Commentaire dans une perspective de droit comparé de l'arrêt Re Spectrum Ltd (Royaume-Uni) par Clara Pirez

Re Spectrum Plus Ltd, National Westminster Bank plc v. Spectrum Plus Ltd and others est un arrêt rendu par la Chambre des Lords le 30 juin 2005. Cet arrêt porte sur la floating charge, sûreté qui porte sur le capital d’une société et ne pouvant être mise en œuvre qu’à la survenance d’un certain événement. En 2006 a été introduit en droit français le concept de nantissement de biens incorporels, qui, au regard des faits de l’espèce, pourrait remplir le même objectif que la floating charge.

National Westminster Bank plc v. Spectrum Plus Ltd and others 2005 4 All ER 209 (Re Spectrum Ltd) est un arrêt rendu par la Chambre des Lords le 30 juin 2005. En l’espèce, une entreprise, Spectrum Plus Ltd, avait consenti une sûreté à la banque National Westminster Bank. Cette sûreté consistait en une charge portant sur les créances de la société. Chaque créance récoltée par la société devait être consignée sur un compte courant spécial. Selon les termes du contrat, cette sûreté était une « fixed charge », c’est-à-dire une sûreté dont l’assiette était déterminée au moment de la conclusion du contrat et qui n’était pas destinée à varier. Lors de la liquidation judiciaire de la société, les créanciers privilégiés ont soutenu que la sûreté détenue par la banque était en réalité une « floating charge », rabaissant ainsi la banque au rang de créancier chirographaire. Jusqu’à cet arrêt rendu par la Chambre des Lords, ce type de sûreté détenu par la banque avait toujours relevé de la « fixed charge », sans tenir compte des droits du débiteur et du créancier sur le compte courant. Ce type de sûreté étant de plus en plus courant dans le monde des affaires, le jugement de la Chambre des Lords sur la qualification de cette charge était vivement attendu, car de cette qualification dépend le rang de la banque parmi les créanciers lors de la liquidation judiciaire de la société. La « floating charge » est une sûreté portant sur le capital d’une société, ce capital pouvant varier au cours du temps. Cette sûreté ne peut se réaliser qu’à la survenance d’un certain événement. En France, la sûreté qui se rapproche le plus de la « floating charge » est le nantissement de biens incorporels, sûreté portant généralement sur les créances de la société présentes ou futures. Cette sûreté est désormais régie par le code civil depuis l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006. Un des objectifs de cette ordonnance était de moderniser le droit des sûretés et de le rapprocher du système anglo-saxon. En ce sens, il est donc intéressant de comparer les réponses qu’apportent les droits anglais et français sur la qualification de la sûreté portant sur les créances d’une société placées sur un compte spécial, et sur les conséquences de cette qualification en cas de liquidation judiciaire de la société. Plus précisément, cette comparaison permet de voir si l’ordonnance du 23 mars 2006 répond à son objectif de modernisation en rendant le droit français des sûretés plus flexible, à l’image de la « floating charge » anglaise.

