ALLEMAGNE - Accord entre la France et l’Allemagne instituant un régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts, par Amany CHAMIEH

 

 Les essais européens en vue de la création de règles d’harmonisation en droit de la famille ont tous échoué, le dernier en date étant le projet de règlement Rome III, portant sur les régimes matrimoniaux et, avant cela, le règlement n° 2201/ 2003 contenant des règles de conflit relatives à la procédure de divorce[1]. C’est la raison pour laquelle un groupe d’Etats membres de l’Union européenne a décidé de travailler ensemble, comme il est prévu à l’article 43 du Traité de l’Union européenne. L’accord portant création d’un régime matrimonial commun a été signé le 4 février 2010 par la France et l’Allemagne entre dans ce cadre.

Les couples binationaux sont aujourd’hui une réalité en Europe, notamment en France et en Allemagne. La nationalité est l’un des éléments de rattachement les plus importants pour les effets du mariage, ainsi des problèmes peuvent apparaitre, surtout en matière de divorce et de régime matrimonial, étant donné que les systèmes dans les Etats européens sont différents. Les problèmes n’apparaissent pas seulement à la dissolution du mariage, mais aussi pendant la durée du mariage.

La France et l’Allemagne se sont alors décidé pour un régime particulier,  celui de la participation aux acquêts, qui a une structure assez proche du régime légal allemand de la Zugewinngemeinschaft, un peu moins du régime français de la communauté réduite aux acquêts ; cependant, il est différenciable de ces deux régimes étant donné que les époux sont alors soumis au régime de la séparation des biens pendant la durée du mariage et à la dissolution de ce dernier, chaque époux reçoit la moitié des biens acquis pendant le mariage. Ce régime matrimonial peut être choisi par les époux dans les deux Etats, aux côtés des régimes matrimoniaux déjà existants.

Champ d’application de l’accord

Le champ d’application matériel de l’accord est défini dans son article premier. « Le régime matrimonial optionnel de la participation aux acquêts peut être choisi par des époux dont la loi applicable au régime matrimonial est celle d’un Etat contractant. » Le régime matrimonial de la participation aux acquêts peut alors s’appliquer non seulement aux couples binationaux franco-allemands, mais aussi à tous les couples dont le régime matrimonial est soumis à la loi française ou à la loi allemande. Ainsi, les couples français résidant en France ou en Allemagne, les couples allemands résidant en France ou en Allemagne et les couples étrangers dont le régime matrimonial serait soumis à la loi française ou à la loi allemande en raison des règles de conflit de droit international privé peuvent choisir ce régime matrimonial.

L’article 19 définit le champ d’application temporel de l’accord. L’accord est applicable « aux contrats conclus par les époux après son entrée en vigueur ». L’accord entre en vigueur, selon l’article 20, après ratification dans les deux Etats membres, « le premier jour du mois suivant l’échange des instruments de ratification ».En Allemagne, il faudra surtout être prouvé si un encadrement du nouveau régime matrimonial sera nécessaire en droit fiscal des successions et en droit fiscal des donations[2].

Au niveau européen, il est prévu à l’article 21 que d’autres Etats membres de l’Union européen peuvent adhérer à l’accord. Ceci est en harmonie avec l’un des buts de l’Union européenne, prévu à l’article 43 du Traité de l’Union européenne.

La nature du régime matrimonial de la participation aux acquêts

Le régime de la participation aux acquêts est de nature optionnelle, selon l’article 2. En effet, c’est une option ouverte aux différents couples auxquels l’accord est applicable. L’article 3 prévoit que les époux peuvent convenir par contrat de mariage que le régime de la participation aux acquêts constitue leur régime matrimonial, ce contrat pouvant être conclu soit avant le mariage, soit pendant le mariage. Le contrat, selon la règle locus regit actum,  doit être passé dans la forme requise dans l’Etat dans lequel il est enregistré[3]. En Allemagne comme en France, ce sera sous forme d’acte authentique[4].

