteur est également fondé sur les intérêts du public : " la loi cherche à faciliter l'accès à la connaissance et à satisfaire les droits du public " (E.Derieux "Le droit des Médias" p.643) ; ces droits sont les libertés d'expression et d'information. Comme aux Etats-Unis, la loi française a prévu un certain nombre de cas où l’utilisation d’une œuvre protégée est possible et ne constitue pas une contrefaçon. Ces exceptions sont codifiées à l'article L.122-5 du CPI issu de la loi du 11 mars 1957, et présente des similitudes avec l'exception de " fair use ".

Les exceptions françaises qui pourraient s'appliquer en l'espèce à notre cas de reproduction et de publication sur Internet d'oeuvres protégées sont celles relatives à la communication par média "3°a) (…) courtes citations justifiées par le caractère (...) pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ", la loi n'en fixe cependant pas la taille ni la longueur, il appartient au juge de trancher en prenant en compte la longueur de la citation par rapport à l'oeuvre, etc., et/ou l'exception d'information "9° (…) dans un but exclusif d'information immédiate et en relation directe avec cette dernière (l'oeuvre)". Devant un tribunal français, Google pourrait faire valoir ces exceptions-là pour s'affranchir de sa responsabilité. Cependant, en ce qui concerne l'exception d'information, la loi prévoit une limite : sont exclues " les reproductions, ou représentations qui, notamment par leur nombre ou leur format, ne seraient pas en stricte proportion avec le but exclusif d'information immédiate poursuivi ou qui ne seraient pas en relation directe avec cette dernière ". Néanmoins, la jurisprudence française a reconnu que les bases de données comportant des citations de journaux sont des " œuvres d'information" (décision Le Monde contre Microfor. Cass Ass Plén., 30 octobre 1987). Un juge français pourrait considérer une base de donnée bibliographique comme une " œuvre d'information " également.

Ainsi, les droits américains et français prévoient tous deux une protection du droit des auteurs et un régime d'exceptions à ce droit qui sont assez similaires en théorie. Toutefois, en pratique, les choix d'interprétation des juges divergent radicalement. Tout l'enjeu de la décision Google Books est là !

Le juge américain et le juge français dans la décision : TGI, 3ème chambre 2ème section, 18 décembre 2009, doivent répondre à la même question: l'usage réalisé par Google pour Google Books est-il une exception légale au droit d'auteur ? Les deux juges vont-ils répondre à cette question de la même façon ? La réponse est non.

 

II- Une nette divergence dans l'interprétation des exceptions.

Il est possible de voir un début de cette divergence dans la lettre de la loi. En effet, les Etats-Unis prévoient des exceptions sous forme de facteurs à considérer qui permet une interprétation très large des usages qui entreront dans le champ de ces exceptions, alors que la loi française est beaucoup plus restreinte ; elle énumère les cas très précis d'exceptions et ne permet qu'une interprétation très stricte. Ainsi, le juge américain va faire preuve d'une flexibilité remarquable dans son interprétation de la loi qui va le conduire à décider en faveur de Google (A), ce qui met en évidence, en parallèle, la position tranchée du juge français qui, au contraire, condamne Google pour contrefaçon de droit d'auteurs (B).

 

A/ Une souplesse considérable du juge américain.

La Cour rappelle que les critères de " fair use " en droit américain ne sont pas limitatifs et sont soumis à la libre appréciation des juges américains (Campbell). Le juge va peser un à un les quatre critères du " fair use " afin de conclure que les copies des oeuvres des demandeurs, procèdent d'un usage équitable et ne violent pas les droits d'auteurs des demandeurs, car le but poursuivi est de rendre accessible au public une fonction de recherche et de visionnage d'extraits.

