Commentaire du §626 BGB relatif au licenciement sans préavis pour motif grave

Le §626 du BGB situé au livre 2 portant sur le droit des obligations, section 8, titre 8 relatif au contrat de service, ouvre la possibilité d’un licenciement sans préavis ou fristlose Kündigung. En droit français, ce licenciement est également envisageable à l’article L. 1234-1 C. Trav., dans lequel le législateur met en place des délais de préavis minimums en cas de licenciement et ajoute que le salarié ne peut y prétendre dès lors que le licenciement est motivé par une faute grave. Le droit allemand consacre un article entier au licenciement sans préavis, ainsi le §626 BGB dispose que :

«  (1) Chacune des parties au contrat peut mettre fin au contrat de travail pour un motif grave sans avoir à respecter le délai de préavis, lorsqu’il existe des faits, en raison desquels la poursuite du contrat de travail jusqu’à l’écoulement du délai de préavis ou jusqu’au terme du contrat est intolérable pour celui qui licencie, quand on prend en compte toutes les circonstances de l’espèce et les intérêts juridiques contradictoires des deux parties au contrat.

(2) Le licenciement doit avoir lieu dans un délai de deux semaines. Le délai court à partir du moment où celui qui peut licencier a connaissance des faits déterminants pour le licenciement. Celui qui a licencié doit informer immédiatement et par écrit l’autre partie de la raison du licenciement, dès lors que celle-ci en fait la demande. ».

Le terme motif grave en tant que concept juridique est soumis très largement au contrôle de la Cour fédérale du travail (BAG). Dans un jugement en date du 20 juin 2010, appelé communément Emmely-Entscheidung, le BAG a rappelé que le §626 BGB ne fait pas de toutes les actions punissables pénalement par la loi un motif grave de licenciement et que les juges du fond doivent, conformément à l’article, procéder à l’examen du cas d’espèce et à la balance des intérêts de l’employeur et du salarié. Le BAG vérifie également que le licenciement sans préavis est utilisé en dernier recours et contrôle l’utilité ou non d’un rappel à l’ordre préalable (notamment BAG, 25.10.2012). En France aussi, la Cour de cassation contrôle la qualification de la faute grave (Soc. 13 févr. 1963). Elle a ainsi jugé dernièrement qu’une dénonciation mensongère, faite de mauvaise foi, constitue une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise (Soc. 6 juin 2012). Au surplus, les juridictions supérieures des deux pays s’intéressent à la procédure de ce licenciement, notamment au respect d’un certain délai, car le motif ou la faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, la procédure doit être mise en œuvre rapidement.

Que recouvre exactement le terme wichtiger Grund du §626 BGB par rapport à la faute grave ? Ces deux termes ne subissent-ils pas une évolution liée au développement des réseaux sociaux? D’autre part, la procédure du licenciement sans préavis est-elle plus ou moins encadrée qu’en France ?

 D’abord, le terme wichtiger Grund du §626 al. 1 BGB sera explicité en comparaison avec la faute grave du droit français (I). Ensuite, il sera question de la procédure énoncée au §626 al.2 BGB, qui au regard du droit français, est plus encadrée en ce qui concerne le délai mais moins informative pour le salarié (II).

 

I La nécessité d’un motif ou d’une faute grave et leur application aux réseaux sociaux

Le contrôle du motif grave en droit allemand par les juges consiste en deux étapes distinctes contrairement au droit français (A), et aujourd’hui il a du s’adapter aux réseaux sociaux (B).

 

