Commentaire de l’arrêt Lloyds TSB Bank Plc v Shorney dans une perspective de droit comparé par Clara Pirez

Lloyds TSB Bank plc v Shorney and another a été rendu par la cour d’appel le 20 juillet 2001. En l’espèce, un actionnaire s’est porté caution pour les dettes de cette société, caution garantie par une hypothèque accordée par l’actionnaire et son épouse. Cet arrêt est intéressant car il concerne l’obligation d’information de la banque et le fait que celle ci ne peut pas se prévaloir d’une clause contractuelle si elle a manqué à cette obligation. Cet arrêt permet de comparer l’étendue de l’obligation d’information et ses conséquences par rapport au droit français.

L’arrêt Lloyds TSB Bank Plc v Shorney and another 2001 All ER (D) 277 (Jul) (arrêt Lloyds TSB Bank Plc v Shorney) a été rendu par la cour d’appel le 20 juillet 2001. En l’espèce, M. Shorney s’était porté garant des dettes de sa société auprès de la banque Lloyds TBS à hauteur de £150 000. Afin de sécuriser cette garantie, M. Shorney et son épouse ont accordé une hypothèque à la banque portant sur le domicile conjugal. L’hypothèque prévoyait que le montant de la dette garantie s’élevait à £150 000, mais que ce montant pouvait varier ou être augmenté sans le consentement de l’épouse. Une autre clause prévoyait également que Mme Shorney ne serait subrogée dans les droits de la banque qu’après paiement intégral de la dette. A la suite d’autres garanties accordées par le débiteur à la banque, la dette garantie par l’hypothèque a été augmentée à £290 000 sans que l’épouse n’en soit informée. A la suite de la liquidation judiciaire de la société, l’épouse a payé la dette à hauteur des £150 000 initialement prévus et se considérait donc subrogée dans les droits de la banque. Parallèlement, la banque a obtenu une ordonnance de saisie sur la part de l’époux dans l’immeuble hypothéquée. Si l’épouse était effectivement subrogée dans les droits de la banque elle aurait priorité sur la banque sur la part de son époux dans le domicile conjugal. La banque a soutenu que l’épouse n’était pas subrogée car le montant total de la dette s’élevant à £290 000 n’avait pas été payé. La question posée par cet arrêt est donc de savoir si la banque peut se prévaloir d’une clause de l’hypothèque alors qu’elle n’a pas informé l’épouse de l’augmentation de la dette garantie. Plus généralement, cet arrêt pose la question de l’étendue de l’obligation d’information pesant sur les créanciers. En droit français, les créditeurs ont une obligation d’information vis à vis de la caution. Cette obligation se manifeste lors de la formation du contrat et également lors de son exécution. Elle est notamment prévue dans le code de la consommation. L’arrêt Lloyds TSB Bank plc v Shorney s’inscrit dans la lignée de plusieurs arrêts rendus par la chambre des Lords concernant l’obligation d’information du créancier dans le cas de sûretés consenties par des épouses pour garantir les dettes de leurs maris. Il est intéressant de voir comment le droit français répondrait à ce genre de situations. Dans ce but, il est intéressant de comparer l’étendue et la manifestation de l’obligation d’information en Angleterre et en France, ainsi que la sanction du défaut d’information.

