Commentaire de l’arrêt du 8 juin 2011 rendu par la Cour d’appel de Moscou (affaire de Lamila Keleshova)

INTRODUCTION

La Russie est l’un des pays ou la gestation pour autrui à titre onéreux est légale. La situation est identique pour l’Afrique du Sud, l’Ukraine et certains états des États-Unis. Dans des autres pays la GPA est soit  illégale, et même réprimée (par exemple, en Norvège la femme donneur de ces ovocytes peut être condamnée à 5 ans de prison), soit légale à la condition d’être  à titre gratuit. C'est-à-dire, la mère-porteuse ne peut pas être rémunérée pour la gestation de l’enfant d’autrui.  C’est le cas de l’Angleterre, Australie, Espagne, etc.

Le problème d’infertilité, biologique ou sociale, poussent des couples ou même des personnes célibataires, à se tourner vers la procréation médicalement assistée, y inclus vers la GPA. Le progrès de la médecine devance l’évolution législative.  Parfois il est plus facile à une personne de satisfaire son désir maternel (ou paternel) que de gagner une batail avec les juges pour établir officiellement un lien de filiation avec l’enfant né de la GPA. Les cas de refus des officiers d’état civil de transcrire les parents biologiques dans l’acte de naissance de l’enfant ne sont pas rares. En France  la GPA est contraire à l’ordre publique et on associe la GPA au  tourisme procréatif. La jurisprudence française en la matière est presque constante: les juges débutent les demandes des parents français qui essaient de contester le refus de l'administration de dresser un acte d'état civil français. Cependant la nouvelle loi « mariage pour tous »  soulèvent de nouveau la question de égalisation de la GPA. La circulaire de Christiane Taubira ne va-t-elle pas dans ce sens?  Le Président de la République a dû se prononcer pour donner son interprétation de la circulaire. Selon lui, la circulaire ne doit pas être vue comme une légalisation de la gestation pour autrui. Cependant, même si le principe de la prohibition des pratiques de GPA, posé en 1991 par la Cour de Cassation, est réaffirmée constatèrent, l’admission des effets d’une convention pratiquée par fraude à la loi fragilise ce principe.

 

En Russie la notion de la mère porteuse n’est pas un phénomène ancien. La notion de la gestation pour autrui est apparue dans la législation russe en 1995 avec l’entrée en vigueur du nouveau Code civil et a été renforcée postérieurement par la loi fédérale du 15 novembre 1997 N143 sur les actes d’état civil ,  prévoyant les règles d’établissement des actes de naissance des enfants nés à l’issu de la PMA, la GPA y inclus.  Par ailleurs, la GPA a  été  mentionnée dans  l’ordonnance du Ministère de la Santé du 26 février 2003 – N67 sur les procédures de PMA dans le but du traitement de la stérilité féminine et masculine. Le même règlement énonçait  que « la GPA était régie par la législation de la Fédération de Russie en vigueur ».   Le premier enfant né du programme de la GPA a été enregistré en 1995.  Les textes ci-desus mentionés  étaient tout de même  contradictoire en partie, en ne mentionnant que les « époux » comme les seules personnes pouvant avoir accès à la GPA et cela pour les raisons médicales. 

 

Depuis 2005 les juges russes sont saisis  par les parents célibataires : les pères et mères célibataires contestent  le refus de l’officier d’état civil de les transcrire en tant que parents dans l’acte de naissance de l’enfant. La jurisprudence parait plutôt constante en matière: les parents célibataires gagnent  les procès.  Il existe en Russie un programme de procréation spécifique, lequel permet de congeler  les ovocytes et les spermatozoïdes des personnes atteintes du cancer  pour leur permettre  de procréer à l’issu du traitement de chimiothérapie. En cas de mort de cette personne malade, ses gamètes peuvent être utilisées par son époux (épouse). Les derniers grands arrêts russes relatifs à la GPA concernent ces cas. C’est notamment le cas de Lamara Kelesheva dont le fils unique est décédé en janvier 2008 à la suite d’un cancer.  Avant de commencer son traitement de chimiothérapie son fils, âgé de 26 ans, a conservé son sperme  dans le cadre de programme de reproduction des personnes atteintes d’un cancer. Après le décès de son fils Madame Kelesheva, âgée de 54 ans, fait recours à deux mères-porteuses et au programme de don des ovocytes. Les enfants ont été conçus in vitro grâce au sperme congelé de son fils et d’une ovocyte d’une donneuse. 4 enfants sont nés en 2010.  L’officier d’état civil a refusé d’inscrire Madame Kelesheva en tant que mère de ces enfants.

