« Le silence est d’or» ? Analyse comparée du droit de ne pas participer à sa propre incrimination en droit anglais, français et européen - Pauline Danjou

Le silence est d’or. En effet, peut-on demander à quelqu’un de fournir des preuves contre lui-même pouvant, de plus, amener à sa propre condamnation ? N’est-ce pas contraire au Droits de l’Homme et au principe selon lequel chacun doit pouvoir bénéficier d’un procès équitable ? Le principe selon lequel l’individu possède le droit de ne pas participer à sa propre incrimination permet de résoudre une partie de ce dilemme, mais comme souvent, différents intérêts, d’égale valeur, peuvent entrer en conflit nécessitant une limitation de l’un au profit de l’autre.

Selon la maxime, « le silence est d’or, la parole est d’argent ». Comme le fait remarquer Ayat « une chose reste sûre, si on est maître de ses mots avant de les dire, on est leur esclave après ». Dans ce cas, ne serait ce pas plus avantageux pour un prévenu ou inculpé de se taire afin de ne livrer aux enquêteurs ou au tribunal aucune infirmation ayant le potentiel d’entraîner sa propre incrimination ? Cette notion de droit au silence, droit de ne pas participer à sa propre incrimination n’est pas nouvelle. Ce droit a été reconnu en Common Law dès l’abolition de la Court of Star Chamber et se fonde sur la réticence traditionnelle à obliger quelqu’un, sous peine de poursuites, à produire une preuve l’incriminant. En France, il est étonnant de ne trouver aucune mention légale de ce « droit » avant la loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence, garantissant, pour le gardé à vue le droit de garder le silence. Le droit de garder le silence apparaît comme une des facettes les plus étonnantes de la procédure civile mais surtout pénale. Il place en effet d’importantes restrictions sur les enquêtes. En France, la garantie de ce droit est apparue avec la Loi sur la Présomption d’innocence, toute personne doit être considérée comme innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été démontrée. Cela a pour conséquence de placer la charge de la preuve sur l’Etat, le ministère public. Le suspect, réputé innocent, n’a pas à prouver son innocence, il devrait dès lors être libre de parler ou de se taire. L’idée ici est de protéger l’innocent, le suspect ne doit pas être soumis à la contrainte policière, le but, en protégeant son droit au silence, est d’éviter toute erreur judiciaire. Il permet par ailleurs d’éviter à l’inculpé toutes déclarations hâtives ou maladroites qui lui seraient par la suite préjudiciables. Pour Seidmann et Stein, le droit au silence protège les innocents en encourageant les coupables à ne pas donner de faux témoignages, dans cette hypothèse, le silence serait perçu comme un aveu implicite de culpabilité ; la question se posant alors est celle du poids à accorder au silence. Pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après CEDH), le droit de ne pas participer à sa propre incrimination a pour fondement l’Article 6§1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (ci-après CESDH) garantissant le droit à un procès équitable : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi. (…) Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. » Cependant, pour Redwayne, le droit de se taire place le prévenu face à un « trilemne » : se taire et risquer d’être condamné pour refus de coopérer, courir le risque de révéler aux autorités des informations compromettantes, mentir et risquer le parjure.

Le droit au silence et de ne pas participer à sa propre incrimination doit-il être perçu comme un droit absolu nécessaire à la garantie d’un procès équitable ?

Au-delà d’une simple comparaison France/Angleterre, le sujet invite à s’arrêter sur la position du droit européen, plus précisément issu de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et les libertés fondamentales ainsi que de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La comparaison à trois étages, France, Angleterre, Europe est appropriée du fait de l’influence de la CEDH en la matière, notamment vis à vis des limites que les Etats peuvent imposer au droit au silence, nécessaires au bon fonctionnement de la société et de la justice. Comme le souligne Alain Claisse « on peut, dans ce domaine comme dans d’autres, s’attendre à une harmonisation du droit européen ».

I-Fondements du droit de ne pas participer à sa propre incrimination

Le privilege against self incrimination consacré en Common Law veut qu’une personne à qui l’on demande de produire une preuve dans un contexte judiciaire ou quasi judiciaire, s’exposant ainsi à des poursuites, puisse invoquer le privilege against self incrimination afin que cette preuve ne soit pas versée au débat (Section 14(1) du Civil Evidence Act de 1968). La première définition de ce droit a été donnée par le juge Goddard dans Blunt v. Park Lane Hotel en 1942.

Ce privilège s’applique à la fois en matière civile et en matière pénale. C’est cependant en matière pénale que se trouve tout l’enjeu, puisqu’il s’agit en général de décider de la liberté ou de l’incarcération de quelqu’un.

