COMMENTAIRE DE LA CONVENTION DE LA HAYE DU 2 OCTOBRE 1973 CONCERNANT LA RECONNAISSANCE ET L’EXECUTION DES DECISIONS RELATIVES AUX OBLIGATIONS ALIMENTAIRES - Par ISABELLE MARTINEZ

L’obligation alimentaire tend à prendre une importance de plus en plus grande dans le domaine du droit international privé eu égard à l’augmentation des « divorces internationaux », à la localisation internationale des membres de la famille ainsi qu’à un élargissement des titulaires du droit aux aliments. Ainsi, pour faire face à cette situation, les organisations internationales doivent continuer leur labeur d’unification des règles du droit international privé. En effet, ce sont les organisations européennes et internationales qui, par l'élaboration de conventions, ont tenté de remédier aux problèmes rencontrés par les créanciers d'aliments. C'est le droit conventionnel qui, en effet, est apparu comme la solution idéale pour résoudre les difficultés relatives aux obligations alimentaires, mais également pour unifier les règles de droit international privé. Premièrement, les Etats se sont efforcés d'harmoniser leurs règles de droit international privé relatives au statut personnel en passant des accords bilatéraux avec d'autres États. Ainsi, il existe un nombre important de conventions bilatérales conclues avec des pays d'origine diverse. Quelques-unes d'entre elles sont relatives à la compétence judiciaire et parfois, mais plus rarement aux règles de conflits de lois. La plupart de ces accords se préoccupent de faciliter la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères. Deuxièmement, ces conventions bilatérales s’étant vite révélées insuffisantes, les organisations internationales se sont également engagées dans la voie de l'harmonisation des règles de droit international privé relatives aux obligations alimentaires par le biais de conventions multilatérales. Ainsi furent élaborées, la Convention de New York du 20 juin 1956, la Convention de La Haye du 24 octobre 1956 sur la loi applicable aux obligations alimentaires envers les enfants, la Convention de La Haye du 15 avril 1958 sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière d'obligations alimentaires envers les enfants ainsi que deux autres Conventions datées du 2 octobre 1973. L'une sur la loi applicable aux obligations alimentaires et l'autre sur la reconnaissance et l'exécution des décisions relatives aux obligations alimentaires. Cette Convention-exécution a été ratifiée par dix-huit pays (Allemagne, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République Slovaque, République Tchèque, Royaume-Uni, Suède, Suisse, Turquie, et par la France). Ces conventions ont progressivement remplacé celles du 24 octobre 1956 et du 15 avril 1958 qui restent encore en vigueur dans les rapports avec certains pays, en vertu de l'article 29 de la Convention-exécution du 2 octobre 1973. Enfin, la Communauté Économique Européenne a également participé à cette unification par la Convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 relative à la compétence judiciaire, à la reconnaissance et à l'exécution des décisions en matière civile et commerciale. Ces diverses conventions ont permis d’unifier les règles de reconnaissance et d’exécution du droit international privé en matière d’aliments, en créant un système général et simplifié s’appliquant à tous les Etats contractants. Le créancier d’aliments pourra donc plus facilement demander la reconnaissance et l’exécution de sa décision . Cependant, la multitude de sources conventionnelles est aussi source d’insécurité juridique car elle demande des juges une grande labeur lors de l’articulation des diverses normes juridiques. Ainsi, en prenant la Convention de la Haye du 2 octobre 1973 comme exemple d’unification des règles du droit international privé en matière d’aliments (I), nous allons tenter d’évoquer les différentes solutions adoptées face à un conflit de normes (II).

I . La Convention de la Haye du 2 octobre 1973 comme exemple d’unification des règles du droit international privé en matière d’aliments.

Dans sa labeur d’unification, la Convention de la Haye prévoit son application quasi-systématique (A) ainsi que des conditions de reconnaissance et d’exequatur favorisant la reconnaissance de la décision étrangère (B).

A . Un champ d’application fort large. Selon son article 1er, la Convention de La Haye s'applique aux décisions rendues en matière d'obligations alimentaires découlant de relations de famille, de parenté, de mariage ou d'alliance, y compris les obligations alimentaires envers un enfant non légitime, rendues par les autorité judiciaires ou administratives d’un État contractant entre un créancier et un débiteur d’aliments ou un débiteur d’aliments et une institution publique . Il importe peu que dans le pays d'origine le litige ait eu un caractère purement interne ou international. L'article 2, alinéa 2 précise que la convention s'étend aux décisions modifiant une décision antérieure même au cas où celle-ci proviendrait d'un État non contractant.

Enfin, l'article 3 affirme que l'effet de la convention est limité à la partie de la décision qui concerne l'obligation alimentaire.