Qualification de la sûreté détenue par la banque en l’espèce

Dans l’arrêt Re Spectrum Ltd, la Chambre des Lords a jugé que la sûreté détenue en l’espèce par la banque correspondait à une « floating charge », malgré la qualification de « fixed charge » qu’avaient faite les parties. Cet arrêt constitue un revirement de jurisprudence par rapport à ce que les tribunaux anglais avaient décidé depuis l’arrêt Siebe Gorman 1979 2 Lloyd's Rep. En décidant que la sûreté litigieuse était une « floating charge », la Chambre des Lords a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel qui avait donné raison à la banque. Pour qualifier la sûreté de « floating charge », la Chambre des Lords est tout d’abord revenue sur la définition de la « floating charge », en a relevé ses principales caractéristiques, avant d’étudier plus en détail la sûreté litigieuse en elle-même. La « floating charge » s’est d’abord développée en equity avant d’être consacrée par la loi en 1897 avec le Preferential Payments in Bankruptcy Amendment Act (amendement de la loi sur les paiements privilégiés en cas de liquidation judiciaire). Cependant que ce soit dans cette loi ou dans les lois ultérieures, aucune définition de la « floating charge » n’est donnée. Une définition en a été donnée dans l’arrêt Houldsworth v. Yorkshire Woolcombers Association Ltd 1903 2 Ch 284, rendu par la cour d’appel en 1903, définition depuis devenue classique. D’après cet arrêt, la « floating charge » est définie comme une sûreté portant sur une partie du capital présent et futur d’une société. La partie du capital concernée doit, dans le cadre du cours ordinaire des affaires de la société, être variable. Il est convenu lors de la conclusion du contrat portant création de la sûreté que, jusqu’à la survenance d’un certain événement relatif à la sûreté en question, la société peut conduire ses affaires en étant libre de disposer de son capital normalement. Selon Lord Scott of Foscote qui a rédigé une partie de l’arrêt Re Spectrum Ltd, la principale caractéristique de la « floating charge » qui la distingue de la « fixed charge » réside dans le troisième élément de la définition de la « floating charge ». Une sûreté qui remplirait seulement les deux premiers critères de la définition serait fixe. En effet, ce qui est important dans la « floating charge », ou charge flottante, est que le capital mobilier objet de la sûreté ne remplit réellement son rôle de sûreté en servant au paiement de la dette du débiteur qu’à la survenance d’un événement futur. En attendant cet événement, le débiteur est libre d’utiliser le capital sécurisé et même de le retirer de l’assiette de la sûreté. C’est sur cette caractéristique et sur la lettre du titre détenu par la banque en l’espèce que la Chambre des Lords considère que la charge de la banque était flottante. D’après le contrat entre la banque et la société, cette dernière devait placer toutes les sommes perçues au titre de ses créances dans un compte courant ouvert spécialement à cet effet auprès de la banque. Ce compte courant offrait une possibilité de £250000 de découvert autorisé. La société n’avait pas le droit de réduire la dette de ses débiteurs, de créer d’autres charges sur ses créances ou de céder ses créances sans le consentement préalable par écrit de la banque. Mise à part cette obligation, la société était parfaitement libre d’utiliser les sommes présentes sur le compte dans le cadre du cours normal de ses affaires commerciales, la seule limite étant de ne pas dépasser la limite du découvert autorisé. Bien que le compte ait été ouvert spécialement pour recueillir les créances de la société, sur lesquelles portait la sûreté détenue par la banque, ce compte fonctionnait en tous points comme un compte courant ordinaire. C’est parce que la société débitrice était libre de retirer autant d’argent qu’elle le souhaitait sur le compte, dans la limite de £ 250 000, que la Chambre des Lords a estimé que la charge était flottante en l’espèce. L’élément déterminant réside dans la liberté qu’a le débiteur de retirer de l’argent du compte en banque. Si le compte en banque avait été bloqué, la charge aurait été fixe. Il en aurait été de même si la société débitrice avait eu le droit de retirer de l’argent sur le compte mais seulement de façon restreinte, après accord préalable de la banque créancière. Il découle de cet arrêt que l’élément principal de la « floating charge » réside désormais dans la liberté d’action laissée au débiteur dans l’usage du capital sur lequel porte la sûreté.

La « floating charge » n’existant pas en droit français, on peut se demander comment la sûreté litigieuse aurait été qualifiée en droit français.