1) Objectif et nature de l'usage : La cour va regarder si l'usage qui est fait de l'oeuvre ajoute quelque chose de nouveau et de différent à l'oeuvre originale “supersedes the objects of the original creation, ..or instead adds something new, with a further purpose....” (Campbell), et si l'oeuvre finale est " transformative ", c'est-à-dire si elle modifie l'oeuvre originale. En l'espèce, le juge s'appuie sur la décision HathiTrust: “la création d'une base de donnée permettant de rechercher dans un texte intégral est tout à fait un usage " transformatif " de l'oeuvre " pour considérer que le premier facteur joue en faveur de " fair use ". Le juge explique : " La séparation des pages en courts entrefilets opérée par Google est conçue pour montrer au chercheur une portion suffisante du contexte (...) pour l’aider à évaluer si le livre correspond bien à ses centres d’intérêt (sans révéler suffisamment de contenus pour menacer les intérêts légitimes de l’auteur). Dès lors, les entrefilets contribuent de manière importante au caractère hautement transformatif de l’objectif consistant à identifier des livres correspondants aux centres d’intérêt du chercheur. " Cette prise de position est très intéressante car la Cour semble aller à l'encontre d'une jurisprudence jusqu'ici constante ! “tout usage commercial de matériel protégé est présumé inéquitable (“unfair”)" ( Sony Corp. of Am. v. Universal City Studios, Inc., 464 U.S. 417, 104 S. Ct. 774, 78 L. Ed. 2D 574 (1984)). Ici, Google fait bien un usage commercial du matériel protégé. Néanmoins, la cour d'appel rejette cette présomption et le justifie: “ plus l'usage transforme l'oeuvre, moins les autres facteurs tels que l'usage commercial vont peser contre un usage de fair use " (Cariou v. Prince, 714 F.3d 694 (2d Cir. 2013)).

Ainsi, peu importe que Google ait agi pour des raisons financières, le facteur d'usage "transformatif " pèse plus dans l'argumentation en faveur d'un usage équitable (fair use).

2) Nature de l'oeuvre protégée : En l'espèce, la cour admet que les oeuvres des trois auteurs ne sont pas des œuvres de fiction “factual works” mais ne considère pas que ce facteur pèse dans son appréciation. Ceci est étonnant car normalement la jurisprudence a établi que si une œuvre n'est pas une œuvre de fiction, ce second facteur pèse en faveur d'un usage qui n'est pas un "fair use ". Or, ici, encore une fois, le juge américain fait une interprétation excessive de la loi pour conclure que ce second facteur joue en faveur d'un usage équitable. Il va en effet considérer que “l'usage secondaire de l'oeuvre permet de "façon transformative " l'accès à des informations importantes sur l'oeuvre en question, plutôt que de répliquer l'expression protégée de l'auteur d'une façon qui remplacerait l'oeuvre originale”. 

3) Quantité et importance de l'extrait utilisé : Là, le juge va comparer la partie de l'oeuvre qui a été empruntée avec l'oeuvre protégée prise dans sa globalité. Il est de jurisprudence constante que plus le passage cité est petit en taille et en signification dans l'oeuvre, plus son usage est équitable. A l'inverse, plus l'extrait est volumineux, plus l'oeuvre nouvelle sert de substitut à l'oeuvre originale et concurrence cette dernière sur le marché. En l'espèce, comme dans HathiTrust, la cour considère que non seulement la copie inchangée et totale des œuvres est raisonnable vis à vis du but recherché par Google, mais aussi qu'elle est nécessaire! L'outil de recherche de Google ne pourrait pas fonctionner pleinement si Google ne copiait pas l'entièreté du livre. De plus, la cour retient que, compte tenu du fait que la partie visible des entrefilets est "fragmentée et éparpillée”, le contenu accessible n'est pas “considérable”. Bien que le "snippet-view " (l'entrefilet) permette aux internautes d'avoir accès à une partie du livre, la cour estime que le passage présenté au public ne permet pas une substitution à l'oeuvre originale donc, le juge penche en faveur du “fair use” pour ce troisième facteur.