Au civil, une partie peut invoquer ce privilège, cette immunité, afin d’éviter de produire une preuve, même si elle y a été contrainte par un ordre de la Cour. Cette solution a été réaffirmée dans l’affaire Rank Film Distribution Ltd v. Video Information Center 1988. Cependant, ce privilège est de plus en plus sujet à controverse, en particulier lorsqu’il permet d’éviter la production de preuves essentielles au débat comme ce fut le cas dans l’affaire AT and T Istel Ltd v. Tully en 1993. S’exprimant sur cette affaire, Lord Templeman a noté que le « privilege against self incrimination », dans le cadre d’un procès civil, était un procédé archaïque et injustifiable. Pour Lord Griffiths, cette immunité doit être réévaluée. Malgré ces prises de position en faveur d’une réduction de cette immunité, elle a été réaffirmé en 1999 dans la décision Cobra Golf Inc où une des parties accusées de « comptent of Court » pour ne pas avoir produit un élément de preuve, et ce malgré une astreinte (« disclosure order »), a été autorisée à invoquer cette immunité à son profit. Avant la Loi du 5 juillet 1972, la tradition française voulait que nul ne soit forcé de prouver contre lui-même. La Loi du 5 juillet 1972 a modifié l’article 10 du Code Civil qui consacre dorénavant le fait que « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui se soustrait, sans motif légitime, à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis peut être contraint d’y satisfaire, au besoin sous peine d’astreinte ».

C’est surtout en matière pénale que le droit de ne pas participer à sa propre incrimination trouve sa véritable dimension. Les enjeux sont différents et impliquent en général la liberté ou la mise en détention d’un individu. Pour John McKenzie « le droit au silence (…) est une fibre étroitement tissée du système de la justice pénale » britannique (The Great Fiasco, NLJ, 13 mai 1994). Pour Jackson, il s’agit d’un « droit souvent décrit comme la référence de la justice britannique ». En effet, il permet d’équilibrer la balance de la justice. Il n’y a pas, en Angleterre d’obligation de parler à la police ou de fournir des preuves à l’audience, aucun désavantage ne devrait découler du refus du défendeur de coopérer avec la police ou de témoigner. Ce droit est reconnu par l’avertissement fait par la police à tout prévenu « you do not have to say anything. But it may harm your defence if you did not mention when questionned something which you later rely on in court. Anything you do say may be given in evidence » R v. Keeling 1942 (vous n’êtes pas obligé de dire quoi que ce soit, mais votre défense pourrait souffrir du fait que vous n’ayez pas mentionné lors de votre interrogatoire un élément que vous utiliserez à l’audience. Tout ce que vous direz pourra servir de preuve). Cette mise en garde obligatoire prévue par la procédure anglaise est une véritable incitation à parler à la police. Le prévenu est averti que s’il possède une défense, il a tout intérêt à l’exposer tout de suite, au risque de voir sa défense mise en doute au cours de l’audience s’il n’a pas parlé avant. Cependant, le droit au silence en Angleterre n’est pas absolu et peut être limité quand les circonstances l’exigent (cf infra). En droit français la situation est plus ambiguë, le droit pénal n’a reconnu que tardivement la possibilité pour le prévenu de garder le silence. Il est d’ailleurs étonnant qu’un des pays ayant intégré les Droits de l’Homme à son bloc de constitutionnalité n’ait reconnu le droit du prévenu de se taire qu’en 2000. Avant cela le prévenu se trouvait dans une situation d’isolement, notamment lors de la phase de garde à vue. La réforme de 1993 visant à renforcer les droits de la défense a permis au prévenu de bénéficier d’une amélioration des conditions de détentions (droit de téléphoner à un proche ou de subir un examen médical). La loi du 15 juin 2000 sur la présomption d’innocence dispose qu’une personne placée en garde à vue doit être directement informée de son droit de ne pas répondre aux questions posées par les enquêteurs. La loi du 4 mars 2002 (Article 3 II) a voulu rendre le mutisme du gardé à vue moins naturel en instaurant un nouvel avertissement l’informant de son droit « de faire des déclarations, de répondre à des questions ou de se taire ». Cependant, l’article 19 de la Loi du 18 mars 2003 pour la Sécurité Intérieure a abrogé cette disposition de l’article 63 alinéa 1 du CPP. Le gardé à vue jouit toujours du droit de se taire mais il n’en est pas informé, ce qui laisse septique sur la possibilité pour le prévenu de se prévaloir d’un droit dont il ignore l’existence. Le régime des nullités (article 171 et 802 CPP) protège les droits de la défense mais précise qu’il ne peut y avoir nullité que lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne.

