Commentaire de la décision du 11 janvier 2011 du Tribunal constitutionnel fédéral allemand

En pleine période électorale les transsexuels via LGTB (Les associations Lesbiennes, Gays, Bi et Trans) entendent bien faire entendre leur voix. Les transsexuels représentent 0,01% de la population française(http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/16/les-transsexuels-entrent-en-campagne_1643541_1471069.html ). En 2010, 50 000 personnes seraient concernées en Allemagne (http://www.news.de/medien/855056493/ein-leben-im-falschen-koerper/1/).

Si l’Allemagne a été pionnière en matière de législation sur la question complexe du transsexualisme, le législateur français n’a quant à lui jamais osé intervenir sur ce sujet tabou. La loi allemande sur les transsexuels (Transsexuellengesetz - TSG) est entrée en vigueur le 1 janvier 1981. Le 22 décembre 2011, soit environ trente ans après, une proposition de loi est déposée par soixante-treize députés de gauche à l’Assemblée Nationale.

La France fait figure de mauvaise élève en la matière d’autant plus qu’elle a été rappelée à l’ordre par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) dans l’arrêt Botella du 25 mars 1992. Elle sera condamnée pour violation de l’article 8 de la Convention, car la Cour estime que la plaignante se trouvait « quotidiennement placée dans une situation globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée ». (V.C. Lombois, La position française sur le transsexualisme devant la Cour européenne des droits de l’homme : D. 1992, chron. p. 323) L’arrêt Botella est l’une des trois décisions phares prises par la CEDH. Après avoir été saisie une première fois dans l’affaire Rees (arrêt Rees c/ Royaume-Uni, 17 déc.1986) sur le sujet des transsexuels. Puis dans l’affaire Goodwin la Cour a exigé des Etats-membres, qu’ils admettent la possibilité pour un transsexuel de changer de sexe (CEDH, 11 juill. 2002, n° 28957/95, Christine Goodwin c/ Royaume-Uni : RT 2002, p.862, obs Marguénaud).

Malgré les arrêts de la CEDH, le droit de l’UE laisse la question du transsexualisme dans le domaine de compétence exclusif de ses Etats-Membres.
En France comme en Allemagne l’approche du transsexualisme était dans un premier temps médical. La rectification de la mention du sexe à l’état civil réalisait la suite juridique complémentaire du processus médical (Le sexe, le genre et l’état civil, Claire Neirinck, Droit de la Famille n°2, Février 2012).
Aujourd’hui l’approche n’est pas seulement médicale mais aussi psychologique et sociale. On parle alors non plus de sexe mais de genre. Cela amène les juges à revoir leur approche ancienne et stricte du transsexualisme. La décision du 11 janvier 2011 prise par le Tribunal constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungsgericht) et la proposition de loi française de 2011 s’inscrivent dans cette volonté de reconnaissance et de faciliter l’intégration des transsexuels.


Alors il a lieu de se demander quelle est l’évolution de l’approche juridique sur la question transsexuelle aux vues des progrès scientifiques en la matière.
En faisant du PACS allemand une institution ouverte qu’aux personnes de même sexe et en faisant du mariage une institution réservée qu’aux personnes de sexe différent, les dogmatiques juristes allemands ont exclu les couples transsexuels. Les conditions de changement de sexe étaient trop strictes (I) car le juge après avoir vérifié que le transsexuel remplissait bien toute les conditions pour changer de sexe (A) réclamait une expertise judiciaire (B). Le Tribunal fédéral allemand a donc déclaré contraire à la Loi fondamentale allemande (II) le §8 Nr. 4, qui imposait l’opération chirurgicale de changement de sexe (A) et Nr. 3 TSG, qui imposait la stérilité irréversible du transsexuel(B).

I. Des exigences strictes pour chaque personne aspirant à changer de sexe

A. Les conditions matérielles devant être remplies par la personne transsexuelle

La requérante est née avec les caractéristiques physiques masculines. Cependant elle se sent femme. Elle a sur le fondement du §1 TSG changer de nom. Le §1 de la TSG dispose que les transsexuels puissent changer de nom, c’est la petite solution. Les conditions devant être réunies par le demandeur sont les suivantes:
-La personne ne se sent plus appartenir au sexe indiqué dans son acte de naissance. On parle alors d’ « empreinte sexuelle » (sexuelle Prägung) -La personne doit vivre depuis au moins trois ans conformément à cette empreinte sexuelle.
-Enfin le juge détermine que ce sentiment d’appartenance doit être certain. La petite solution est à différencier de la grande solution. La grande solution consiste à la demande de changement d’état civil par un transsexuel. Son fondement est le §8 de la TSG.

