Le régime de l'expropriation dans le Partenariat transpacifique et sa conciliation avec les pouvoirs de réglementation des Etats : étude à la lumière de l’ALENA et des décisions JT International ; BAT v Commonwealth rendues par la Haute Cour d’Australie

 

Le Partenariat transpacifique (PTP), tout en accordant une protection aux investisseurs étrangers contre l’expropriation de leurs investissements, intègre les évolutions juridiques récentes en la matière et garantit les pouvoirs de réglementation des Etats. Ce billet démontre que les Etats ont inclus dans le texte du traité des dispositions explicites qui renforcent leur capacité à adopter des mesures visant à sauvegarder l’intérêt général, quand bien même ces mesures peuvent restreindre les droits de propriété des investisseurs.  

 

Le 4 février 2016, le Partenariat transpacifique (PTP) a été signé au terme de plusieurs années de négociation. Lorsque celui-ci sera ratifié par les Parties, en l’espèce l’Australie, le Canada, le Japon, la Malaisie, le Mexique, le Pérou, les Etats-Unis, le Vietnam, le Chili, Brunei, Singapour et la Nouvelle-Zélande, le traité mettra en place la plus grande zone de libre-échange au monde. Les dispositions de ce traité ont donc une importance considérable tant sur le plan économique que sur le plan juridique. En effet, ce traité prévoit des dispositions spécifiques quant au règlement des différends entre Etats et investisseurs. L’objet de cet article est d’étudier le droit applicable au contentieux entre investisseurs et Etats, et plus particulièrement en matière de contentieux survenant du fait de mesures réglementaires ayant un effet sur la valeur de la propriété des investisseurs.

Cette problématique est cruciale dans le contexte actuel où les Etats adoptent de plus en plus de mesures visant à sauvegarder l’intérêt public. Cependant, chaque Etat ne possède pas les mêmes critères d’interprétation des notions, et du fait de la création de zones de libre-échange visant à uniformiser les règles juridiques et commerciales, des litiges surviennent et alimentent le contentieux entre Etats et investisseurs.

L’étude du  chapitre 9 de ce traité se fera à la lumière des dispositions d’un autre traité de libre-échange, l’ALENA, et des interprétations de ces dispositions faites par les tribunaux arbitraux, mais aussi à travers l'étude des décisions JTI v Commonwealth of Australia et BAT v Commonwealth of Australia rendues par la Haute Cour d’Australie en 2012 concernant une mesure de santé publique en relation avec le tabagisme.

L’enjeu de ce billet est donc de déterminer comment sont organisées les règles relatives à l’expropriation dans le Partenariat transpacifique et de quelle manière ces dispositions peuvent être interprétées à la lumière des différentes approches de la notion qui ont été retenues dans d’autres ordres juridiques. 

 

L’expropriation dans le PTP : une interprétation large de la notion ?

 

Les règles concernant les notions d’expropriation et d’indemnisation se trouvent au sein de l’article 9.8 de l’Accord. Un Etat ne peut prendre « une mesure équivalente à une nationalisation ou une expropriation si cette mesure n’est pas prise dans l’intérêt public, de façon non discriminatoire, sans indemnisation prompte, adéquate et effective, et si elle ne respecte pas le principe de l’application régulière de la loi ». 

Concernant l’indemnisation relative à l’expropriation, cet article se fonde sur la « formule de Hull » qui permet une protection conséquente pour l’investisseur puisqu’elle indique que si celui-ci est victime d’une expropriation (ou d’une mesure ayant tel effet), alors la compensation de la perte de son investissement doit être totale. Il est possible de comparer cette disposition à la lumière de l’article 1110 de l’ALENA qui définit la notion d’expropriation en des termes similaires et rend illicite aussi bien les expropriations directes et indirectes. Cependant, une différence importante peut être soulignée entre les textes du PTP et de l’ALENA.

Si à première vue, la définition du concept d’expropriation semble être la même dans les deux textes il est en revanche possible de remarquer dans les versions anglaises que l’ALENA utilise le terme ‘taking’ tandis que le PTP retient le terme ‘expropriation’. Cette différence n’est pas visible à la lecture des deux textes en français mais a de l’importance.

