Admissibilité de la preuve par vidéosurveillance au Royaume-Uni et en France - par Mathilde SERRE

De nos jours la vidéosurveillance peut être utilisée comme mode de preuve devant les tribunaux, toutefois le juge ne l’admettra pas systématiquement. En effet, aussi claire et indéniable qu’elle puisse parfois être, cette preuve doit malgré tout respecter de nombreuses règles et principes afin d’être licite. Nous verrons dans cet article quels sont les différents critères indispensables à l’admissibilité d’une preuve acquise grâce au système de vidéosurveillance, au Royaume-Uni et en France.

L’audiovisuel est un secteur en pleine expansion, et nous sommes chaque jour confrontés aux technologies de l’image sans même y prêter attention, notamment par le biais des caméras de surveillance. La CCTV n’est autre que le terme anglais employé pour désigner la vidéosurveillance (closed-circuit television). Il n’existe pas de pays où elle ne soit plus présente qu’au Royaume-Uni, où on la retrouve tout autant dans les lieux dits ‘privés’ que dans les lieux publics : les caméras abondent en plein centre ville, alors que dans les autres pays européens ou aux Etats-Unis on les trouve essentiellement dans les centres commerciaux (T. Newburn et S. Hayman, Policing, surveillance and social control : CCTV and police monitoring of suspects, Willan 2002, p.155), transports ou banques. Ainsi, la vidéosurveillance a rencontré de nombreux obstacles en France, c’est pourquoi elle y est désormais réglementée de manière assez restrictive.

Dans leur article intitulé "When evidence is a question of image" (Law Society Gazette, 13 Mai 2004) Leslie Bowie, Stephanie Plews et Michael Bromby discutent des avantages et inconvénients liés à l’utilisation du facial mapping comme mode de preuve devant les tribunaux. Le facial mapping est un procédé de comparaison entre plusieurs images - du délinquant et du suspect - afin de déterminer si elles mettent en scène la même personne. Lorsqu’un tel mode de preuve est invoqué au cours d’un procès, les juges ont la plupart du temps recours à l’interprétation d’experts.

Nous nous intéresserons donc à la question de la recevabilité de la preuve par vidéosurveillance devant les tribunaux anglais et français. Les auteurs de ce texte commencent par mentionner les modalités d’utilisation de la vidéosurveillance, notamment les différentes techniques existantes (I), puis abordent plus spécialement la question de l’admissibilité de ce mode de preuve (II).

I- Modalités d’utilisation de la vidéosurveillance

Il n’existe pas une méthode unique de comparaison des images, mais un ensemble de techniques dont la fiabilité varie: superposition d’images, comparaison morphologique… L’utilisation de la vidéosurveillance afin de déterminer la culpabilité ou l’innocence d’un suspect présente certains avantages, comme le fait que les informations puissent être stockées sur un support et même déplacées sur un autre. Néanmoins, les procédés d’exportation sur un autre support peuvent être très compliqués, et il arrive que la qualité de l’image soit mauvaise, en raison notamment des méthodes de compression des données, ou d’une luminosité faible. Tous ces facteurs font que la preuve vidéo peut être moins convaincante, parfois même subjective, et par conséquent moins fiable.

D’autre part, diverses justifications viennent légitimer l’utilisation de la vidéosurveillance: selon certains auteurs ce procédé permettrait à court terme de décourager tout comportement délictueux ou criminel ou, lorsque comportement délictueux il y a, d’identifier de potentiels témoins (B. Brown, "CCTV in town centres : three case studies". Police Research Group, Crime detection and prevention series, Paper N°68, 1993, p.6) et arrêter les suspects, évitant la condamnation d’innocents. C’est un outil particulièrement utile lorsqu’il s’agit de rassembler des preuves en vue d’un procès. Néanmoins, afin de pouvoir être admise devant un tribunal, anglais comme français, la preuve par vidéosurveillance doit tout d’abord être licite et donc répondre à certaines exigences fixées par les différents systèmes juridiques en question.

