""ZOOPOLIS" de Will Kymlicka et Sue Donaldson: Entre R-évolution de la Théorie du Droit des Animaux et Utopie" par Camille Debert

Compléter, préciser et élargir la Théorie du Droit des Animaux jugée trop étroite, voici le point de départ des auteurs de «Zoopolis» pour écrire leur ouvrage. Ceux-ci présentent une théorie passant de l’éthique au politique, établissant de nouvelles relations homme/animal basées sur la reconnaissance des droits fondamentaux inviolables et les concepts de citoyenneté, souveraineté, résidence. Des concepts adaptés à l’Homme mais pas à l’Animal qui aboutissent à une théorie fragile et à un récit utopique. 

 

Zoopolis: Entre Evolution et Révolution de la prise de conscience du sort animal. 

Les progrès réalisés dans ce domaine ne font que mettre en exergue le point mort et l’impasse dans laquelle nous nous trouvons encore et toujours à l’heure actuelle quant à la question de la considération animale. 

Evolution, oui, car les pays d’Europe progressent en parlant de la « Théorie de Droit des Animaux » (TDA) dans nos sociétés pourtant faites avant tout et surtout pour les hommes. 

Révolution, oui, car les auteurs de Zoopolis développent par une réflexion novatrice, inédite et aboutie, une nouvelle manière de vivre avec les animaux et de les apprécier.

En les socialisant d’avantage afin de les percevoir et de les appréhender juridiquement de telle sorte qu’ils puissent s’intégrer dans cet espace que nous partageons tous: « la société ». 

Une société où l’animal serait citoyen, ferait partie d’une souveraineté ou serait résident.

Cette théorie forme les prémisses d’une idée d’un nouveau vivre ensemble inédit et inexploité, puisqu’elle s’appuie sur l’octroi aux animaux de concepts s’appliquant d’abord aux humains. 

Alors Zoopolis, évolution inédite (I) ou réflexion irréalisable aux allures utopiques (II)?

 

I. « Zoopolis »:  une révolution dans le monde animal : 

 

L’évolution majeure tenant au passage du point de vue éthique au point de vue politique (A) mais aussi l’appréhension des animaux par le Droit (B) illustrent un caractère inédit et novateur de cette pensée. 

 

A. « Zoopolis »: Quand l’intégration animale passe par la politisation: 

 

Jusqu’alors la TDA s’est concentrée et limitée sur le fait qu’on reconnaissait et octroyait aux animaux la seule notion de « sensibilité » et des droits dits « négatifs » ; de fait, à ce jour la société reste injuste envers eux. Zoopolis leur reconnaît de plus la notion de « vulnérabilité ». La société ayant évoluée et s’étant développée, il est normal que le Droit prenne désormais en considération ce que les auteurs établissent comme étant « la complexité des différentes formes d’interactions qui relient les humains aux animaux ». 

Si dans nos sociétés contemporaines actuelles, les animaux sont de plus en plus considérés en tant que personnes (ou tout du moins tentent de se rapprocher le plus possible de cette notion), la TDA initiale reste en ce sens trop étroite ce qui la rend obsolète, désuète, et surtout inadaptée. 

Afin de remédier à cela, Zoopolis aborde le sujet sous un angle inédit : l’angle de la politique, voyant l’animal en citoyen, en souverain, ou en résident. Un aspect tout à fait novateur pour le Droit. 

La politisation de la théorie, attribuant de fait des droits dits « positifs » aux animaux, entraîne une implication plus importante de l’homme vis à vis des animaux en le punissant, en le condamnant et en le sanctionnant en cas d’abus ou d’injustice à l’égard de ces derniers. On est loin du schéma traditionnel et archaïque voyant l’homme en propriétaire - dominant ; et l’animal en objet -  dominé.

On place l’homme et l’animal au même niveau de telle sorte qu’ils soient tous deux sur un seul et même pied d’égalité. Un tel concept veut alors qu’il y ait une refonte complète du Droit, qui ne reflète plus la société telle qu’elle est, et se doit de changer et d’évoluer législativement. 