Cette convention retient une conception large de la notion d’aliments ce qui permet une application quasi systématique de celle-ci. Dans le document explicatif du projet de convention préparé par la Commission spéciale, il est dit que la notion d’« obligations alimentaires » doit être interprétée dans un sens très large « Having regard to the context in which is used, the concept of maintenance obligation should be undesrstood in its widest sense » . Selon cette interprétation, tous versements de somme d’argent qu’une personne est susceptible de fournir à un parent ou allié se trouvant dans un état de nécessité devrait être considérée comme « aliments ». Cette large interprétation de la notion d’aliments et celle également retenue par la majorité du droit comparé. Cependant, le fait que cette notion soit aussi large et non définit peut amener à l’adoption de diverses interprétations selon le juge de l’Etat requis. Ceci aura donc une incidence sur la reconnaissance ou l’exécution de la décision étrangère concernant les aliments. Une décision récente de la Haute juridiction espagnole du 14 mai 2002 en est le vif exemple. La Chambre Civile du « Tribunal Supremo » espagnol ( équivalent de la cour de cassation en France) a refusé d’appliquer la Convention de la Haye de 1973 à une demande de reconnaissance d’une décision allemande accordant le versement périodique d’une somme d’argent à la suite d’une divorce. En l’espèce, la Haute juridiction espagnole a considéré que le versement de cette somme d’argent ne pouvait être assimilée á une prestation compensatoire et ne pouvait donc être qualifiée « d’aliments ». Par conséquent, il n’existe pas de solutions unique. Il faudra toujours s’en remettre à la propre interprétation que le juge de l’Etat requis voudra faire de la notion d’aliments. Ceci est source d’insécurité juridique et favorise le forum shopping.

B. Des conditions de reconnaissance et d’exequatur toujours plus allégées.

La Convention de la Haye prévoit un système général de reconnaissance et d’exécution des décisions étrangères relatives aux aliments. La décision rendue dans un Etat contractant doit être reconnue ou déclarée exécutoire dans un autre Etat contractant si elle a été rendue par une autorité considérée comme compétente au sens de l’article 7 ou 8 de ladite convention et si elle ne peut faire l’objet d’un recours ordinaire dans l’Etat d’origine (art. 1er). En principe, tout contrôle est supprimé. Seuls demeures les contrôles de la contrariété à l’ordre public (art.5.1), de la fraude commise dans la procédure (art 5.2), de la litispendance (art. 5.3) ainsi que celui de l’incompatibilité de décisions (art. 5.4). Cependant, il convient de dire que ces contrôles aboutissent rarement à un refus de reconnaissance ou d’exécution de la décision étrangère. Dans la jurisprudence espagnole, il n’existe a l’heure actuelle, aucune décision concernant un refus de reconnaissance pour cause de contrariété à l’ordre public. En ce qui concerne la litispendance, le droit comparé opte pour une interprétation aussi large que possible de la notion d’identité d’objet, de cause et de parties. Enfin, la compétence indirecte est très peu contrôlée en pratique. En effet, les critères de compétence du FOR sont très divers. Pour que le tribunal d’origine soit compétent, il suffit que le débiteur ou le créancier d’aliments aient leur résidence habituelle dans l’Etat d’origine lors de l’introduction de l’instance (art. 7. 1) ou que le débiteur et le créancier d'aliments aient la nationalité de l'Etat d'origine lors de l'introduction de l'instance (art. 7.2), ou enfin que le défendeur se soit soumis à la compétence de cette autorité soit expressément, soit en s'expliquant sur le fond sans réserves touchant à la compétence (art. 7.3). Les refus de reconnaissance concernent essentiellement des décisions rendues en violation des droits de la défense et des garanties procédurales (absence de notification de la décision au défendeur) . Le non respect des droits de la défense peut être sanctionné aussi bien sur le fondement de l’article 5.2 (ordre public) que sur celui de l’article 6 (droits de la défense). Ainsi, dans sa tentative d’unification des règles du droit international privé, la Convention de la Haye a voulu alléger les contrôles des décisions étrangères afin de faciliter leur reconnaissance ou exécution . Cette volonté de faciliter la reconnaissance et l’exécution des décisions étrangères relatives aux aliments se retrouve également dans les dispositions relatives à la procédure. La Convention de la Haye renvoi au droit de l’Etat requis tenu de respecter les dispositions des articles 14 a 17 de ladite convention . Ces articles prévoient la possibilité d’une demande de reconnaissance ou d’exécution partielles ainsi que le droit de bénéficier de l’assistance judiciaire et des exemptions les plus favorables.

Après avoir décrit le système général de reconnaissance et d’exécution mis en place par la Convention de la Haye, nous allons tenté d’analyser comment celle-ci s’articule avec les autres instruments juridiques applicables en matière d’obligation alimentaire.

II . La Convention de la Haye face à la multiplicité des sources existantes. Comme nous l’avons déjà dit précédemment, il existe un grand nombre de textes réglementant la matière. Ainsi, se pose le problème de la délimitation de ces sources ainsi que celui de leur compatibilité. La Convention de la Haye contient une clause de compatibilité qui permet l’application d’autres instruments juridiques tels que les conventions bilatérales (A), la Convention de Bruxelles et de Lugano (B) et les normes de droit interne (C).

A . les Relations entre Convention de la Haye et conventions bilatérales.

