Sens et portée du principe d’autonomie de la clause compromissoire internationale en droit français et droit américain par Thomas Lapierre

 

Le principe d’autonomie de clause compromissoire est largement suivi dans les différents systèmes juridiques car il assure l’efficacité du tribunal arbitral puisque sa compétence et sa légitimité à résoudre un litige deviennent indépendantes de la destinée juridique du contrat dans lequel est insérée la clause compromissoire. Si ce principe n’est pas respecté, le tribunal arbitral qui déclarerait la nullité d’un contrat litigieux, se rendrait, par là même, incompétent. Cette règle permet donc d’éviter qu’une partie n’échappe à la compétence de l’arbitre en soutenant simplement la nullité du contrat principal.

Le principe d’autonomie entretient des liens étroits avec le principe de Compétence-Compétence. Ce dernier permet à l’arbitre de se prononcer sur sa compétence pour résoudre le litige. Les deux principes, bien que distincts, sont complémentaires et fournissent au tribunal arbitral les outils nécessaires pour trancher un litige contractuel, de manière efficace et rapide, en minimisant l’intervention des juridictions étatiques au cours de la procédure d’arbitrage.

L’autonomie de la clause compromissoire est largement admise en droit comparé, pourtant le sens et la portée de cette règle diffère d’un Etat à un autre, comme le révèle la comparaison des droits français et américain. L’étude comparée du principe d’autonomie en France et aux Etats-Unis révèle que le principe est, à l’image de la grande majorité des systèmes juridiques, largement accepté, avec pour effet principal de rendre la clause compromissoire indépendante juridiquement de tout contrat dans lequel elle est insérée (I). Ensuite, l’analyse comparée du principe d’autonomie révèle que la convention d’arbitrage et le contrat principal peuvent être soumis à deux lois différentes, même si la méthode de détermination de la loi applicable diffère entre les deux systèmes juridiques (II).

I.     L’acceptation du principe d’autonomie de la clause compromissoire  indépendante du contrat et ses limites

Les deux systèmes adhèrent au même concept d’autonomie ou de séparabilité, par souci d’efficacité et de cohérence, dans le commerce international (a). L’appellation du concept est différente, mais ses effets restent identiques dans les deux systèmes juridiques (b).

a.   L’acceptation commune du principe d’autonomie ou de ‘séparabilité’ par le droit  américain et français

Le droit américain et le droit français ont tous deux consacré, comme de nombreux systèmes juridiques dans le monde, le principe d’autonomie de la clause compromissoire.

La jurisprudence française a établi le principe d’autonomie de la clause compromissoire, dans un premier temps, dans l’arrêt Gosset datant de 1963. La Cour de cassation a considéré que : « l’accord compromissoire, qu’il soit conclu séparément ou inclus dans l’acte juridique auquel il a trait, présente toujours, sauf circonstances exceptionnelles, une complète autonomie juridique, excluant qu’il puisse être affecté par une éventuelle invalidité de cet acte ». La Cour de cassation avait dans un premier temps fait référence à des circonstances exceptionnelles, mais étant donné que celles-ci ne furent jamais utilisées en pratique, elles furent abandonnées. (B. Goldman, Ph. Fouchard, E. Gaillard, On International Commercial Arbitration, ed. Kluwer, 1999, §391).

Dans l’arrêt Prima Paint v. Flood & Conklin de 1967, la Cour suprême des Etats-Unis a considéré que les « conventions d’arbitrages qui sont sujettes au droit fédéral sont  ‘séparables’ des contrats dans lesquels elles sont intégrées ». La Cour n’a toutefois pas exclu que la volonté des parties puisse écarter l’application du principe d’autonomie de la clause compromissoire. Cette règle est supplétive de la volonté des parties.

La Cour suprême a estimé que si la fraude alléguée frappe le contrat et non la clause compromissoire, il appartient à l’arbitre de se prononcer sur la validité de celui-ci. Cependant, lorsque la nullité de la clause compromissoire est directement évoquée, les juridictions fédérales sont compétentes pour apprécier la validité de la clause compromissoire. Ainsi, si le seul examen de la clause compromissoire peut imposer l’arbitrage aux parties, indépendamment de la validité du contrat litigieux, ces deux actes sont séparables l’un de l’autre. (Robert H. Smit, Separability and Competence-Competence in International Arbitration: Ex Nihilo Nihil Fit? Or Can Something Indeed Come from Nothing). Le principe d’autonomie de la clause compromissoire s’est, par la suite, largement imposé en droit américain (Gary B. Born, International Commercial Arbitration, 2014, p. 53). En effet, en 2006, dans la décision Buckeye Check Cashing v. Cardegna, la Cour suprême a estimé que la séparabilité de la clause compromissoire vis-à-vis du contrat principal était désormais une règle du droit fédéral.

