Commentaire comparé de l’arrêt Giron v. City of Alexander, US District Court, E.D. Arkansas, Western Division (USA/Europe)

L’affaire Giron v. City of Alexander rendue par la Cour Fédérale Américaine en 2010, traite principalement du concept de profilage racial aux Etats-Unis.Giron v. City of Alexander, 693 F. Supp. 2d 904 (E.D. Ark. 2010). En effet, dans cette affaire, des conducteurs d’origine hispanique ont été arrêtés alors qu'ils ne disposaient pas d’un permis de conduire valide, mais ont cependant reçu une amende pour avoir conduit sans permis. Cette seconde infraction est punie par une amende plus importante que la première. De plus, l’un des autres plaignants, Ruben Duarte, a indiqué qu'il avait arrêté pour avoir mis deux autocollants représentant le drapeau du Mexique et celui du Guatemala à l’arrière de sa voiture. Officiellement, l'amende avait pour origine un problème d'obstruction de la visibilité et la conduite sans permis. La plainte vise en premier lieu l’officier de police pour pratique discriminatoire, mais aussi la ville Alexander dès lors qu’elle est restée passive face à ces pratiques, ainsi que le chef de la police, qui a délibérément fermé les yeux sur cet incident. Selon la cour, l’arrestation des conducteurs hispaniques ainsi que les amendes que la police leur a imposées, aurait été un moyen pour les officiers de police d’aider financièrement la ville d’Alexander et d’inciter ces derniers à déménager. La cour fédérale conclut qu’il existe bien une pratique discriminatoire, dès lors que les arrestations effectuées par l’agent Leath ont été exercées à la fois sur base raciale mais aussi l’origine nationale. La cour fédérale a ainsi conclu qu’il y a violation de la clause d’Égalité, que la police ainsi que la ville sont tenus responsables.

Selon la loi Fédéral américaine portant sur le profilage racial (Racial Profiling Act) de 2001, le profilage racial est une « practice of a law enforcement officer’s relying to any degree on race, ethnicity, national origin, or religion in selecting which individuals to subject to routine investigatory activities or in deciding upon the scope and substance of law enforcement activity following the initial routine investigatory activity». Aux Etats-Unis, la pratique du profilage racial, à savoir l’arrestation de personnes fondée sur une discrimination raciale, est devenue importante vers la fin des années 90. On parlait de « driving while Black ». Aux Etats-Unis, la plupart des définitions existantes du profilage racial, se rattachent aux interventions, sans motif valable, des agents responsables du maintien de l’ordre ou de la sécurité publique envers les individus du fait principalement de leur race ou de leur appartenance ethnique. (Deborah RAMIREZ, Jack McDEVITT et Amy FARRELL, A Resource Guide on Racial Profiling Data Collection Systems – Promising Practices and Lessons Learned, Northeastern University, 2000). De nombreuses organisations la condamnent, dès lors qu’elle nuit et porte atteinte aux droits fondamentaux de l’Homme et à ses libertés. (http://www.aclu.org/racial-justice/racial-profiling).

A l’origine, les individus étaient victimes de cette forme de discrimination dans le cadre de la lutte contre la criminalité et le trafic de stupéfiants. « Operation Pipeline », une politique fédérale américaine émanant du DEA (Drug Enforcement Administration), a édicté dès les débuts des années 1970, des règles utilisées partout aux États-Unis qui ont servi à entraîner des agents des forces de l’ordre pour identifier les potentiels trafiquants de stupéfiants. (ACLU of Northern California, « Operation Pipeline », Executive Summary, Task Force on Government Oversight (September 1999), http://www.aclunc.org/discrimination/webb-report.html; Revue Internationale de criminologie et de police ethnique et scientifique, tiré du numéro 1, 2002, Genève, Suisse; Racisme et modernité, édition La Découverte, Paris, 1993). L’arrêt Giron prouve qu’encore aujourd’hui, malgré les progrès effectués en la matière, l’égalité de traitement n’est pas toujours respectée.