Il est aujourd’hui difficile de savoir clairement quelle est la position de la CEDH vis à vis du droit au silence et de ne pas participer à sa propre incrimination. Une étude chronologique permet de ses décisions permet de comprendre le chemin parcouru. La CEDH a été saisie assez tard de la question du droit au silence sur un recours individuel contre la France dans l’affaire Funke c. France (Aff. 82/1991/334/407, 25 février 1993). La Commission EDH a saisi cette opportunité pour annoncer l’existence d’un « principe général consacrant le droit de ne pas témoigner contre soi même » basé sur le §1 de l’Article 6 de la CEDH garantissant le droit à un procès équitable (« toute personne a droit à ce que sa cause soient entendu équitablement »). C’est l’arrêt Funke c. France qui a permis de poser pour la première fois le droit de se taire. Funke avait refusé de fournir des informations aux officiers des douanes à propos des intérêts de ses comptes à l’étranger. Il a été poursuivi et contraint au paiement d’une astreinte journalière. Pour la CEDH, les douanes ont provoqué la condamnation de Funke dans le but d’obtenir des informations dont elles supposaient l’existence violant ainsi les dispositions de l’article 6§1 « les particularités du droit douanier ne sauraient justifier une telle atteinte au droit pour tout accusé, au sens autonome que l’article 6 attribue à ce terme, de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination ». Le 17 décembre 1996, la Commission fut à nouveau amenée à se prononcer sur le droit de se taire dans l’affaire Saunders (23 EHRR 313). Saunders, directeur de la société McGuiness avait été forcé de répondre aux questions des inspecteurs en vertu du Companies Act 1985 qui prévoyait des poursuites pour outrage en cas de refus de coopérer, plaçant Saunders face à une obligation de répondre. La Commission EDH décida que l’article 6§1 de la Convention avait été violé lors de la condamnation de Saunders permise grâce à l’obtention forcée d’une preuve au mépris de la garantie selon laquelle nul ne doit être forcer de s’auto-incriminer : « toute personne qui s’incrimine sous la menace d’une sanction (…) et fournit des preuves à sa décharge utilisées à l’audience peut se voir causer un sérieux préjudice, peut être plus grand que la personne qui aura subi une sanction pour avoir refusé de répondre à son détriment ». Le droit de ne pas s’auto incriminer fait partie des standards reconnus internationalement, permettant d’assurer l’équité procédurale. La CEDH confère donc une grande force au droit de ne pas participer à sa propre incrimination. Peut-on pour autant considérer qu’elle en fait un principe absolu ? L’arrêt Murray, rendu par la Grande Chambre le 8 février 1996, remet en cause le caractère « absolu » du droit au silence. Murray avait été arrêté à Belfast, soupçonné de terrorisme et d’appartenance à l’IRA. On lui a appliqué l’Order de 1988, reproduit par l’Act de 1994 sur l’ordre public et la justice pénale. Murray choisit lors des interrogatoires de ne pas répondre et ne pas témoigner à son procès. Il fut condamné sur les déductions du juge. Pour sa défense, Murray invoqua la violation de l’Article 6 de la CESDH par l’Order de 1988. L’Order contient des restrictions au droit au silence : la possibilité pour la Cour de tirer des conclusions déterminées par le silence de l’accusé (art 3) et la faculté pour ceux qui ont la parole au procès de faire des allusions à ce silence dans un sens accablant pour l’accusé (art 4). Pour le gouvernement britannique, l’Order garantit la possibilité de garder le silence. Par ailleurs, Murray ne fut pas contraint de déposer lors de son procès, les juges n’ont fait que tirer des conclusions de « bon sens » (common sense) sur les implications de ce silence. La question à laquelle la CEDH doit répondre est la suivante : est-ce que le droit au silence est un absolu interdisant au juge de tirer des conséquences du dit silence ? La Commission EDH décida, qu’en l’espèce, ni le droit à un procès équitable, ni le droit à la présomption d’innocence n’avaient été violés. Pour la Commission, il s’agit d’établir un test dont les critères sont : le poids des charges contre l’accusé, pas de limitations importante au droit de garder le silence, la prise en compte de la composition du tribunal. En 2001, un nouvel arrêt est venu jeter le trouble sur la véritable étendue du droit de ne pas participer à sa propre incrimination. Il s’agit de l’affaire Heaney and McGuiness v Ireland (2001, 2 WLR 817 PC). Heaney et McGuiness avait été arrêtés car ils étaient soupçonnés d’avoir pris part à des attaques terroristes à la bombe. Les enquêteurs leurs demandèrent de fournir un rapport de leurs faits et gestes au moment de l’attaque en vertu de la section 52 de l’Offence Against State Act 1939. Selon cette loi, le refus de répondre était constitutif d’une infraction de pénale sanctionnée par six mois de prison. Ils refusèrent de répondre et furent condamnés. Pour la CEDH cela constitue une violation de l’Article 6 car le degré de contrainte utilisé, aggravé par la menace d’une peine de prison, avait eu pour conséquence de les forcer à donner des informations compromettantes ayant ainsi pour effet de détruire l’essence même du droit de garder le silence.