L’obligation d’information du créancier dans l’arrêt Lloyds TSB Bank v Shorney

Le mécanisme de subrogation est prévu en droit anglais à l’article 5 du Mercantile Law Amendment Act 1858 (amendement sur le droit commercial). Ce droit découle de la doctrine d’equity. Il est prévu qu’en cas de paiement de la dette par la personne garante des dettes du débiteur, celle-ci se trouve subrogée dans les droits du créancier à l’encontre du débiteur. En l’espèce, l’épouse devrait donc être subrogée dans les droits de la banque. Cependant, l’épouse n’a payé qu’une partie de la dette. Plus précisément, elle n’a payé que le montant qui était initialement prévu dans le contrat instituant l’hypothèque. La banque se fonde sur deux clauses de ce contrat pour estimer que l’épouse n’est pas subrogée dans ses droits. Tout d’abord, la banque se fonde sur la clause 21 qui dispose que l’épouse ne peut être subrogée qu’après paiement du montant total de la dette. Enfin, pour justifier que le montant total de cette dette devant être payé par l’épouse s’élève à £290 000 et non à £150 000, la banque se prévaut de la clause du contrat qui prévoit que la dette peut être augmentée postérieurement au contrat sans que l’épouse n’ait besoin d’être informée ou ne consente à cette augmentation. Dans cet arrêt, il a été jugé que la banque avait porté préjudice à l’épouse en tant que co-garante en augmentant la dette du débiteur sans son consentement. De ce fait, il a été décidé que la banque ne pouvait pas se prévaloir de la clause nécessitant le paiement intégral de la dette pour que l’épouse bénéficie du droit de subrogation. En effet, telle qu’elle était construite, cette clause ne permettait pas à la banque d’empêcher l’épouse d’exercer les droits dont elle dispose en équité dans des circonstances qu’elle ne pouvait pas avoir raisonnablement prévu. L’épouse avait raisonnablement prévu que les engagements du débiteur seraient limités à £150 000 des dettes de la société, et que par conséquent la banque ne pouvait se prévaloir de la clause 21 que dans ces circonstances. Si la banque avait obtenu le consentement de l’épouse lors de l’augmentation de la dette alors, elle aurait pu légitimement se prévaloir de la clause 21. La cour d’appel anglaise a jugé que la banque avait l’obligation de prévenir l’épouse de l’augmentation de la dette, et ce malgré la clause contractuelle qui disposait que la banque et le débiteur pouvaient modifier l’étendue de l’assiette de la dette sans son consentement. Ce type de clause ne peut pas protéger la banque parce qu’elles ne prévoient pas expressément que les engagements du débiteur seront augmentés. En conséquence, la banque ne peut empêcher l’épouse de bénéficier du mécanisme de subrogation et d’exercer un recours contre le débiteur à hauteur des £150 000 qu’elle a payées. Ce droit la rend prioritaire sur l’ordonnance de saisie obtenue par la banque. Ce qu’il est important de retenir de cet arrêt est qu’à chaque fois qu’un créditeur souhaite augmenter l’étendue d’engagements garantis par une sûreté, il doit obtenir le consentement de tous les garants, et ce consentement doit confirmer que la sûreté s’étend désormais aux nouveaux engagements.

Cette obligation d’information a ici été reconnue dans le cadre d’une hypothèque consentie au créditeur. Cependant, en droit français cette obligation ne se manifeste qu’en présence d’une caution.