La grande solution sous-entend que les conditions de la petite soient réalisées. Il ajoute deux autres conditions :
-que le demandeur soit inapte définitivement à la procréation (stérilité irréversible)
-que le demandeur ait nettement l’apparence du sexe opposé (deutliche Annäherung), au moyen d’une intervention chirurgicale de changement de sexe. La finalité de la grande solution est de conférer les droits et les devoirs du sexe ressenti par le transsexuel.

La requérante âgée de 62 ans voulant officialiser son union avec sa concubine se rend à la mairie pour se pacser. Attention ici il convient de rappeler que le PACS allemand (Eingetragene Lebenspartnerschaft) n’est ouvert qu’aux personnes de même sexe, contrairement aux PACS français qui est ouvert aux homosexuels comme aux hétérosexuels. L’officier civil refuse de les pacser car la requérante n’a pas subi l’opération de changement de sexe (groβe Lösung). Elle est donc encore considérée comme un homme aux yeux de l’administration allemande. La seule solution que lui propose l’officier civil est de se marier avec sa concubine pour officialiser son union.

En France malgré l’absence de législation le système de reconnaissance du changement de sexe présente des similitudes avec le droit allemand. On peut comparer la « petite solution » à la demande de changement de nom faite en France cependant ces conditions établies par le jurisprudence sont moins précises qu’outre-Rhin.
La Cour d’Appel de Toulouse dans un arrêt du 3 août 2002 a considéré que dans les conditions suivantes:
-en cas de transsexualisme véritable et médicalement constaté
-l’intérêt légitime du transsexuel à prendre un prénom correspondant à sa nouvelle apparence physique, un changement de nom pouvait être accordé.

Concernant les conditions posées par la « grande solution », la Cour de cassation a considéré en 2002 (Cass.ass.plén, 11 déc. 1992) qu’il fallait afin d’accepter une conversion sexuelle une réassignation sexuelle totale. La réassignation sexuelle consiste à une hormonothérapie, d’une ablation des organes génitaux, suivie d’une reconstruction des organes sexuels.
Ces conditions étant réunies l’aspirant au changement de sexe doit être sujet à une expertise judiciaire.

B. Une expertise judiciaire exigée par le juge, jugée trop contraignante

Avant cette décision les transsexuels allemands devaient apporter la preuve qu’ils aient bien remplies les conditions Nr 3 et Nr 4 du § 8 TSG afin d’aspirer à un changement de sexe. L’exigence par le juge de la preuve de la stabilité et de l’irréversibilité du sentiment et de la vie transsexuels est jugée trop contraignante par le Tribunal constitutionnel fédéral allemand.
En s’appuyant sur les progrès médicaux, il estime que la durée et l’irréversibilité du sexe ressenti chez les transsexuels ne se détermine pas avec les résultats extérieurs obtenus suite à l’opération de changement de sexe, mais aux conséquences de celle-ci sur leur vie. Comment vivent-ils après l’opération de changement de sexe?
Le juge doit désormais apprécier la durée et la stabilité du transsexuel dans sa vie au lieu de demander l’expertise scientifique qui prouve sa stérilité irréversible et son opération de changement de sexe.

Une des conditions exigée par les arrêts de la Cour de Cassation de 1992 était aussi l’exigence d’une expertise judiciaire afin que le résultat des opérations de changement de sexe et le syndrome transsexuel puisse être vérifiés. La circulaire du 14 mai 2010 a invité le ministère public à abandonner l’exigence de l’expertise judiciaire.
Ce qu’a fait la Cour d’appel de Rennes le 7 juin 2011 qui n’a demandé aucune expertise mais qui s’est fondé uniquement sur les pièces médicales versés au débat pour vérifier la réalité du diagnostic. L’expertise judiciaire était d’une part très mal vécu par les transsexuels et d’autre part se révélait inutile car tout le long processus médical étant bien encadré (par les médecins, la sécurité sociale,…). Les pièces médicales réunies attestaient déjà du syndrome du transsexualisme. La proposition de loi de 2011 prévoit quant à elle de remplacer l’expertise judiciaire par trois témoins choisis par la personne désirant changer de sexe qui attesteront la légitimité de la demande.