4) Les effets de l'usage sur le marché potentiel ou la valeur de l'oeuvre protégée : Concernant le quatrième facteur “ sans aucun doute l'élément le plus important de fair use " (Harper & Row Publishers, Inc. v. Nation Enterprises, 471 U.S. 539, 105 S. Ct. 2218, 85 L. Ed. 2d 588 (1985)), le juge apprécie si la copie de l'oeuvre remplace l'oeuvre originale sur le marché de cette-dernière, et les effets de l'usage litigieux sur les bénéfices que l'auteur peut tirer de son oeuvre. En l'espèce, la cour considère que la vue en entrefilets des extraits ne permet pas une révélation de portions importantes de l'oeuvre originale. Ainsi, le juge américain considère que la fonction snippet ne donne pas accès à des oeuvres qui pourraient concourrir sur le marché contre les oeuvres originales. De plus, le juge prend en compte le prix d'achat d'un livre, qui est de plus en plus bas, contrairement aux coûts de logiciels Google pour maintenir le site Google Books qui sont très élevés. Ainsi, le juge conclue que les auteurs ne sont pas menacés par une baisse de valeur de leurs droits d'auteur par l'affichage de leurs œuvres sur Google Books.

L'étude des facteurs montre alors que la balance penche clairement en faveur d'un usage équitable (fair use). Le juge conclue en disant que " les copies des oeuvres des demandeurs, faites par Google, afin de rendre accessible au public une fonction de recherche et de visionnage d'extraits, est un usage équitable et ne viole pas les droits des auteurs demandeurs sur leurs livres ".

La Cour Suprême des Etats-Unis a d'ailleurs refusé de se saisir de l'affaire (cert. denied sub nom. The Authors Guild v. Google, Inc., 136 S. Ct. 1658, 194 L. Ed. 2D 800 (2016)), ce qui confirme le dernier jugement en date, celui en faveur de "fair use" de la Cour d'Appel, et atteste de la position des juges de la Cour Suprême, qui ne souhaitent pas changer la loi américaine en matière d'exceptions au droit d'auteur.

Avec cette décision, les États-Unis ouvrent donc aux internautes un champ très large pour pratiquer le Text Mining, leur conférant un avantage significatif sur leurs homologues français. En effet, le juge français va prendre la décision opposée lorsque confronté à la même question de savoir si Google a violé les droits des auteurs en copiant et publiant leurs ouvrages sur Google Books.

 

B/ Une rigidité alarmante du juge français.

En tant que civiliste française, l'étude de la décision américaine donne l'impression que la Cour interprète la loi comme cela l'arrange pour obtenir le résultat qu'elle veut. Beaucoup de liberté est laissée au juge pour interpréter la loi. Le juge français n'oserait pas un tel affront au texte de la loi. En effet, le juge français applique la loi à la lettre. De plus, l'interprétation des exceptions est très stricte. La jurisprudence a développé un " test de 3 étapes " ajouté dans l'article L.122-5 du CPI par la loi du 1er août 2006: "les exceptions énumérées par le présent article ne peuvent porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur ". Beaucoup d'auteurs interprètent ce test comme une neutralisation des exceptions (E. Derieux). Les juges auront donc tendance à interpréter ce texte de façon à neutraliser les exceptions, et à empêcher leur application dans les cas de l'espèce.

C'est justement ce que le juge français, confronté à la même affaire Google Books a fait. Le 18 décembre 2009, le TGI a rendu une décision contre Google. Le tribunal a considéré que “toute représentation....est illicite.", et numériser une œuvre revient à faire une "reproduction totale de l'oeuvre" et requiert l'autorisation de son auteur. Or, Google n'a pas demandé d'autorisation, donc la représentation sur Google Books des œuvres est illicite. Le tribunal a rejetté le motif d'exception de courte citation car les juges ont considéré que les oeuvres concernées sont communiquées au public dans leur intégralité, même en format réduit. Le TGI a également rejetté l'exception d'information car il a retenu que "l'aspect aléatoire du choix des extraits représentés déni tout but d'information". Ceci paraît extrême car, certes, Google a numérisé l’intégralité des ouvrages, mais seules des citations de quelques lignes sont affichées de manière aléatoire. Néanmoins, le TGI conclue que Google a commis des actes de contrefaçon des droits patrimoniaux des auteurs, en "reproduisant intégralement et en rendant accessible les extraits d'ouvrages" sans leur demander leur autorisation.

