Quand l'accusé devant la CPI plaide coupable: Le jugement portant condamnation d'Ahmad Al Mahdi du 27 septembre 2016 à l'aune de la common law et du droit romano-germanique – Ozan Mert Imrek

« Monsieur le Président, malheureusement, tout ce que je viens d'entendre est véridique et conforme à la réalité. Je vous remercie. J'avoue effectivement ma culpabilité ».

 

Avec cette déclaration historique du 22 août 2016 (Transcription d'audience, p. 7, lignes 5 à 8)1, un accusé devant la Cour pénale internationale (CPI) a, pour la première fois dans l'histoire de cette juridiction, confirmé tous les faits et charges portés à son encontre, décidant ainsi de reconnaître sa culpabilité. Seulement un mois environ après ladite déclaration, la Chambre de première instance VIII (« la Chambre ») de la CPI a déclaré Ahmad Al Faqi Al Mahdi coupable, en tant que coauteur, du crime de guerre consistant à attaquer des biens protégés sur le territoire de la République du Mali et l'a condamné à neuf ans d'emprisonnement (LE PROCUREUR c. AHMAD AL FAQI AL MAHDI, Jugement portant condamnation, 27 septembre 2016, ICC-01/12-01/15-171-tFRA, « l'arrêt commenté », p. 55).

 

Constituant un fait inédit dans l'histoire de la CPI, l'aveu de culpabilité d'Al Mahdi a donc inauguré une nouvelle voie procédurale, prévue à l'article 65 du Statut (intitulé « Procédure en cas d'aveu de culpabilité »), qui n'avait jamais été appliquée devant la CPI auparavant (l'arrêt commenté, § 21) et qui a permis, en l'espèce, de régler l'affaire dans un délai record d'un an, du transfert de l'accusé à La Haye, le 26 septembre 2015, jusqu'au verdict, le 27 septembre 2016. Apportant des précisions essentielles sur le régime juridique et sur l'application de cette intéressante technique contentieuse internationale, dont l'introduction donnait lieu à controverse (l'arrêt commenté, § 22) dès la proposition du projet de statut par la Commission du droit international en 1994 (Rapport de la Commission du droit international sur les travaux de sa quarante-sixième session, 2 mai – 22 juillet 1994, A/49/10, p. 54 et 55), le jugement d'espèce revêt donc une importance primordiale quant aux possibilités de développement de la procédure devant la CPI.

 

Or, compte tenu des avantages que l'aveu de culpabilité emporte et sachant que cette technique contentieuse internationale, qui a été récemment utilisée pour la première fois devant la CPI 18 ans après sa création, crée un précédent, une question fondamentale reste pendante : le recours à l'aveu de culpabilité révolutionnera-t-il l'administration de la justice devant la CPI ?

 

Remontant dans le développement historique de l'article 65 du Statut, la Chambre emploie, dans ses explications, différents termes tels qu'« aveu de culpabilité » (§ 24), « plaidoyer de culpabilité » (§ 27) et « marchandage judiciaire » (§ 25), lesquels elle tente certes d'expliquer, mais qu’elle n'arrive malheureusement pas toujours à effectivement définir et distinguer, ce qui couvre le raisonnement de la Chambre d'une certaine ambiguïté (I.). Néanmoins, le jugement portant condamnation d'Ahmad Al Mahdi ne constitue pas seulement un précédent en termes d'efficacité, mais élargit aussi le cadre de la procédure devant la CPI, introduisant une technique contentieuse efficace, qui pourrait, en théorie, accélérer et ainsi améliorer l'administration de la justice devant la CPI, mais qui restera, en pratique, très probablement l'exception (II.).

 

I. Les incertitudes du régime juridique de l'aveu de culpabilité devant la CPI

 

A. Une déclaration simple visant à reconnaître la culpabilité

Selon une interprétation littérale, l'expression « plaider coupable » est « assez neutre » (Pradel, p. 473) et renvoie simplement à l'acte de l'accusé de reconnaître « sa faute » (Pradel, p. 473). Compris dans ce sens, ledit terme ne se distingue pas de celui de « s'avouer coupable », de telle sorte que les deux peuvent être utilisés de manière interchangeable, ce qui peut expliquer que le premier a été intégré à l'article 64-8-a) du Statut, qui parle de « la possibilité de plaider coupable selon ce qui est prévu à l'article 65, ou de plaider non coupable ».

