Analyse comparée de la valeur probatoire des signatures électroniques en France et en Allemagne - par Marion Poissonnier-Lescuras

Depuis la directive européenne du 8 juin 2000, les législateurs allemands et français ont dû repenser leur système probatoire s’agissant des contrats électroniques. Les deux Etats européens ont donc dû accorder une valeur probatoire aux signatures électroniques. Si le législateur allemand continue d’appliquer un régime probatoire spécial pour chaque type de contrat, la France, elle, assimile les écrits sur support papier et les écrits électroniques modernisant ainsi audacieusement son droit des contrats.

« L’heure est venue pour l’écrit de s’émanciper de la tutelle du papier ». C’est en ces termes, que D. Gobert aborde la nécessité de reconnaître une valeur juridique aux écrits sous la forme électronique, afin d’adapter le droit des contrats au progrès des technologies de transport de l’information.

Quant à la validité des actes juridiques, le negocium, la loi allemande et la loi française ne posent en principe pas de conditions de forme et se contentent du consentement du ou des déclarants (principe du consensualisme - Formfreiheit). Quant au régime de la preuve en France et en Allemagne, l’instrumentum, il peut être libre: c'est-à-dire qu’il permet l’utilisation de tous les modes de preuve. Ceux-ci seront accueillis et appréciés par le juge. En Allemagne, cette libre appréciation se nomme Freiebeweiswürdigung (§286 ZPO). Mais le régime de la preuve peut aussi être celui de la preuve légale. Dans ce cas, il est imposé aux parties certains moyens de preuves déterminés. Ce régime fixe cette fois la force probante que le juge doit leur reconnaître.

Le régime de la preuve n’échappe pas à la vague de modernisation qui emporte, par strates successives, les institutions classiques du droit civil. La généralisation de l’utilisation d’Internet dans la vie courante entraîne en effet des conséquences juridiques importantes. A l’heure du commerce électronique et du multimédia, certains échanges, qui autrefois se faisaient exclusivement sur papier, s’opèrent à présent à distance, via l’Internet. Devant un tel phénomène, il était nécessaire que les législateurs français et allemand interviennent et qu’il soit reconnu aux documents électroniques une certaine valeur juridique. Pour cela, il a fallu adapter les législations et notamment le droit de la preuve.

A cet égard, les institutions communautaires ont élaboré plusieurs directives afin d’adapter le droit de la preuve à ces nouvelles technologies. Le premier de ces textes a été la directive CE 1999-93 du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques. Le deuxième a été la directive CE n°2000-31 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»).

L’Allemagne avait dès le 22 juillet 1997 adopté une loi sur la signature électronique, qui fut l’objet d’une évaluation au cours de l’année 1999. Puis, afin de satisfaire ces nouvelles exigences européennes, l’Allemagne a tout d’abord adopté le 13 juillet 2001 la « Loi pour l’adaptation des règles de forme du droit privé et des autres normes au droit du commerce moderne ». Cette loi a permis d’intégrer les documents électroniques dans le droit des preuves par Augenschein. Ce mode de preuve suppose que le juge prenne connaissance des circonstances de l’affaire, il suppose donc un examen, une inspection. Ainsi, ces preuves se différencient-elles des actes sur support papier traditionnel, qualifiées de « preuves littérales », requis par le système de la preuve légale. Si cette loi a permis d’adapter le droit de la preuve à la modernisation du droit des contrats, elle est lacunaire. En effet, elle ne précise pas quelle force probante doit être accordée à un document électronique. Or, puisqu’il s’agit ici d’une preuve légale, la force probante que le juge doit lui reconnaître doit être déterminée.

Toujours dans une optique d’harmonisation du droit national allemand au droit européen, l’Allemagne a adopté une seconde loi, entrée en vigueur le 1er avril 2005. Il s’agit de la « loi sur l’utilisation des formes de communication électronique en justice ». La principale nouveauté apportée par cette loi est l’introduction d’une règle générale pour la force probante des documents électroniques au paragraphe 371a du ZPO. Elle requiert la présence d’une signature qualifiée. Ainsi, le législateur allemand tend à reconnaître aux documents électroniques pourvus d’une telle signature une force probante équivalente à celle accordée aux documents sur support papier.

