Le décret présidentiel américain du 27 janvier 2017

Texte du décret: https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2017/01/27/executive-order-p...

Une semaine après son investiture à la Maison Blanche, le président américain Donald Trump a signé un décret présidentiel intitulé « Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux Etats-Unis ». Sa campagne présidentielle avait été extrêmement médiatisée, notamment en raison de ses déclarations controversées. Le candidat avait entre autres proposé la construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique afin de mettre fin à l’immigration clandestine, et une fermeture totale des frontières à tous les Musulmans souhaitant entrer aux Etats-Unis. La récente mesure du nouveau Président des Etats-Unis s’inscrit donc dans la lignée de ses promesses de campagne. Dans un contexte de crise des réfugiés et de menaces terroristes, ce décret au caractère nationaliste traduit la volonté de Donald Trump d’orienter son mandat sur le renforcement de la sécurité nationale, en passant par une stricte régulation de l’immigration. L’article 2 de la Constitution des Etats-Unis donne au président l’autorité de réguler l’immigration ; la branche judiciaire est en mesure de contrôler les actions du président, mais les tribunaux donnent généralement une grande marge de manœuvre à l’exécutif en ce qui concerne les questions d’immigration et de sécurité nationale. De plus, le Immigration and Nationality Act de 1952 confère au président le pouvoir de suspendre l’entrée de tous les étrangers ou toute catégorie d’étrangers aux Etats-Unis, ou d’imposer toutes les restrictions qu’il estime nécessaires, s’il considère que l’entrée de ces personnes sur le territoire serait préjudiciable aux intérêts des Etats-Unis. L’INA précise cependant que toute discrimination fondée sur la race ou la nationalité est interdite. Il s’agit donc d’un équilibre à maintenir entre sécurité nationale et droits fondamentaux, qui nous amène à nous interroger sur le caractère discriminatoire du décret présidentiel. Il convient donc d’examiner la licéité de ce décret vis-à-vis de la Constitution américaine mais également du droit international, notamment lorsque l’on examine les traités et conventions auxquels les Etats-Unis sont liés.

 

I.  Un décret controversé

 

A)  Des mesures réduisant l’immigration

Le décret présidentiel suspend l’admission américaine de réfugiés pendant 120 jours (section 5 (a) du décret). Cette suspension est expliquée par le souhait de la nouvelle administration de réexaminer l’efficacité de la procédure d’admission de réfugiés – bien que le système américain d’admission des réfugiés figure déjà parmi les plus stricts au monde.

Le décret prévoit également une réduction du nombre d’admissions de réfugiés aux Etats-Unis pour l’année 2017. L’administration Obama avait admis environ 85 000 réfugiés sur le territoire américain en 2016, et prévoyait l’admission de 110 000 réfugiés pour l’année 2017. Le nouveau décret présidentiel réduit de plus de moitié cette prévision, estimant qu’accepter plus de 50 000 réfugiés en 2017 serait « préjudiciable aux intérêts des Etats-Unis » (section 5 (d)). L’admission aux Etats-Unis de réfugiés syriens est quant à elle suspendue indéfiniment (section 5 (c)), ce qui a pour résultat de bloquer des milliers de réfugiés en attente de réinstallation. En 2016, les Etats-Unis avaient admis environ 10 000 réfugiés syriens.

Le décret interdit également l’entrée sur le territoire américain de citoyens de pays considérés comme présentant des risques (section 3 (c)) pour une durée de 90 jours. A l’heure actuelle, sept pays sont concernés : l’Iran, l’Irak, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et le Yémen. Les ressortissants de ces sept pays sont désormais interdits d’entrée sur le territoire américain – exception faite pour les détenteurs de visas diplomatiques, ou les ressortissants travaillant pour des organisations internationales.

 

B)  Réaction de la branche judiciaire

Suite à la signature du décret, des ressortissants des pays concernés, en possession de visas valides (touristique, étudiant, travail) ou de carte de résident permanent ont été arrêtés dans des aéroports aux Etats-Unis ainsi que dans d’autres pays. Les voyageurs ayant déjà atterri aux Etats-Unis ont été retenus par les agents d’immigration, certains contraints de reprendre l’avion vers leur point d’origine. D’autres, s’apprêtant à embarquer sur un vol vers les Etats-Unis ont été refoulés par les compagnies aériennes.