 

Les parents « biologiques » en se heurtant au refus de l’officier d’état civil de dresser l’acte d’état civil saisissent le juge. Cependant les raisons de ces refus ne sont pas les mêmes dans les  deux pays. En France l’officier d’état civil refuse l’inscription en cas d’utilisation des pratiques prohibées par la loi (la GPA) ou en cas de demande émanant des parents de même sexe. Ces refus concernent  la transcription sur les actes d’état civil d’actes de naissance effectués à l'étranger. En  Russie le refus  est directement lié aux contradictions et lacunes législatives en matière de  la GPA. Nous verrons cette évolution sur l’exemple de l’affaire de Lamira Kelesheva (I). Les reformes actuellement menées par les législateurs des deux pays ne visent  pas à atteindre les mêmes objectifs. La France cherche avant tout à concilier « l’égalité des sexes » et la parentalité,  trouver une solution permettant  de « légaliser » le lien de filiation des enfants nés de la GPA à l’étranger des commanditaires  dont  au moins un a la nationalité française. La Russie, qui ne reconnait pas les droits des couples de même sexe, axe ses reformes sur le perfectionnement de sa législation en matière de la GPA en ouvrant l’accès à la GPA aux célibataires de deux sexes sans tenir compte ni de leur âge, ni de leur orientation sexuelle. De plus,  l’exigence « des raisons médicales  liées à l’infertilité» ouvrant accès à la GPA s’estompe. (II)

 

I         Raisons de refus des officiers d’état civil d’inscrire les parents biologiques dans l’acte de naissance de l’enfant né de la GPA

 

IA      La législation sur la gestation pour autrui en Russie  et en France  

En Russie la gestation pour autrui est autorisée et réglementée par le Code de la famille, la loi fédérale du 21.11.2011 concernant les fondements de la protection de la santé des citoyens russes, la loi fédérale du 15 novembre 1997 sur les actes de l’état civil et par l’Ordonnance du Ministère de la Santé du 26 février 2003 sur les procèdes de PMA dans le but de traitement de stérilité féminine et masculine.

Cependant il n’existe pas un mécanisme juridique qui réglerait en détail la situation et donnerait une protection solide à tous les participants de l’accord.  En effet, le contrat entre la mère porteuse et les parents biologiques  règle les relations financières entre les parties et traite obligation de la mère porteuse quant à son comportement pendant la grossesse. Cependant, la mère porteuse, comme chaque femme russe,  a les droits fondamentaux dont aucun contrat ne peut la priver: le droit d’interrompre sa grossesse au cours de 12 premières semaines et le droit de «  garder »  l’enfant dont elle a accouché.  En vertu de l’article 51 alinéa 4 du Code de la Famille lе couple marié qui a consenti à la technique de la GPA,  peut être  inscrit dans l’acte de naissance de l’enfant en tant que ses  parents seulement après l’accord donné par la femme qui a accouché de cet enfant). Cependant, une fois un tel accord donné et l’acte de l’état civil  établi au profit des parents, l’article 52 alinéa 3 interdit expressément  à la mère porteuse d’entamer une procédure de contestation de lien de filiation maternelle. Le contrat sur la GPA peut néanmoins prévoir des sanctions financières : dans certains cas la mère porteuse a une obligation de rembourser aux parents biologiques  les frais médicaux liés à la grossesse. Mais si les parents biologiques ne sont pas protégés de «l’ inexécution des obligations » par la mère porteuse, de l’autre coté la loi ne  protège pas non plus la mère porteuse si les parents biologique décident de « rompre » le contrat unilatéralement  au cours de la grossesse ou après la naissance de l’enfant (particulièrement si l’enfant est atteint d’une maladies). En vertu du Code civil russe « la mère de l’enfant est la femme qui l’a accouché».  Ces situations devraient être encadrées par le contrat, cependant la plupart des mères-porteuses l’ignorent et  en conséquence se retrouvent avec l’enfant dans une situation financière difficile. 