En France également, la directive européenne du 8 juin 2000 a eu une influence notable sur le régime probatoire dans le cadre du commerce électronique. Afin de prendre en compte cette évolution, la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information relative à la signature électronique a été adoptée. Celle-ci a été accompagnée d’un décret n°2000-272 du 30 mars 2001. Ces deux textes ont permis de compléter et d’adapter le Code civil à la modernisation du droit des contrats. L’esprit de la loi de 2000 repose tout entier sur une assimilation précisée par l’article 1316-1 du Code civil : « l’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifié la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité. »

La montée en puissance des réseaux virtuels a eu raison du monopole du papier. La directive européenne du 8 juin 2000 semble laisser penser que les contrats pourvus d’une signature électronique pourraient être assimilés à l’écrit sur support papier à la seule condition qu’ils offrent les mêmes garanties que ce dernier. Or à cet égard, l’admission du contrat sous forme électronique au titre de preuve littérale semble sujette à caution. L’informatique peut-il vraiment constituer un système probatoire suffisamment fiable ? A défaut, les contrats dématérialisés doivent-ils être tenus pour exclus du domaine de la preuve littérale ? L’enjeu de ces questions est fondamental en droit procédural, il conditionne la recevabilité ou non d’une preuve émanant d’un support électronique ainsi que son efficacité dans un procès civil. A cet égard, la comparaison des systèmes allemands et français s’avère pertinente. En effet, la transposition de la directive européenne ne s’est pas faite sans une méfiance préalable, surtout de la part du législateur allemand. De surcroit, les législateurs européens ont eu une approche différente concernant la qualification des documents électroniques ainsi que leur valeur juridique dans un cadre probatoire. Cependant, depuis la loi allemande du 22 mars 2005, le législateur allemand a fait preuve d’un effort certain pour se conformer aux exigences européennes, et parallèlement, il a admis une réelle valeur juridique à la signature électronique se rapprochant ainsi de la législation française.

Avant l’adoption de cette loi de transposition, le législateur allemand se situait bien loin des impératifs européens, et en rupture avec les tentatives de modernisation du législateur français. (I) Mais la loi du 22 mars 2005 a permis de clarifier les différentes notions de signature électronique (II) et représente une nette avancée vers la modernisation du droit des contrats, à l’instar de l’initiative française. (III). L’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation du 13 mars 2008 illustre parfaitement la position française à cet égard et permet également d’en montrer les limites. (IV)

I/ la force probante des documents électroniques en Allemagne avant la loi de 2005 : une position nettement différente à celle retenue par le législateur français

Lors de l’adoption de la loi pour l’adaptation des règles de forme du droit privé et des autres normes au droit du commerce moderne datant du 13 juillet 2001, le législateur allemand a mis un point d’honneur à distinguer le régime juridique des documents dématérialisés et des documents traditionnels.

En application de l’article 2 n°4 de la loi de 2001, le législateur avait tout d’abord introduit un paragraphe 292a dans le ZPO, lequel dispose que l’examen de l’authenticité d’une déclaration de volonté sous la forme électronique (§ 126a BGB) peut seulement être affecté par des faits qui mettent sérieusement en doute l’origine de cette signature. Ainsi, le législateur allemand a-t-il développé une nouvelle forme de preuve : la preuve légale par examen (der gesetzliche Anscheinsbeweis). Le juge examinera donc directement cette déclaration en prenant compte des circonstances dans lesquelles elle a été formée, afin de vérifier son authenticité. Cette preuve par examen diffère d’autres catégories de preuves existantes en droit allemand : la preuve par témoin (Zeuge), la preuve par interrogatoire des parties (Parteivernehmung). Surtout la preuve par Augenschein se distingue des Urkunde (§425ff ZPO) où la preuve est rapportée par des actes sur support papier traditionnel. Pour ce type de preuve, à la différence de celles par Augenschein, il n’y a pas besoin de recourir à une aide quelconque afin de lire le support. Tel n’est pas le cas des preuves rapportées par microfilms, disquettes ou diapositives qui appartiennent donc à la catégorie des preuves par Augenschein.