L’obligation d’information du créancier en droit français

L’obligation d’information pesant sur le créancier se manifeste au niveau de la formation du contrat, et au niveau de son exécution. Au niveau de la formation du contrat, l’obligation d’information permet d’empêcher que le consentement de la caution soit vicié. Deux mécanismes du droit commun sont alors utilisés : la bonne foi et la réticence dolosive. Le fait pour un créancier de ne pas dévoiler la situation financière du débiteur à la caution revient à contracter de mauvaise foi et peut s’apparenter à une réticence dolosive. L’obligation de contracter de bonne foi est prévue à l’article 1134 du code civil. La réticence dolosive a été reconnue par la jurisprudence et entre dans le champ d’application de l’article 1116 du code civil qui reconnaît le dol comme vice du consentement. Pour que la réticence dolosive soit reconnue, il faut que le créancier ait dissimulé une information que la caution ignorait, et qui aurait remis en cause l’engagement de la caution si elle l’avait su. La cour de cassation a confirmé que le fait d’omettre de porter à la connaissance de la caution le fait que la situation du débiteur est irrémédiablement compromise ou tout du moins lourdement obérée constitue un manquement à l’obligation de bonne foi et revient à commettre un acte de réticence dolosive dans un arrêt rendu par la première chambre civile le 13 mai 2003. Comme il a été dit précédemment, l’arrêt Lloyds TSB Bank plc v Shorney entre dans la lignée de plusieurs arrêts protégeant l’épouse considérée comme partie faible lorsque celle-ci se porte caution des dettes professionnelles de son époux. Une protection comparable est également prévue à l’article 1415 du code civil. Cet article prévoit que chacun des époux ne peut engager que ses biens propres et ses revenus dans le cadre d’un cautionnement ou d’un emprunt. Il ne peut engager les biens communs qu’avec le consentement exprès de son conjoint, qui n’engage alors pas ses biens propres. On peut remarquer que cette disposition du code civil s’applique indifféremment aux deux conjoints, que ce soit l’époux ou l’épouse qui se porte caution ou contracte un emprunt, contrairement au droit anglais qui tend spécifiquement, pour le moment, à protéger à l’épouse. Il faut également noter qu’une obligation d’information pèse sur le créancier accordant un prêt garanti par une hypothèque rechargeable. En effet, l’article L.313-14-1 du code de la consommation prévoit qu’un document intitulé « situation hypothécaire » doit être annexé à l’offre préalable de crédit. Ce document doit notamment inclure la mention de la durée de l’inscription hypothécaire, le montant maximal garanti prévu par la convention constitutive d’hypothèque et le montant de l’emprunt initial souscrit. Au niveau de l’exécution du contrat, l’obligation d’information est principalement prévue dans le code de la consommation. L’article L. 313-9 du code de la consommation oblige les établissements de crédit à informer la caution, personne physique, d’un prêt à la consommation ou d’un prêt immobilier, de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement caractérisé. Cet article ne pourrait donc pas s’appliquer en l’espèce car il ne concerne pas les crédits destinés à financer une activité économique ou professionnelle. La loi du 11 février 1994 relative à l’initiative et à l’entreprise individuelle prévoit que le créancier doit informer la caution de la défaillance du débiteur principal dès le premier incident de paiement non régularisé dans le mois de l’exigibilité du paiement. Ici le cautionnement doit avoir été donné, consenti par une personne physique pour garantir une dette professionnelle d’un entrepreneur individuel ou d’une société. En plus de l’obligation d’informer la caution en cas de non-paiement du débiteur, il existe également une obligation d’information annuelle. Cette obligation répond davantage aux problèmes posés par l’arrêt Lloyds TSB Bank plc v Shorney. Cette obligation est prévue dans plusieurs lois. La principale loi prévoyant une obligation d’information annuelle à la charge du créancier est la loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement des difficultés des entreprises. Cette loi a introduit une obligation annuelle d’information aux établissements de crédit ayant accordé à une entreprise un concours financier garanti par une caution. Cette caution peut être une personne morale ou physique. Les établissements de crédit sont tenus au plus tard avant le 31 mars de chaque année de faire connaître à la caution le montant du principal et des intérêts ainsi que le montant des commissions, frais et accessoires restant à courir au 31 décembre de l’année précédente. Disposition importante, le créancier doit également rappeler à la caution sa faculté de révocation dans le cadre de son obligation d’information. Cet article 48 est aujourd’hui devenu l’article L313-22 du code monétaire et financier. Cette disposition a un caractère d’ordre public, on ne peut donc pas y déroger. Une obligation d’information annuelle est également prévue par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre l’exclusion a ajouté un deuxième alinéa à l’article 2016 du code civil qui dispose que « lorsque le cautionnement est contracté par une personne physique, celle-ci est informée par le créancier de l’évolution du montant de la créance garantie et de ses accessoires au moins annuellement à la date convenue entre les parties ou, à défaut, à la date anniversaire du contrat, sous peine de déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités ». Cette obligation concerne tous les créanciers et non pas seulement les établissements de crédit. La loi du 1er août 2003 sur l’initiative économique a introduit l’article L 341-6 au code de la consommation. Cet article dispose que « Le créancier professionnel est tenu de faire connaître à la caution personne physique, au plus tard avant le 31 mars de chaque année, le montant du principal et des intérêts ». Cet article généralise l’obligation d’information. Le principal inconvénient de l’obligation d’information du créancier telle que prévue par le droit français par rapport au droit anglais est que cette obligation est prévue par plusieurs textes qui tendent à s’appliquer aux mêmes situations. Ces textes prévoient une obligation d’information en utilisant des termes presque identiques ce qui entraîne un manque de clarté et rend leur application complexe. Enfin, cette obligation ne se manifeste que lors de la formation du contrat, lors d’une absence de paiement par le débiteur et lors de l’information annuelle. En droit anglais, comme le montre l’arrêt Lloyds TSB Bank plc v Shorney, cette obligation se manifeste à tout moment, notamment en cas d’augmentation des engagements du débiteur. Et cette obligation ne requiert pas seulement que l’information soit donnée, mais également que le consentement de la caution soit requis. Enfin, la principale différence est que l’obligation d’information du créancier lors de l’exécution du contrat ne s’applique en droit français qu’aux cautions, alors que l’obligation d’information du créancier en droit anglais concerne tous les types de sûretés. Il faut cependant noter que les dispositions de droit commun relatives à la formation des contrats s’appliquent à tous les contrats donc à toutes les sûretés, et qu’une obligation d’information pèse plus spécialement sur le créancier dans le cadre d’un prêt garanti par une hypothèque rechargeable. Cette obligation est formelle et se manifeste au moment de l’offre préalable de crédit. D’autres différences se manifestent également dans le cas des sanctions.