Depuis 2011 c’est la loi fédérale N323 du 1 novembre 2011  concernant les fondements de la protection de la santé des citoyens russes qui dresse la liste des personne pouvant avoir recours à la GPA. Jusqu'à 2011 la législation en matière de la GPA comprenait non seulement des lacunes, mais également des contradictions. L’un des problèmes majeurs dans le cadre de GPA est l’établissement de lien de filiation de l’enfant né d’une mère porteuse vis-à-vis des parents d’intention.   En vertu de l’article 51 alinéa 4-2 du Code de la famille « les époux qui ont donné leur accord écrit à l’implantation de l’embryon dans l’utérus d’une autre femme dans le but de prend en charge le développement in utero d'un embryon,  peuvent être inscrit dans le registre de l’état civil en qualité de père et de mère que si la femme qui a accouché cet enfant (la mère porteuse)  donne son accord. » L’art. 51 ne traite que la situation « des époux » qui donnent leurs accord a l’implantation de l’embryon a  une femme  porteuse. C'est-à-dire le Code de la famille n’envisage la GPA que pour un couple marié. Au même temps l’ordonnance du Ministère de la santé prévoit la possibilité a recourir a la GPA dans le cadre de traitement d’infertilité non seulement aux couples mariés, mais également aux femmes célibataires. En outre, le droit  de chaque femme à se réaliser en tant que mère est reconnu comme  le droit fondamental.

 

Jusqu’à 2011   la loi russe gardait silence au sujet de l’ouverture d’accès à la GPA pour les femmes célibataires. Par sa décision du 5 août 2009 la Cour de district Kalininsk de Saint-Pétersbourg  ( l’affaire de Natalia Gorskaia) a dû se prononcer pour la première fois  sur la légalité du refus  de l’officier de l’état civil d’enregistrer l’enfant  né suite à la technique de la GPA  en tant que son enfant en présence d’accord donné en ce sens par la mère porteuse  (exigence de l’article 51  alinéa 4 du Code de la famille).  La Cour se fondait sur l’article 35 de la loi sur « Les fondements législatifs concernant la protection de la santé des citoyens » lequel précise que chaque femme célibataire a les mêmes droits que les femmes mariées pour se réaliser en tant que mère. La Cour a dit qu’il n’existe aucune  norme  interdisant aux femmes non-mariées de se réaliser en tant que mère. Selon la Cour, l’article 51 alinéa 4 du Code de la famille ne prévoit qu’un cas  possible d’enregistrement des parents biologiques qui ont recourus à la PMA ou  à la GPA en tant que père et mère de l’enfant.  En effet, l’article 51 ne mentionne que « le couple ».   Souvent les officiers de l’état civil utilisent l’art. 51 al.4 comme la norme générale en refusant aux personnes célibataires d’établir le lien de filiation avec l’enfant issu de  la GPA.   Selon la Cour,  cette interprétation  restreinte de l’article 51 viole les droits des citoyens posés par les art. 38, 45 et 55 de la Constitution de la Fédération de la Russie. La cour  a précisé que l’art. 51 al.4 qui exige l’accord de la mère porteuse en faveur de l’enregistrement de l’enfant par les parents biologiques n’est qu’une protection de ces droits, et qu’ une fois qu’elle donne son accord, elle exprime clairement sa volonté de ne pas créer le lien de filiation avec l’enfant dont elle a accouché. Natalia Gorskaia est devenue la première mère biologique russe à obtenir son droit à la filiation avec l’enfant né dans le cadre du programme  GPA.  Postérieurement,  en le 3 novembre 2009 le Tribunal de district Kountsevo de Moscou a statué dans le même sens en énonçant qu’ « une femme célibataire a les mêmes droits une femme mariée pour réaliser ses fonctions biologiques de maternité 