En ce sens, pour être crédible, il faut légitimer un nouveau système juridique des animaux et développer cette nouvelle version de la TDA mise en avant par Kymlicka et Donaldson. 

 

C’est donc le passage de l’éthique au politique qui va insuffler un air nouveau et entraîner un bouleversement dans une théorie limitée, inadaptée et dépassée, et faire en sorte que l’animal puisse être appréhendable par le droit, et ce, à part entière.  

 

B. L’Animal appréhendable par le Droit:  

 

Selon les auteurs, les animaux sont « titulaires de droits inviolables ». Ils entrent dans une autre sphère, la sphère juridique, la sphère zoopolitique avec tout ce que cela comprend, et les hommes ont alors bien plus que simplement des devoirs envers eux. 

De par sa vulnérabilité, l’animal acquiert un statut proche de celui de l’homme. Cependant, les auteurs ne vont pas jusqu’à le considérer comme une personne, en choisissant plutôt la notion de « soi vulnérable ». Leur théorie se base sur la notion de « subjectivité animale » qui rend l’animal tout à fait appréhendable par le Droit.  

Un Droit efficace, est un droit basé sur des lois utiles aux individus vulnérables humains ou non. 

Une nouvelle idée de la Justice pour les animaux doit alors passer par le rôle central du Droit qui est d’harmoniser la société et de protéger les êtres les plus faibles vis à vis des dérives et des abus des plus forts. Une égalité basée sur ce que chaque être vivant a en commun à savoir « la vie ». 

Zoopolis, propose une avancée cruciale, en recentrant le débat sur l’octroi de Droits Fondamentaux aux animaux dans le sens d'un Droit à vocation « protectrice » et « punitive », en appliquant le Droit pour ce qu’il est, ce qu’il défend et ce qu’il permet.  

Les animaux tiennent une telle place dans nos sociétés actuelles qu’il est impératif et légitime que le Droit fasse de nouvelles lois à leurs égards, sinon il serait absolument obsolète et ne tiendrait pas compte des changements radicaux dans le relationnel homme / animal.  

Il sera alors question de « Droits Universels et Différenciés » s’appliquant exclusivement et purement aux différentes espèces animales, tenant compte de leurs diversités et statuts parfois complexes.  

Les législateurs doivent considérer l’animal comme un être à part entière, un sujet de Droit; C’est essentiel pour ce rééquilibrage juridique et la mise en place de cette nouvelle théorie. 

Les auteurs tentent d’y parvenir en classifiant les différentes espèces animales afin de cibler au mieux leurs besoins. En les politisant, ils veulent créer une société animale inspirée et même calquée sur un schéma très proche du nôtre puisqu’elle reprend les termes, notions et concepts établis par et pour l’homme, à savoir : les concepts de citoyen, souverain, résident.  

Cette démarche aux allures et aspects plus politiques, hisse l’animal à un rang supérieur de par la reconnaissance de sa « vulnérabilité » en plus de sa « sensibilité ». 

Pour les auteurs, tout être « sensible » est a fortiori « vulnérable »;  De ce fait, ils revoient complètement le schéma homme / animal, sa coexistence dans notre société, son intégration, sa place exacte, son rôle, en l’impliquant d’avantage dans le relationnel que nous les hommes allons entretenir avec lui. Nous sommes bien loin de la théorie de Peter Singer dans sa « Libération Animale » car lui, ne reconnaît la « sensibilité animale » qu’à condition de disposer d’intérêts particuliers à vivre et n’approche pas la notion de « vulnérabilité » de manière particulière.  

 

Cependant, bien que cette théorie paraisse être la solution miracle tant attendue, inédite, complète et attrayante, il faut tout de même en explorer ses failles et limites. 

 

II.  « Zoopolis » une théorie irréalisable et utopique: 

 

Toute la fragilité de cette pensée est qu’elle s’appuie sur des concepts établis pour régir les humains illustrée par une sectorisation des espèces (A), d’où un utopisme rendant la théorie de la politisation irréaliste et irréalisable (B). 