L’article 33 de la Convention de Vienne sur le droit des traités dispose que les termes du traité sont supposés avoir le même sens dans les textes authentiques. Cela signifie que les termes ‘taking’ et ‘expropriation’ dont la traduction authentique française dans les deux textes est « expropriation » auraient le même sens. Une étude de la pratique et de l’interprétation de ces notions peut permettre de nuancer l’importance de cette différence.

Dans les décisions JTI v Commonwealth of Australia et BAT v Commonwealth of Australia rendues conjointement, la Haute Cour d’Australie a dû interpréter la s 51 (xxxi) de la constitution qui garantit qu’une « acquisition de propriété  (‘acquisition of property’) ne peut se faire qu’en des termes justes et dans les limites des pouvoirs du Parlement». Il est question en l’espèce d’une loi, le Tobacco Plain Packaging Act (2011), qui a pour but de lutter contre le tabagisme pour des raisons de santé publique et pour effet d’imposer un format neutre aux emballages de cigarettes. Les entreprises productrices de tabac ont donc avancé que cette mesure portait atteinte aux brevets, marques de commerces et droits d’auteurs enregistrés, et qu’en conséquence, cette mesure était équivalente à une expropriation indirecte de leur propriété intellectuelle.

Une question essentielle que la cour a été amenée à résoudre était de juger si cette mesure constituait une expropriation, citée comme ‘acquisition of property’ dans le texte de la constitution. Les juges ont donc eu la tâche de déterminer si cette mesure constituait un ‘taking’ ou une ‘acquisition of property’ (constitutif d’expropriation). D’après la cour, la notion de ‘taking’ qualifie toute perte, dévaluation ou restriction imposée au propriétaire concernant son bien ou la jouissance de son bien. La notion de ‘acquisition’, quant à elle, désigne le gain d’avantages, de droits ou de bénéfices, relatifs à ce bien par un acquéreur, en l’espèce, l’Etat.

Les juges de la Haute Cour ont estimé que les mesures du Tobacco Plain Packaging Act réduisaient fortement la capacité des investisseurs à bénéficier de leurs droits de propriété intellectuelle, et ont ainsi conclu que cette loi constituait un ‘taking’. Cependant, ils ont estimé qu’il n’y avait aucun bien, avantage ou bénéfice acquis de la part du gouvernement et qu’en conséquence, cette mesure ne constituait pas une ‘acquisition’ et ne pouvait donc pas être qualifiée d’expropriation.

Cette distinction opérée par la Haute Cour est importante car elle permet d’apporter des éléments de comparaison à l’étude des textes du PTP et de l’ALENA qui ont opté pour des termes différents. Ainsi, la notion d’expropriation présentée de la même manière dans les deux textes en français ne l’est pas dans la version anglaise et à la lumière de la décision australienne, peut ainsi désigner deux interprétations différentes ayant des répercussions considérables sur le contentieux. La notion d’expropriation (‘taking’) présente dans l’ALENA serait donc beaucoup plus avantageuse pour les investisseurs car, du point de vue de l’analyse de la Haute Cour, une mesure qui dévaluerait la propriété d’un investisseur serait constitutive d’expropriation et ce, sans que soit pris en compte l’action de l’Etat et l’objectif de cette mesure.

Au vu de la jurisprudence fondée sur l’article 1110 de l’ALENA, il peut être avancé que cette interprétation large a déjà été retenue par les tribunaux arbitraux.

Dans Metalclad v United Mexican States, le tribunal arbitral a estimé que si une mesure avait pour effet de dévaluer la propriété d’un investisseur entièrement ou partiellement, ou de le priver de bénéfices qu’il pouvait légitimement s’attendre à recevoir, et quand bien même il n’y avait pas de bénéfices pour le compte de l’Etat, alors celle-ci constituait une expropriation indirecte.
Cette définition est similaire à l’interprétation du concept de ‘taking’ retenu par la Haute Cour d’Australie.

Cette notion n’a pas été retenue dans le PTP et il convient de s’interroger sur les conséquences de cette divergence sur le régime de l’expropriation et de manière plus spécifique, sur la protection accordée aux investisseurs et aux Etats.

