« The Rome Statute and the European Convention on Human Rights »By Lucius Caflisch, Strasbourg, In “Human Rights Law Journal” Vol. 23 No. 1-4, 30 September 2002, pages 1-12 par Camille Billet.

- Le principe de procès équitable - dont deux des composantes sont la rapidité de la justice et la publicité des procédures - est garanti par l’article 6 CESDH. - L’exigence de célérité est reprise par le Statut de Rome relatif à la Cour Pénale Internationale. La CEDH examine son respect par les autorités nationales au cas par cas. - Le principe de publicité connaît des restrictions liées à différentes raisons: raisons d’ordre moral selon l’article 6 CESDH, protection des victimes et des témoins, sécurité nationale d’un Etat selon les articles 68, 72 et 73 du Statut de Rome.

La garantie du droit à un procès équitable renvoie le juriste à l’article 6 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CESDH) signée à Rome le 4 novembre 1950 ( et entrée en vigueur le 3 septembre 1953). Cette garantie trouve des équivalents dans la plupart des conventions internationales et régionales de protection des droits de l’homme et est aujourd’hui universellement acceptée comme principe général du droit. Qu’en est-il de cette garantie en droit international pénal et plus précisément devant la Cour Pénale Internationale (CPI) instaurée en juillet 2002 à la Haye pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des crimes de génocide ? Le Statut de Rome du 1er juillet 1998 qui est à la base de la CPI a repris à son compte les composantes du droit à un procès équitable telles que le principe d’égalité des armes des parties au procès, l’exigence de publicité des débats, l’exigence que les affaires soient réglées dans un délai raisonnable, etc…. Cependant, les circonstances très particulières liées aux procès pénaux internationaux et aux crimes en question peuvent expliquer certaines différences entre l’article 6 CESDH et les dispositions équivalentes du Statut de Rome. L’article étudié ici met en comparaison ces dispositions au regard de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) – l’organe de contrôle de la CESDH – et des expériences des tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) et pour le Rwanda (TPIR). Mettant en avant les similitudes et les différences de ces dispositions, il s’intéresse aux éventuels conflits qui pourraient en découler, imaginant même un contrôle par la CEDH du respect du principe de procès équitable par la CPI. Il s’agit ici de se concentrer sur deux des composantes du concept de procès équitable – celle de délai raisonnable (1) et celle de publicité des débats (2) – et d’entrer dans cette intéressante comparaison.

__ I : L’exigence de respecter un délai raisonnable

a) Le délai raisonnable dans les procédures principales__

L’article 6(1) CESDH prévoit que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien –fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…). » Cette phrase de la CESDH contient à elle seule de nombreuses garanties mais il convient de s’intéresser en premier lieu à la garantie de rapidité et d’efficacité de la justice puisque plus de la moitié des affaires qui sont soumises à la CEDH sont relatives au respect de l’exigence de délai raisonnable de l’article 6(1) CESDH.

Appréciation par la CEDH : Pour contrôler le respect de cette exigence par les autorités nationales, la Cour préfère l’examen approfondi de chaque cas plutôt que le respect systématique d’une durée maximale de principe. Même si l’on peut relever que de manière générale, des procédures qui durent plus de cinq ans sont jugées trop longues, la Cour examine les critères suivants dans les circonstances particulières de chaque cas : la complexité du litige, le comportement des requérants, et le comportement des autorités mises en cause. La Cour rappelle souvent l’importance de l’exigence de célérité des procédures, et exige notamment une célérité particulière lorsque le sort du détenu est en cause, notamment si son espérance de vie est réduite. Cependant, elle a plusieurs fois affirmé que «la célérité particulière à laquelle un accusé détenu a droit dans l’examen de son cas ne doit pas nuire aux efforts des magistrats pour accomplir leur tâche avec le soin voulu » (CEDH, 26 janvier 1993, W. c/ Suisse, Série A, n° 254-A, §§41-42).

L’exigence de célérité dans le Statut de Rome : La particularité des affaires pénales internationales, la complexité des faits, la difficulté de faire venir des témoins, la succession de procédures nationales et internationales, les problèmes de traduction, etc.… sont autant de facteurs favorisant la durée de ce type de procédure. Il va cependant de soi qu’un délai raisonnable doit être respecté dans les procédures pénales internationales soumises à la CPI. L’article 64(2) du Statut de Rome prévoit ainsi que « la Chambre de première instance veille à ce que le procès soit conduit de façon équitable et avec diligence » et l’article 67(1)(c) assure à l’accusé le droit d’ « être jugé sans retard excessif ».

b) le délai raisonnable lors d’une mise en détention provisoire

L’article 5 CESDH affirme le droit fondamental à la liberté, en conséquence duquel la détention provisoire ne doit en principe qu’être exceptionnelle. Pour la CEDH, une détention provisoire peut être justifiée sous certaines conditions (base légale en droit interne, motifs suffisants, lien de proportionnalité), mais il est alors indispensable que l’intéressé soit aussitôt traduit devant un juge, et qu’il soit jugé dans un délai raisonnable (cf. CEDH, 26 juin 1991, Letellier c/ France, Série A, n° 207).