 

Vu que les normes juridiques  mentionnés avant régissant exclusivement  la situation des époux, les juristes  russes interprètent ces normes comme un cas particulier et appliquent aux autres situations le principe « d’analogie ». Cependant les officiers d’état civil refusent constamment d’enregistrer un parent biologique célibataire si l’enfant est né d’une mère porteuse. Depuis 2005 les Cours russes tranchent les litiges concernant un tel refus.

Dans l’affaire de Kelesheva par l’arrêt du 28 avril 20011  rendu par la Cour de district Babushkinski de Moscou a débouté Lamira Kelesheva de sa demande en motivant sa décision par l’exigence d’être en couple (mariée) pour  avoir l’accès à la technique de la GPA.  

 

En France, l’article 16-7 du Code civil prohibe toutes les conventions portant sur la procréation et la gestation pour autrui. Les articles 311-19 et 311-20 du même Code déterminent les conséquences relatives à la filiation de l’enfant qui nait de telles techniques. L’article L2141-2 du Code de la santé publique soumet l’accès à la PMA à plusieurs conditions : une infertilité pathologique médicalement constatée, autorisée à des membres du couple vivants et à un homme et une femme en âge de procréer.  L’article 311-20 du Code civil définit le couple comme « les époux ou les concubins ».  Ces conditions n’ont pratiquement pas été modifiées lors du renouvellement de la loi bioéthique, sauf la condition de durée du concubinage qui a été supprimée.  L’ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne change rien à la situation. Ce qui fait l’obstacle à cette ouverture vers la PMA, ce  n’est pas une absence de mariage puisque le concubinage est visé et depuis 1999 le concubinage homosexuel en fait également partie (C.civ. , art. 515-8), mais l’exigence d’une stérilité pathologique et surtout la condition d’un « homme et d’une femme constituant un couple ». Ainsi, donc, l’accès à la PMA restera fermé aux couples de même sexe si le texte de la loi votée par l’assemblée nationale n’est pas suivi d’autres changements législatifs.

 

En France,  par l’arrêt du 31 mai 1991 l’Assemblée plénière  de la Cour de Cassation   a retenu l’illicéité des conventions organisant la GPA, au triple visa des articles 6, 1128 et 353 du Code  civil.  Pour la Haute juridiction, de telles conventions portent atteinte à l’ordre public, à l’indisponibilité du corps humain et l’état des personnes et constituent un détournement de l’institution de l’adoption. Consacrant cette condamnation de principe, l’art. 16-7 du Code civil, issu de la loi relative au respect du corps humain du 29 juillet 1994, dispose que « toute convention portant sur la procréation ou gestation pour le compte d’autrui est nulle ». Cette interdiction est d’ordre public (C.civ., art.16-9). Elle  a été reconfirmée à nombreuses reprises, tant par le juge que par le législateur. Cependant, si la pratique est prohibée en France, elle est admise ou tolérée à l’étranger, de sorte que les couples français ont parfois recours aux services de mères porteuses à l’étranger. De retour en France, leur volonté de faire établir en droit français la filiation avec les enfants ainsi conçus, génère des contentieux et suscite des débats parlementaires.

 

 

 I B   Le juge est appelé pour « légitimer » le lien de filiation des enfants nés de la technique de la GPA
 

Lamila Kelesheva après avoir épuisé toutes les vois de recours, est devenue la mère des enfants officiellement. Cependant elle a dû passé par la procédure de l’adoption. Cette procédure est beaucoup plus longue et compliquée et c’est pour cette raison que les parents célibataires préfèrent saisir le juge pour contester le refus de l’officier d’état civil de les enregistrer en tant que parents.