Qualification de la sûreté litigieuse en droit français

L’ordonnance du 23 mars 2006 introduit plusieurs articles qui régissent le nantissement de biens incorporels. Le nouvel article 2355 du code civil dispose que « le nantissement est l’affectation, en garantie d’une obligation, d’un bien meuble incorporel ou d’un ensemble de biens meubles incorporels, présents ou futurs ». En l’espèce, la sûreté portait sur les créances de la société débitrice. Les créances sont des biens incorporels. Ceci est confirmé par l’article 2355 qui précise que le nantissement de créances est régi par les dispositions sur le nantissement de biens incorporels. En l’espèce, les créances nanties étaient placées dans un compte spécial. Le code civil ne prévoit pas cette hypothèse mais rien n’empêche d’envisager que cette pratique puisse entrer dans le cadre du nantissement de créances. Depuis la réforme du droit des sûretés, une charge portant sur les créances d’une société dont les sommes perçues à cet égard sont placées sur un compte spécial, comme c’est le cas en l’espèce, sera sans nul doute qualifiée de nantissement de créances régi par les dispositions du nantissement de biens incorporels du code civil. Cependant, alors que le droit anglais porte une grande attention aux droits et obligations de chaque partie pour qualifier la sûreté de fixe ou flottante, cette distinction n’existe pas en droit français. Il ne fait non plus nulle part état dans le code civil de la possibilité pour la société débitrice d’utiliser les sommes placées sur le compte bancaire au titre des créances nanties. La sûreté litigieuse est donc qualifiée de « floating charge » en droit anglais et de nantissement de créances en droit français. Bien que ces sûretés portent sur les mêmes biens, des différences subsistent tant en ce qui concerne leur constitution qu’en ce qui concerne leur régime.

Constitution et régime de la « floating charge » et du nantissement de créances

L’article 2356 du code civil dispose que le nantissement de créance doit être conclu par écrit à peine de nullité. L’écrit doit désigner les créances garanties et les créances nanties. Si les créances nanties sont futures, elles doivent être individualisées ou au moins identifiables. Pour être opposable au débiteur, le nantissement doit lui être notifié en vertu de l’article 2362. En ce qui concerne la « floating charge », sa validité ne dépend pas d’un écrit. Cependant, selon l’article 395 du Companies Act (loi sur les sociétés) du 11 mars 1985, la sûreté doit être enregistrée pour être opposable aux tiers sous peine d’en perdre le bénéfice en cas d’ouverture d’une procédure collective. Le nantissement de biens incorporels et la « floating charge » sont également différents sur d’autres points. Les provisions sur le nantissement de biens incorporels ne concernent que le nantissement de créances. En effet, l’article 2355 précise que le nantissement de biens autres que les créances est soumis au même régime que celui du gage de meubles corporels, c’est par exemple le cas du nantissement de parts sociales. Le nantissement diffère donc de la « floating charge » en ce qu’il n’offre pas un régime unifié pour tous les nantissements de biens incorporels, unification qui était pourtant l’un des objectifs de l’ordonnance, mais également en ce qu’il offre une assiette beaucoup plus restreinte. Comme son nom l’indique, le nantissement ne concerne que les biens incorporels. La « floating charge » est beaucoup plus flexible et concerne plus de biens. En effet, elle peut porter sur n’importe quelle partie de l’actif du capital d’une entreprise, que ce soit sur les créances comptables comme en l’espèce, ou le stock. En ce qui concerne le régime du nantissement de créances, deux situations doivent être distinguées selon que les créances garanties sont échues ou pas. L’article 2365 dispose que, lorsque la créance garantie est échue avant la créance nantie, le créancier peut demander l’attribution judiciaire de la créance nantie. Au cas où la créance nantie est échue avant la créance garantie, l’article 2364 dispose que le créancier peut réclamer la créance nantie avant l’échéance de la créance garantie. Les sommes ainsi perçues sont alors consignées dans un compte en banque. Si l’obligation garantie est exécutée, les sommes perçues seront alors restituées à la société débitrice. Le régime de la « floating charge » est bien différent. En effet, cette charge ne se cristallise qu’à la survenance d’un certain événement. Autrement dit, la « floating charge » ne peut pas être mise en œuvre avant de devenir fixe. C’est le cas lors de l’ouverture d’une procédure collective, ou quand le créancier choisit lui-même de rendre la sûreté fixe. En l’espèce, la sûreté est devenue fixe au moment de la liquidation judiciaire du débiteur. L’importance de la qualification de la sûreté litigieuse en « floating charge » est très importante en l’espèce car, de cette qualification, dépend le rang de la banque comme créancière en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise.