 

La raison pour laquelle l'expression « aveu de culpabilité » s'est finalement imposée face au terme traditionnel de « plaidoyer de culpabilité » et a été introduite dans le Statut de Rome est plutôt symbolique et découle des efforts de plusieurs délégations (notamment de tradition romano-germanique) du Comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale d'éviter la terminologie habituellement utilisée en common law (l'arrêt commenté, §§ 24 et s.) et de promouvoir, ainsi, une « concili[ation] des systèmes juridiques différents » (Rapport du Comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale, Travaux du Comité préparatoire en mars-avril et août 1996, A/51/22 Supp. 22, Vol. I, § 263) ― un objectif qui est à la base de la recherche, en droit international pénal, d'un équilibre entre les modèles procéduraux traditionnels issus du droit romano-germanique et de la common law (Martin-Chenut, § 31), provoquant « l'évolution vers un modèle hybride, voire autonome » (Martin-Chenut, § 42) de justice pénale internationale.

 

B. Une déclaration réfléchie visant à fonder un compromis judiciaire

Selon une interprétation téléologique de l'expression « plaider coupable », cette dernière sous-entend une certaine « entente du ministère public et de l'auteur des faits sur une peine réduite (…) et la soumission de cette entente à un juge » (Pradel, p. 473). Compris dans ce sens, le plaidoyer de culpabilité va au-delà du seul acte de l'accusé de reconnaître sa faute et implique une procédure judiciaire, qui peut être déclenchée par une telle reconnaissance de culpabilité, visant à parvenir à un accord entre les parties concernées.

 

1. Le plea bargaining en common law

Ce genre de procédure de plaidoyer de culpabilité est d'origine anglo-saxonne, nommé plea bargaining en anglais, et a été, pour la première fois, mis en œuvre aux États-Unis au XIXe siècle (Ashworth, p. 265). Suivant la tradition anglo-américaine, la simple reconnaissance de faute, faite par l'accusé à travers un plaidoyer de culpabilité au sens littéraire du terme, « se métamorphose en plea bargaining » (Pradel, p. 474). Entendant le terme très largement quant à son objet, les Américains distinguent en effet entre charge bargaining (réduction de la qualification), count bargaining (abandon par le poursuivant de certains chefs d'accusation) et sentence bargaining (aveu contre promesse du poursuivant de réclamer une sentence plus douce), cette troisième modalité se combinant souvent avec la première ou la seconde (Pradel, p. 474). En Angleterre et au Pays de Galles, l'existence de tels accords a été déniée jusqu'aux années 1970 (Baldwin, p. 229 et s.), alors qu'ils ont été très souvent observés dans les tribunaux (Sanders, p. 440).

 

2. Les différentes formes d'accord de culpabilité en droit romano-germanique

Largement admise dans la culture anglo-saxonne, une telle procédure de plaidoyer de culpabilité a été aussi introduite, de manière strictement encadrée, dans les systèmes juridiques de tradition civiliste (Nicolas, § 9), entre autres en Italie et en France. Les Italiens parlent de patteggiamento (créé par leur Code de procédure pénale de 1989), alors qu'en France, c'est la loi française du 9 mars 2004 qui institue la comparution sur reconnaissance prélable de culpabilité (CRPC). Or, il importe de noter que tous deux n'ont pour objet que la peine sanctionnant le délit poursuivi, ce qui fait apparaître une conception plus étroite que celle adoptée en Amérique du Nord (Pradel, p. 474).

 

En Allemagne, le pays de tradition romano-germanique qui a été caractérisé de « land without plea bargaining » par le juriste américain John Langbein (Langbein, p. 204), la technique contentieuse du plaider coupable n'est pas connue devant les juridictions pénales. Néanmoins, des accords informels entre le tribunal et les parties au procès ont été régulièrement conclus dans le cadre la procédure pénale allemande depuis les années 1970 (Rauxloh, p. 298), avant que le législateur allemand transpose cette coutume (nommé « Verständigung im Strafverfahren » en allemand) en droit positif par l'introduction du § 257c du Code de procédure pénale allemand le 4 août 2009 (Hertel, p. 198). Le 19 mars 2013, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand a reconnu la constitutionnalité de cette disposition, légalisant le plaidoyer de culpabilité en procédure pénale allemande (Le Monde du Droit, La transaction pénale dans le système de droit allemand).

 

Ces développements montrent bien que de plus en plus aujourd'hui législateurs et praticiens font appel à des accords entre parties avec contrôle par un juge (Pradel, p. 474), ce qui établit un certain consensualisme en procédure pénale, conduisant à une justice négociée ou participative (Tulkens, p. 445 et s., cité par Pradel, p. 475).