La position des juges dans l’affaire de Kelesheva étonne les juristes car la même Cour par sa décision du 4 Aout 2010 a déjà tranché le litige en faveur du premier père célibataire dont l’enfant a été né à la suite de la GPA avec un don des ovocytes. Cette fois la Cour avait motivé sa décision par « absence des normes  juridiques qui interdissent ou limite  le droit des célibataires de deux sexes et  des couples non mariés à réaliser leur droit de devenir parents parle  biais de la technique de la GPA ».

Madame Keleshova n’était pas la première « grand-mère » désirant devenir la mère des enfants nés de la GPA : en 2005 à Ekaterinbourg Ekaterina Zaxarova et  en 2010 Natalia Klimova à Saint-Petersbourg ont déjà utilisé le sperme congelé de leurs fils à posteriori de leurs décès  suite à un cancer. Ces grand-mères ont obtenu le gain de cause devant le Tribunal et ont été inscrites en tant que mères dans les actes de naissance des enfants. Les faits de l’affaire de Natalia Klimova sont identiques aux faits de l’affaire de Lamila  Kelesheva: une GPA, le don d’ovocytes et le sperme congelé du fils décédé. Dans toutes ces affaires la seule question à laquelle les juges ont dû repondre, concerne le droit d’une personne célibataire de recourir à la technique de la GPA. Dans les 6 affaires concernant les pères célibataires la Cour n’a traité que  cette question de nouveau. Excepter l’affaire de Lamila Kelesheva tous les parents célibataires ont gagné leur procès. 

 

 

En France, malgré des divergences entre certaines juridictions du fond, la Cour de cassation a constamment  réaffirmé l’interdiction de faire produire en France le moindre effet aux  conventions sur la GPA. Cette position vaut pour l’établissement du lien de filiation entre l’enfant conçu au mépris de la prohibition légale et la femme commanditaire, quel que soit le fondement retenu par les contrevenants, qu’il s’agisse d’une adoption (Cass. 1 civ. , 9 decembre 2003), d’une reconnaissance (CA Rennes, 4 juillet 2002) ou de l’établissement de la filiation par la possession d’état (Cass, 1 civ, 6 avril 2011). De ce principe d’interdiction découle le refus de la transcription d’un acte de naissance établi à l’étranger (Cass. 1 re civ., 17 décembre 2008), étant précisé que « le refus de transcription ne prive  pas les enfants de leur filiation, reconnue par le droit ukrainien, et ne porte pas atteinte, en conséquence, à l’intérêt des enfants et, notamment, à leur droit de vivre avec leurs parents » (CA Rennes, 8 janvier 2013).  

La constance et la fermeté de la jurisprudence française sont fondées sur la nécessité de donner une réelle effectivité au principe de prohibition. Il faut cependant noter qu’à plusieurs reprises les propositions de loi qui autorise et encadre la GPA ont été présenté sans pour autant être inscrites à l’ordre du jour du Sénat.  Malgré l’unanimité des avis défavorables à la GPA, la question de la situation des enfants nés à l’étranger d’une mère porteuse reste posée. Retenant l’existence de certains problèmes pratiques, le Conseil d’Etat avait suggéré d’aménager la situation des enfants, sans revenir sur la prohibition de principe. A titre d’exception, il aurait été possible d’établir leur filiation au regard du droit français. Toutefois, la mission parlementaire a estimé que « toutes ces solutions auraient pour effet de créer une profonde incohérence juridique par rapport à l’interdiction de la gestation pour autrui, puisque cela reviendrai à reconnaitre les effets juridiques à une convention frappée de nullité », ce qui devait conduire à un enterrement de toute perspective d’évolution en la matière. 