Dans les deux systèmes juridiques, le principe émane d’abord de la jurisprudence. Toutefois en France, le législateur a par la suite consacré ce principe dans l’article 1147 du code de procédure civile, qui est également applicable en matière internationale : « La convention d’arbitrage est indépendante du contrat auquel elle se rapporte. Elle n’est pas affectée par l’inefficacité de celui-ci ». Aux Etats-Unis, le Federal Arbitration Act (“FAA”) ne fait pas de référence explicite au principe d’autonomie de la clause compromissoire.

Les deux systèmes ont reconnu que ce principe était nécessaire à la tenue efficace de l’arbitrage. S’il n’était pas suivi, un tribunal arbitral qui trouverait à déclarer la nullité d’un contrat litigieux, se rendrait incompétent en déclarant la clause compromissoire également nulle. Cela reviendrait pour le tribunal à « scier la branche sur laquelle il est assis ». (Ch Seraglini et J. Ortscheidt, p. 510).

b.      Les limites du principe d’indépendance de la clause compromissoire: Une clause autonome ou séparable?

La jurisprudence française fait référence à l’autonomie de la clause compromissoire. Cette appellation implique que le contrat et la clause compromissoire sont deux conventions indépendantes l’une de l’autre. Dans un arrêt du 25 octobre 2005, la Cour de cassation a considéré que: « en application du principe de validité de la convention d’arbitrage et de son autonomie en matière internationale, la nullité non plus que l’inexistence du contrat qui la contient ne l’affectent ». De plus, la refonte de l’article 1447 du code de procédure civile fait référence à l’inefficacité du contrat qui couvre tous cas de figures possibles pouvant atteindre celui-ci, sans pour autant entacher la clause compromissoire. Certains auteurs préfèrent parler de séparabilité de la clause compromissoire car la dénomination d’autonomie et d’indépendance semble ignorer le caractère accessoire de celle-ci par rapport au contrat principal. (P. Mayer, “The Limits of the Severability of the Arbitration Clause”).

Les cours américaines emploient le terme separable. Dans un premier temps, la jurisprudence fédérale américaine a écarté le principe lorsque le contrat est nul ab initio ou void. La décision Prima Paint 1967 ne traitait pas directement de la question de l’application du principe d’autonomie pour un contrat nul ab initio. Ainsi, la Cour d’appel du 9e Circuit, en 1991, dans Three Valleys v. Hutton a exploité ce vide juridique et a considéré que la jurisprudence Prima Paint s’appliquait seulement aux contrats voidable et non pas à ceux qui sont inexistants ou void. La majorité des cours d’appels fédérales, à l’exception du 5e circuit, ont suivi cette solution en opérant une distinction entre un contrat nul ab initio et un contrat qui ferait l’objet d’un vice quelconque. En effet, si le contrat était entaché d’une irrégularité dès sa conception, la clause compromissoire le serait aussi.

Toutefois, cette exception à l’application du principe de séparabilité de la clause compromissoire a été écartée par la Cour suprême en 2006 dans la décision Buckeye Check v. Cardegna. Dans cette affaire, la Cour suprême de Floride avait refusé d’appliquer le principe d’autonomie en cas de contrat nul ab initio. La Cour suprême a cassé l’arrêt en estimant que: « la jurisprudence Prima Paint permet aux cours fédérales d’appliquer une clause compromissoire dans un contrat qu’un arbitre peut déclarer, par la suite, nul et inexistant. ». Cette solution a été reprise, en 2010, dans l’arrêt Rent-A-Center. Suite à ces décisions, les cours fédérales appliquent désormais une présomption de séparabilité de la clause compromissoire. Cette présomption est réfutée dans le cas où l’intention des parties s’y serait expressément opposée (Gary B. Born, International Commercial Arbitration, Second Edition 2014, p. 371). Ainsi, peu importe la cause d’inefficacité du contrat principal (qu’il soit void ou voidable), le principe de séparabilité de la clause compromissoire la protège d’une inefficacité de celui-ci.

La France et les Etats-Unis acceptent donc désormais un principe qui est apparu dans un contexte et sous une dénomination différente mais dont les effets sont identiques. Quelles que soient les causes d’inefficacité du contrat principal, la clause compromissoire n’est pas affectée. Cette solution est peu contestée en arbitrage international et constitue, combinée avec le principe de Compétence-Compétence, un gage d’efficacité de l’arbitrage international.