Afin de rapporter la preuve par Augenschein dans le cadre des contrats électroniques, il fallait se fonder sur les présomptions de fait. Or celles-ci avaient une valeur probatoire plus faible que les présomptions légales et pouvaient donc être plus facilement réfutées. Plusieurs conditions sont prévues par le §292a ZPO. Entre autre, l’auteur de la déclaration doit apposer son nom sur le document ainsi que sa signature électronique qualifiée. Ainsi apparaît-il clairement que l’existence de cette signature est la condition essentielle.

Dès l’entrée en vigueur de cette disposition, des critiques se sont fait entendre. En particulier, il semblait incompréhensible que le législateur ait refusé d’assimiler le droit de la preuve des documents sur support papier à celui des documents électroniques ; pourquoi différencier leur valeur probatoire ? De surcroît, ces dispositions légales semblaient bien loin du contenu du droit européen concernant les contrats électroniques.

Au contraire, le législateur allemand s’opposait à l’application uniforme des dispositions régissant le droit probatoire des documents écrits qu’il jugeait inappropriées. En effet, il n’assimilait pas, à la différence du législateur français, le document électronique à un écrit. Or, selon la loi française du 13 mars 2000, la preuve par écrit peut être établie sur tous types de support, seule importe l’intelligibilité. En ce sens, le législateur français reconnaît expressément l’écrit sous la forme électronique. Le législateur allemand, lui, refusait dans le cadre de cette loi du 13 juillet 2001 d’appliquer aux documents dématérialisés et à ceux sur support traditionnel un droit de la preuve analogue, et ce même si le document électronique en question était pourvu d’une signature qualifiée.

Puis, la loi sur l’utilisation des formes de communication électronique en justice du 22 mars 2005 a été adoptée. Alors que le droit allemand avait déjà fait un pas vers l’ouverture de la justice au commerce électronique, cette loi devait être à même de corriger les erreurs de la loi du 13 juillet 2001. Plus précisément, elle devait permettre d’assimiler en droit procédural la forme électronique à la forme traditionnelle et d’en tirer des conséquences sur le droit de la preuve.

II/ Premier apport de la loi de 2005 : une clarification de la notion de signature électronique

La loi allemande reprend pour l’essentiel les définitions apportées par la directive de 2001. En effet, elle prévoit différents types de signatures électroniques. Elle en dégage trois. Tout d’abord : die einfache elektronische Signatur (la signature électronique simple) pour laquelle il n’est pas nécessaire de remplir des formalités particulières. Lors d’un procès civil, les documents et informations comportant une signature électronique simple sont soumis à une appréciation souveraine des preuves par le juge : celui-ci est libre de décider la valeur probatoire de ces documents.

Concernant la signature électronique avancée/sécurisée (die fortgeschrittene elektronische Signatur), la loi allemande reprend pour l’essentiel la définition posée par la directive: celle-ci est uniquement rattachée au signataire, elle l'identifie. Elle est créée par des moyens qu'il garde sous son contrôle exclusif, elle est liée aux données auxquelles elle se rapporte, de telle sorte que toute modification ultérieure des données est détectable. Enfin, si besoin est, l’auteur de la signature doit être identifiable. En cas de litige mettant en cause l’authenticité d’une signature électronique avancée, celle-ci est traitée comme une signature électronique simple : elle est soumise à un Augenschein. L’examen de cette preuve s’effectue donc par la prise de connaissance par le juge des circonstances de l’affaire ; il va devoir percevoir directement chaque élément de cette preuve à l’aide de « ses sens » (sinnlich), et ce afin d’être convaincu de la réalité de cette preuve. La partie visée par la signature devra alors prouver au juge que la signature électronique et les caractéristiques d’identification sont authentiques.