La CEDH, garante des droits de l’Homme et du respect des libertés individuelles, reconnaît la possibilité pour les Etats Membres de limiter la portée du droit au silence et de ne pas participer à sa propre incrimination.

II-Les limitations posées par l’Etat au droit de garder le silence

Comme nous l’avons vu précédemment, en matière civile anglaise, le privilege against self incrimination est de plus en plus contesté. Qualifié de « procédé archaïque », il fait l’objet de vives critiques de la part des juges et de la doctrine. De façon générale, pour les partisans de son abolition, ce droit permet aux criminels d’étayer leur défense et de bénéficier d’acquittements non mérités ; de plus, il entrave l’action de la police en paralysant les enquêtes. En France la situation est différente, ce droit n’est pas inscrit dans le CPP, l’article 63-1 ne le mentionne plus depuis la réforme de 2003.

Le droit au silence peut, dans une certaine mesure être confronté à d’autres droits d’égale valeur. Pour éviter cela, le législateur anglais a mis en place tout une série de limitations légales au droit privilege against self incrimination, afin de garantir le maintien de l’ordre public. A titre d’exemple, la Section 98 du Children Act 1989 prévoit que, dans les affaires impliquant la garde et la protection d’un enfant, personne ne peut se dispenser de fournir une preuve ou de répondre à une question au motif qu’en le faisant elle risquerait de s’auto-incriminer ou d’incriminer son conjoint. De même, la Section 2 du Criminal Justice Act 1987 permet au directeur du Serious Fraud Office (bureau des fraudes graves) de demander à quiconque suspecté de fraude sérieuse ou complexe de répondre à des questions ou de fournir des documents. L’exemple le plus controversé concerne le Road Traffic Act de 1988 qui a donné lieu à une prise de position de la CEDH. Un premier arrêt des juridictions britanniques a montré les rapports conflictuels que pouvaient entretenir sécurité publique et privilege against self incrimination. Dans Brown v. Stott ((2003) 1AC 681), les Cours britanniques ont du se prononcer sur l’adéquation entre le Road Traffic Act de 1988 et l’Article 6 de la CESDH. La section 172(2) prévoit que « quand le conducteur d’un véhicule est suspecté d’avoir commis une infraction au Code de la Route, le propriétaire du dit véhicule se doit de fournir l’identité du conducteur ». Le Privy Council a déclaré que « le grand nombre de morts et blessés sur les routes dus à la mauvaise utilisation de véhicules motorisés constituait un problème assez sérieux pour qu’une entorse soit faite aux droits conférés par l’article 6 de la CESDH » (the High incidence of death and injury on the roads caused by the misuse of motor vehicules was a sufficiently serious problem to justify some incursions on Article 6 rights). Le Privy Council opère une balance entre le but recherché et les limitations que cela impose sur les libertés individuelles. Le résultat est-il proportionné ou non ? Avec l’adoption du Human Rights Act en 1998, cette solution aurait pu être différente. Contrainte de suivre les décisions de Strasbourg, les Cours anglaises auraient dû, si le HRA avait été en vigueur au moment de l’adoption de Brown v Stott, appliquer le principe de Funke. Dans le sillon de cette décision, la CEDH a, elle aussi, eu à connaître de l’adéquation du Road Traffic Act avec l’Article 6 de la CESDH dans l’affaire O’Halloran and Francis v. UK (Application Nos 15809/02 et 25624/02, 29 juin 2007). Les véhicules de O’Halloran (ci-après O) et Francis (ci-après F) ont été surpris en excès de vitesse. Il leur a été demandé, par application de la section 172(2) du Road trafic Act de fournir l’identité des conducteurs. O. a alors admis qu’il conduisait lors de l’infraction, mais tenta par la suite de faire annuler son aveu lors de l’audience, invoquant notamment l’article 6 de la CEDH. Selon lui, l'aveu concernant son identité avait été obtenu sous la menace et était de ce fait, en vertu de l’Article 6 de la CEDH, inutilisable car contraire au principe selon lequel chacun doit bénéficier du droit au procès équitable, et que nul ne doit être contraint de faire preuve contre lui-même. Cependant, dans cette affaire, les magistrats britanniques ont suivi la position du Privy Council dans Brown v. Stott. F. de son coté a refusé de répondre invoquant son droit de garder le silence et le privilege against self incrimination. Son procès a eu lieu et il a été condamné. Deux questions se posèrent à la CEDH : peut on utiliser une preuve obtenue en violation manifeste du droit de ne pas s’auto-incriminer ? Dans quelle mesure quelqu’un peut-il encourir une sanction pénale s’il refuse de fournir une preuve pouvant l’incriminer ? La CEDH réaffirma sa position de Murray, le droit au silence n’est pas absolu, et ce en dépit de la menace directe qui avait pesé sur les demandeurs. La CEDH indiqua que « les éléments d’un procès équitable ne sont pas fixes et varient en fonction des particularités de chaque espèce ». En accord avec la position de la Grande Chambre en 2006 dans l’Affaire Jalloh v Germany (no. 54810/00) établissant le test à appliquer pour déterminer si le droit de rester silencieux et de ne pas participer à sa propre incrimination du demandeur a été bafoué, la Cour se concentrera sur la nature et le degré de la contrainte utilisée pour obtenir la preuve, l’existence de garanties lors de la procédure et, enfin, de l’utilisation faite de la dite preuve lors du procès. La CEDH a admis qu’en l’espèce la contrainte était directe et de nature pénale, cependant, la Cour nota que la contrainte était issue du fait que, quiconque possédant un véhicule à moteur acceptait, par la même, de se soumettre au Code de la route ainsi qu’à la réglementation routière. De ce fait, O’Halloran et Francis avaient accepté par avance, en prenant le volant, la responsabilité et les devoirs en découlant. Au Royaume-Uni, ces responsabilités incluent l’obligation de divulguer l’identité du conducteur en cas d’infraction au code de la route. Cette nouvelle décision de la Cour de Strasbourg jette le trouble sur la cohérence d’ensemble de sa jurisprudence. Par le passé, elle semblait bien plus protectrice des libertés individuelles, notamment de la nécessité de garantir un droit de garder le silence et de ne pas participer à sa propre incrimination. Cette position était particulièrement évidente dans les arrêts Funke et Saunders, Heaney et McGuiness cependant, la décision de l’affaire Murray est venue tempérer la position européenne qui semblait jusque là absolutiste. Murray a établi que le droit au silence n’est pas un droit absolu et peut, dans certaines circonstances, être limité. Jalloh v Germany a établi le test applicable en la matière, test réutilisé dans l’Affaire O’Halloran and Francis. Cependant, il est difficile de ne pas avoir le sentiment que le droit de garder le silence reste opaque et que la jurisprudence de Strasbourg, censée harmoniser les différences entre les Etats contractants, fluctue en fonction des circonstances. La question reste hautement politique, la Cour ne souhaitant pas aller à l’encontre de politiques nationales mises en place par les Etats Membres (notamment les politiques sécuritaires à propos du respect du code de la route). Ce qui est certain, c’est que la France et le Royaume-Uni ont choisi d’adopter une position très différente sur la question. Le droit européen permet une harmonisation par le haut, consacrant un droit de garder le silence même si sa portée peut être limitée.