Le tribunal estime également que le fait de faire apparaître les œuvres de manière aléatoire sous forme de bandeaux de papier déchirés constitue une atteinte à l’intégralité des œuvres. Google n'a pas poursuivi son appel puisque les parties ont transigé et ont conclu un accord commercial pour numériser les œuvres litigieuses et d'autres dans le futur.

Cependant, avec les nouvelles technologies, on assiste à un développement de la convergence des droits ; certains juges français finissent par retenir l'application des quatre facteurs de “fair use” ( accepté par le TGI 20 février 2008 Google Images mais refusé pour la décision Google Books). Ainsi, il devient difficile de prévoir pour des défendeurs aussi importants sur la scène mondiale que Google, quel droit le juge français appliquera. Ceci créé un sentiment d'insécurité juridique.

De plus, cette décision française nous permet de réaliser que le juge français fait preuve d'une rigidité que l'on pourrait qualifier d'alarmante. En effet, interprétant les textes de loi au pied de la lettre, les magistrats ont rejeté toutes les exceptions, mais n'ont pas souhaité introduire plus de souplesse dans l'interprétation de l'article 122-5 du CPI à l’ère du numérique. La conception française "propriétariste" du droit d'auteur bloque toute réflexion sur une évolution et adaptation de ce droit aux défis posés par Internet. En effet, le Text Mining par exemple est considéré comme du "parasitisme" en France ( Rapport de Jean Martin au gouvernement). La décision française apparaît donc comme une résistance ou une incapacité alarmante à adapter le droit de la propriété intellectuelle à l’ère d’Internet, alors que la numérisation des oeuvres est mondiale et inévitable.

 

 

VERS UNE EVOLUTION DE PART ET D'AUTRE DE L'ATLANTIQUE ?

La situation aux Etats-Unis offre donc un contraste saisissant avec la France qui se débat encore avec la difficulté à réformer le cadre du droit d’auteur. Néanmoins, certains pays de l'Union européenne ne sont pas dans ce cas. L'Angleterre a introduit en 2014 une exception en faveur du Text Mining à des fins de recherche. Peut être que la France reconsidèrera sa position. Mais peut être aussi qu'à la suite de l'élection du Président Trump et des choix qu'il sera amené à faire pour nommer des juges à la Cour Suprême, les Etats-Unis reverront leur propre position sur le Text Mining et les exceptions au droit d'auteur, car le président américain a récemment fait savoir aux américains et au monde que "Il n'y a rien de plus important pour l'économie américaine que la protection des droits des américains. L'application stricte des lois en matière de propriété intellectuelle pourrait, en elle-même, sauver des milliers d'emplois." Ainsi, on peut se demander si la tendance actuelle ne va pas changer, et si les juges ne vont pas se montrer moins souple dans l'interprétation de la loi dans les années à venir.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

- décision américaine: Authors Guild v. Google, Inc., 804 F.3d 202 (2d Cir. 2015), The Authors Guild v. Google, Inc., 136 S. Ct. 1658, 194 L. Ed. 2d 800 (2016)

 https://www.supremecourt.gov/orders/courtorders/041816zor_2co3.pdf

- décision française : TGI, 3ème chambre 2ème section, 18 décembre 2009

http://www.zorgloob.com/wp-content/uploads/2010/05/JugementTGI18Decembre2009-modified.pdf

* Droit des Médias : Emmanuel Derieux LGDJ Lextenso 7ème édition, p.599, 633, 643, 647, 652

* Le droit de l'Internet, Vincent Fauchoux, Pierre Deprez, Jean-Michel Bruguière, 2ème édition p. 265  

- https://www.law.cornell.edu/uscode/text/17/107

- http://www.huffingtonpost.fr/delphine-brunetstoclet/droit-dauteur-google_b_8520542.html

http://www.lemonde.fr/technologies/article/2011/08/25/google-et-la-martiniere-trouvent-un-accord-sur-la-numerisation-des-livres_1563287_651865.html#X5GKplQUayFe6PYZ.99

http://www.ipwatchdog.com/2016/12/18/trump-administration-copyright-law-copyright-reforms/id=75793/