Le salaire minimum et les effets de sa réévaluation au regard des amendements législatifs américains d’avril 2016

 Le 4 avril 2016, deux amendements législatifs furent signés par les gouverneurs des États de Californie et de New York rehaussant leur salaire minimum à un seuil historique. Au regard du droit du travail français, il est alors intéressant d’étudier la réévaluation du salaire minimum et ses possibles conséquences.

 

 

Le mois d’avril 2016 fut marqué aux États-Unis par des événements considérés comme historiques par certains journalistes. En effet, les gouverneurs des États de Californie et de New York ont signé des mesures augmentant progressivement (en 2023 et en 2021) leur salaire minimum pour atteindre 15 dollars par heure. Ces États offriront alors les seuils minima de salaire les plus élevés nationalement voire internationalement.

Cette revalorisation touche une notion importante en droit du travail. Cependant, le salaire minimum n’est pas appréhendé de la même manière entre les deux pays. En France, on accorde au salaire minimum de croissance (SMIC) une place symbolique au sein du droit, notamment au travers de son utilisation en tant qu’instrument de justice sociale. Aux États-Unis, le salaire minimum est séparé entre une somme imposée au niveau de l’État fédéral et différentes sommes au sein de chaque État fédéré. Cela résulte de la construction juridique américaine où la loi fédérale est applicable à tous comme base commune mais chaque État peut ensuite choisir de s’y déroger et de l’améliorer au sein de sa propre juridiction. Cependant, il est impossible d’appliquer au salarié des mesures plus négatives que la loi fédérale.

Au vu des amendements législatifs du 4 avril 2016, quel est le rôle et quelles sont les conséquences des réévaluations du salaire minimum ?

L’étude de l’impact de la réévaluation suppose d’aborder dans une première partie la notion de salaire minimum applicable au sein de chaque système juridique. Une deuxième partie permettra ensuite d’examiner la rehausse américaine historique par rapport aux procédés réguliers de revalorisation en France. Finalement, une dernière partie tentera d’appréhender les conséquences juridiques et économiques qui découleront des amendements législatifs américains tout en comparant avec la doctrine française.

 

  1. Salaire minimum : miroir de la protection accordée aux salariés

 

En France, le salaire minimum est tout d’abord imposé par la loi mais peut ensuite être conventionné selon les différentes grilles de salaire des conventions collectives, seulement s’il n’est pas inférieur au salaire légal. Le salaire minimum de croissance, SMIC, fut instauré par la loi du 2 janvier 1970, remplaçant le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG), lui-même créé en 1950. Il est défini comme « le salaire horaire minimum légal en dessous duquel le salarié ne peut pas être rémunéré »[1]. Au 1er janvier 2016, il s’élevait à 9,67€ brut par heure suite à une revalorisation de 0,6% du montant de 2015. De plus, l’article L. 3231-2 du Code du Travail dispose que le SMIC vient assurer « aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles : 1) la garantie de leur pouvoir d’achat ; 2) une participation au développement économique de la nation ». Le SMIC est ainsi employé en tant qu’instrument de justice sociale. L’employeur doit respecter ce taux horaire légal au risque d’être sanctionné pénalement par une contravention de 5e classe[2]. Il est applicable à tous les salariés majeurs qu’importe le format de la rémunération, sauf aux travailleurs mineurs ayant moins de six mois de pratique professionnelle dans leur branche d’activité. Ils perçoivent dans ce cas un SMIC minoré. Par exemple, depuis janvier 2016, un mineur de moins de 16 ans reçoit 7,74€ brut et un mineur de 17 ans 8,70€ brut.

Aux États-Unis, il existe aussi plusieurs salaires minima. Tout d’abord, le salaire minimum fédéral fut imposé par le « Fair Labor Standards Act » de 1938 puis appliqué par le United States Code Service[3]. Introduit par le président Roosevelt, le minimum s’établissait alors à 25 centimes par heure, ce qui équivaut à 4 dollars actuels. Aujourd’hui, le salaire minimum applicable à l’ensemble des Etats-Unis s’élève à 7,25 dollars par heure et est effectif depuis le 24 juillet 2009. La rigidité de ce salaire et son coût bas entrainent une certaine précarité des travailleurs américains et creusent les inégalités sociales. De même, les travailleurs rémunérés au pourboire reçoivent un salaire minimum nettement inférieur. Il ne s’élève qu’à 2,13 dollars par heure, inchangé quant à lui depuis 1991. Cependant, certains États ont fait le choix de le rehausser, comme par exemple la Californie ou l’État de New York. D’autres États ont préféré conserver la base fédérale comme unique salaire minimum. On peut par exemple mentionner les États d’Alabama ou du Mississippi. Dans tous les cas, aucun État ne peut imposer un salaire minimum inférieur à 7,25 dollars afin de garantir une certaine protection du salarié.

La réévaluation de chacun des salaires minima semble donc nécessaire afin de mieux répondre aux besoins des travailleurs.

 

  1. La réévaluation du salaire minimum : d’une évolution constante française aux fluctuations américaines

 

Le salaire minimum nécessite d’être réévalué régulièrement afin d’être adapté à l’inflation ainsi qu’au coût de la vie. Or, comme cela fut précédemment défini, le salaire minimum fédéral américain est fixe depuis 2009 (7,25$/h). Cela peut s’expliquer par le fait que la réévaluation est une compétence du Congrès et repose donc uniquement sur la volonté des sénateurs américains. Malgré les appels du président Obama depuis 2013[4] pour réajuster le salaire minimum fédéral de 9$/h à 12$/h, seules des rehausses à l’échelle de certains États fédérés ou de certaines villes ont pu être observées.