 

 

C’est le juge qui intervient pour trancher la question de légalité du refus d’enregistrement de la part de l’officier d’état civil. Cependant la problématique concernant ces refus n’est pas la même  en France et en  Russie. Dans son évolution la France suit le chemin de la Vielle Europe : la modification de la législation passe par la reconnaissance des unions de personnes de même sexe ,  l’ ouverture de l’adoption et des PMA et/ou GPA à tous. C’est alors l’accès des couples de même sexe au mariage qui pose la question de la légitimité de traiter différemment les couples mariés de même sexe et le couple marié hétérosexuel. La Russie ne reconnait pas les unions des personnes de même sexe. L’évolution de la législation sur la GPA passe par l’ouverture de l’accès à la GPA à tous : aux couples,  mariés ou non (toujours composés d’une femme et d’un homme) et  aux célibataires de deux sexes.

 

 

II La législation sur la GPA subit une évolution en Russie et en France

La divergence des législations actuelles de la Russie et de la France apparait nettement en matière de gestation pour autrui. Cependant si actuellement  le législateur français ferme la voie de la procréation médicalement assistée aux homosexuels (art. L2141-2 Code de la santé public dans sa rédaction issue de la loi du 7 juillet 2011) et  interdit le recours  aux maternités de substitution, il n’est pas exclu que les reformes en cours ne soient que le début du long processus de rapprochement des législations de deux pays en matière de la GPA.

 

II A Les modifications récentes apportées au régime de la GPA

La loi fédérale du 21 novembre 2011 N323 concernant les fondements de la protection de la santé des citoyens russes comble les lacunes législatives quant aux accès des célibataires aux PMA et GPA et renforce  légèrement les relations contractuelles entre mère porteuse et les parents. Dans  alinéa 9 de l’article 55 la loi définit la GPA comme « une gestation et accouchement d’un enfant en vertu du contrat conclu entre la mère porteuse et soit des « parents d’intention » dont les gamètes ont été utilisées, soit une femme célibataire pour la quelle ni gestation, ni accouchement ne soient pas possible pour des raisons médicales. «   Alinéa 3 de l’article 55 énonce que les couples,  mariés ou non, et les femmes célibataires ont accès à la GPA pour des raisons médicales.  Cette nouvelle norme dispensera les parents biologiques, célibataires ou couples non maries, de nécessité de défendre leur lien de filiation devant le juge.  La loi ne prévoit toujours pas de norme régissant la situation des hommes célibataires stériles. Par conséquent, les juristes appliquent le principe d’analogie (l’article 5 du Code de la Famille).  Ainsi, en cas d’absence d’une norme interdisant à un homme d’avoir accès  à la GPA, sa situation sera examinée par analogie à la situation d’une femme célibataire..

La loi fédérale de 2011 apport deux prohibitions : il n’est plus possible  d’utiliser des ovules de la mère porteuse, ni les procèdes   permettant aux futures parents de choisir le sexe de leur enfant.   

En outre, pour la première fois le législateur énonce une obligation de conclusion d’un contrat écrit entre les parents et la mère porteuse dans les cadres du programme de la GPA. Néanmoins riens ne change quant à  l’obligation, ou plutôt l’absence d’une telle obligation,  celle de retransmette l’enfant aux parents par la mère porteuse..   

 

L’état de droit en matière de la GPA en France ne reste pas par ailleurs sans changement: la circulaire du 25 janvier 2013 est venue préciser les conditions de délivrance d’un certificat de nationalité française (CNF) à un enfant né à l’étranger  lorsqu’il a été conçu en ayant recours à une mère porteuse. Cette circulaire de Christine Taubira voit le jour alors que la prohibition de recourir à la gestation pour autrui a été réaffirmée à plusieurs reprises par le juge et le Parlement. L’intervention de cette circulaire au moment de l’examen du projet de loi relatif au mariage des personnes de même sexe pousse à s’interroger sur l’éventualité d’une législation ultérieure sur la pratique actuellement prohibée par l’alinéa 7 de l’article 16 du Code civil.  

