Discrimination à l’ encontre étrangers en matière de détention administrative dans le cadre des lois anti terroristes par __Lucile ABASSADE__

L'article s'interroge sur la légalité des discriminations frappant les étrangers, au regard du droit des Etats-Unis et du droit international des droits de l'homme

La loi votée par le Congrès, suite aux attaques du 11 septembre 2001, a autorisé l’arrestation de nombreux terroristes présumés encore appelés « ennemis combattants ». La plupart d’entre eux n’ont pas la nationalité américaine. Certains sont détenus aux Etats-Unis et d’autres hors du sol américain, sur la base militaire de Guantanamo, où les conditions de détention sont dénoncées par plusieurs organisations protectrices des droits de l’Homme comme Amnesty ou Human Rights Watch.

Le terme « ennemi combattant » est assez vague et semble désigner toute personne liée à des activités terroristes visant les Etats-Unis. Il fut utilisé pour la première fois en 1942 par la Cour Suprême dans un arrêt Ex Parte Quirin. Il n’est pas réservé aux étrangers, la Cour l’a en effet attribué à un national américain dans l’arrêt Hamdi (28 juin 2004).

Se pose la question de savoir comment un ennemi combattant présumé peut contester sa détention, aux Etats-Unis ou à Guantanamo. De quels droits ces ennemis combattants bénéficient-ils ? Ces droits diffèrent-ils selon qu’ils sont ou non de nationalité américaine ?

Nous examinerons dans quelle mesure une telle discrimination est autorisée aux Etats-Unis et si cela est compatible avec le droit international des droits de l’Homme. Puis nous nous pencherons sur le droit applicable à Guantanamo. Nous nous attarderons en particulier sur les changements apportés par la loi votée par le Congrès le 17 octobre 2006 qui modifie de manière importante les droits des ennemis combattants.

1. La discrimination pratiquée aux Etats-Unis entre nationaux et étrangers pour contester une détention administrative en matière de terrorisme

La discrimination pratiquée aux Etats-Unis est contraire au droit international des droits de l’Homme.

a) Le droit international des droits de l’Homme

Notons que le droit européen des droits de l’Homme intègre le droit international des droits de l’Homme. La Cour européenne de Strasbourg et la Convention de protection des droits de l’Homme renvoient aux textes internationaux. Dans tous les pays membres, la Convention est directement applicable et peut être invoquée au niveau national. L’article 14 de la Convention consacre le principe de « non discrimination » et les pays membres sont tenus de le respecter.

En Europe, il semble que la distinction entre nationaux et étrangers en matière de terrorisme est illégale. C’est ce que la House of Lords a jugé dans un arrêt A vs Secretary of State de 2004 : un étranger a pu faire déclarer un article de la loi Anti-Terrorisme de 2001 contraire à l’article 14 de la Convention européenne de protection des droits de l’Homme car il créait une discrimination entre nationaux et non nationaux. Cette loi dérogeait à l’article 5(1) et permettait la détention illimitée et injustifiée d’étrangers soupçonnés d’être des terroristes. La Cour anglaise a décidé que la loi ne pouvait pas déroger à l’article 5(1) de la Convention car elle violait le principe de non discrimination.

Sur le sol des Etats-Unis, les nationaux américains détenus pour terrorisme disposent-ils de plus de voies de recours que les étrangers ?

b) Droits constitutionnels

Un national américain pourra tout d’abord se fonder sur une violation de la Constitution américaine pour contester la légalité de sa détention.

Il peut s’appuyer sur le 5e amendement de la Constitution qui garantit un due process of law aux nationaux (« droit a une bonne administration de la justice ») s’il estime que les droits de la défense n’ont pas été respectés. Ce fut le cas dans l’arrêt Hamdi (2004), ou le requérant estimait que l’audience qui lui avait été accordée était trop courte et ne repectait pas le 5e amendement.

Les étrangers peuvent-ils s’appuyer sur la constitution américaine ? Il semble, d’après la jurisprudence, que la réponse soit négative. En effet, la Cour a précisé dans l’arrêt Hamdi que le détenu ne peut se prévaloir d’une disposition de la constitution américaine qu’en vertu du « privilège » que lui confère sa nationalité américaine.