Le 28 janvier, une juge fédérale de l’Etat de New York ordonne en référé la suspension des expulsions de voyageurs détenus dans les aéroports et en possession d’un visa valide ou d’un titre de séjour permanent, ou ayant obtenu le statut de réfugié aux Etats-Unis. D’autres juges, de la Virginie et du Massachussetts, publient des ordonnances similaires. Le 30 janvier, la ministre de la justice intérimaire ordonne au département de la justice des Etats-Unis de ne pas défendre le décret présidentiel, s’interrogeant sur sa légalité et sa moralité. Elle est alors accusée par Donald Trump de faire obstruction au décret pour des raisons politiques et est relevée de ses fonctions. Le 3 février, dans une décision State of Washington v. Trump, un juge fédéral de Seattle suspend temporairement l’application du décret présidentiel sur l’ensemble du territoire américain ; il s’agit d’une ordonnance restrictive temporaire en attendant une décision sur le fond. Cette décision entraîne la réouverture des frontières des Etats-Unis aux ressortissants des sept pays concernés. La Maison Blanche a interjeté appel de la décision du juge fédéral le 4 février, estimant que la Constitution des Etats-Unis donne au Président l’autorité de limiter l’immigration et demandant à ce que le décret continue d’être appliqué en attendant la décision en appel. Cependant, la cour d’appel des Etats-Unis pour le 9ème circuit a rejeté, le 9 février, la demande du gouvernement fédéral de réinstaurer l’application du décret sur le territoire américain.

 

II.  Le décret au regard de la Constitution américaine

 

A)  Violation des principes de liberté de religion (1er amendement) et d’interdiction de la discrimination (14ème amendement à travers le 5ème amendement)

Le 1er amendement de la Constitution américaine garantit la liberté de tout individu d’exercer sa religion librement aux Etats-Unis, et interdit au gouvernement de favoriser l’exercice d’une religion par rapport à une autre. Le 14ème amendement protège les individus de tout traitement arbitraire ou discriminatoire ; il s’applique aux Etats fédérés mais également au gouvernement fédéral, à travers le 5ème amendement, d’après la décision Bolling v. Sharpe (1954) de la Cour Suprême.

Le décret présidentiel, à peine signé, a été surnommé « Muslim ban » par la presse et le public américains, en raison des mesures apparaissant comme dirigées majoritairement contre des individus de confession musulmane.

Premièrement, le décret présidentiel interdit aux ressortissants de sept pays à majorité musulmane d’entrer sur le territoire des Etats-Unis en invoquant les attaques terroristes du 11 septembre 2001 et le besoin d’empêcher l’entrée aux Etats-Unis d’individus liés au terrorisme (section 1). Le président met en cause la politique du département d’Etat de l’époque qui aurait selon lui empêché les agents consulaires d’ « examiner correctement les demandes de visas des 19 personnes qui sont par la suite entrées sur le territoire américain et ont tué près de 3 000 Américains ». Cependant, les 19 individus ayant participé directement aux attentats du 11 septembre étaient originaires de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de l’Egypte et du Liban – aucun de ces pays ne se trouve sur la liste des pays bannis du territoire américain.

Le décret affirme par ailleurs que les Etats-Unis n’admettront pas d’individus qui voudraient « placer de violentes idéologies sur le droit américain, ou qui participent à des actions prônant le sectarisme ou la haine », citant en tant qu’exemples les crimes d’honneur, les violences contre les femmes, ou la persécution religieuse. Il s’agit d’un vocabulaire vague et qui semble vouloir cibler les individus de confession musulmane.

Ensuite, le décret prévoit de donner la priorité aux réfugiés victimes de persécution religieuse, à condition que l’individu faisant la demande pratique une religion qui soit minoritaire dans son pays (section 5 (b)). En apparence neutre, cette mesure du décret est très susceptible de favoriser les réfugiés chrétiens, plutôt que les réfugiés musulmans. Pourtant, toute tentative de privilégier une religion par rapport à une autre, et de discriminer une catégorie de personnes, constitue une violation de la Constitution.

Le décret affirme également que l’entrée de ressortissants syriens sur le territoire américain serait préjudiciable aux intérêts des Etats-Unis (section 5 (c)) et suspend de manière indéfinie toute admission de réfugiés d’origine syrienne. Sans donner davantage de justifications, le décret met donc en place une interdiction globale d’entrée aux Etats-Unis pour tous les citoyens syriens. Il pourrait s’agir d’une mesure à caractère discriminatoire en raison de l’exclusion d’une catégorie de personnes sur le fondement de l’origine nationale, en violation de la Constitution

 

B)  Violation des « due process clauses » (5ème et 14ème amendements)

Le 5ème et 14ème amendements de la Constitution américaine garantissent le droit des individus à une procédure légale régulière (« due process »). Ces amendements prévoient la protection de l’individu contre l’autorité du gouvernement dans une procédure juridique. Ainsi, tout individu arrêté ou détenu doit, entre autres, avoir droit à un tribunal impartial, se voir notifier les raisons de son arrestation, pouvoir réfuter les allégations dont on l’accuse, et avoir le droit d’être représenté par un avocat.