 

A. « Zoopolis »: la sectorisation des espèces:  

 

Afin d’adapter notre Droit aux animaux, cet ouvrage développe l’idée d’une « extension », d’une « adaptation », des Droits de l’Homme à l’animal. 

Comme il a été possible de voir précédemment, les auteurs les différencient selon des catégories bien définies: les animaux domestiques et d’élevages, les animaux sauvages, et les animaux liminaux. 

A chaque type correspond des droits différents et donc des obligations diverses.  

On parviendra cependant à reconnaître qu’ils cherchent à adapter la Justice au plus proche des besoins des différentes espèces; Ce qui est tout à fait nouveau dans ce registre. 

Ils le font en attribuant la notion de « citoyen » à la première catégorie d’animaux (les animaux domestiques et d’élevages), plus proches de nous. En en faisant des partenaires, des compagnons, de part leur docilité, leur domestication et leur confiance. 

Cependant, afin d’y intégrer cette catégorie animale, les auteurs remanient complètement la notion de « citoyenneté », en en changeant le sens afin que les animaux sus - visés puissent être concernés. La « citoyenneté animale » prendrait en compte leurs intérêts dans l’espace public par un aménagement spécifique qui favoriserait leur circulation et leur intégration.  

La citoyenneté animale passe par une volonté exagérée de son insertion et adaptation dans la société. 

Les auteurs de Zoopolis, en voulant trop bien faire (aménagements spécifiques, structures particulières aux animaux) font l’inverse en ne les socialisant pas dans notre environnement tel qu’il est. 

Respectons leur nature et leurs différences, gouvernées par leurs sentiments et leurs instincts et n’essayons pas d’interférer dans leurs comportements innés qui n’entrent pas dans un dictât prôné par l’homme. Ne dit - on pas que le « mieux » est l’ennemi du « bien ».   

W. Kymlicka et S. Donaldson vont à l’encontre de l’idée de base qui est: égalité, insertion et intégration pour ce qu’ils sont! 

Cela est d’autant plus vrai, concernant les animaux sauvages perçus par eux comme des « peuples souverains ». La souveraineté étant l’exercice d’un pouvoir supérieur sur une communauté ou un peuple particulier, cela implique le respect des règles spécifiques les régissant.  

Cette application réductrice ne sera pas adaptée aux animaux sauvages de par leur pluralité et diversité. 

De par leur instinct très développé et une volonté de collaboration moindre avec l’humain (puisque nous sommes dans une relation dominant / dominé), appliquer un tel principe humain à leur encontre n’est pas la notion adéquate car elle est trop simpliste. 

Cette idée reste cependant très louable, puisqu’elle préconise la non - ingérence dans leur façon de vivre pouvant leur être nuisible dans leur autonomie, leur épanouissement et leur sécurité.  

A ce jour, les animaux sauvages sont reconnus comme des « RES NULLIUS » c’est à dire des « choses n’appartenant à personne ». 

Ils ne sont pas considérés comme des « êtres vivants doués de sensibilité », de fait le Droit ne leur reconnaît pas et ne leur accorde pas de protection particulière. La théorie initiale du Droit des animaux (TDA) présente à leur encontre un non sens et un vide juridique immense et aberrant qu’il faudrait au plus vite palier. Notamment en ce qui concerne le braconnage, le commerce de l’ivoire, des peaux, … . 

Quant aux animaux liminaux ( pigeons, rats, écureuils, …) qui n'existent pas sur le plan juridique, les auteurs proposent de les considérer comme des résidents permanents, puisque « par défaut » ils font partie intégrante de la société, car ils « profitent » à nos dépens de nos ressources. Mais, lorsqu’ils deviennent trop nombreux et nuisibles pour l’homme, la solution des auteurs est de les déplacer, de gérer leur alimentation ainsi que leur reproduction. En rapprochant le statut octroyé aux animaux liminaux de la situation que peuvent connaître les migrants, il est force de constater que de tels procédés et solutions ont leurs limites et ne peuvent être appliqués aussi simplement. Le rapprochement  humain / animal est ici très restreint et complément ubuesque, pouvant paraître et apparaître à la limite de l’absurde et surtout de l’ingérable. 