Les étrangers détenus aux Etats-Unis ne bénéficient donc pas de la protection de la constitution.

c) Droits législatifs en matière de législation contre le terrorisme

L’article 4001(a) du titre 18 du Code des Etats-Unis, connu sous le nom de « Non Detention Act », exige que toute détention administrative d’un national Américain soit justifiée par une autorisation expresse du Congrès. Les étrangers ne peuvent pas s’appuyer sur cette disposition puisqu’elle est réservée aux nationaux.

La Cour Suprême a jugé que la loi autorisant l’utilisation des forces armées en Afghanistan (Authorization for the use of military force ou AUMF) votée par le Congrès suite aux attaques du 11 septembre 2001, autorisait la détention de nationaux américains s’ils étaient capturés sur le champ de bataille (arrêt Padilla).

Il faut donc deux conditions pour pouvoir invoquer l’AUMF contre une détention : être de nationalité américaine et être arrêté sur le sol des Etats-Unis. Les nationaux américains arrêtés sur le champ de bataille et les étrangers ne peuvent en aucun cas l’invoquer.

En conclusion, le système européen de protection des droits de l’Homme diffère en deux points du système américain : il permet aux étrangers présumés terroristes de s’appuyer sur les mêmes textes que les nationaux et il interdit toute discrimination fondée sur la nationalité en matière de législation contre le terrorisme.

Il reste un dernier cas de figure : celui où les Etats-Unis retiennent prisonniers des détenus hors du territoire américain, sur la base militaire de Guantanamo (Cuba). Examinons ce qu’il en est en matière de discrimination sur la base de Guantanamo.

2. La loi du 17 octobre 2006 : à Guantanamo, étrangers et nationaux mis sur un pied d’égalité ?

La situation des prisonniers étrangers ou nationaux devrait beaucoup changer avec le vote de la loi du 17 octobre 2006.

a) Quel droit à Guantanamo avant la loi d’octobre 2006 ?

Se pose la question du droit applicable à Guantanamo : les détenus y sont jugés localement par des commissions militaires vivement critiquées par de nombreux organismes protecteurs des droits de l’Homme. De plus, les prisonniers ne bénéficient pas de la protection du droit international car il n’est pas reconnu par les Etats-Unis.

Les nationaux et les étrangers sont-ils donc traités sur un pied d’égalité à Guantanamo ?

Il faut noter qu’il n’y a pas de détenu de nationalité américaine sur la base militaire. Les arrêts concernant des nationaux américains « ennemis combattants » concernent tous des détentions sur le sol des Etats-Unis. De plus la liste des prisonniers publiée par le gouvernement américain ne recense aucun national américain. La comparaison est donc difficile à établir.

En théorie, des éventuels américains détenus à Guantanamo pourraient invoquer la Constitution ou l’AUMF pour contester leur détention. Les étrangers, en revanche, n’auraient a priori aucun texte sur lequel s’appuyer. On peut également supposer que la Cour Suprême se reconnaîtrait compétente pour juger les nationaux américains.

Cependant la nouvelle loi d’octobre 2006 apporte d’importantes modifications aux droits des ennemis combattants étrangers détenus à Guantanamo. Comme l’ont souligné plusieurs juristes américains, la formulation de la loi est tellement vague qu’elle pourrait être interprétée comme visant de la même manière les nationaux américains.

b) La loi du 17 octobre 2006 ou l’impossibilité de contester une détention

Cette loi, votée après l’arrêt Hamdan (juillet 2006) qui déclarait les commissions militaires contraires aux Conventions de Genève, confirme la pratique de ces commissions et réduit les droits des prisonniers.

(i) Suspension de l'habeas corpus

Le principe permettant à tout personne détenue sur le sol américain de contester sa détention devant un tribunal fédéral est nommé habeas corpus (Titre 18 du Code des Etats-Unis). L’habeas corpus, d’après l’article 1§9 alinéa 2 de la Constitution Américaine, ne peut être suspendu qu’en cas de révolution ou de menace de l’ordre public, ce qui n’arriva qu’une seule fois dans l’Histoire des Etats-Unis, sous le président Lincoln. La Cour Suprême, dans un arrêt Padilla (28 février 2005) a précisé que seul le Congrès avait le pouvoir de suspendre l’Habeas Corpus.