A. La définition en soi du motif ou de la faute grave, à rééquilibrer plus ou moins avec les circonstances de l’espèce

Le §626 al. 1 BGB définit le motif grave comme un ensemble de faits, qui rendent intolérable pour celui qui licencie la poursuite du contrat de travail, après avoir examiné les circonstances de l’espèce ainsi que les intérêts juridiques contradictoires des deux parties au contrat. La loi ne retient aucune raison absolue justifiant un licenciement sans préavis. Cela relève de l’appréciation des juges du fond qui doivent d’abord contrôler que l’état de fait en soi, à savoir sans aucune prise en compte des circonstances du cas particulier, est apte à fournir un motif grave. Ainsi, la Emmely-Entscheidung du BAG (cf. supra) confirme un arrêt que cette juridiction avait déjà rendu le 13.12.2007, selon lequel des actions illicites et volontaires commises par un salarié et affectant directement le patrimoine de l’employeur peuvent constituer un motif grave dans le sens du §626 BGB, même si elles concernent un bien d’une faible valeur, ou lorsqu’elles n’ont abouti qu’à un dommage minime, voire éventuellement aucun dommage. Cependant, cette décision rappelle aussi qu’il faut systématiquement examiner le cas d’espèce dans son entier et procéder à la balance des intérêts de chacune des parties, afin de savoir si la poursuite du contrat de travail, au moins jusqu’au terme du délai de préavis, est supportable pour celui qui souhaite rompre le contrat de travail, nonobstant l’atteinte portée à la confiance par le fait en question. Les juges veillent également au respect du principe de proportionnalité, ce qui signifie que le licenciement sans préavis doit être utilisé en dernier recours ou « ultima ratio ». Un rappel à l’ordre est en général nécessaire, mais il est superflu dès lors que la confiance entre l’employeur et le salarié ne peut plus être rétablie (BAG, 9.06.2011 excluant le rappel à l’ordre dans le cadre d’une escroquerie sur le temps de travail).

En droit français la faute grave du salarié requise pour le licenciement sans préavis selon l’article L. 1234-1 C. Trav. a été définie par la Chambre sociale de la Cour de cassation, qui depuis le 27 septembre 2007 considère finalement que la faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Il résulte de la jurisprudence que la faute grave a un caractère objectif, ce qui signifie qu’elle ne suppose ni l’intention maligne, ni celle de commettre un acte indélicat, ni un comportement volontaire. Ces précisions rapprochent la faute du motif grave. Mais contrairement au droit allemand, si le juge français prend généralement en compte les circonstances particulières de l’affaire afin d’atténuer ou d’aggraver la faute, il n’y est pas contraint par la loi. D’ailleurs la Chambre sociale de la Cour de cassation a censuré une cour d’appel qui avait violé les articles L. 122-6 et L. 122-9 C. Trav. (L. 1234-1 et L. 1234-9 nouv.) en énonçant que l’appréciation des fautes relevées doit tenir compte de l’ancienneté et des services rendus par le salarié, alors qu’à elles toutes seules les graves irrégularités commises par le salarié ne permettent pas de maintenir le contrat de travail même pendant la durée limitée du préavis (Soc. 14 mai 1987). Récemment encore, la Chambre sociale de la Cour de cassation a considéré que le vol en lui-même commis par un salarié au préjudice d’un client de l’employeur caractérise, alors même que l’objet soustrait serait de faible valeur, une faute grave. Elle rejoint sur ce point la juridiction allemande, mais elle s’en éloigne en ne faisant aucunement référence aux circonstances de l’espèce… (Soc. 16 janv. 2007).

 

B. Le renouveau du motif ou de la faute grave avec les réseaux sociaux

Le développement des réseaux sociaux a amené les juridictions allemandes et françaises à adapter leur jurisprudence relative au licenciement sans préavis. Les arrêts rendus sur ce point s’inscrivent dans la continuité de ceux qui répondaient à la question suivante : à partir de quel moment un élément de la vie privée ou relevant d’une liberté individuelle ou collective du salarié peut justifier un licenciement ?

Le tribunal supérieur de Hamm (LAG) s’est prononcé le 10 octobre 2012 sur la rupture sans préavis d’un contrat d’apprentissage pour un motif grave en lien avec le réseau social Facebook. En l’espèce, à la rubrique employeur de la page Facebook de l’apprenti, demandeur à l’action, figuraient les informations suivantes : « Employeur : exploiteur et profiteur » ; la relation de travail est comparée au servage et enfin il décrivait la tâche accomplie comme « dämliche Scheisse » et faiblement rémunérée. Selon une jurisprudence constante, les insultes graves contre l’employeur qui portent atteinte à l’honneur de la personne concernée peuvent justifier un licenciement sans préavis. La description de l’employeur par l’apprenti constituait pour les juges du fond plusieurs atteintes graves à son image. Le fait que l’apprenti ne les ait pas formulés verbalement n’empêche pas le licenciement sans préavis car la simple lecture sur le Net par le défendeur lui-même ou par des tiers vaut autant qu’une opinion exprimée oralement. De même l’argument selon lequel le défendeur n’est pas nommé est rejeté. Avec l’accès généralisé à Internet, il est possible que des tiers, tels que des clients ou des partenaires commerciaux aient connaissance de cette page Facebook et donc de l’image de l’employeur véhiculée par l’apprenti. Enfin, le droit à la liberté d’expression ne peut être invoqué car celui-ci ne couvre pas les outrages et les insultes.