« Floating charge » et nantissement en cas de liquidation judiciaire

Dans l’arrêt Re Spectrum Ltd, la qualification de la sûreté en « floating charge » est très importante car elle rabaisse la banque au dernier rang dans l’ordre des créanciers. En effet, en droit anglais, les créanciers qui sont au premier rang en cas de liquidation judiciaire sont ceux qui bénéficient d’une « fixed charge ». C’est ce qui a été décidé dans l’arrêt Wheatley v. Silkstone & Haigh Moor Coal Co (1885) 29 Ch D 715. Le titulaire d’une « floating charge » qui devient fixe par le prononcé de la liquidation judiciaire ne devient pas titulaire d’une sûreté fixe. Au deuxième rang figurent les créanciers privilégiés énoncés à l’article 175(2)(b) de l’Insolvency Act (loi sur l’insolvabilité) de 1986. Ces créanciers sont les employés de l’entreprise et les créanciers de la Couronne. La situation du créancier titulaire d’une charge flottante est donc extrêmement précaire. La « floating charge » a l’avantage d’être flexible et permet à l’entreprise débitrice de continuer à fonctionner normalement en disposant comme elle le souhaite de son capital disponible. Cependant, non seulement le créancier risque de ne jamais recouvrer sa créance en cas de dilapidation du capital par l’entreprise, mais en plus il ne bénéficie d’aucune priorité en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise. Le droit anglais a remédié à ce problème en donnant la possibilité à la banque titulaire d’une « floating charge » de nommer un administrateur séquestre qui a pour mission de gérer et de contrôler l’entreprise en vue de récupérer sa créance. Il n’y a pas besoin d’autorisation judiciaire mais l’assiette de la « floating charge » détenue par la banque doit s’étendre à tout l’actif de la société. En droit français, le titulaire d’un nantissement, ou de toute autre sûreté, doit déclarer sa créance lors de l’ouverture d’une procédure collective sous peine d’inopposabilité de sa créance envers les autres créanciers. C’est ce qui est prévu à l’article L.622-26 du code de commerce. Les créanciers titulaires d’un nantissement sont, contrairement aux titulaires d’une « floating charge », des créanciers privilégiés. Le nantissement, bien qu’étant beaucoup moins flexible que la « floating charge », est néanmoins beaucoup plus sûr pour les banques créancières. L’objectif de l’ordonnance du 23 mars 2006 était de moderniser et d’unifier le droit des sûretés français. La création du nantissement de biens incorporels est certes un signe de modernisation mais les dispositions le régissant ne sont pas toujours très claires. On peut également regretter l’absence d’unification du régime du nantissement. La réforme du droit des sûretés français pourrait donc être approfondie.

Bibliographie :

- Pierre Crocq, La réforme des procédures collectives et le droit des sûretés, Recueil Dalloz 2006 n°19, p.1306 - Cécile Lisanti, Quelques remarques à propos des sûretés sur les meubles incorporels dans l’ordonnance n° 2006-346 du 23 mars 2006, Recueil Dalloz 2006 n° 38, p. 2671-2675 - Sarah Worthington, Floating charges : an alternative theory, http://heinonline.org.chain.kent.ac.uk/HOL/Page?handle=hein.journals/cam...

- Activité européenne et internationale du Ministère de la Justice, L’insolvabilité des entreprises : analyse de droit comparé, http://www.justice.gouv.fr/Saei/Ailleurs/Enjeux/insolvabilite.htm - Les documents de travail du Sénat, série législation comparée, la sauvegarde des entreprises en difficulté, http://www.senat.fr/lc/lc135/lc135.pdf