Suite à de nombreuses manifestations, particulièrement des travailleurs de la chaîne multinationale de Fast-Food McDonalds, et la montée du mouvement « Fight for $15 », deux gouverneurs américains ont signé le 4 avril 2016 des amendements législatifs révolutionnant la vision du salaire minimum aux États-Unis. Ainsi, le Gouverneur californien, Jerry Brow, a approuvé le « Senate Bill 3 Minimum wage : in-home supportive services : paid sick days » où le Chapitre 4 prévoit une hausse progressive du salaire minimum des 10$/h actuels à 15$/h en 2023. De même, le Gouverneur de New York, Andrew M. Cumo, a ratifié le Senate Bill S6406C où la part K définit la progression du salaire minimum de 9$/h à 15$/h d’ici 2021. Bien que très importantes, ces réévaluations reflètent cependant la faiblesse du système américain vis-à-vis de la protection sociale de ses salariés.

A l’inverse, la France prévoit une réadaptation régulière du coût du SMIC afin de respecter ses objectifs principaux précédemment définis (article L. 3231-2 du Code du travail). Tout d’abord, le SMIC est réévalué le 1er janvier de chaque année, de manière facultative, par le gouvernement français après avoir reçu l’avis de la Commission nationale de la convention collective. Cependant, selon l’article L. 3231-8 du Code du travail, l’accroissement du salaire minimum « ne peut être inférieur à la moitié de l’augmentation du pouvoir d’achat des salaires horaires moyens enregistrés par l’enquête trimestrielle ». Finalement, le SMIC est aussi révisé selon l’inflation. L’article L. 3231-5 du Code du travail dispose que le SMIC est relevé lorsque l’indice national des prix à la consommation correspond à une hausse d’au moins 2% par rapport à l’indice précédent.

Il y a donc un véritable suivi du salaire minimum en France afin de maintenir un équilibre entre les revenus et lutter contre les inégalités sociales.

 

  1. La hausse très importante du salaire minimum : vers un bouleversement économique ?

 

Les amendements législatifs étant très récents, il est difficile de prévoir les effets sur le long terme de la réévaluation du salaire minimum dans ces deux États américains. Cependant, il est important de noter qu’ils furent signés pour répondre aux demandes des travailleurs notamment ceux des chaînes de Fast-Food. Sur le court-terme, ces changements eurent un accueil à double tranchant. D’un côté, certaines études démontrent que le salaire minimum de 15$ va en effet permettre de réduire les inégalités sociales et salariales en abaissant le seuil de pauvreté et en répondant aux besoins du coût de vie élevé. De plus, des économistes de l’Université de Berkeley[5] ont considéré qu’un salaire minimum élevé entrainerait moins de roulements des effectifs et stabiliserait l’emploi. La différence de coût à subir par les entreprises devrait alors être absorbée par le consommateur en augmentant les prix des biens, par exemple d’environ 0,14% par an pendant la phase de transition pour l’État de New York. D’un autre côté, une partie de la doctrine considère qu’au contraire le salaire minimum de 15 dollars va tendre à détruire des emplois, particulièrement dans les petites entreprises qui n’auront pas la capacité d’absorber les nouveaux coûts. C’est pourquoi chacun des amendements prévoit une année de plus pour s'adapter aux petites entreprises, c’est à dire 25 employés ou moins en Californie. Il faut aussi prendre en compte la différence du coût de la vie selon les États, un salaire de 15$ n’a pas la même valeur selon que le salarié se trouve en Californie ou en Caroline du Nord.

La Californie et l’État de New York font donc lieu d’expérience afin d’observer les impacts économiques et sociaux issus des augmentations du salaire minimum. S’ils remplissent leurs promesses, cela faciliterait par la suite la voie à une révision à la hausse du salaire minimum fédéral. Or, la majorité républicaine du Congrès bloque aujourd’hui toute tentative de changement malgré les demandes de l’exécutif.

En France, le SMIC n’a jamais subi de révisions aussi importantes en si peu de temps, la révision gouvernementale étant même relativement basse depuis 2012. Ainsi, le SMIC n’a été réévalué qu’à hauteur de 0,8% en janvier 2015 et de 0,6% en janvier 2016. A l’inverse des États-Unis, l’inflation est aussi prise en compte et permet d’équilibrer le salaire minimum avec le coût de la vie et de développer la consommation. Or certains syndicats souhaiteraient un « coup de pouce » du Gouvernement pour engager une revalorisation plus élevée que le taux de l’indexation, le dernier datant de 2012. Malgré tout, le SMIC français présente une plus grande stabilité juridique et économique grâce à son processus de réévaluation constant à l’inverse du salaire minimum américain dépendant de la majorité du Congrès et des volontés politiques.

 

 

Bibliographie

 

Textes de loi

  • Loi n°70-7 du 2 janvier 1970 portant réforme du salaire minimum garanti et création d’un salaire minimum de croissance
  • Articles L3231-2, L3231-5, L3231-8, R3233-1 du Code du Travail
  • Fair Labor Standards Act 1938

Ouvrage

  • Peskine E, Wolmark C. Droit du travail, Hypercours 2014

Articles de presse

Sites :

 


[2] R3233-1 du Code du travail

[3] 29 U.S.C. section 206

[5] M. Reich, S. Allegretto, K. Jacobs, C. Montalioux « The Effects of a $15 Minimum Wage in New York State » Mars 2016 (http://www.irle.berkeley.edu/cwed/briefs/2016-01.pdf)