Dans la grande majorité des affaires, aux Etats-Unis, le plaignant victime d’une discrimination se fonde sur la Clause d’Egalité (« Equal Protection Clause ») du quatorzième Amendement, qui a pour but principal d’assurer l’égalité de tous devant la loi. À partir de cette observation, l’analyse que la cour développe, en cas de discrimination fondée sur la race, relève d’un examen approfondi de cette pratique relativement courante. La pratique discriminatoire doit pouvoir être contrebalancée par un intérêt supérieur du gouvernement. Concernant tous les autres types de discriminations, ils doivent être justifié par un « rationality test ». La cour se demande ainsi si la différence de traitement est raisonnable et si elle est justifiée par un intérêt légitime. Le test est donc plus souple pour le gouvernement. La question est de plus en plus celle de savoir sur quelle base la discrimination se fonde.

Le deuxième fondement le plus courant est l’article quatre de la Constitution des Etats-Unis relatif aux fouilles rapprochées et déraisonnable envers des minorités, conducteurs (comme dans l’affaire Giron) ou piétons (comme dans l’affaire Wilkins v. Maryland State Police), sans réel motif.

L’affaire Giron n’échappe pas à cette analyse. En effet, les conducteurs ont invoqué une discrimination raciale à la fois sur le fondement de la Clause d’Égalité du Quatorzième Amendement et l’article quatre de la Constitution.

Selon Leath, partie défenderesse, le fait que la plupart des amendes qu’il imposait étaient destinées aux hispaniques relevait uniquement de la coïncidence. Il témoigna qu’il avait connaissance de l’interdiction relative au profilage racial. La cour a cependant conclu que Leath utilisait ces prérogatives policières en vue de discriminer une race particulière, en l’espèce, les hispaniques. La cour a même mis en valeur le fait accablant que Leath était connu pour ces pratiques discriminatoires.

En terme de raisonnement, la cour procède à une analyse claire et directe, montrant de la détermination quant à l’interdiction de toutes formes de discriminations en générale et de profilage racial en particulier. Elle affirme que pour prouver le profilage racial, le demandeur doit établir d’une part que la pratique a un effet discriminatoire et qu’elle a été motivée par un objet discriminatoire. (Wayte v United States, 470 U.S. 598, 608 (1985)).Concernant l’agent Leath, la cour a considéré qu’il visait intentionnellement une partie de la population, à savoir les hispaniques, lors de ces arrestations. En outre, il traitait les non hispaniques de façon plus favorable. L’agent Leath met en avant l’argument selon lequel les effets discriminatoires d’une pratique ne peuvent être prouvés que d’une seule façon, à savoir en identifiant des individus de races différentes qui n’ont pas subi d’arrestations alors qu’ils avaient commis les mêmes crimes. La cour, au contraire, précise que les effets discriminatoires peuvent être prouvés de plusieurs façons : en identifiant un individu qui n’a pas été arrêté, ou grâce à des statistiques, ou encore des preuves claires de traitements différents fondées sur une base raciale, comme c’est le cas dans notre affaire Giron. (Farm Labor Organizing Committee v. Ohio State Highway Patrol, 308 F.3d 523, 534 (6th Cir. 2002).) En l’espèce, selon la cour, le fait que près de 70% des personnes arrêtées par Leath soient d’origine hispanique est particulièrement révélateur des pratiques employées.La Cour d’Appel Fédérale du 8e circuit des Etats-Unis a d’ailleurs jugé qu’une plainte fondée prima facie sur la clause d’Égalité pouvait aussi être retenue en cas de preuve directe de discrimination raciale. Ainsi l’usage de statistiques en l’espèce constitue une preuve directe de discrimination raciale, justifiant le fondement de la plainte. Enfin, le Quatorzième Amendement requiert également qu’une intention discriminatoire soit démontrée en plus d’un effet discriminatoire (Cour Suprême des Etats-Unis, Washington v. Davis, 426 U.S. 229, (1976)), ce qui rend la discrimination très difficile à prouver. Cependant, dans notre affaire, la Cour Fédérale ne mentionne pas cet impératif, ce qui semble finalement le rendre inexistant. L’on peut en déduire que l’intention discriminatoire ne semble pas pertinente pour conclure qu’il existe une discrimination. C’est ainsi qu’au vu de toutes les circonstances, la cour décide qu’il existe une pratique discriminatoire de profilage racial.