 Ce régime matrimonial différencie la période durant le mariage et la période après le mariage. Pendant la durée du mariage, l’article 2 prévoit que le patrimoine des époux reste séparé. A la dissolution, « la créance de dissolution résulte de la comparaison des acquêts de chacun des époux ». Ce régime de la dissolution est inspiré du modèle allemand de la Zugewinngemeinschaft. Une comparaison des patrimoines originaire et final de chacun des époux est effectuée, et l’époux qui a réalisé le moins d’acquêts peut demander une participation de la moitié de la différence entre les acquêts de chacun des époux. Les déficits ne sont pas pris en compte, seuls les acquêts le sont.

Le fonctionnement du régime pendant le mariage

Pendant le mariage, les époux sont soumis au régime de la séparation des biens. Par conséquent, selon le principe séparatiste, « chacun des époux gère seul son patrimoine et en dispose librement pendant toute la durée du mariage »[5]. Ce principe ne s’oppose pas à l’acquisition en indivis de bien par les époux. Cependant, chaque époux reste tenu seul des dettes contractées par lui avant et pendant le mariage.

Les articles 5 et 6 posent des limites au principe séparatiste. En effet, l’article 5 prévoit que « les actes de disposition d’objets du ménage ou de droits par lesquels est assuré le logement de la famille passés par un époux sans le consentement de l’autre sont nuls ». Ainsi, le consentement de l’un des époux est nécessaire pour la validité d’un acte passé par l’autre époux qui concerne les objets du ménage et les droits par lesquels le logement familial est assuré. De même, selon l’article 6, lorsque l’un des époux passe un contrat qui a pour objet l’entretien du ménage et l’éducation des enfants, l’autre époux est obligé solidairement. Cependant, le paragraphe 2 prévoit que si les dettes contractées sont manifestement excessives, cela n’engage pas l’autre époux.

Ces dispositions sont empruntées au régime primaire prévu par le droit français, aux articles 215 à 226 du code civil, le droit allemand ne connaissant pas un ensemble similaire de dispositions. En France, le régime primaire est impératif et d’application territoriale, donc il s’appliquera aussi aux couples ayant choisi le régime de la participation aux acquêts. Les dispositions du régime primaire étant en harmonie avec le principe séparatiste, elles sont parfaitement compatibles avec le nouveau régime optionnel[6].

La comptabilisation des acquêts est réalisée au moment de la dissolution du régime matrimonial commun.

La liquidation du régime

La dissolution du régime matrimonial est prévue à l’article 7 de l’accord. Les causes de dissolution du régime y sont énoncées : le décès ou la déclaration d’absence de l’un des époux, le changement de régime matrimonial ou le jugement de divorce ou toute autre décision judiciaire emportant dissolution du régime matrimonial. Ce sont les causes classiques de dissolution du régime matrimonial dans les deux Etats.

La dissolution du régime matrimonial emporte comme conséquence la détermination de la créance de participation, celle-ci obtenue par la comparaison entre le patrimoine originaire et le patrimoine final de chacun des époux.

  • - Le patrimoine originaire

L’article 8 décrit le patrimoine originaire de chaque époux, comme le fait l’article 1374 alinéa 1er du BGB (Code civil allemand). « Le patrimoine originaire est le patrimoine de chacun des époux à la date à laquelle le régime matrimonial prend effet. » Le patrimoine originaire est donc le patrimoine de chacun des époux au jour du mariage ou au jour auquel le changement de régime matrimonial prend effet. Les dettes sont prises en compte dans le patrimoine originaire, même si elles excèdent l’actif, cela signifie que le patrimoine de départ des époux peut être négatif. Ceci est inspiré de la solution de l’article 1571 du Code civil (« si le passif du patrimoine originaire excède l’actif, cet excédent est fictivement réuni au patrimoine final ») ce qui n’est pas possible en droit allemand positif. Le paragraphe 2 de l’article 8 prévoit que les biens acquis par l’un des époux ultérieurement par succession ou par libéralité s’ajoutent au patrimoine originaire. Selon le paragraphe 3, les fruits des biens qui composent le patrimoine ainsi que les biens du patrimoine originaire donnés par un époux à des parents en ligne directe au cours du régime matrimonial n’entre pas dans la comptabilisation du patrimoine originaire, ce qui est loin de la solution allemande et de la solution française.