En France, le Conseil des prud’hommes de Boulogne-Billancourt a également statué sur un licenciement sans préavis en lien avec Facebook (19.11.2010). Dans cette affaire, trois salariés avaient été licenciés pour dénigrement de leur entreprise et incitation à la rébellion contre la directrice des ressources humaines. Ils avaient créé sur Facebook un « club des néfastes » ayant pour programme de « se foutre de la gueule de la DRH toute la journée sans qu’elle s’en rende compte et lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois ». S’il est de jurisprudence constante que le salarié jouit d’une liberté souveraine dans sa vie privée, l’employeur peut toutefois se fonder sur un fait imputé à celle-ci pour justifier un licenciement sans préavis lorsque le comportement du salarié a créé un trouble caractérisé au sein de l’entreprise (Soc. 14 sept. 2010). En confirmant la sanction de l’employeur, les juges ont voulu montrer que Facebook n’était pas une « zone de non droit ». Les juges français (comme leurs homologues allemands) ont sanctionné les limites inhérentes aux libertés publiques du salarié, celles-ci ne pouvant autoriser à injurier ou outrager son entreprise voire son supérieur hiérarchique. Cette position se justifie par les obligations contractuelles du salarié, et notamment son obligation de bonne foi existant en France et en Allemagne.

 

II Un délai d’action plus encadré en Allemagne, une procédure plus informative du salarié en France

Le §626 al. 2 BGB fixe un délai pour le prononcé du licenciement, contrairement au droit français (A). La connaissance du motif du licenciement, possibilité offerte au salarié allemand, constitue un devoir de l’employeur français (B).

 

A. Un délai allemand ancré dans la loi face à un délai français jurisprudentiel

Le §626 al. 2 BGB dispose que le licenciement peut seulement avoir lieu dans un délai de deux semaines. Ce délai constitue un délai de forclusion. Par conséquent, si l’employeur laisse passer ledit délai, l’employeur ne peut plus faire appel au motif grave qui justifiait le licenciement, au moment de l’action intentée par le salarié en vue d’invalider le licenciement. En France un tel délai ne figure pas dans la loi. La jurisprudence, en se fondant sur la définition de la faute grave, a seulement posé l’exigence d’un délai restreint (Soc. 6 oct. 2010). Il ne suffit pas pour dire le licenciement fondé sur une faute grave de retenir que l’employeur se trouve dans le délai de prescription de deux mois précédant le début de la procédure disciplinaire, la cour d’appel doit vérifier que la procédure de rupture a été mise en œuvre dans un délai restreint (Soc. 24 nov. 2010).

Le §626 al. 2 phrase 2 BGB retient comme point de départ du délai la connaissance des faits. L’arrêt du 6 octobre 2010 adopte la même solution, dès lors qu’aucune vérification des faits allégués n’est nécessaire. Dans la pratique, il est très compliqué de savoir si l’employeur a dépassé le délai ou non, en particulier lorsque l’employeur est d’abord contraint d’éclaircir l’état des faits pour être sûr de l’existence du motif grave. Contrairement à la France, l’Allemagne permet à l’employeur de prononcer un licenciement sans préavis fondé sur des soupçons ou Verdachtskündigung. La décision rendue par le BAG le 21 juin 2012, conforme à la jurisprudence antérieure (BAG 23.06.2009, BAG 25.11.2010), réaffirme que le soupçon d’une grave violation contractuelle peut justifier un licenciement sans préavis mais ces soupçons d’une gravité suffisante doivent reposer sur des faits objectifs. De plus, les motifs de suspicion doivent anéantir la confiance nécessaire à la poursuite du contrat de travail.  L’employeur doit également entreprendre tous les efforts acceptables pour éclaircir la situation, en particulier en donnant au salarié la possibilité de s’exprimer.