Les juristes français s’interrogent sur des conséquences possibles de cette circulaire qui invite les Procureurs à ne pas faire obstacle à la délivrance du CNF à des personnes dont on soupçonne avoir eu recours à une mère porteuse à l’étranger.

 Dans l’état actuel du droit français, l’enfant est considéré comme ayant la nationalité française dès lors qu’un ressortissant français produit un acte d’état civil étranger établissant la filiation avec lui (art. 18 du Code civil). Par ailleurs  cet acte d’état civil étranger doit être doté d’une force probante au regard de l’article 47 du Code civil. L’article 47 suppose toutefois qu’un certain nombre de conditions soient remplies : notamment, la filiation doit être régulièrement établie non seulement au regard de la loi étrangère mais aussi au regard de certains principes du droit français.  

La légalité de la circulaire reste tout de même douteuse. S’agit-il de permettre et d’encourager le recours à la GPA ailleurs pour régler la situation fermement interdite en France ? Soit il est question de préparation des conditions d’une législation ultérieure française sur les conventions de mère porteuse?

 

II B    GPA en Russie et en France : les débats sur l’égalité et la légalité ne sont pas axés sur les mêmes problèmes

La GPA n’est pas remboursé par la Sécurité Sociale russe et compte tenu de son coût important, le nombre d’enfants nés grâce à la technique de la GPA reste très insignifiant. Compte tenu la situation démographique en Russie et du nombre infime des enfants nés grace à la GPA, il n’existe pas pour l’instant de vrai polémique sur le recours à la GPA.

La question de l’ouverture du mariage ou  création d’une nouvelle forme d’union pour les personnes de même sexe n’est pas d’actualité en Russie. Cependant, la doctrine a ouvert les débat sur le problème du lien de filiation d’un enfant avec les parents ayant le même sexe, résultant du changement chirurgical de son sexe par l’un deux. Pour l’instant, cette situation reste purement hypothétique. Cependant il existe en droit russe la loi sur le traitement de maladie de  “transsexualité”, laquelle prévoit un traitement non seulement par les méthodes thérapeutiques, mais également par une intervention chirurgicale ayant pour but le changement du sexe de la personne.

En outre, l’accès à la GPA est ouvert aux célibataires, y inclus de sexe masculine. Si un jour la Russie légalise la situation des couples de même sexe, la question d’adoption de l’enfant de son partenaire se posera.

Il faut également  préciser que le terme « leurs gamètes » utilisé par le législateur dans le cadre de la loi fédérale du 2011, n’a pas non plus de précision  juridique. Le droit russe autorise l’achat des ovocytes et du sperme des donneurs dans les cliniques  accréditées à cette fin. Ainsi, l’appartenance des gamètes à une personne peut résulter non seulement du lien biologique, mais également du lien établi en vertu du contrat d’achat. En conséquence, il reste  encore possible pour un (des) parent(s) de ne pas avoir de lien biologique avec l’enfant tout en ayant accès à la technique de la GPA.

 

En France, un rapport du Sénat datant de juin 2008 propose de légaliser la pratique de la gestation pour autrui à condition de respecter des règles précises qui visent à protéger la gestatrice et qui mettent en avant l’altruisme de la candidate. Le rapport recommande un certain nombre de limites, notamment la gestatrice doit déjà avoir un enfant, qu'elle ne peut pas porter le bébé de sa fille, qu'elle ne peut pas être la mère génétique, qu'il lui faut  par ailleurs une autorisation d'une commission et d'un juge, elle ne peut également pas prétendre à  une rémunération, mais cela n’empêche pas  un dédommagement raisonnable, le tout est limité à deux grossesses pour autrui.

Contrairement à la France, les parlementaires russes examinent une possibilité de supprimer la limite d’âge légale de la mère porteuse (actuellement limité à 35 ans) afin de permettre aux familles modestes d’avoir accès à la GPA. Cette modification législative permettrait  à une femme de développer in utero  l’embryon de sa fille ou son fils.