L’évaluation du patrimoine originaire est un compromis entre les deux systèmes français et allemand, étant donné que les dispositifs divergent. Ainsi, l’article 9 prévoit que l’évaluation des biens du patrimoine originaire est faite à la date de la prise d’effet du régime matrimonial et que celle des biens visés à l’article 8 paragraphe 2 à la date de leur acquisition. Pour les dettes, la même règle d’inspiration allemande est appliquée. L’évaluation des immeubles et droit réels immobiliers du patrimoine originaire, autres que l’usufruit et le droit d’usage et d’habitation, est effectuée à la dissolution du régime, comme en France.

Le patrimoine originaire doit être comparé avec le patrimoine final des époux.

  • - Le patrimoine final

« Le patrimoine final des époux est constitué des biens appartenant à l’époux à la date de la dissolution du régime » selon l’article 10 paragraphe 1er. De même, les dettes sont prises en compte même lorsqu’elles dépassent l’actif. Ainsi, le patrimoine final d’un époux peut aussi être négatif. Dans le cas où le régime matrimonial est dissous par une décision judiciaire, l’article 13 prévoit que le patrimoine final est composé par les biens du patrimoine des époux à la date d’introduction de la demande.

Selon l’article 10 paragraphe 2, la valeur de certains biens est ajoutée au patrimoine final d’un époux, tels que les donations sauf si elles ne sont pas excessives eu égard au train de vie des époux, ou si elles portent sur un bien du patrimoine originaire, donné à des parents en ligne directe. Cependant, la plus-value résultant des améliorations apportées au bien pendant la durée du régime matrimonial, avec de l’argent ne dépendant pas du patrimoine originaire, est ajoutée au patrimoine final. De plus, la valeur des biens cédés dans le but de léser l’autre époux ou des biens dissipés est aussi ajoutée au patrimoine final, à condition que la donation, l’aliénation frauduleuse ou la dissipation soient intervenues moins de dix ans avant la dissolution du régime matrimonial ou que l’autre époux n’y ait pas consenti (article 10 paragraphe 3). Cette absolution décennale empruntée au droit allemand, n’est pas déraisonnable selon une partie de la doctrine. En effet, M. Simler considère que « l’inaction du conjoint peut être considérée, sinon comme une approbation tacite, du moins comme une renonciation à agir » [7]. Cela faciliterait la liquidation du régime.

Selon l’article 11 paragraphe 1er, « le patrimoine final est évalué, tant en ce qui concerne l’actif que le passif, à la date de la dissolution du régime matrimonial ». Dans les cas prévus à l’article 13, le moment déterminant est la date de l’introduction de la demande. Ainsi, la valeur des biens visés à l’article 10 paragraphe 2 doit être fixée à la date de la donation, de l’aliénation frauduleuse ou de la dissipation. La plus-value visée à l’article 10 paragraphe 2, 1b est évaluée à la date de la donation du bien (article 11 paragraphe 2).

L’évaluation des patrimoines originaire et final est effectuée dans le but de déterminer la créance de participation.

  • - La créance de participation

Le calcul de la créance de participation est prévu à l’article 12. Ainsi, les acquêts de chacun des époux à la dissolution du régime matrimonial doivent être comparés, et l’époux qui en a le moins a une créance de participation à l’encontre de l’autre époux d’une valeur de la moitié de la différence des acquêts. La créance doit être payée en argent mais le tribunal peut en décider autrement. La transmission à cause de mort et la cession entre vifs de la créance de participation est prévue au paragraphe 3.  

L’article 14 limite la créance de participation à la moitié de la valeur du patrimoine de l’époux débiteur tel qu’il existe à la date retenue pour la détermination du montant de la créance. Cette limite peut être relevée de la moitié du montant ajouté au patrimoine final comme il est prévu à l’article 10 paragraphe 2 à l’exception du cas de la donation qui porte sur un bien du patrimoine originaire donné à des parents en ligne directe.