Un mouvement d’assouplissement des conditions de changement de sexe s’observe dans les deux pays. Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand dans sa décision du 11 janvier 2011 reconnait une atteinte aux droit fondamentaux de la requérante : la liberté de choisir son orientation sexuelle (Art 2. Abs 1 GG), son intégrité physique et morale (Art 1 Abs.1 GG).
En France l’assouplissement s’est observé dans une décision rendue par la Cour d’appel de Rennes du 7 juin 2011 ainsi que dans une circulaire du ministère de la justice du 14 mai 2010(http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSC1012994C.pdf).

II. Une atteinte au droit fondamental de la requérante du choix de son orientation sexuelle (Art 2 abs. 1 GG) et à son intégrité physique et morale (Art 1 Abs.1 GG)

A. Le § 8 nr 3 : l’opération de changement de sexe inconstitutionnel

La requérante souhaite se pacser avec sa compagne. Or le PACS allemand n’est possible que pour les personnes de même sexe. La loi offre comme seule possibilité à la requérante l’opération de changement de sexe pour qu’elle soit considérée aux yeux de la République fédérale comme femme. Elle fait en l’espèce valoir qu’en raison de son âge les risques que comprends l’opération sont importants et qu’elle ne veut donc pas s’y soumettre.

La seule solution pour elle et sa compagne serait donc de se marier. Or pour la requérante cette solution est inenvisageable pour deux raisons. D’une part car elle serait aux yeux de la loi considérée comme un homme, ce qui est contraire à ce qu’elle est, c’est-à-dire contraire à son intégrité physique et morale (Art 1 Abs.1 GG).
D’autre part le mariage rendra public le fait que l’une d’elles est transsexuelle. Ce qui est une atteinte au droit fondamental du choix l’orientation sexuelle propre à chacun (Art 2 abs. 1 GG). Le mariage ne peut en effet avoir lieu qu’entre deux personnes de sexe différent. Si en l’espèce la requérante et sa concubine ayant toutes deux un prénom féminin se marient alors cela révèlera aux yeux de tous que l’une d’elles est un homme. La vie discrète et sans discrimination que menait le couple serait rendue publique. Le mariage et la vie que mène la requérante en tant que femme est donc incompatible.

Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand considère donc que les conditions mentionnées dans le §8 Abs. 1 Nr.4 TSG (que le demandeur au moyen d’une intervention chirurgicale de changement de sexe, ait nettement l’apparence du sexe opposé) sont inconstitutionnelles au regard de la loi fondamentale allemande, car elles empêchent les transsexuels remplissant les conditions de la « petite solution » de conclure un PACS allemand.
Le Tribunal rend donc ces dispositions non applicables jusqu’à ce qu’une nouvelle loi soit adoptée. Il s’adapte ici aux progrès scientifiques. Ces derniers démontrent que le sexe ne peut être le seul critère du genre de l’individu. Or le seul critère retenu par la loi pour déterminer le genre d’un individu est le sexe. La requérante a été rangé dans une catégorie juridique dès sa naissance alors que son genre est déterminé par son profil hormonal. Grâce à la science on peut désormais déterminer le genre d’une personne dans son ensemble.
Le législateur doit alors prévoir une nouvelle loi qui permet la reconnaissance du genre du transsexuel en ne passant pas par le sexe. La grande solution fondée sur le critère du sexe est obsolète car elle déterminait le changement de genre par le changement de sexe.

En France, la question de l’accès au PACS pour les transsexuels ne se pose pas, car il n’y pas de condition sur le sexe des personnes contractantes. Les faits stricto sensu présentés devant le Tribunal constitutionnel fédéral allemand ne sont donc pas transposables en France. En revanche on peut se demander si les strictes conditions posées par la Cour de cassation en 1992, notamment l’opération de changement de sexe, sont toujours appliquées par les juridictions françaises.