Selon l’article 58(1) du Statut de la CPI, le fait de maintenir un suspect en détention provisoire peut se justifier si la Chambre préliminaire est convaincue « a) Qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour ; et b) Que l’arrestation de cette personne apparaît nécessaire pour garantir : i) Que la personne comparaîtra ; ii) Qu’elle ne fera pas obstacle à l’enquête ou à la procédure devant la Cour, ni n’en compromettra le déroulement ; ou iii) Le cas échéant, qu’elle ne poursuivra pas l’exécution du crime dont il s’agit ou d’un crime connexe relevant de la compétence de la Cour et se produisant dans les mêmes circonstances ». Le détenu peut demander sa mise en liberté à tout moment et la Chambre Préliminaire devra alors réexaminer les conditions de l’article 58(1). Il n’est pas mentionné, dans l’article, que l’exigence de célérité soit rappelée par le Statut ou dans les règles de procédure et de preuve au stade de la détention provisoire. D’après l’auteur, ces dispositions prouvent que le danger lié à des mises en détention provisoire abusives et trop longues a diminué depuis la signature de la CESDH. Ce danger n’a pour autant disparu. Ces dispositions sont une preuve du pragmatisme des auteurs du Statut de Rome, et de leur grand attachement à la protection des droits de la défense. Ils ont prêté attention à la jurisprudence de la CEDH et du TPIY qui s’est libéralisée à la fin des années 1990. (Note : Jusqu’en 1999, les règles de procédure et de preuve du TPIY exigeaient que des « circonstances exceptionnelles » soient prouvées pour justifier d’une mise en liberté provisoire ; après 1999 seules la garantie de la présence de l’accusé à son procès, et l’absence de danger pour les victimes sont requises pour autoriser la mise en liberté provisoire).

__II : L’exigence d’assurer la publicité des débats

a) principe :__

L’exigence de publicité des procédures est un principe général du droit international pénal que l’on retrouve à l’article 6(1) CESDH et à l’article 67 du Statut de la CPI. Cette exigence apparaît comme une condition indispensable pour assurer l’impartialité de l’autorité et respecter l’exigence d’équité du procès. Elle implique en principe que l’accusé puisse prendre connaissance de l’intégralité du dossier, et notamment des témoignages prononcés contre lui.

Ainsi, l’article 6(3)(d) CESDH prévoit le droit pour tout accusé d’« interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».

L’article 67(1)(e) du Statut de la CPI reprend mot pour mot cette disposition, (l’accusé a donc le droit d’ « interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la comparution et l’interrogatoire des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge) à laquelle est ajouté que « l’accusé a également le droit de faire valoir des moyens de défense et de présenter d’autres éléments de preuve admissibles en vertu du présent Statut ».

b) Restrictions au principe :

Les restrictions d’ordre moral de l’article 6 CESDH : L’article 6(1) CESDH prévoit que «l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice ». La CEDH admet de plus qu’un plaideur puisse lui-même, de son plein gré, et à condition que cette décision ne soit pas équivoque, renoncer à l’exigence de publicité (Haranksson et Sturesson c/ Suède, 21 février 1990, Série A, n° 171).

Les restrictions liées à la sécurité des victimes et des témoins de l’article 68 du Statut de la CPI : Etant donné la particularité des affaires présentées à la CPI, la protection des victimes et des témoins – qui souvent ont les deux attributs à la fois – doit pouvoir assez aisément justifier une restriction du droit de l’accusé à un procès public. Les victimes et les témoins des crimes de guerre, de crimes de génocide et des crimes contre l’humanité ont acquis avec le Statut de Rome une place toute nouvelle dans la justice internationale, et leur protection est une tâche reconnue comme centrale par les promoteurs de la Cour. Un manque de sécurité mettrait les éventuels témoins en danger, et si des pressions ou des représailles pèsent sur eux, c’est la justice internationale elle-même qui en sera menacée. Ainsi, L’article 68 du Statut de Rome et la Règle 87 du Règlement de Procédure et de Preuve de la CPI (RPE) semblent régler les éventuels conflits entre des droits de l’accusé et la sécurité des témoins. Ils prévoient la possibilité pour la Cour de prononcer le huis clos et de prendre des témoignages en vidéoconférence lorsque la sécurité des témoins et victimes est menacée. ( Note : De plus, le greffe a été chargé du rôle capital de créer « une division d’aide aux victimes et aux témoins (…) chargée, en consultation avec le Bureau du Procureur, de conseiller et d’aider de toute manière appropriée les témoins, les victimes qui comparaissent devant la Cour et les autres personnes auxquelles les dépositions de ces témoins peuvent faire courir un risque, ainsi que de prévoir les mesures et les dispositions à prendre pour assurer leur protection et leur sécurité.» (Article 43-6 du Statut). Les règles 16 à 19 du Règlement fournissent des précisions supplémentaires. Ainsi, avant, pendant, et après le procès, il faut : assurer la protection de toutes les personnes pouvant être mises en danger par la Cour (victimes, témoins, mais aussi les membres de leurs familles par exemple), aider les victimes à s’organiser juridiquement et leur fournir un encadrement psychologique et médical.)