 

Une protection renforcée des mesures d’intérêt public affectant les investissements étrangers

 

En premier lieu, il faut noter que la décision Metalclad citée précédemment n’a de force obligatoire que pour les parties au litige, et les tribunaux arbitraux se sont souvent écartés de cette interprétation large de la notion d’expropriation par la suite. Dans Methanex v USA, le tribunal a estimé qu’une mesure règlementaire non discriminatoire adoptée dans l’intérêt public et en application de la loi ne constitue pas une mesure équivalente à une expropriation.

Par ailleurs, la pratique conventionnelle des Etats en matière d’investissements internationaux fait part elle aussi d’un développement en faveur des pouvoirs de police et de réglementation des Etats. En s’appuyant sur des règles de droit public et notamment administratives, telles que les conditions d’exploitation à travers des systèmes de licence, de permis, ou encore l’usage de la notion d’intérêt public, les Etats ont veillé à renforcer leurs pouvoirs en matière réglementaire. Ces concepts sont dorénavant intégrés aux dispositions relatives au régime d’expropriation dans les traités d’investissements, et mentionnent explicitement certains sujets susceptibles de faire l’objet de mesures réglementaires tels que la santé publique, l’économie ou la protection de l’environnement. Peuvent en témoigner notamment le modèle de traité bilatéral d’investissement des Etats-Unis de 2012 et ses dispositions relatives au régime de l’expropriation (article 6)  ou les plus récents traités d’investissement conclus par d’autres Etats tels que le Canada, le Japon ou la Corée, qui reprennent ces dispositions.

Contrairement aux dispositions de l’ALENA et à l’article 1110 concernant l’expropriation, le PTP ne confère pas autant de discrétion aux tribunaux arbitraux dans l’interprétation de la notion. L’annexe 9 – B sur l’expropriation établit certains critères qui doivent être remplis afin qu’une mesure règlementaire puisse être qualifiée de mesure équivalente à une expropriation. Il est établi que « l’effet défavorable d’une mesure sur la valeur économique d’un investissement n’établit pas à lui seul qu’il y ait expropriation ». Ce critère est crucial puisqu’il écarte ici l’interprétation de la notion d’expropriation qui avait été faite dans Metalclad sur le fondement de l’article 1110 de l’ALENA, dont la définition est similaire à l’article 9.8 du PTP. Les Parties ont donc établi un seuil plus élevé dans la qualification d’expropriation indirecte. Par ailleurs, le traité établi que les tribunaux doivent aussi prendre en compte le « caractère » de l’action gouvernementale mais aussi dans quelle mesure celle-ci « porte atteinte aux attentes distinctes et raisonnables des investisseurs ». Cette obligation est renforcée par le fait que le texte exprime de façon explicite que « les actions règlementaires non discriminatoires conçues et appliquées dans un but légitime de protection du bien-être public, par exemple en matière de santé publique, de sécurité ou d’environnement, ne constituent pas d’expropriation indirecte sauf circonstances exceptionnelles ».  

Chief Justice French a estimé dans la décision rendue par la Haute Cour d’Australie que la question de déterminer si une mesure constitue une expropriation indirecte relève davantage d’une « question de substance et de degré plutôt que de forme ». En cela, les dispositions du PTP se situent dans la lignée de cette interprétation et font part de l’assimilation des évolutions en matière du contentieux des investissements dont témoignent les plus récentes décisions des tribunaux arbitraux.

Ainsi, dans la décision El Paso v Argentina, les arbitres ont estimé qu’en principe, des mesures règlementaires non discriminatoires adoptées selon les règles de bonne foi et de procès équitable n’entrainent pas un devoir de compensation. Dans la décision Chemtura v Canada, les arbitres ont estimé qu’une mesure non discriminatoire prise dans le but de protéger la santé publique et l’environnement constituait un exercice valide des pouvoirs de police de l’Etat.

De plus, cette annexe permettant une interprétation plus stricte et plus favorable pour les Etats n’est pas la seule disposition présente dans le texte renforçant le pouvoir de réglementation des Etats. L’article 9.16 du PTP apporte une sauvegarde aux Etats en garantissant qu’aucune disposition du chapitre ne peut être interprétée comme empêchant ceux-ci d’adopter des mesures visant à protéger l’environnement, la santé publique ou d’autres objectifs règlementaires.