On observe une nécessité de légiférer sur la matière car les décisions prises par les Cours d’Appel sont chacune singulières et diffèrent de la prise de position par la Cour de Cassation.
Les décisions des Cours d’Appel ont généralement tendance à assouplir les conditions de changement de sexe. Mais selon leur propre appréciation des faits. La Cour d’appel de Rennes a par exemple dans une décision du 7 juin 2011 jugé que « la demande de changement de sexe était fondée dès lors que les traitements hormonaux destinés à opérer une transformation physique ou physiologique ont entrainé un changement de sexe irréversible même si l’ablation des organes génitaux n’a pas été réalisée ».
Cette décision a été prise à la suite de la publication de la circulaire du 14 mai 2010, où le garde des sceaux a suggéré au ministère public de « donner un avis favorable à la demande de changement d’état civil dès lors que les traitements hormonaux ayant pour effet une transformation physique ou physiologique définitive associée le cas échéant à des opérations de chirurgie (…) ont entrainé un changement de sexe irréversible, sans exiger pour autant l’ablation des organes génitaux ».
La circulaire et la jurisprudence sont totalement en contradiction avec la position par exemple de la Cour d’appel de Paris qui dans une décision du 27 janvier 2011, exige que le transsexuel ait subi « des transformations corporelles irréversibles » en précisant qu’il s’agit d’opérations de transformation des organes génitaux et de chirurgie plastique.

Le Tribunal constitutionnel fédéral allemand a de plus jugée la condition posée au §8nr 3 TSG contraire à la Loi fondamentale. En effet exiger de la personne une stérilité irréversible constitue un manquement au droit fondamental du choix de son orientation sexuelle. La question de la filiation se poserait alors.

B. Quid de la filiation suite au changement de sexe

Les transsexuels ne devant plus aller au terme de la réassignation sexuelle peuvent encore procréer. Ainsi pour une naissance antérieure au changement de sexe, le Tribunal constitutionnel fédéral allemand rappelle qu’après le changement juridique du sexe de l’un des parents, l’enfant reste toujours lié à celui-ci. Le § 11 TSG dispose que le lien de filiation reste intacte. Cette disposition peut aussi selon le Tribunal constitutionnel fédéral allemand être interprétée de telle sorte à ce qu’elle soit valable pour la naissance d’un enfant après le changement de sexe d’un des parents. C’est-à-dire que le lien de filiation doit absolument être établi. Dans les faits on suppose que le lien de filiation maternelle attribuée au père enceint car la filiation est établie automatiquement dès l’accouchement de l’enfant selon l’adage mater semper certa est.

Sur la question d’une filiation établie antérieurement au changement de sexe, la Cour d’Appel de Paris en 1998 a décidé « que le modification de la mention de sexe de l’intéressé n’avait pas d’effet sur sa filiation ». Les législations françaises et allemandes sont identiques sur ce point. La proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 22 décembre 2011 prévoit également dans son alinéa 9 la question de la filiation après un changement de sexe. L’alinéa 9 dispose que « la filiation peut être établie à l’égard de l’intéressé conformément aux dispositions du titre septième du Code civil ». Ainsi l’enfant né d’un homme enceint sera à la fois père et mère de son enfant.

BIBLIOGRAPHIE :

Manuels:
Gernhuber, Coester-Waltjen, Familienrecht, 6. Auflage, Verlag C.H. Beck München 2010
Ph.Malaurie, Les personnes, la protection des majeures et des mineures, Defrénois, 5e édition 2010

Revues:
Sophie Paricard, Le transsexualisme à quand la loi ?, Droit de la Famille n°1, Janvier 2012, étude n°2
Claire Neirinck, Le sexe, le genre et l’état civil, Droit de la Famille n°2, Février 2012, repère 2
Granet Lambrechts, Jurisclasseur Civil Code, Art 99 à 101, Fascicule 30 : Actes de l’Etat civil- annulation ou rectification, Cote 01,2010, Date de fraicheur : 11 Novembre 2009

Sites internet
Chiffres sur les transsexuels :
http://www.news.de/medien/855056493/ein-leben-im-falschen-koerper/1
http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/02/16/les-transsexuels-entrent-en-campagne_1643541_1471069.html

Texte de la loi allemande sur les transsexuels : http://www.gesetze-im-internet.de/tsg/index.html
Circulaire 2010 du Garde des Sceaux : http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSC1012994C.pdf
Commentaire de la décision allemande du Tribunal fédérale allemand : http://beck-online.beck.de/default.aspx?vpath=bibdata%2freddok%2fbecklin...