 

3. La procédure en cas d'aveu de culpabilité devant la CPI

S'agissant de la CPI, le Statut de Rome prévoit avec l'introduction de la « procédure en cas d'aveu de culpabilité » à l'article 65 une nouvelle voie procédurale, qui se démarque du plaidoyer de culpabilité tel qu'il existe dans les systèmes de common law.

 

Le déclenchement de cette nouvelle voie procédurale relève de l'article 64-8-a) du Statut, qui dispose :

 

« À l'ouverture du procès, la Chambre de première instance fait donner lecture à l'accusé des charges préalablement confirmées par la Chambre préliminaire. La Chambre de première instance s'assure que l'accusé comprend la nature des charges. Elle donne à l'accusé la possibilité de plaider coupable selon ce qui est prévu à l'article 65, ou de plaider non coupable ».

 

Selon l'article 65 (1) du Statut, la Chambre doit déterminer:

a) si l'accusé comprend la nature et les conséquences de son aveu de culpabilité,

b) si l'aveu de culpabilité a été fait volontairement après consultation suffisante de l'accusé avec son défenseur,

c) si l'aveu de culpabilité est étayé par les faits de la cause.

 

Le second paragraphe de l'article 65 du Statut énonce les critères de la déclaration de culpabilité de l'accusé à la suite de son aveu de culpabilité. La Cour doit être tout d'abord convaincue que les conditions de validité du plaidoyer sont bien remplies. Puis, si elle considère que l'aveu de culpabilité, accompagné de toutes les preuves complémentaires présentées, établit tous les éléments constitutifs du crime, la chambre peut alors reconnaître l'accusé coupable de ce crime. Si la chambre n'est pas convaincue que les conditions de validité du premier paragraphe de l'article 65 sont réunies, elle ordonne la poursuite du procès et peut alors renvoyer l'affaire à une autre chambre (art. 65 § 3).

 

La Cour a pleine discrétion pour ordonner une présentation plus complète des faits de la cause dans l'intérêt de la justice, en particulier dans l'intérêt des victimes. La Chambre peut ainsi soit demander au procureur de présenter des éléments de preuve supplémentaires, y compris des dépositions de témoins, soit, plutôt, ordonner la tenue du procès devant une autre chambre. Dans ce dernier cas, la chambre considère bien évidemment qu'il n'y a pas eu aveu de culpabilité (art. 65 § 4).

 

Le paragraphe 5 de l'article 65 du Statut exclut implicitement toute participation de la Cour aux négociations de plaidoyer ou de sentence (plea bargaining) qui pourraient se dérouler entre le procureur et la défense. En effet, la Cour n'est pas liée par les consultations ou les discussions des parties relatives à la modification des chefs d'accusation, à l'aveu de culpabilité ou à la peine. Au contraire des dispositions de l'article 62 ter du RPP du TPIY, le Statut et le Règlement de procédure et de preuve de la CPI sont silencieux sur l'accord de plaidoyer.

 

II. La procédure en cas d'aveu de culpabilité – une procédure inédite

En l'espèce, la Chambre a pu rendre son jugement symbolique le 27 septembre 2016, soit seulement un an après le transfert de l'accusé à la CPI le 26 septembre 2015, ce qui constitue un délai record, dont l'importance se manifeste particulièrement au regard de la longueur d'autres affaires devant la CPI, telles que l'affaire Bemba qui a duré presque huit ans du transfèrement jusqu'au verdict. Ce règlement rapide de l'affaire satisfait à l'exigence du droit à un jugement sans retard excessif, qui, faisant partie des droits de la défense, n'est pas seulement reconnu par des traités internationaux, tels que le Pacte international des droits civils et politiques (art. 14-3-c) et la Convention européenne des droits de l'homme (article 6-1), mais aussi expressément prévu à l'article 67-1-c du Statut de Rome.

 

Par ailleurs, l'accélération des procédures constitue une « préoccupation majeure pour les chambres [de la CPI] » (Kot, § 36), qui « permet à la Cour d'économiser du temps et des ressources, qui pourront être utilisés autrement de façon à faire progresser le cours de la justice internationale sur d'autres fronts » (l'arrêt commenté, § 28), constituant ainsi un objectif qui correspond pleinement aux intérêts de la CPI au sens d'une bonne administration de la justice pénale internationale.

 

Enfin, seulement huit victimes ont participé à la phase de première instance, dûment représentés par un représentant légal nommé par la Chambre (l'arrêt commenté, § 6) et l'Accusation n'a fait déposer que trois témoins (l'arrêt commenté, § 7). Par conséquent, l'aveu de culpabilité d'Ahmad Al Mahdi a permis aux victimes d'« éviter le stress lié au fait de relater les drames qu'elles ont personnellement vécus et de subir un contre-interrogatoire » (l'arrêt commenté, § 28), s'attaquant au problème de la « violence du combat judiciaire issue du modèle accusatoire » (Martin-Chenut, § 39), dont la résolution est tout à fait dans l'intérêt de la CPI et d’une bonne administration de la justice pénale internationale.