La Cour Suprême des Etats-Unis, dans les décisions Zadvydas v. Davis (2001) et Boumediene v. Bush (2008), a affirmé que les personnes immigrant aux Etats-Unis, même celles n’ayant pas la nationalité américaine ou de détenant pas de titre de séjour, disposent d’un droit à une procédure légale régulière, mais seulement si elles se trouvent physiquement sur le territoire américain.

La signature et la mise en place inattendues du décret n’ont laissé aucune chance aux individus concernés par l’interdiction d’entrée sur le territoire américain de se préparer, notamment de se faire entendre en plaidant leur cause. De plus, les détentions et expulsions ont été faites pour la plupart sans examen individuel de chaque individu et sans passer par un quelconque processus administratif. Le caractère imprévu, imprécis et précipité des mesures prises à l’encontre des voyageurs pourrait constituer une violation de l’obligation de « due process », protégée par les 5ème et 14ème amendements de la Constitution des Etats-Unis.

 

III.  Le décret au regard du droit international

 

A)  Convention relative au statut des réfugiés

La Convention relative au statut des réfugiés de 1951 requiert des Etats-Unis qu’ils fournissent protection et refuge à tout individu victime de persécution. En fermant les frontières des Etats-Unis et en bloquant l’admission de réfugiés, que ce soit de manière temporaire ou définitive, le décret pourrait instituer une violation de cette obligation.

L’article 3 de la Convention sur les réfugiés requiert en outre des Etats parties qu’ils appliquent les dispositions de la Convention sans discrimination fondée sur la race, la religion, ou l’origine nationale. Toute discrimination par un Etat partie contre un certain groupe de réfugiés serait une violation directe de la Convention. Bien que les Etats disposent d’une certaine marge de manœuvre et puissent concevoir leurs propres procédures d’admission de réfugiés, ils sont dans l’obligation de respecter leurs engagements internationaux, et d’accueillir des réfugiés sans distinction de nationalité, origine ethnique, religion ou autres caractéristiques. La Convention autorise l’exclusion de certaines personnes, notamment dans le cas d’individus ayant commis des crimes de guerre, mais la décision d’exclure se fait au cas par cas et n’autorise en aucun cas une interdiction générale contre un groupe de personnes.

De plus, l’article 33 de la Convention interdit à tout Etat partie d’expulser ou de refouler un réfugié sur les frontières de son territoire, sauf lorsqu’il y a des raisons de penser qu’un réfugié présente un danger pour la sécurité du pays. En l’espèce, en interdisant à des réfugiés d’entrer sur le territoire américain et en contraignant certains à reprendre l’avion vers leur point d’origine, les Etats-Unis prennent le risque de violer le principe de non-refoulement des réfugiés. Aucun examen au cas par cas n’a été effectué afin de déterminer si chaque individu refoulé présentait une menace pour les Etats-Unis.

Le Haut-Commissaire des Nations Unis pour les Réfugiés estime qu’environ 20 000 réfugiés auraient pu être réinstallés aux Etats-Unis durant les 120 jours d’interdiction d’admission.

 

B)  Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP)

Le décret semble également être en violation de plusieurs dispositions du PIDCP. En effet, l’article 26 du PIDCP prône l’égalité de traitement de tous devant la loi, sans discrimination aucune, notamment fondée sur la race, la religion, l’origine nationale ou sociale. L’article 4 du PIDCP affirme que même en cas de danger public exceptionnel menaçant la nation, les Etats ne peuvent prendre d’actions qui entraînent une discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion ou l’origine sociale.

Les mesures mises en place par le décret semblent discriminatoires en ce qu’elles créent un traitement différent en fonction de l’origine nationale et de la religion. Le décret ne permet pas aux individus concernés de faire l’objet d’un examen individuel, et a entraîné la détention sans assistance par un avocat, et l’expulsion d’individus détenteurs de documents valides.

 

C) Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

L’article 5 de la Convention, à laquelle les Etats-Unis sont partie, requiert que les Etats parties garantissent le droit de chacun à l’égalité devant la loi, sans distinction quant à la race, la couleur, l’origine nationale ou ethnique. Le décret présidentiel pourrait donc être en violation de cette convention. 

Bibliographie :

- http://www.newsweek.com/opponents-best-legal-arguments-against-trump-imm...
- http://www.independent.co.uk/news/world/americas/seattle-federal-judge-r...
- https://www.nytimes.com/2017/02/03/us/visa-ban-legal-challenge.html
- http://www.lemonde.fr/donald-trump/article/2017/01/30/que-dit-le-decret-...
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- http://www.aila.org/infonet/analysis-executive-order-visa-issuance-scree...
- https://www.theguardian.com/us-news/2017/jan/28/trump-immigration-ban-sy...