II.      La reconnaissance d’une loi propre à la clause compromissoire

La conséquence du principe d’autonomie ou de séparabilité implique que la loi applicable à la clause compromissoire peut être distincte de la loi régissant le contrat (a). La différence majeure entre les deux systèmes s’observe dans la méthode de détermination de la loi applicable à la clause compromissoire (b).

a.       Une loi applicable à la clause compromissoire distincte de celle du contrat principal

L’indépendance juridique de la clause compromissoire par rapport au contrat dans lequel elle est insérée, permet de soumettre la clause compromissoire à une loi différente de celle qui régit le contrat principal. Souvent la clause et le contrat seront soumis à la même loi. Toutefois, le principe d’autonomie permet d’envisager deux lois différentes. (G. Born, p. 475).

En France, ce principe est reconnu dans l’arrêt Dalico en date de 1993. La Cour de cassation française a reconnu que la clause compromissoire étant indépendante du contrat principal, elle l’était aussi de toute loi étatique, et que sa validité s’appréciait  selon les règles impératives du droit français, selon l’intention commune des parties. En créant une règle matérielle pour déterminer la loi applicable aux conventions d’arbitrage, la Cour de cassation a donc reconnu que la clause compromissoire n’était pas soumise à la lex contractus car la validité de la clause compromissoire s’apprécie indépendamment de toute loi étatique (le contrat par définition devra, lui, se voir appliquer une loi étatique). C’est une approche favorable à l’arbitrage qui permet au droit français de toujours favoriser les clauses compromissoires et de réduire les cas dans lesquels elles ne s’appliquent pas.

De la même façon, le Federal Arbitration Act, ne précise pas explicitement quelle loi doit s’appliquer à la clause compromissoire. Toutefois, la Cour d’appel du 2nd Circuit, dans Coenen v. R. W. Pressprich, résume la jurisprudence fédérale. Dans cette décision la Cour d’appel a estimé que: « la question d’arbitrabilité, c’est-à-dire si un litige est soumis à une convention d’arbitrage ou non, est une question ‘d’interprétation et d’appréciation’ de celle-ci et est régi par le droit fédéral ». Par conséquent, dès lors que le FAA s’applique, la validité de la clause compromissoire est appréciée au regard du droit fédéral américain. Le droit fédéral, appliqué dans ce cas-là, est d’origine prétorienne et gouverne les questions de validité de la clause compromissoire. Ainsi, la jurisprudence américaine a elle aussi admis que le principe d’autonomie pouvait impliquer qu’une loi différente de la loi du contrat puisse être appliquée à la clause compromissoire, indépendamment de la loi choisie ou désignée dans la relation contractuelle.

b.      Une clause compromissoire autonome et indépendante de toute loi étatique ?

Le principe d’autonomie de la clause compromissoire permet donc à des lois différentes de s’appliquer au contrat et à la clause compromissoire. Ce principe est largement accepté, aussi bien dans le contexte international que dans les deux systèmes juridiques étudiés. Si la clause compromissoire peut se voir appliquer une loi différente du contrat, comment déterminer quelle loi s’applique à celle-ci

En France, dans l’arrêt Dalico de 1993, la jurisprudence écarte l’approche traditionnelle du conflit de lois pour déterminer la loi applicable à la clause compromissoire. Ainsi, pour examiner la validité d’une clause compromissoire, l’intention commune des parties est recherchée sous réserve des règles impératives du droit français et de l'ordre public international. C’est donc une règle matérielle qui est adoptée par la Cour de cassation à laquelle les seules limites sont les lois de police et d’ordre public international.

Cette approche a été libéralisée dans l’arrêt Zanzi en 1999. Dans cette décision, la Cour de cassation est allée plus loin que la notion d’autonomie pour fonder sa décision sur un principe de licéité de la clause compromissoire. Cette approche semblait mettre en place un principe de validité sans « aucune contrainte, ni limite autre que celles pouvant résulter de la volonté des parties » (Christophe Seraglini, Note sous - Cass. civ., 1re, 30 mars 2004). En 2004, la Cour de cassation dans l’arrêt UNI-KOD a repris la solution énoncée dans l’arrêt Dalico: l’application d’une règle matérielle qui rend la clause compromissoire indépendante du contrat sous-jacent et dont la validité s’apprécie selon l’intention commune des parties, sous réserve des règles d’ordre public. Ainsi la validité de la clause compromissoire s’apprécie indépendamment de toute loi étatique.