Seuls les documents pourvus d’une signature électronique qualifiée (die qualifizierte elektronische Signatur) peuvent satisfaire à une exigence de forme : Si la loi prévoit que la forme écrite est obligatoire pour la validité de l’acte juridique, la forme électronique de ces contrats est admise pour le negocium si celui-ci est pourvu d’une signature électronique qualifiée. Selon le §126aBGB, cette signature peut remplacer la forme écrite sur support papier prescrite par une loi. En accord avec la directive européenne, la loi allemande précise que cette signature est une signature électronique avancée, qui, au moment de son élaboration, repose sur un certificat qualifié valable. Le §292a ZPO lui accordait déjà une valeur de présomption de preuve, et l’article 371 ZPO a abrogé cette disposition et tend à assimiler d’avantage la force probante des documents pourvus d’une signature électronique qualifiée à celle des documents sur support papier.

III/ Apports fondamentaux de la loi de 2005 : une avancée vers la modernisation du droit des contrats et un rapprochement des législations françaises et allemandes

Le législateur allemand s’est orienté dans une perspective similaire à celle du législateur français. En effet, ce dernier a déduit de la directive européenne une nécessaire assimilation de l’écrit sur support papier avec l’écrit électronique. L’article 1316-1 dispose à cet égard que « l'écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l'écrit sur support papier ».

Les efforts du législateur allemand ne sont pas allés jusque là. Il a tout d’abord été décidé de supprimer le §292a ZPO qui fut remplacé par le § 371a. Cette disposition permit avant tout d’instaurer une règle générale concernant la force probante des documents électroniques. Si le fait d’unifier le régime probatoire des contrats électroniques est une nette avancée dans cette tentative d’adaptation du droit des contrats à l’ère de l’Internet, le législateur allemand, à contre-courant du législateur français, s’est pourtant refusé à appliquer de façon uniforme le droit probatoire traditionnel aux contrats modernes. En effet, il refuse toujours de qualifier les documents électroniques de preuves littérales. Cependant, il est permis de se demander si cette distinction de qualification n’est pas purement formelle et sans réelle incidence. Finalement, même si les documents électroniques ne sont pas qualifiés de preuve littérale, à la différence des écrits sur support papier traditionnel, cela emporte-il pour autant une force probante propre à chacun des deux types de documents?

La source principale de disparités entre le système probatoire allemand et français provient de la qualification de l’écrit électronique. De cette différence de qualification émane une intégration différente en France et en Allemagne des exigences européennes.

En France, tout d’abord, la volonté du législateur de satisfaire pleinement la lettre des directives européennes sur le commerce électronique était certaine. En effet, la loi du 13 mars 2000 repose tout entier sur une assimilation de qualification entre l’écrit sous forme électronique et l’écrit sur support papier (Art 1316-1 Code Civil). Puisque ces deux formes d’écrit relèvent d’une unique qualification, il aurait pu en résulter une assimilation en matière de valeur probatoire. Cependant, le législateur fait preuve de prudence, et cette fois-ci différencie la valeur probatoire des deux types d’écrit, en imposant à toute trace informatique de se conformer à un certain nombre d’exigences afin qu’elle ait la même force probante qu’un écrit numérique. A cet égard, il est nécessaire, afin d’utiliser une trace informatique dans un cadre probatoire, de pouvoir identifier dûment la personne dont elle émane et garantir l’intégrité de l’acte. La solution française a donc consisté à reconnaître aux documents électroniques un statut stable mais décalqué de celui de l’écrit traditionnel et non dérivé au coup par coup par une assimilation incertaine, ce qui était le cas antérieurement. Il existe désormais un « écrit numérique », lequel peut être porteur d’une signature électronique. La trace informatique a alors le caractère d’une preuve autonome et non d’un simple commencement de preuve par écrit.

La loi du 13 mars 2000 a opté pour une philosophie aussi simple qu’audacieuse : elle a tenté de définir un concept de l’écrit suffisamment abstrait (une suite de signes, « quels que soient leur support et leurs modalités de transmission », art. 1316-1 Code Civil) afin que l’écrit traditionnel (c'est-à-dire l’écrit papier) et l’écrit électronique en soient des versions également admissibles par le droit probatoire.