Sanction du défaut d’information en droits anglais et français

Dans l’arrêt Lloyds TSB Bank plc v Shorney, la sanction décidée par le juge est que la banque ne peut pas se prévaloir de la clause contractuelle soumettant le droit de subrogation de l’épouse au paiement intégral de la dette du débiteur. Ceci a pour conséquence que l’épouse obtient la priorité sur l’ordonnance de saisie obtenue par la banque. Cette sanction est donc très puissante car la banque ne pourra obtenir paiement du reste de la dette. En droit français, le manquement à l’obligation d’information au niveau de la formation du contrat entraîne la nullité de ce contrat. En cas de manquement à l’obligation d’informer, la caution en cas de non-paiement d’un versement est la simple déchéance des pénalités et intérêts de retard déchus. La sanction en cas de manquement à l’obligation annuelle d’information est prévue à l’article L.313-22 du code monétaire et financier. Cet article prévoit « la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de la communication de la nouvelle information ». Une sanction plus puissante est prévue dans le cas des hypothèques rechargeables. En effet, l’article L.313-14-2 du code de la consommation prévoit que le fait pour un créancier d’accorder un prêt garanti par une hypothèque rechargeable sans saisir l’emprunteur d’une offre préalable de crédit et donc sans lui fournir le document « situation hypothécaire » est puni d’une amende de 3750 euros et entraîne la déchéance du droit aux intérêts. De plus, le débiteur n’est tenu qu’au seul remboursement du capital à l’échéance prévue. La sanction prévue par le droit anglais paraît plus puissante que celle prévue par le droit français. En effet, le fait d’empêcher la banque de se prévaloir d’une clause contractuelle a pour conséquence que l’épouse dispose d’un droit de subrogation ayant pour effet d’empêcher la banque d’obtenir le paiement du reste de la dette. La sanction de cette obligation en droit français ne fait qu’empêcher la banque d’obtenir le paiement de certains intérêts (à l’exception de la sanction prévue en cas d’hypothèque rechargeable). Cela semble contradictoire avec la volonté de protéger la caution, considérée comme partie faible, du législateur français.

L’obligation d’information qui pèse sur le créancier en droit anglais est beaucoup plus flexible que l’obligation prévue par le droit français. Elle concerne tout type de sûreté, et pas seulement le cautionnement, et se manifeste à tout moment de l’exécution du contrat. Cette obligation d’information peut se transformer en obligation d’obtenir le consentement de la personne se portant garante, notamment en cas d’augmentation des engagements du débiteur. Elle se sanctionne également de manière plus efficace. Il faut également noter que cet arrêt est dans la lignée de plusieurs arrêts rendus en Angleterre qui augmentent la responsabilité des banques, que ce soit au niveau de l’obligation d’information ou de l’information de conseil, en cas de sûretés accordées par des épouses pour garantir les dettes commerciales de leurs maris. Il n’existe pas de dispositions spécifiques régissant ce type de situation en droit français.

Bibliographie

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G. Douglas, Lloyds TSB Bank plc v Shorney and Another 2001 EWCA Civ 1161, Fam LJ 32 (18)

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Lloyds TSB Bank plc v Shorney and Another 2001, (2001) 9 JIBFL 437, http://www.lexisnexis.com.chain.kent.ac.uk/uk/legal/results/docview/docv...

Lloyds TSB Bank Plc v Shorney and another (CA), 2002 Part 2 Case 15 CAEW www.ipsofactoJ.com/international/index.htm