Les étrangers détenus sur le sol américain disposent eux aussi du pouvoir de l’habeas corpus, ainsi que l’a rappelée la Cour Suprême dans un arrêt Hamdi.

Se pose le problème des étrangers détenus à Guantanamo car ils ne sont pas incarcérés sur le sol américain : peuvent-ils se prévaloir de l’habeas corpus ?

La Cour Suprême s’était reconnue compétente pour connaître d’un recours en habeas corpus d’un étranger détenu à Guantanamo dans un arrêt Rasul (28 juin 2004). Toutefois, l’habeas corpus des ennemis combattants étrangers a été suspendu par la loi d’octobre 2006, ce qui signifie qu’ils ne pourront désormais en aucun cas contester leur détention devant un tribunal américain.

La loi est formulée de manière assez vague, et les commentateurs ne s’accordent pas à l’heure actuelle pour savoir si l’habeas corpus devra être suspendu pour les étrangers ennemis combattants, ou pour tous les détenus, y compris les américains. Seule la Cour Suprême pourra répondre à cette question.

Dans le cas de figure où la suspension de l’habeas corpus viserait tous les ennemis combattants, les étrangers et les nationaux américains seraient donc sur un pied d’égalité en matière de détention administrative, puisque aucun de ces deux groupes ne pourrait contester leur détention. Il n’y aurait pas de discrimination puisque les Américains perdraient les droits conférés par leur nationalité. Notons le paradoxe d’une telle égalité : elle suivrait le principe, si l’on peut dire, de « déshabiller Paul pour habiller Jacques ». La lutte contre la discrimination en droit international des droits de l’Homme a pour but de conférer les mêmes droits à deux groupes d’individus en raison de l’égalité de leur situation, et non pas d’enlever les droits du groupe le plus avantagé pour restaurer l’égalité entre les deux.

(ii) Pratique des commissions militaires

Cette loi a confirmé la compétence des commissions militaires pour juger les détenus de Guantanamo. Elle apporte un léger cadre à la pratique de ces commissions, en autorisant notamment la présence de l’accusé en salle d’audience, le droit d’être représenté par un avocat et la possibilité de faire appel auprès d’un tribunal civil, qui sont somme toute quelques uns des droits minimum garantis par les Conventions de Genève.

On peut émettre un doute quant à la disposition permettant de faire appel devant un tribunal civil : il faut préciser que le détenu devra au préalable faire appel devant le groupe spécial d’examen des jugements des commissions militaires, ce qui peut donc prendre plusieurs mois, durant lesquels il sera toujours incarcéré à Guantanamo.

La formulation de la disposition de cette loi semble viser non seulement les étrangers mais aussi les nationaux américains, qui pourraient donc être jugés par ces commissions, en théorie, si ceux-ci sont considérés comme entrant dans la catégorie d’ « ennemi combattant illégal ». Toutefois, il n’y a aucun américain à Guantanamo, pour l’instant.

(iii) N’y a-t-il donc aucune limite au pouvoir administratif de détention ?

La Cour Suprême a précisé que la détention des étrangers à Guantanamo n’était pas illimitée, puisqu’elle ne pouvait durer que jusqu’à la cessation des hostilités entre l’armée américaine et Al Qaeda (Hamdan, 2006). Comme la fin de la guerre contre le terrorisme est impossible à prévoir, cette limité établie par la Cour Suprême n’avait pour ainsi dire aucune valeur. En témoigne le suicide en juin 2006 de trois détenus de Guantanamo.

La loi d’octobre 2006 rend légale la détention permanente des ennemis combattants, contrairement aux Convention de Genève. Du fait de cette disposition, le pouvoir administratif de détention en matière de terrorisme est illimité. Le président pourrait choisir de manière discrétionnaire d’emprisonner quiconque qualifié d’ « ennemi combattant illégal », y compris un national américain.

Pour aller plus loin

The Military Commissions Act of 2006: Examining the Relationship between the International Law of Armed Conflict and US Law, http://www.asil.org/insights/2006/11/insights061114.html#_edn5

Un haut responsable américain explique la loi sur les commissions militaires, http://usinfo.state.gov/xarchives/display.html

Les détenus fantômes de Guantanamo, http://hrw.org/french/docs/2005/11/30/usdom12137.htm