C’est sur ce point que les législateurs allemand et français ont abordé une approche sensiblement différente. Si ces disparités tendent à s’amoindrir grâce aux efforts récents du législateur allemand, celui-ci ne satisfait pas encore pleinement aux impératifs européens.

Certes, le législateur allemand a tenté de se plier davantage aux nouvelles exigences européennes par sa loi du 1er avril 2005. En effet, les documents électroniques n’ont plus uniquement un effet de présomption de preuve. Il vise ainsi explicitement à suivre le législateur français en assimilant la force probante des documents électroniques à celle des documents sur support papier. La qualification des documents (électroniques ou papiers) n’est donc plus à prendre en compte en tant que telle pour déterminer la valeur probatoire de ces supports. En revanche, seule compte, pour les documents électroniques, l’existence ou non d’une signature qualifiée afin de leur accorder la valeur probatoire des documents traditionnels, c'est-à-dire leur confier la force probante des preuves littérales. Il est simplement regrettable que le législateur allemand ne soit pas allé au bout de la transposition des directives, en qualifiant d’emblée les documents électroniques de preuves littérales. De surcroît, l’Allemagne refuse encore catégoriquement d’accorder une réelle valeur aux documents électroniques dépourvus de signatures qualifiée. En ce sens, elle s’oppose au législateur européen qui visait à baisser les exigences en matière de signature. (Article 5 de la directive du 13 décembre 1999).

La jurisprudence française, à cet égard, fait preuve d’une souplesse plus importante et intègre ainsi d’avantage la position européenne.

IV/ La jurisprudence française appréciée à la lumière de la position européenne

L’arrêt de la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation du 13 mars 2008 (publié au bulletin, 06-17.534) permet de faire le point sur la teneur et le rôle de la mention exigée à titre probatoire par l’article 1326 du Code civil dans sa rédaction issue de la loi du 13 mars 2000. Il résulte de cet article que si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie elle-même qui s’engage, n’est plus nécessairement manuscrite, elle doit alors résulter, selon la nature du support, d’un des procédés d’identification conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s’assurer que le signataire est le scripteur de la dite mention. Cet arrêt a le mérite d’expliciter la portée de la modification de l’article 1326 du Code civil.

En l’espèce un litige s’était noué autour de la force probante de la reconnaissance de dette qui venait constater une opération intervenue. La question consistait à déterminer si la modification de l’article 1326 du Code civil avait eu pour effet d’entraîner l’admission en tant que preuves de mentions non manuscrites. La Cour d’appel a débouté le prêteur de sa demande en remboursement au motif que sur l’acte intervenu, seule la signature était de la main du débiteur à l’exclusion de la mention en chiffres et en lettres. Pour la Cour, l’acte s’analysait ainsi en un commencement de preuve par écrit. Un pourvoi à l’encontre de la décision fut formé. La Cour de cassation casse pour violation de la loi l’arrêt rendu par la Cour d’appel et précise le sens et la portée de l’article 1326 qui est porteur d’un double message. Tout d’abord, il importe peu que la mention de la somme en lettres et en chiffres soit manuscrite. En revanche, et en second lieu, la mention écrite ne peut être admise qu’à la condition d’avoir été rédigée par le débiteur lui-même : elle doit lui être personnelle.

La position tenue par la Cour d’appel n’est pas sans rappeler l’attitude actuelle du législateur allemand. En effet, la Cour d’appel estime que la mention manuscrite ne tolère aucun équivalent et qu’en son absence, l’acte dégénère en commencement de preuve par écrit. Il s’agit pour elle de privilégier le débiteur. Mais la cour, en statuant ainsi semble faire l’économie de la réforme intervenue par la loi du 13 mars 2000. Or d’une façon similaire, le législateur allemand, par la loi du 13 juillet 2001 refusait de faire rentrer les documents électroniques dans la catégorie des preuves littérales (Urkundebeweis). Au contraire, ces documents devaient faire l’objet d’un examen devant le juge, et leur valeur probatoire dépendait de son appréciation souveraine. Ainsi, de la même façon que la Cour d’appel en l’espèce, le système allemand manifeste une certaine méfiance vis-à-vis de la valeur probatoire d’une mention lorsqu’elle n’est pas manuscrite.

