Commentaire des articles 801 a 805 du Federal Rule of Civil Procedure - par Céline BRASSART

Les hearsays sont des déclarations extrajudiciaires rapportées lors d’un procès à l’oral ou à l’écrit et ayant pour but d’établir la véracité de la thèse de l’une des parties. Le système de Common Law affiche une grande méfiance à l’égard de telles informations, leur source n’étant pas directe, et pose le principe de l’irrecevabilité des hearsays. En revanche le système civiliste admet les preuves très librement. Cette différence de traitement de la preuve, et plus particulièrement des hearsays s’explique par la nature profondément différente du procès dans les pays de droit civil et ceux de Common Law. Bien que le système américain admette de nombreuses exceptions au principe de l’irrecevabilité des hearsays, ce principe est inhérent au système accusatoire et toute réforme semble peu vraisemblable.

Le principe de l’interdiction des hearsays (ouï-dire ou preuve extrajudiciaire) est l’une des particularités marquante du système de Common Law. Un hearsay est une déclaration rapportant les paroles ou les actes d’une tierce personne non présente à l’instance et visant à établir la véracité des faits allégués (Rule 801 FRCP). De telles déclarations sont prohibées dans le système de Common Law car elles sont jugées peu fiables (Rule 802 FRCP). Cependant, les articles 803 a 805 ne posent pas moins de vingt-cinq exceptions au principe de l’irrecevabilité des hearsays. Face à ces exceptions, de nombreux commentateurs préconisent l’abolition du principe de l’interdiction des hearsays. Une telle abolition ferait disparaître l’une des oppositions les plus marquantes entre le système de Common Law et le système de droit civil. En effet, le système de droit civil ne connaît pas la notion de hearsay, de telles déclarations ne faisant l’objet d’aucun traitement particulier. Comment s’explique l’indifférence de ces pays vis-à-vis de ce type de déclarations alors que les pays de Common Law affichent une méfiance toute particulière à l’égard de telles déclarations ? Dans quelle mesure la multiplication des exceptions au principe de l’interdiction des hearsays aux Etats-Unis révèle-t-elle une certaine convergence entre les deux systèmes, et comment s’explique une telle convergence ?

I- Le principe de l’inadmissibilité des hearsays : une particularité du système de Common Law

Définition et principe L’article 801 (3) du FRCP pose une définition négative des hearsays. Ce sont des déclarations qui ne sont pas celles faites par le témoin lors du procès ou l’audience. Autrement dit, ce sont des « déclarations faites en dehors du tribunal (extrajudiciaires) en vue de prouver un point donné.» (Le Droit de la Preuve devant le Juge Civil et l’Attractivité Economique du Droit Français, France, Angleterre et Pays de Galles, Etats-Unis, p 7, Ministère de la Justice, Service des Affaires Européennes et Internationales, 19 Novembre 2005). L’article 802 pose le principe de l’irrecevabilité des hearsays : « Un hearsay n’est pas recevable a moins que celui ci ne constitue une exception définie par la Cour Suprême ou par le Congrès. » Une telle interdiction contraste avec le régime de la preuve extrajudiciaire dans la plupart des pays de droit civil. En effet, dans beaucoup de ces pays, il existe peu de règles systématiques quant à la recevabilité de la preuve. Ainsi en droit français, les déclarations extrajudiciaires (hearsays) orales sont admises dans les instances civile. La procédure pénale quant à elle pose peu de limites à la recevabilité de telles preuves. Et lorsqu’il existe certaines limites, celles-ci visent à prendre en compte la source de la preuve pour en mesurer la crédibilité et non pour exclure une telle preuve. (Jeremy A. Blumenthal, Shedding some light on calls for hearsay reform : civil law hearsay rules in historical and modern perspective, Pace International Law Review, Spring 2001, p 99).

Fondement de l’inadmissibilité des hearsays L’inadmissibilité des hearsays (the hearsay rule) repose sur l’idée que les déclarations faites par les Hommes ne sont pas fiables par nature. Par conséquent il est nécessaire de soumettre ces formes de preuves à une analyse permettant de découvrir et de révéler leurs éventuelles faiblesses et ainsi de permettre au tribunal (juge ou jury) de ne la prendre en compte qu’à sa juste valeur. (Wigmore, The History of the Hearsay Rule, Harvard LR, vol. 17, 1904, p. 440). Aussi les moyens permettant de révéler de telles faiblesses sont-ils au nombre de trois : tout d’abord, toute déclaration doit être faite sous serment, ensuite elles doivent être faites devant au sein du tribunal, et enfin elles doivent faire l’objet d’un interrogatoire. (Id.). Mais une telle explication ne saurait suffire. En effet le droit civil n’affiche pas une telle méfiance à l’égard des hearsays. Il faut aller au delà de la définition du hearsay et placer cette notion dans le contexte de chaque système juridique afin d’en déterminer la fonction.