 

En droit Européen, la discrimination n’est pas automatiquement prohibée. Les cours européennes (la Cour de Justice et la Cour Européenne des Droits de l’Homme – CJ et CEDH) raisonnent de façon inverse. Il peut y avoir des différences de traitement dès lors qu’elles sont strictement justifiées. En effet, deux conditions doivent être remplies. D’une part, les différences de traitement doivent poursuivre un but légitime qui les justifie « objectivement et raisonnablement », et d’autre part, elles doivent être nécessaires et appropriées Cependant, concernant les discriminations « directes »,  peu de justifications sont admises, en droit de l’UE. La deuxième condition renvoie au principe de proportionnalité. En matière de discrimination raciale, le problème est assez récent. La directive européenne de 2000 permet de protéger contre les discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique. La France ne l’a que partiellement transposée.

Plus précisément, en matière de profilage racial, la Cour Européenne semble encline à qualifier dès que possible le profilage racial de discriminatoire. En effet, en 2005, la CEDH s’est officiellement prononcée à l’encontre du profilage racial, en indiquant qu’aucune différence de traitement fondée principalement sur l’origine ethnique d’une personne ne pouvait être objectivement justifiée (Timishev v. Russie, décisions n° 55762/00 et 55974/00 du 13 décembre 2005, § 58). Cependant, le problème est procédural. Prouver une discrimination reste très difficile, et utiliser des statistiques franchit rarement la barrière de la protection des données et informations confidentielles, consacrée en droit européen (CEDH, DH et autres c. République Tchèque, décision no 57325/00 du 13 novembre 2007). En effet, la Directive Européenne relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données  (Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995), en particulier, met en œuvre une protection stricte des droits des individus dont des données personnelles sont récoltées. Cependant, la Convention de 1981 n’autorise la collecte d’informations que si le droit interne  en garantie la protection. En d’autres termes, la collecte de statistiques ne saurait se faire au détriment de la protection de données personnelles.

 

En France, il n’existe pas de statistiques ethniques. Différents organismes interviennent dans la lutte contre les discriminations mais le problème reste largement irrésolu. La HALDE, par exemple, est une autorité administrative indépendante crée par la loi de 2004 (elle a disparu, pour fusionner dans l'insitution du défenseur des droits en 2011), et qui promeut l’égalité et la lutte contre les discriminations. (http://www.halde.fr/Presentation,10977.html). Au niveau européen, l’ECRI (commission européenne contre le racisme et l’intolérance) est l’instance indépendante de monitoring du Conseil de l’Europe dans le domaine des droits de l’homme spécialisée dans les questions de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie, l’antisémitisme et l’intolérance. L’action de l’ECRI couvre toutes les mesures nécessaires pour lutter contre la violence, les discriminations et les préjugés auxquels sont confrontés des personnes ou groupes de personnes au motif de leur race, couleur, langue, religion, nationalité ou origine nationale ou ethnique. (http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/default_fr.asp). C’est un observatoire européen rattaché au conseil de l’Europe.