A la lumière de cette disposition, nous pouvons voir très clairement l’évolution entre les dispositions concernant les investissements et l’expropriation dans le texte de l’ALENA et les dispositions relatives dans le PTP. Si l’ALENA autorise à travers ses dispositions une interprétation large de la notion d’expropriation favorisant les investisseurs, il faut noter que le PTP apporte lui des restrictions à une telle interprétation et qu’au-delà, semble permettre une interprétation étendue de la notion « d’objectif règlementaire » qui n’est pas sujette ici à une délimitation explicite par le texte du traité.

 

La précision des dispositions relatives à l’expropriation et aux mesures réglementaires témoigne donc d’un développement visant à davantage protéger les intérêts des Etats face aux plaintes des investisseurs qui verraient leur propriété dévaluée du fait d’une mesure étatique prise dans l’intérêt public et en cela, s’inscrit dans les plus récentes évolutions conventionnelles et jurisprudentielles en la matière. Cependant, on peut noter que ces  dispositions marquent un renforcement des pouvoirs de réglementation des Etats encore plus important que dans les instruments conventionnels antérieurs. Deux raisons peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, l’expérience vis-à-vis des décisions arbitrales en matière d’investissements internationaux a montré par le passé qu’un texte n’encadrant pas assez la notion d’expropriation indirecte pouvait mener les tribunaux à adopter une interprétation extensive favorisant les investisseurs étrangers et mettant en péril la souveraineté des Etats ainsi que leur capacité à légiférer dans l’intérêt général. Enfin, les enjeux que représente ce traité de par l’importance géographique et économique de la zone de libre-échange établie, expliquent que les Etats ont été réticents à permettre à un nombre incommensurable d’investisseurs d’alimenter le contentieux au motif d’une dépréciation de leurs investissements causée par des mesures d’intérêt public.

 

 

Bibliographie sélective

 

  • Ouvrage :

Sornarajah M, Resistance and Change in the International Law on Foreign Investment (Cambridge: Cambridge University Press 2015) pp 181 – 245, 474 pages.

  • Décisions :

British American Tobacco Australasia Limited & ORS v. Commonwealth of Australia, No S389/2011, décision rendue par la Haute Cour d’Australie, (15 août 2012).

Chemtura Corporation v. Government of Canada, arbitrage ad hoc NAFTA en application des règles du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, (Kaufmann-Kohler, Brower, Crawford), (2 août 2010).

El Paso v Argentina, CIRDI, Case No. ARB/03/5 (31 août 2011).

JT International SA v. Commonwealth of Australia, No S409/2011, décision rendue par la Haute Cour d’Australie, (15 août 2012).  

Metalclad Corporation v. United Mexican States, CIRDI, Case No. ARB (AF)/97/1 (30 août 2000).

Methanex Corporation v. United States of America, décision rendue par un tribunal arbitral ad hoc NAFTA en application des règles du Règlement d’arbitrage de la CNUDCI, (Rowley, Michael Reisman, Veeder) (3 août 2005).

  • Législation :

Tobacco Plain Packaging Act (NO. 148, 2011), adopté par le Commonwealth d’Australie, disponible à l’adresse suivante :

http://www.austlii.edu.au/au/legis/cth/num_act/tppa2011180/.

  • Traités :

Accord de Partenariat Transpacifique, signé le 4 février 2016, (disponible dans ses versions anglaises et françaises à l’adresse suivante : https://www.mfat.govt.nz/en/about-us/who-we-are/treaty-making-process/tr...).

Convention de Vienne sur le droit des traités (1969), accessible à cette adresse : https://treaties.un.org/doc/Publication/UNTS/Volume%201155/volume-1155-I...

Modèle de Traité bilatérale d’investissement des Etats-Unis, accessible à cette adresse : www.state.gov/e/eb/ifd/bit/index.htm.

Traités bilatéraux/multilatéraux d’investissement récents, accessibles à cette adresse : http://investmentpolicyhub.unctad.org/IIA/MostRecentTreaties#iiaInnerMenu