Le risque des hearsays dans le système de Common Law 1- L’absence de neutralité des preuves utilisées dans le système accusatoire Dans le système anglo-saxon, chaque partie doit rechercher les preuves à l’appui de sa thèse et les présenter au jury de la manière qui serve le mieux sesintérêts tactiques. (Of Hearsay and its Analogues, Mirjan Damaska, Minnesota Law Review, p. 425 Fevrier 1992). Ainsi les témoins sont-ils associés avec l’une des parties. Les preuves ne sont jamais neutres et sont utilisées pour soutenir une thèse et détruire celle de la partie adverse. Dans un tel contexte, le risque de fabrication et de déformation des preuves est élevé (Id.). Pour prévenir de tels risques et garantir une certaine fiabilité des preuves utilisées, celles-ci doivent être encadrées par des règles strictes. Cet emploi de la preuve contraste avec celui qui en est fait dans le système continental. Dans ce système, la preuve est entre les mains du juge, ce qui leur confère une certaine neutralité.

2- La rapidité des procès en droit anglo saxon Dans le système de Common Law, le procès est le moment où les parties s’affrontent et confrontent leurs preuves. Traditionnellement, tout se joue pendant le procès et donc pendant un temps très court. (notion de one shot trial). Les pays de droit civil en revanche ont traditionnellement recours à une procédure plus longue. Le juge d’instruction a d’abord pour mission de réunir les preuves et de les examiner avant le procès. Il interroge donc les témoins avant le procès, le procès n’étant ensuite qu’une répétition de ce qui a été dit pendant la phase d’instruction (notion de piecemeal trials).

3- La méfiance à l’égard du jury En outre l’importance du jury dans les procès civils et criminels explique la méfiance à l’égard des hearsays. Les membres du jury sont susceptibles d’être plus influençables et moins critiques que des juges professionnels. Par conséquent, les preuves rapportées doivent satisfaire un niveau de fiabilité élevé. Les hearsays ne satisfont pas un tel niveau puisque ce ne sont que des paroles rapportées, pouvant avoir un grand effet sur le jury alors même qu’elles ne reposent sur aucun fondement. Le système continental, même quand il a recours au jury, ne nécessite pas une telle méfiance à l’égard de la preuve. Même lorsque l’institution du jury est nécessaire, le juge guide le jury et lui indique le poids à donner à telle ou telle preuve. En outre, historiquement, le système français accorde une certaine confiance au jury. (Jeremy Blumenthal, Shedding some light on calls for hearsay reform : civil law hearsay rules in historical and modern perspective, Pace International Law Review, Spring 2001, p 107).

L’absence de neutralité des preuves et l’importance du jury dans le système judiciaire de Common Law expliquent donc en grande partie le principe de l’inadmissibilité des hearsays. Cependant ce principe doit être relativisé dans la mesure où il fait l’objet de très nombreuses exceptions, ce qui amène certains auteurs à se demander si la règle de l’inadmissibilité des hearsays ne devrait pas être remise en cause.

II- La multiplicité des exceptions au principe des hearsays : vers une convergence des systèmes de Common Law et de Civil Law ?

Les limites du principe de l’inadmissibilité des hearsays

1- Une définition restrictive tirée de la Common Law Toutes les déclarations extrajudiciaires rapportées par une tierce personne ne sont pas nécessairement des hearsays. Tout dépend du but dans lequel une telle déclaration est faite. Si les paroles rapportées ne visent pas à établir la vérité mais n’ont qu’une valeur explicative ou purement incidente, ces paroles sont alors admises. L’article 801 (d) du FRCP exclue deux formes de déclarations de la définition de hearsay. Premièrement, lorsque le témoin fait une déclaration devant la cour et que celle-ci contredit des déclarations faites précédemment par ce même témoin sous serment lors d’un procès, d’une audience, d’une déposition ou toute autre instance, cette déclaration passée peut être utilisée et n’est pas considérée comme un hearsay. Les déclarations faites lors d’une autre instance peuvent être employées dans le cadre d’une nouvelle instance si ces déclarations consistaient à identifier une personne juste après l’avoir vue (Rule 801 (d) (1)). En outre, lorsqu’une partie fait des déclarations allant contre son intérêt, ces déclarations sont admises, même si elles ont été faites en dehors de la Cour. En outre, les Federal Rules of Civil Procedure admettent de nombreuses exceptions au principe de l’inadmissibilité des hearsays.