Le régime optionnel, contrairement aux droits nationaux français et allemands, ne comporte aucune clause permettant à l’époux débiteur de sauvegarder la créance de participation ou une partie sur le fondement de l’équité. Cependant, l’article 17 permet au débiteur de demander au tribunal un délai pour régler la créance, lorsque le règlement immédiat le pénaliserait de manière inéquitable, « notamment en l’obligeant à céder un bien constituant son moyen de subsistance ». Cela engendre des intérêts.

L’article 15, inspiré de l’article 1378 du BGB porte sur la prescription de la créance. Celle-ci se prescrit au bout de trois à partir de la date à laquelle l’époux créancier a connaissance de la dissolution du régime matrimonial, au plus tard dix ans après la dissolution alors qu’en France, selon l’article 1578 alinéa 3 du Code civil, « l’action en liquidation se prescrit par trois ans à compter de la dissolution du régime matrimonial », donc invariablement.

Les questions diverses

Les époux ont l’obligation de se fournir mutuellement, après la dissolution du régime matrimonial, toutes les informations sur la composition de leurs patrimoines originaire et final. La présentation d’un « inventaire sincère et véritable » peut être exigée par l’un des époux (article 16).

Les dispositions de l’article 16 sont applicables aussi lorsqu’en vertu de l’article 18, l’un des époux demande la liquidation anticipée de la créance de participation, s’il considère que la gestion de l’autre époux de son patrimoine est « de nature à compromettre ses droits au titre du calcul de la créance de participation ».

Selon le paragraphe 2 de l’article 18, les époux sont placés sous le régime de la séparation des biens à compter de la décision définitive faisant droit à la demande.

 

Ce régime optionnel peut être considéré comme un régime hybride entre les régimes fondés sur le même concept en France et en Allemagne, mais qui sont différents. Reste à savoir si ce régime optionnel aura du succès dans les deux Etats signataires après l’entrée en vigueur de l’accord, puis s’il en aura au niveau européen avec l’adhésion d’autres Etats membres de l’Union européenne à l’accord.

Bibliographie

 

Revues juridiques :

  • Deutsch-französischer Wahlgüterstand, Dr. Meyer, Zeitschrift für das Gesamte Familienrecht
  •  Dt.-frz. Wahlgüterstand der Zugewinngemeinschaft, Dr. Peter Finger, Die Zeitschrift für Anwlat und Familiengericht
  •  Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts, Philippe Simler, Revues droit de la famille n° 5, Mai 2010
  • Au cœur de l’élaboration du régime matrimonial franco-allemand, Entretien avec Béatrice Weiss-Gout, Gazette du Palais, 04 mars 2010 n° 63, p. 7
  • Un nouveau régime matrimonial à la disposition de tous les couples, le régime commun franco-allemand, Hugues Letellier, Gazette du Palais, 31 juillet 2010 n° 212, p. 24


[1] Dt.-frz. Wahlgüterstrand der Zugewinngemeinschaft, Dr. Peter Finger ,Die Zeitschrift für Fachanwalt und Familiengericht, p. 481

[2] Deutsch-französischer Wahlgüterstand, Dr. Meyer, Zeitschrift für das Gesamte Familienrecht 2010, p. 616

[3] Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts, Philippe Simler, Revue droit de la famille n° 5, Mai 2010

[4] Dt.-frz. Wahlgüterstand der Zugewinngemeinschaft, Dr. Peter Finger, Die Zeitschrift für Anwlat und Familiengericht, p. 483

[5] Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts, Philippe Simler, Revue droit de la famille n° 5, Mai 2010

[6] Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts, Philippe Simler, Revue droit de la famille n° 5, Mai 2010

[7] Le nouveau régime matrimonial optionnel franco-allemand de participation aux acquêts, Philippe Simler, Revues droit de la famille n° 5, Mai 2010