Bibliographie : Ouvrages français : - Serge Guinchard et Jacques Buisson, Procédure pénale 3e édition - Girard, C., Culpabilité et Silence en Droit Comparé, L’Harmattan, 1997 - Conte, P., Maistre du Chambon, P., Procédure Pénale, 4ème Edition, Armand Colin - Fourment, F., Procédure Pénale, Paradigme Publications Universitaires - Code de Procédure Pénale, Dalloz - Code Civil, Dalloz

Articles français : - Koering-Joulin, Droit de se taire et ne pas s’incriminer soi meme, Revue de science criminelle, 1997, p. 476 - Ayat, M., Le silence prend la parole : la percée du droit du de se taire en droit international pénal, Archives de politique criminelle 2002- 1 (n° 24) http://www.cairn.info/article_p.php...

Ouvrages anglais : - Evidence fifth edition , law cards series , édition : Routledge Cavendish - Peter Murphy, Murphy on evidence, ninth edition ,, édition Oxford University Press - Keane, Modern Law on Evidence, Oxford - Birdling, M. Self-Incrimination goes to Strasbourg : O’Haloran and Francis v United Kingdom, The International Journal of Evidence and Proof, 12, 2008, pp. 58-63

Articles anglais : - Redmayne, M., Rethinking the Privilege Against Self-Incrimination, Oxford Journal of Legal Studies, Vol 27, No 2 (2007), pp 209-232