La Cour de Cassation quant à elle se conforme pleinement à la directive européenne du 8 juin 2000 en ce qu’elle affirme que la mention manuscrite n’est plus que l’une des formes que peut revêtir la mention spéciale prévue par l’article 1326 du Code civil. En effet, d’après la directive, une donnée électronique ne doit pas être privée de toute reconnaissance juridique à titre de preuve en justice au seul motif qu’elle est électronique. Cette solution entraîne donc une diversification des formes de la mention écrite, qui peut désormais être manuscrite, dactylographiée ou électronique. Comme le préconisait la directive, cet arrêt met en marche la libéralisation de la mention écrite.

Si par cet arrêt, la jurisprudence française semble se plier parfaitement aux exigences européennes, on perçoit pourtant les difficultés qu’engendre cette solution puisque, dès lors que la mention n’est plus manuscrite, comment démontrer qu’elle a bien été écrite par le débiteur lui-même ? Cette preuve sera souvent difficile à rapporter, affaiblissant ainsi gravement la sécurité qui doit présider au fonctionnement de la preuve littérale.

On comprend donc mieux les exigences supplémentaires imposées par le système allemand qui consistent à accorder aux documents électroniques la valeur probatoire des documents sur support papier à la seule condition qu’ils soient pourvus d’une signature qualifiée. Celle-ci atteste en effet de l’identité de son scripteur. Ainsi peut-on reprocher un certain laxisme à la position prétorienne française. Même si la signature électronique consiste en « l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache » (art. 1316-4 du Code Civil), l’acte est plus aisément falsifiable. Ainsi la mention manuscrite présente-t-elle une sécurité bien supérieure. C’est sans doute pour cette raison, que le législateur allemand a choisi de regrouper les documents électroniques et les documents sur support papier dans des qualifications différentes. En qualifiant ces premiers de preuves par Augenschein, le législateur allemand prend le parti de la prudence, et confère au juge la mission de rétablir la sécurité qui doit présider à l’administration de chaque preuve.

Il semble ainsi que les législateurs allemand et français, s’ils ont tenté tous les deux d’harmoniser leurs législations, ont privilégié des finalités différentes. Alors que le premier a préféré se montrer rigoureux face aux documents électroniques afin de préserver la sécurité juridique qui gouverne le droit de la preuve, le second s’est montré plus audacieux et a cherché à conférer un statut stable aux documents électroniques dans le but d’adapter le droit actuel à la modernisation du droit civil. Or, il ne faut pas perdre de vue que le droit ainsi que le commerce électronique via Internet, se jouent des frontières. C’est pourquoi il est nécessaire d’établir à long terme un régime juridique harmonisé au moins au plan européen, en complément des normes déjà existantes.

Bibliographie

Manuels : Droit de l’informatique et de l’Internet, A.LUCAS, J.DEVEZE, J.FRAYSSINET. Contrats civils et commerciaux, F. COLLART DUTILLEUL, P.DELEBECQUE. Droit civil et contrats spéciaux, P.H. ANTONMATTEI, J.RAYNARD Droit privé allemand, F.FERRAND. Vive la signature électronique !, I.RENARD. Le droit du commerce électronique, X. LINANT DE BELLEFONDS Vocabulaire juridique, G.CORNU

Articles disponibles sur Internet: droit du procès et de la preuve judiciaire, « Les documents électroniques au sein des systèmes probatoires allemand et français », par Coraline RIET Die Beweiskraft elektronischer Verträge: Zur Entwicklung der zivilprozessrechtlichen Vorschriften über die Beweiskraft elektronischer Dokumente, par S. KLEIN. Die Verträge mit elektronicher Signatur, par T.FEIL. Didier GOBERT, Etienne MONTERO, „l’ouverture de la preuve littérale aux écrits sous forme électronique“, Journal des tribunaux, 17 février 2001.