Aux Etats Unis, lorsque le FAA s’applique, il impose l’application du droit fédéral à la clause compromissoire. Par exemple dans la décision  Chloe Z Fishing v. Odyssey Re, la Cour fédérale de Californie a refusé d’appliquer une clause d’electio juris désignant le droit anglais. Au lieu de cela, considérant que le FAA était applicable, la Cour américaine a estimé que la validité de la clause compromissoire s’apprécie au regard du droit fédéral. Toutefois, il est important de souligner que cela sera le cas seulement si le FAA est applicable, en vertu de son paragraphe 2, lorsqu’il concerne un arbitrage relié au commerce interétatique ou à des transactions maritimes ou internationales. Par conséquent, la règle est donc rattachée au siège de l’arbitrage. Si l’arbitrage ne peut être relié aux Etats Unis ou au commerce interétatique, le FAA ne s’appliquera pas et la solution américaine, quant à la loi applicable à la clause compromissoire, ne pourra s’appliquer.

La comparaison laisse apparaitre une acceptation du principe d’autonomie de la clause compromissoire en droit français et américain. Les deux systèmes juridiques ont tiré les mêmes conséquences de ce principe : une indépendance de la clause compromissoire par rapport au contrat principal. Toutefois, la détermination de la loi applicable à la clause compromissoire est différente dans les deux systèmes. Alors que la France est attachée à l’intention commune des parties seulement, le siège de l’arbitrage pour les cours américaines est l’élément déterminant pour en apprécier sa validité selon les règles établies par la jurisprudence fédérale. 

 

Bibliographie :

Manuels:

- Ph. Fouchard, E. Gaillard, B. Goldman, on International Commercial Arbitration, Savage and Gaillard (ed) (1999)

- Gary B. Born, International Commercial Arbitration, Second Edition (© Kluwer Law International; Kluwer Law International 2014)

- Julian D. M. Lew, Loukas A. Mistelis, et al., Comparative International Commercial Arbitration, Kluwer Law International 2003

- Ch. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, Montchrestien, 2013

- Alan Redfern, J. Martin Hunter, et al, Redfern and Hunter on International Arbitration (Fourth Edition), 4th edition, Oxford University Press.

Articles:

- George A. Bermann, « The "Gateway" Problem in International Commercial Arbitration », 37 Yale J. Int'l L. 1, 3 (2012)

- R. H. Smit, « Separability and Competence-Competence in International Arbitration: Ex Nihilo Nihil Fit? Or Can Something Indeed Come from Nothing? », 13 Am. Rev. Int'l Arb. 19, 19 (2002)

- A. Scott Rau, « Everything You Really Need to Know About "Separability" in Seventeen Simple Propositions », 14 Am. Rev. Int'l Arb. 1, 1 (2003)

- J. J. Barceló III, « Who Decides the Arbitrators' Jurisdiction? Separability and Competence-Competence in Transnational Perspective », 36 Vand. J. Transnat'l L. 1115 (2003)

- P. Mayer, « The Limits of the Severability of the Arbitration Clause, » in Improving the Efficiency of Arbitration and Awards: 40 Years of Application of the New York Convention », ICCA Congress Series No. 9, p. 261 (Kluwer, 1999)

- Ph. Fouchard, Cour de cassation (1re Ch. civile) 5 janvier 1999 - M. Zanzi v. J.de Coninck et autres, Rev. arb.,1999. 262.

- Ch. Seraglini, Cour de cassation (1re Ch. civ.), 30 mars 2004, Rev. arb., 2005. 961.

Jurisprudence Française:

- Arrêt Gosset Cour de cassation, Chambre civile 1, du 7 mai 1963

- Arrêt Dalico Cour de cassation, Chambre civile 1, du 20 décembre 1993, 91-16.828

- Arrêt Zanzi, Cour de cassation, Chambre civile 1, du 5 janvier 1999, 96-21.430

-Arrêt UNI-KOD, Cour de cassation, Chambre civile 1, du 30 mars 2004, 01-14.311,

-Cour de cassation, Chambre civile 1, du 25 octobre 2005, 02-13.252, Publié au bulletin

Jurisprudence américaine:

-Prima Paint Corp. v. Flood & Conklin Mfg. Co., 388 U.S. 395 (1967)

-Coenen v. R. W. Pressprich & Co., 453 F.2d 1209, 1211 (2d Cir. 1972)

-Three Valleys Mun. Water Dist. v. E.F. Hutton & Co., 925 F.2d 1136 (9th Cir. 1991)

-Chloe Z Fishing Co. v. Odyssey Re (London) Ltd., 109 F. Supp. 2d 1236 (S.D. Cal. 2000)

-Buckeye Check Cashing, Inc. v. Cardegna, 546 U.S. 440 (2006)

-Rent-A-Center, W., Inc. v. Jackson, 561 U.S. 63, 130 S. Ct. 2772, 177 L. Ed. 2d 403 (2010)