II- Admissibilité de la preuve par vidéosurveillance : règles nationales et supranationales

La valeur des éléments de preuve apportés aux débats est un point fondamental, car c’est sur elle que les juges vont fonder leur conviction. On comprend dès lors que l’admissibilité de la preuve soit conditionnée par sa licéité, c'est-à-dire par la manière dont elle a été obtenue, non interdite par une loi ou autorité établie.

Alors que la France et d’autres pays européens ont soit interdit soit largement réglementé la vidéosurveillance dans les lieux publics, estimant qu’elle pouvait être attentatoire aux libertés fondamentales, il n’existe pas à l’heure actuelle au Royaume-Uni de contraintes légales formelles dans ce domaine. Dès lors, n’importe quelle autorité locale ou de police est libre d’installer des dispositifs de vidéosurveillance dans presque tous les lieux publics (B. Goold, CCTV and policing : Public area surveillance and police practices in Britain, Oxford University Press 2004, p.90). C’est grâce aux transpositions du droit communautaire que le droit anglais dispose de règles concernant la vidéosurveillance, notamment le Data Protection Act et le Human Rights Act de 1998 qui a incorporé la CEDH en droit anglais. Cependant si l’art.8 de la CEDH reconnaît bien au citoyen le «droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance», il semblerait que cela ne soit plus vrai à partir du moment où le citoyen se trouve dans un lieu public. Le deuxième alinéa précise en effet que dans des circonstances précises il peut y avoir «ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit» par exemple pour des raisons de sûreté, santé, sécurité publique, ce qui a été confirmé par la Cour (CEDH, Friedl v Austria, 1996). Afin d’être conforme à l’art.8, les autorités doivent respecter différents principes: la surveillance vidéo doit être licite, nécessaire, sa présence doit être proportionnée au niveau de menace ou de risque (principe de proportionnalité), et elle ne doit causer qu’un minimum d’interférence avec la vie privée des individus (site Internet du Home Office Crime Reduction du Royaume-Uni). D’autre part le Data Protection Act 1998, transposition en droit anglais la directive 95/46 CE, a posé d’autres principes quant à la licéité de la preuve obtenue au moyen de caméras de vidéosurveillance. Dans son Annexe I, 1e Partie, elle dispose que les informations doivent être acquises de manière «équitable et légale», ce qui inclut différents codes de pratique, par exemple le fait que la présence de caméras soit indiquée au moyen de «panneaux d’une taille appropriée», en expliquant le but d’une telle surveillance (Ibid) ou encore le fait que les données recueillies doivent être utilisées pour servir leur but initial. Enfin, en marge du DPA et du HRA, il ne faut pas oublier les différents codes de pratique utilisés par les autorités publiques, notamment celui de l’Information Commissioner’s Office (ICO). Si l’on suit ces règles, MM McCahill et Norris ont estimé que 73% des caméras installées par des commerces à Londres seraient illégales, car la plupart des panneaux signalisant leur présence ne respecteraient pas le DPA et le code de pratique de l’ICO, n’étant pas «clairement visibles et lisibles pour les membres du public» (M. McCahill et C. Norris, "Urbaneye: CCTV in London", Centre for Criminology and Criminal Justice, University of Hull, Juin 2002, p.21).