 

Or, au paragraphe 30 de l'arrêt commenté, la Chambre observe que l'accusé a confirmé, tant oralement que par écrit, qu'il renonce à une grande partie des droits de la défense (§ 30). A première vue contradictoire avec l'essence même des droits de la défense, la validité d'une telle renonciation de jure s'explique par la « libre stratégie » (Catalata, p. 29) de l'accusé de « dispenser la poursuite de son fardeau d'établir la culpabilité de l'accusé au-delà de tout doute raisonnable » (Robert, § 36) et de renoncer au droit à une procédure contradictoire.

 

Compte tenu du fait que le recours à l'aveu de culpabilité permet d'accélérer la procédure devant la CPI tout en respectant les droits de l'accusé, il est justifié de dire que cette technique contentieuse internationale révolutionne potentiellement l'administration de la justice devant la CPI. Mais sachant que le recours à l'aveu dépend de l'intérêt que peut avoir la défense à user de l'accord de culpabilité, et étant donné que cet intérêt, quant à lui, ne peut voir le jour que si l'accusé et son conseil peuvent se fier à l'entité avec laquelle ils négocient, il faut reconnaître que le précédent créé par le jugement d'espèce restera très probablement l'exception.

1https://www.icc-cpi.int/Transcripts/CR2016_05768.PDF.

 


 

Bibliographie sélective

 

Source commentée

 

Traités

 

 

 

Droits nationaux

  • Droit italien
    • Code de procédure pénale de 1989, Loi n° 81 du 16 février 1987.

 

  • Droit français
    • Code de procédure pénale de 1959, Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.

 

  • Droit allemand
    • Code de procédure pénale allemand de 1877, Loi du 29 juillet 2009, BGBl. I, 2353, § 257c.

 

Transcription

 

Rapports

  • Nations unies, Annuaire de la Commission du droit international, 1994, Volume II, Deuxième partie, Rapport de la Commission à l'Assemblée générale sur les travaux de sa quarante-sixième session (2 mai – 22 juillet 1994), A/CN.4/SER.A/1994/Add.1 (Part 2), Documents officiels de l'Assemblée générale, quarante-neuvième session, Supplément n°10, A/49/10, Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité, Projet de statut d'une cour criminelle internationale.
    http://legal.un.org/ilc/publications/yearbooks/french/ilc_1994_v2_p2.pdf

 

  • Nations unies, Rapport du Comité préparatoire pour la création d'une cour criminelle internationale, Volume I, Travaux du Comité préparatoire en mars-avril et août 1996, 13 septembre 1996, Assemblée générale, Documents officiels, Cinquante et unième session, Supplément No 22, A/51/22.
    http://www.legal-tools.org/doc/3441be/pdf/

 

Accord

  • CPI, Chambre préliminaire I, 19 août 2016, Situation au Mali, Le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, Version publique expurgée du « Dépôt de l'Accord sur l'aveu de culpabilité de M. Ahmad Al Faqi Al Mahdi », Annex 1, ICC-01/12-01/15-78-Anx1-Red2.
    https://www.icc-cpi.int/RelatedRecords/CR2016_05666.PDF

 

Articles (en ligne)

 

 

 

 

  • Nicolas, Marie, « Le verdict de Tombouctou : Le prix des remords », in La Revue des droits de l'homme, Actualités Droits-Libertés 2016, pp. 1-13.
    http://revdh.revues.org/2661

 

 

 

Articles (recueil)

  • Kot, Jean-Philippe, « Les droits de la défense », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e édition révisée, CEDIN, Editions A. Pedone, Chapitre 69, pp. 909-925.

 

  • Martin-Chenut, Kathia, « Procès international et modèles de justice pénale », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e édition révisée, CEDIN, Editions A. Pedone, Chapitre 64, pp. 847-863.

 

  • Robert, Pierre, « La Procédure du jugement en droit international », in H. Ascensio, E. Decaux, A. Pellet (dir.), Droit international pénal, 2e édition révisée, CEDIN, Editions A. Pedone, Chapitre 67, pp. 877-894.

 

Article (journal)

 

Livres

  • Ashworth, Andrew / Redmayne, Mike, The Criminal Process, 3e édition, 2005.

 

  • Sanders, Andrew / Young, Richard, Criminal Justice, 3e édition, 2007.

 

Thèse