La Convention de la Haye contient une clause de compatibilité permettant l’application de la convention la plus favorable à la reconnaissance de la mesure alimentaire (art 23). Ceci permet l’application d’une Convention bilatérale lorsqu’elle est plus favorable. Or, dans la majorité du droit comparé, les conventions bilatérales sont d’application très réduite voire nulle. En effet, depuis l’adoption de la Convention de Bruxelles, la majorité des conventions bilatérales ont été neutralisées. En Espagne, seules demeures applicables les conventions bilatérales signées avec la République Tchèque et la Slovaquie ainsi que certaines conventions bilatérales conclues avec des Etats non parties à la Convention de la Haye (conventions bilatérales conclues avec la Colombie, l’Australie, Israël, le Brésil, la Chine et la Bulgarie…) Toutes les autres conventions bilatérales ont été neutralisées par la Convention de Bruxelles (convention bilatérale conclue avec la France , l’Italie…) ou par la Convention de Lugano (convention bilatérale conclue avec la Suisse). Par conséquent, le champ d’application des conventions bilatérales est très réduit. D’autre part, en Espagne, il n’existe, à l’heure actuelle, aucune décision concernant une demande de reconnaissance ou d’exécution provenant de l’un des Etats avec lesquels la convention bilatérale demeure applicable. En droit français, on peut citer l’exemple d’un arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 8 mai 1973 dans lequel se poser la question de la norme juridique applicable à une demande de reconnaissance, en France, d’une décision Suisse concernant des aliments. Le Tribunal de Grande Instance de Paris a refusé d’accorder l’exequatur sur le fondement de la Convention Suisse alors que la Cour d’Appel de Paris l’accorde en application de la Convention de la Haye. Par conséquent, le droit comparé fait une faible application des conventions bilatérales et favorise l’application du système de Bruxelles ainsi que celui des conventions internationales.

B . les Relations entre Convention de Bruxelles, Convention de Lugano et Convention de la Haye.

Les relations entre Convention de Bruxelles, Convention de Lugano et Convention de la Haye passent par une analyse de leur clause de compatibilité. Les clauses de compatibilité stricto sensu empêchent prima facie la concurrence d’autres critères permettant de résoudre un conflit de conventions. Quand une clause de compatibilité, comme celle de l’article 23 de la Convention de la haye, permet l’application d’autres conventions, la véritable portée de la clause se détache de son analyse logique et de la comparaison des textes applicables. La jurisprudence comparée ainsi qu’une partie de la doctrine pensent que cet analyse logique de la compatibilité entre Convention de Bruxelles et Convention de la Haye doit se traduire par la possibilité pour le créancier d’aliments de demander l’application de la convention qui lui est favorable. Si l’on suit cet analyse, face à un conflit de normes, les juges devront toujours appliquer la norme la plus favorable à la reconnaissance de la décision, et ceci sans que les parties est besoin de le demander. Ceux-ci devront interpréter et appliquer ex officio la convention qui s’avère la plus favorable à la reconnaissance ou à l’exécution. D’autre part, contrairement au traitement donné aux conventions bilatérales, la Convention de la Haye n’a pas été neutralisée par la Convention de Bruxelles et de Lugano. Ces deux conventions prévoient la possibilité d’appliquer les conditions de reconnaissance et d’exécution prévues par la Convention de la Haye et pour la procédure, les dispositions contenues dans les Conventions de Bruxelles et de Lugano. Il y aurait donc une possible application cumulative de ces conventions.

C . Les Relations entre Convention de la Haye et la « Ley de Enjuiciamiento Civil espagnole »(LEC).

La majorité de la doctrine espagnole pensent que la norme conventionnelle prévaut toujours sur la norme de droit interne. Cependant, cette théorie peut être remise en question lorsque la norme de droit interne s’avère être plus favorable que la norme conventionnelle. Comme nous l’avons vu précédemment, le conflit de normes devrait se résoudre par l’application de la norme la plus favorable. Or, cette solution ne fait pas l’unanimité de la doctrine lorsque l’on est face à un conflit entre norme conventionnelle et norme interne. Certains auteurs pensent que les normes conventionnelles doivent toujours prévaloir sur les normes de droit interne même si elles sont moins favorables. D’autres, au contraire, pensent que le principe d’efficacité maximum appliqué au favor executionis ne distinguera pas. La solution la plus fréquemment adoptée voudrait que le favor recognitionis ne soit mis en œuvre que lorsqu’on est face à un conflit de conventions mais non entre normes conventionnelles et normes de droit interne. Ceci réduit la portée du favor recognitionis. Opter pour une extension plus ou moins large du favor recognitionis peut mener à la mise en place d’un régime juridique ad hoc, c'est-à-dire celui d’opter pour la combinaison des normes conventionnelles et des normes de droit interne objet du conflit, ou bien, au contraire, opter pour l’application intégrale de l’une de ces normes. Cette dernière solution est celle retenue par la majorité de la doctrine.

Par conséquent, nous sommes face à un système hybride dans lequel il n’existe pas de solution exacte. Cette caractéristique du droit international privé favorise l’insécurité juridique en faisant dépendre la solution du juge de l’Etat requis.

	Ainsi, il est nécessaire de continuer à unifier les règles de droit international privé afin d’éviter ces incertitudes de solutions.