En ce qui concerne le droit français, la directive 95/46 CE a enfin été transposée par la loi N°2004-801. Ainsi les règles tirées de l’art.6 de la directive et énoncées dans le DPA anglais sont reconnues en droit français également, notamment le fait que les données doivent être «exactes», «traitées loyalement et licitement», «adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées». Il convient de noter la nuance en droit français entre «dispositifs de vidéosurveillance placés dans les lieux (publics ou privés) accessibles à tous» et ceux placés dans les «lieux non accessibles au public» (Marie-Noëlle Mornet, La vidéosurveillance et la preuve, Presses universitaires d’Aix-Marseille 2004, p.37). D’une part, les premiers ne sont normalement admis qu’en cas de risque particulier de violence ou de vol, et ce après l’avis d’une commission départementale et l’autorisation du préfet de police, selon l’art.10 de la loi N°95-73 du 21 janvier 1995. De plus, il faut veiller à ce que le droit à la protection des données personnelles soit respecté, en conciliant à la fois la loi de 1995 avec celle du 6 janvier 1978 modifiée par la loi N°2004-801. La règlementation est donc pour l’instant très restrictive, cependant les choses risquent de changer d’ici peu, le président Sarkozy comptant prendre exemple sur les britanniques et leurs près de 25 millions de caméras, comme il l’a affirmé dans un entretien au Journal du Dimanche du 8 juillet 2007. D’autre part, il n’existe aucune règle de droit concernant les «dispositifs de vidéosurveillance placés dans des lieux non accessibles au public» en général. Il faut se référer à des règles spécifiques (relatives par exemple aux libertés individuelles sur le lieu de travail) ainsi qu’aux droits fondamentaux reconnus par le droit interne et le droit supranational. (Ibid, p.63-90).

Le droit supranational doit bien entendu être respecté à la fois par le Royaume-Uni et la France. Il reconnaît non seulement aux individus, par le biais de la DUDH de 1948, un droit à la sûreté qui comprend la liberté d’aller et venir ainsi que la protection de l’individu contre l’arbitraire, mais il leur reconnaît également un droit à la dignité humaine, proclamé dans de nombreux textes internationaux comme le préambule de la Charte des Nations Unies de 1945, la DUDH ou encore la CEDH (Ibid). De plus, la surveillance vidéo des lieux non accessibles au public est illicite lorsqu’elle porte atteinte au droit au respect de la vie privée : ce droit, protégé par l’art.12 de la DUDH et l’art.8§1 de la CEDH, comprend le droit à l’image et le droit à la protection des données. Cependant, il faut préciser que si la jurisprudence anglaise «sanctionne les atteintes à la vie privée», elle ne «la reconnaît pas expressément en tant que telle» (Ibid, p.78). Enfin, des règles spéciales s’appliquent lorsque le lieu privé n’est autre que le lieu de travail de l’individu. Le droit de contrôler l’activité des salariés pendant le temps de travail est un principe admis par tous. Toutefois, le souci légitime du chef d’entreprise de se procurer la preuve des comportements fautifs de certains de ses salariés peut le conduire à utiliser des procédés considérés comme attentatoires aux libertés individuelles. La Cour de cassation s’est donc attachée à délimiter les procédés de preuve admissibles de manière à concilier les droits de l’employeur et du salarié. Ainsi, différents principes régissent la surveillance du travailleur dans l'entreprise: le principe d'information (de la part de l'employeur), celui du respect de la vie privée du salarié, le principe de fiabilité du dispositif de contrôle et le principe de proportionnalité, que nous avons déjà évoqué, inspiré par l’art.8 CEDH. Il faut préciser que ces principes ne s’appliquent pas seulement à la preuve par vidéosurveillance sur le lieu de travail, mais aussi dans les lieux accessibles au public, que ce soit en droit anglais comme en droit français: ainsi, l’art.10 de la loi de 1995 énonce le principe d’information: «le public est informé de manière claire et permanente de l’existence du système de vidéosurveillance et de l’autorité ou de la personne responsable.» Cependant la jurisprudence française a déjà admis à titre de preuve des enregistrements vidéo alors même que les plaignants n’étaient pas informés de l’existence des dispositifs de vidéosurveillance en question (Cass. Soc., 19 avril 2005, pourvoi N°02-46.295). Il s’agissait dans cette affaire de quatre salariés d’une société, licenciés pour faute grave parce qu’ils avaient été filmés par des caméras de vidéosurveillance dans des locaux de la société auxquels ils n’avaient normalement pas accès. Enfin, pour que le mode de preuve soit admis, il faut également un consentement tacite de la personne filmée : l’art.226-1 du Code Pénal pose in fine que ce consentement est présumé lorsque la personne, ayant connaissance de la surveillance, ne s’y oppose pas.