2- De nombreuses exceptions au principe de l’inadmissibilité des hearsays Certaines déclarations sont bien des hearsays, mais sont néanmoins admises par la Cour. Il existe plusieurs catégories d’exceptions. Ainsi, certains hearsays sont admis lorsque le témoin n’est pas disponible, et certains types de hearsays sont toujours admis. Tout d’abord, certains hearsays sont admissibles, mais seulement lorsque le témoin n’est pas disponible (Rule 804). L’article 804 donne une définition d’« indisponible ». Le témoin est indisponible, par exemple, lorsque il affirme ne pas se souvenir de la déclaration qui lui est demandée ou lorsqu’il ne peut être présent à l’audience en raison de son décès, ou d’une incapacité physique ou mentale, ou lorsque la partie réclamant sa présence a été dans l’incapacité de l’obtenir. Dans tous ces cas, l’indisponibilité du témoin doit être strictement involontaire. Lorsque le déclarant est indisponible, un certain nombre de déclarations extrajudiciaires sont admises. Tout d’abord, les déclarations faites par celui-ci alors qu’il pensait être sur le point de mourir. Certaines exceptions sont aussi dérivées de la définition du régime de Common Law évoquée ci-dessus. Ainsi le témoignage fait par un témoin lors d’une autre instance portant sur le même ou un autre litige est recevable à condition que le partie contre qui un tel témoignage est utilisé ait eu l’occasion lors de l’instance précédente ou à l’occasion lors de l’instance en cours de soumettre ce témoignage à un examen contradictoire (804 (b) (1)). En outre, l’article 804 (b) (3) dispose que les déclarations extrajudiciaires faites par le déclarant et contraire à l’intérêt du déclarant sont admissibles lorsque celui-ci n’est pas disponible. Cependant, une déclaration extrajudiciaire exposant le déclarant à une responsabilité pénale n’est pas admissible à moins qu’elle ne soit corroborée par des circonstances indiquant clairement la fiabilité et la véracité de tels propos.

Ensuite, certains hearsays sont toujours acceptés, que le déclarant soit disponible ou non (Rule 803 FRCP). Ainsi les déclarations faites lors d’événements déconcertants ou alors que le déclarant était soumis à des conditions de stress ou d’excitation particulières causées par un événement sont admises (Rule 803 (2)). Par exemple les appels à l’aide d’une victime peuvent être utilisés comme preuve à condition que la partie montre que la personne était encore sous le choc lorsqu’elle faisait de tels appels. Les déclarations extrajudiciaires décrivant des impressions ou un état d’esprit immédiats sont également admissibles (Rule 803 (1) et (3)). Par exemple : « il fait froid » ou « je suis en colère ». Les déclarations extrajudiciaires faites au cours d’un traitement médical, c'est-à-dire celles faites par un patient à son médecin peuvent être utilisées comme preuves (Rule 803 (4)). En outre, les informations inscrites sur un registre peuvent être utilisées dans le cadre d’un procès.

Les raisons de telles exceptions

Ces exceptions au principe de l’inadmissibilité du hearsay s’expliquent par le fait que les circonstances dans lesquelles ceux-ci ont été formulés garantissent leur fiabilité. Il faut cependant limiter l’importance de telles déclarations lorsqu’elles sont admises. Le jury n’est jamais obligé de prendre en compte un hearsay s’il n’y croit pas. Le régime des hearsays aux Etats-Unis se rapproche donc de plus en plus de celui implicitement adopté par le droit civil. Il appartient avant tout au décideur (juge ou jury) de déterminer si les hearsays sont fiables ou non. Ce mouvement de convergence a amené certains auteurs à préconiser une réforme du système et un alignement sur le traitement des hearsays fait par les pays civilistes. Cependant, une telle réforme semble difficile. En effet, la conception civiliste des hearsays et de la preuve est, comme nous venons de le voir, profondément liée a l’histoire et à la nature inquisitoriale du système continental. La structure même du droit dans ces pays facilite, et encourage même la recevabilité de toutes les preuves, quelle que soit leur provenance. L’admissibilité des hearsays est profondément liée au système civiliste. Ainsi en Italie, on a pu observer que le passage d’un système inquisitorial à un système accusatoire s’était automatiquement accompagné d’un durcissement de l’encadrement des règles de preuves et d’un rejet des hearsays. (Jeremy Blumenthal, Shedding some light on calls for hearsay reform : civil law hearsay rules in historical and modern perspective, Pace International Law Review, Spring 2001, p 110). La recevabilité des hearsays semble donc profondément liée à la nature du système (inquisitoire ou accusatoire). Dans le système inquisitoire, la recherche de la vérité est au coeur du procès et peut se faire par tous les moyens. Dans le système accusatoire, le but est de faire apparaître les faits au cours du procès. Dans un contexte idéologique aussi contrasté, toute réforme de l’administration des hearsays semble donc difficile.