 

La décision Giron de la Cour fédérale des Etats-Unis est non seulement récente, mais a été rendue au niveau fédéral, ce qui montre un engouement et une prise de conscience plus importante sur la question. L’on y voit une volonté judiciaire de placer les intérêts des individus et l’exigence de non discrimination avant les intérêts de l’Etat (en l’espèce, les intérêts financiers de l’Etat d’Arkansas). Cette volonté confirme l’élan de la Cour Suprême des Etats-Unis dans l’affaire Whren de 1996, qui offre une protection constitutionnelle pour les arrestations par la police étant uniquement un prétexte, en faveur du profilage racial. (Karen Glover, p. 24). (Whren v. United States, 517 U.S. 806, 116 S. Ct. 1769, 135 L. Ed. 2d 89 (1996)). Une reconnaissance fédérale de la condamnation du profilage raciale est ainsi établie.

Ces décisions sont des exemples particulièrement pertinents pour le droit européen de la discrimination. Elles incitent le droit européen à prendre des mesures plus tranchées en ce qui concerne ces pratiques discriminatoires. Encore aujourd’hui, de nombreuses manifestations de soutient à l’encontre des pratiques de profilage racial existent. Par exemple, The Police Executive Research Forum (PERF) a récemment reçu des fonds pour publier un guide répertoriant les attitudes à avoir en cas d’arrestations biaisées. De plus, les affaires se multiplient et prennent de plus en plus d’ampleur, comme l’affaire Friendly House et al. v. Whiting et al.,  qui a débuté en Janvier 2011. Dans cette affaire, une class action a été engagée pour remettre en question la constitutionalité d’une loi en Arizona exigeant que la police demande les papiers de tous ceux dont ils doutent que leur autorisation d’être sur le territoire américain soit légale.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

·      OUVRAGES:

 

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RAMIREZ Déborah, Jack McDEVITT et Amy FARRELL, A Resource Guide on Racial Profiling Data Collection Systems – Promising Practices and Lessons Learned, Northeastern University, 2000.

 

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·      ARTICLES

 

ACLU of Northern California, « Operation Pipeline », Executive Summary, Task Force on

Government Oversight (September 1999), http://www.aclunc.org/discrimination/webb-report.html; Revue Internationale de criminologie et de police ethnique et scientifique, tiré du numéro 1, 2002, Genève, Suisse;Racisme et modernité, édition La Découverte, Paris 1993.

 

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Turenne Michèle, « PROFILAGE RACIAL » : TOUR D’HORIZON, Communication présentée, le 4 juin 2004, à l’atelier des communautés culturelles, dans le cadre du Congrès annuel du Barreau.

 

Tyler, Tom and Cheryl J. Wakslak, « Profiling and police legitimacy : procédural justice, attributions of motive, and acceptance of police authority, Cirminology 42 :253-82

 

·      DIRECTIVES ET CONVENTIONS EUROPÉENNES

 

Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995.

 

Convention de 1981.

 

·      DECISIONS JUDICIAIRES

 

Giron v. City of Alexander, 693 F. Supp. 2d 904 (E.D. Ark. 2010)

 

Wayte v United States, 470 U.S. 598, 608 (1985).

 

Farm Labor Organizing Committee v. Ohio State Highway Patrol, 308 F.3d 523, 534 (6th Cir. 2002)

 

Whren v. United States, 517 U.S. 806, 116 S. Ct. 1769, 135 L. Ed. 2d 89 (1996)

 

Washington v. Davis, 426 U.S. 229, (1976).

 

Timishev v. Russie, décisions n° 55762/00 et 55974/00 du 13 décembre 2005.

 

Friendly House et al. v. Whiting et al., devant la US District Court, en cours.

 

CEDH, DH et autres c. République Tchèque, décision N° 57325/00 du 13 novembre 2007.

 

·      SITE INTERNET :

 

http://www.amnestyusa.org/us-human-rights/racial-profiling/page.do?id=11...

http://www.aclu.org/racial-justice/racial-profiling

http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/default_fr.asp

http://www.halde.fr/Presentation,10977.html

http://www.spvm.qc.ca/fr/service/1_5_2_2_profilage-racial.asp

https://wcd.coe.int/wcd/ViewDoc.jsp?id=1387723&Site=CM