La TDA initiale ne prévoit rien pour cette catégorie d’animaux, il est donc nécessaire de légiférer à leur encontre dans un souci de respect et d’égalité. Encore un vide juridique que  W. Kymlicka et S.Donaldson tentent de combler par le développement de leur nouvelle version de la TDA. 

 

L’appui inadapté sur les concepts humains étant démontré, cette théorie tient plus d’un récit utopique irréalisable dans son ensemble. 

 

B.  Zoopolis ou utopolis: quand la politisation animale devient utopique:

 

Entre théorie et mise en application d’une société où humains et animaux vivraient tous ensemble dans le meilleur des mondes, en se respectant mutuellement, semble complètement utopique et erroné à l’heure actuelle. 

Beaucoup de progrès restent à faire, alors que de nettes améliorations ont été établies concernant leurs Droits universels en tant qu’êtres sensibles et vulnérables. 

En distinguant les groupes animaliers, la démarche semble toutefois facilitée, et plus accessible à la compréhension du « citoyen lambda » quant à leur sort.La politisation du « problème animal » est-elle la solution adaptée pour parvenir à plus de justice à leur égard? 

Les auteursétablissent un nouveau schéma relationnel homme / animal, où l’homme reste cependant le maître du jeu : il s’agit alors plutôt d’une nouvelle théorie des Droits de l’Homme dans lesquels inclure un rôle aux animaux. 

Mais cette théorie présente trop de changements irréalisables surtout sur un plan économique, comme le fait de ne plus tirer partie et profit de certaines espèces animales. Au nom d’une cohabitation inédite et peut - être impossible à concrétiser, n’allons nous pas faire pire que mieux en agissant toujours et encore au nom des animaux. 

Cette théorie est basée sur un mieux vivre ensemble allant vers une amélioration de la considération et du respect animal certes louable; Mais apparaissant complètement utopique dans son élaboration et sa finalité, puisque c’est encore l’homme, qui pour son bien être et sa bonne conscience, cherche à trouver des solutions afin que les animaux soient pour certains « le moins gênants possible » (animaux liminaux), et pour d’autres moins « culpabilisants » (animaux d’élevages, domestiques et sauvages).

Cet ouvrage aborde la question des droits des animaux d’une manière toute nouvelle, inédite et quelque peu déstabilisante de prime abord. Cependant les idées des auteurs restent dans le domaine du « souhaitable » et non du « réalisable » quant à la possibilité de les mettre en pratique. Il en serait de même pour les réformes législatives nécessaires à cette évolution. Il s’agit dans ce livre d’une invitation et d’une réflexion à agir, certes ardue car encore empreinte d’espérances inabouties et lointaines. 

La théorie exposée dans ce livre par Will Kymlicka et Sue Donaldson, ainsi que leurs volontés profondes peuvent alors se résumer en ces quelques mots:  "Je le souhaite plus que je ne l’espère" Utopia, Thomas More (1516). 

 

Bibliographie: 

 

  • « Zoopolis: Une théorie des droits des animaux», écrit par Will Kymlicka et Sue Donaldson, paru en 2011 chez Oxford University Press, traduit en français par Pierre Madelin, postface de Corine Pelluchon, publié en 2016, édition Alma Editeur, rubrique Essai-Société. 

 

  • « La Libération Animale », titre orignal « Animal Liberation » écrit par Singer Peter, préface de Jeangène Vilmer Jean-Baptiste, édition Payot et Rivages Paris 2012,collection Petite Biblio Payot Essais. 

 

  • « Les Droits de l’animal », écrit par Jean-Marie Coulon et Jean Claude Nouet, préface de Raymond Depardon, édition Dalloz.