Les restrictions en cas de menace de la sécurité nationale des articles 72 et 73 du Statut de la CPI : Les considérations liées à la sécurité nationale sont aussi prévues comme pouvant justifier des restrictions à l’exigence de publicité des affaires par le Statut de la CPI, qui accepte que certaines informations ne soient pas divulguées si un Etat estime que ceci porterait atteinte à sa sécurité nationale. Les articles 72 et 73 du Statut de Rome ainsi que la Règle 73 du RPE détaillent les modalités de cette non divulgation.

CONCLUSION : « Du contrôle par la CEDH du respect par la CPI du principe de procès équitable » L’auteur a imaginé que la CEDH soit saisie pour contrôler, sur la base de l’article 6 CESDH, le travail de la CPI et notamment son respect des exigences liées au principe de procès équitable.

En ce qui concerne l’exigence de célérité, l’auteur propose tout d’abord qu’en cas de longueurs dans les procédures, la CEDH oblige la CPI à accélérer ses démarches. Mais il rappelle alors que la CEDH insiste sur l’application des magistrats dans leur travail et que la rapidité requise ne doit pas nuire à la justice. Il rappelle aussi que la CEDH examine les circonstances particulières de chaque cas et qu’elle considérera avec grande attention les difficultés inhérentes aux affaires soumises à la CPI, qui de par leur nature sont des affaires exceptionnellement importantes et compliquées.

Pour ce qui est de l’exigence de publicité, l’auteur évoque que certaines des règles de procédure régissant la CPI pourraient conduire des personnes accusées à se retourner contre celle-ci en demandant le contrôle de la CEDH. L’auteur conseillerait alors à la CEDH de « faire preuve de flexibilité et de se souvenir, une fois de plus, des difficultés particulières et de l’exceptionnalité des circonstances des affaires soumises à la CPI ».

De manière générale, il apparaît que les règles de procédure de la CPI sont légèrement différentes de celles applicables aux procédures pénales « ordinaires ». Bien sûr, ce que rappellent les défenseurs des droits de l’homme, c’est que la justice, pour être efficace, doit être rapide, et sûre, les procès publics, et les peines admises…Mais devant la CPI, on aurait tendance à accepter un certain retrait des acquis en matière de droits de l’homme, et notamment de droits de la défense. Certains se demandent si cela est justifié, et admissible. Il faut alors rappeler l’enjeu du bon « fonctionnement » de la CPI : il s’agit de la paix entre les peuples ! C’est forts de la conscience de cet enjeu que les juges de la CPI concilieront le mieux les droits de la défense et la nécessité de rendre justice. Et alors peut-être, rendront-ils des arrêts qui « feront jurisprudence » et auxquels leurs successeurs se tiendront, fidèles à la tradition juridique anglo-saxonne. Ainsi, une limitation relative des droits de la défense pourra être présentée comme admissible « au nom de l’intérêt supérieur de la Justice », et justifiée « par le précédent ». Reste à espérer que les juges de la jeune CPI aient toujours cet enjeu à l’esprit ; nous leur faisons confiance.

__ BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE :__ Documents officiels : - Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale du 17 juillet 1998 entré en vigueur le 1er juillet 2002. - Règlement de Procédure et de Preuve de la Cour Pénale Internationale entré en vigueur le 9 septembre 2002. - Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales adoptée le 4 novembre 1950 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

Décisions : - CEDH, 21 février 1990, Haranksson et Sturesson c/ Suède, Série A, n° 171 - CEDH, 26 juin 1991, Letellier c/ France, Série A, n° 207 - CEDH, 26 janvier 1993, W. c/ Suisse, Série A, n° 254-A, §§41-42

Ouvrages : - Cassese, Antonio, « The principle of fair and expeditious trial » in Cassese, Antonio, « International Criminal Law”, Oxford University Press, 2003, pages 395 à 400. - Favoreu, Louis, « Droit des libertés fondamentales », 1ère édition, 2000, Dalloz, Paris, pages 432- 455. - S. Sunga, «Ffull respect of the rights of suspect, accused and convict : from Nuremberg and Tokyo to the ICC », dans « Le droit pénal à l’épreuve de l’internationalisation », publié par Marc Henzelin et Robert Roth, LGDJ Paris, Georg Editeur Genève, Bruylant Bruxelles, 2002, pages 217 à 239.