Ainsi seuls les modes de preuve licites sont admissibles par le juge, pourtant ce dernier ne leur accordera pas toujours la même valeur. L’article de Bowie, Plews et Bromby cite différents exemples pour montrer ce contraste : parfois la cour se base uniquement sur l’opinion de l’expert pour identifier un suspect (R v Hookway 1999, EWCA Crim 212) si la qualité de l’image est très bonne, alors que d’autres fois la preuve apportée par l'expert ne sert qu’à corroborer d’autres éléments de preuve. Quoiqu’il en soit, le principe général d’admissibilité du ‘facial mapping’ a été reconnu en 1993 dans R v Stockwell (97 Cr. App. R. 260) et récemment les juges ont encore reconnu que la preuve vidéo était admissible et «souvent de valeur» (R v Paul Edward Gray 2003, EWCA Crim 1001). En droit pénal français les deux règles principales d’admissibilité de la preuve par vidéosurveillance sont la garantie d’un procès équitable (Art.6§1 et 8§2 CEDH) et la liberté de la preuve (Art.427 du CPP) : il arrive qu’un délinquant ou criminel soit pris sur le fait par des caméras de vidéosurveillance. Le principe étant celui de la liberté, la preuve vidéo sera donc recevable. En droit civil, comme nous l’avons vu, la vidéosurveillance a déjà été admise à titre de preuve dans une affaire de licenciement pour faute grave.

Au Royaume-Uni, les procédures d’identification au moyen de la vidéo sont règlementées par le Police and Criminal Evidence Act 1984. Une récente révision de cette loi en 2005 a établi que de telles procédures doivent être effectuées à moins qu’une autre procédure ne soit plus appropriée. Aucune méthode de ‘facial mapping’ ne peut engendrer la certitude absolue que deux images mettent en scène la même personne. Si certaines caractéristiques considérées comme étant propres au défendeur (tache de naissance, difformité) sont identifiées sur le délinquant, cela sera d’un grand soutien pour prouver qu’ils ne sont sûrement qu’une seule et même personne. L’article ajoute que c’est seulement en cas de différences ne pouvant pas être expliquées par des variables extérieures (point de vue, luminosité) que l’on peut conclure que ce sont deux images de deux personnes différentes. D’un autre côté, en cas de similarité l’image peut seulement corroborer d’autres types de preuves, sauf dans des cas exceptionnels.

Comme nous l’avons vu, en droit anglais et français l’admissibilité de la preuve par vidéosurveillance dépend avant tout de sa licéité. Sa licéité dépend de nombreux principes d’origine nationale comme supranationale, et sa valeur dépend de la fiabilité que le juge trouvera en elle. Cependant serait-il possible que ces principes soient en quelque sorte ‘allégés’ dans les années à venir, du fait du spectaculaire développement de la vidéosurveillance dans notre vie de tous les jours ?

Bibliographie

Articles : - Leslie Bowie, Stephanie Plews et Michael Bromby, [“When evidence is a question of image” |http://www.abmfvb.co.uk/pdf/When%20evidence%20is%20a%20question%20of%20i...|fr], Law Society Gazette, 13 Mai 2004. - M. McCahill et C. Norris, Urbaneye: CCTV in London, Centre for Criminology and Criminal Justice, University of Hull (juin 2002) - Site Internet du Home Office Crime Reduction du Royaume-Uni: cctv9 et cctv13.

Ouvrages:

- Marie-Noëlle Mornet, La vidéosurveillance et la preuve, Presses universitaires d’Aix-Marseille (2004) - T. Newburn et S. Hayman, Policing, surveillance and social control : CCTV and police monitoring of suspects, Willan (2002) - B. Brown, CCTV in town centres : three case studies. Police Research Group, Crime detection and prevention series, Paper N°68. (1993) - B. Goold, CCTV and policing : Public area surveillance and police practices in Britain, Oxford University Press (2004).