 

B. Une procédure allemande moins contraignante au regard de l’information du salarié  

Le §626 al. 2  phrase 3 BGB dispose que celui qui licencie, doit à la demande de l’autre partie, informer celle-ci de la raison du licenciement, et ce immédiatement par écrit. Comme pour le licenciement avec préavis, l’employeur doit selon le §623 BGB déclarer sa volonté unilatérale de licencier le salarié par écrit, formalité nécessaire pour la validité du licenciement. Le respect de la forme écrite suppose que l’employeur ou son représentant a écrit cette déclaration de sa propre main et qu’il y a apposé sa signature. Les e-mails ou les télécopies ne répondent pas à l’exigence de la forme écrite.

En règle générale, la lettre de licenciement n’a pas besoin de contenir le motif de celui-ci. Toutefois, il existe des exceptions, comme c’est le cas pour les apprentis après la période d’essai (§22 al. 3 Berufsbildungsgesetz [loi sur l’apprentissage]) ou les femmes enceintes (§9 al. 3 phrase 2 Mutterschutzgesetz [loi relative à la protection de la maternité]) qui doivent être informés du motif du licenciement, sans quoi celui-ci serait caduc. De même, cette exigence doit être respectée dès lors que l’obligation de justification figure dans le contrat de travail, la convention collective, ou l’accord d’entreprise. En ce qui concerne le licenciement sans préavis, la régularité du licenciement n’est pas soumise à la référence du motif le justifiant dans la lettre. Cependant, conformément au §626 al. 2 phrase 3 BGB, le salarié détient contre l’employeur une prétention à la communication du motif après le prononcé du licenciement. Il faut que cette information soit transmise dans les plus brefs délais, et elle s’incarne dans un écrit.

En France, l’employeur qui songe à un licenciement doit, peu importe l’effectif de l’entreprise et l’ancienneté du salarié, convoquer l’intéressé à un entretien préalable. Le motif du licenciement n’influe pas sur cette formalité. Il apparaît dans l’arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2010 (cf. supra) que l’entretien préalable se déroule au plus tôt cinq jours ouvrables après la présentation au salarié de la lettre recommandée de convocation ou sa remise en main propre. Le non-respect de ce délai rend la procédure irrégulière même si le salarié était assisté lors de l’entretien préalable. Si le salarié refuse de se présenter, l’employeur pourra tout de même prononcer le licenciement. Pendant l’entretien, l’employeur ou son représentant indique le ou les motifs du licenciement dont il est question et il rassemble les explications du salarié et de la personne qui l’assiste. Après cet entretien, la loi a institué un délai de réflexion de deux jours ouvrables. Dans la lettre de licenciement, l’employeur français en comparaison avec son homologue allemand a l’obligation de révéler les motifs du licenciement en même temps que le licenciement lui-même. Il ne s’agit donc plus d’une simple prétention d’un salarié mais d’un devoir de l’employeur, quelle que soit la volonté de l’autre partie au contrat. Cette motivation est obligatoire dans tous les cas de licenciement. On pourrait donc dire que le droit français est plus respectueux de l’information du salarié, que ce soit au moment de l’entretien ou de la notification du licenciement.

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE :

Droit français :

-Code du Travail, 74ème édition, 2012 (jurisprudence sous l’article L. 1234-1).

-A. BELLO, Le licenciement pour motif tiré de Facebook : un changement…dans la continuité, La Semaine juridique, édition sociale, N°26, 26 juin 2012.

-L. DUBOIS, M-C. HALPERN, Code commenté du Travail, Edition 2011.

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-C. PUIGELIER, Licenciement pour motif personnel, dénonciation mensongère = faute grave, La Semaine juridique, édition sociale N° 31-35, 31 juillet 2012.

 

 

Droit allemand :

-W. DÜTZ und G. THÜSING, Arbeitsrecht [mit Fällen und Aufbauschemata], 17ème édition, 2012.

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Sites internet:

-www.courdecassation.fr

-www.bundesarbeitsgericht.de

-www.juris.de