L’autre pas  vers l’autorisation du recours à la GPA est probablement  fait par la circulaire de 2013. Selon ses termes « lorsqu’il apparait avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou gestation pour le compte d’autrui   à l’étranger, il doit être fait droit aux demandes de délivrance des certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de parent français ».  Ainsi, il suffit se rendre à l'étranger pour contourner les pratiques interdites en France et régulariser la situation à son retours, l’interdiction de la GPA serait alors réduite à néant. L’interdiction de GPA « sous conditions »  ne concernerait plus que les couples les moins fortunes qui n’auraient pas de moyens de se rendre à l’étranger pour le tourisme de procréation. L’encouragement de telles pratiques ne crie-il la pression  en faveur d’une éventuelle remise en cause de l’interdit en droit français ?

Le Président de la République Française a affirmé que cette remise en cause n’est pas d’actualité. Cependant, la question de l’ouverture de la PMA aux couples de même sexe est déjà posée. En outre, il est difficile d’imaginer que l’admission de l’insémination pour les couples de femmes ne serait pas suivie d’une ouverture de la GPA pour les couples d’hommes.

 

 

 

Bibliographie (non exhaustive) :

Articles :

  • K.Svitnev : « Les mécanismes juridiques de la PMA en Russie : les modifications apportées par la loi concernant la protection de la santé », Revue « Le droit moderne » , N5 de 2012
  • K.Svitnev : « La jurisprudence en matière de la GPA », Revue « Droit de la famille et droit d’immobilier », N1 de 2012
  • I.Afanasieva : «  Les problèmes juridiques de la maternité de substitution », Revue « Droit de la famille et droit d’immobilier », N5 de 2012
  • K.Svitnev: “New Russian Legislation on Assisted Reproduction”, 2012
  • Textes de la conférence  “Droit médicale et la bioéthique” , Kazan, 2011

 

  • « Le mariage pour tous, ou l’impossible égalité », Recueil Dalloz N188 du 15 novembre 2013
  • « Circulaire Taubira », La semaine juridique N7 du 11 février 2013
  • Dossier « Le mariage pour tous », Revue mensuelle LEXISNEXIS, janvier 2013
  • Rapport annuel de la Cour de Cassation, édition « La documentation française », 2012

 

Textes officiels russes:

-  art. 51 et art. 52 du Code de la famille

-  la loi fédérale du 21.11.2011 N323 concernant les fondements de la protection de la santé des citoyens russes

-  la loi fédérale du 15 novembre 1997 sur les actes de l’état civil

-   l’Ordonnance N67 du Ministère de la Santé du 26 février 2003 sur les procèdes de PMA dans le but de traitement de stérilité féminine et masculine

-  l’Ordonnance du Ministère de la Santé du 30 aout 2012 N107 concernant la réglementation de la PMA, les contrindications à l’utilisation de cette technique et la limitation de l’accès à la PMA

 

 Décisions russes:

Affaire de Lamira Kelesheva :  arrêt du 28 avril 2011  rendu par la Cour de district Babushkinski de Moscou,  l’arrêt du 8 juin 2011  rendu par la Cour d’appel de Moscou

Affaire de Natalia Klimova : arrêt du 6 octobre 2010 rendu par la Cour du district Smolninski de Saint-Pétersbourg (affaire № 2-3927/10)

Affaire de Natalia Gorskaia : arrêt du 5 août 2009 rendu par la Cour du district Kalininski de Saint-Pétersbourg (affaire  № 2-4104)

Affaire concernant des pères célibataires :

Arrêt rendu le 4 août 2010 par la Cour du district Baboushkinski de Moscou (affaire № 2-2745/10)

Arrêt rendu le 4 mars 2011 par la Cour par Cour du district Smolninski de Saint-Pétersbourg (affaire N 2-1601/11)