FEDERATION DE RUSSIE - Le particularisme des types de nullité en droit russe des contrats en comparaison avec le droit français (Commentaire de l’article 166 du Code civil de Fédération de Russie) , par Agnija CHAMONINA

La distinction française de nullité relative et de nullité absolue, ne trouve aucune résonance en droit russe. Toutefois, les deux types de nullité de contrat en droit russe sont très proches quant à leurs fondements à celles du système français des nullités. Alors que les conséquences respectives attachées aux nullités de droit russe révèlent beaucoup de particularisme à l’égard du système français, notamment après la réforme de la prescription de la loi du 17 juillet 2008. Comment peut-on approcher ces deux systèmes de droit pour qu’un juriste français puisse prévoir en droit russe et comparer les conséquences frappant un contrat nul.

« Article 166. Les contrats contestables et les contrats inexistants ».

1. Un contrat n’est nul que pour des raisons prévues dans ce Code (civil russe). Cette nullité doit être constatée devant le juge pour les « contrats contestables ». Alors que « contrats inexistants » sont nuls, indépendamment de tout recours judiciaire.

2. Le recours en nullité d’un contrat contestable ne peut être formé que par des personnes mentionnées dans ce Code. Le recours en application des conséquences liées à la nullité d’un contrat inexistant, peut être formé par toute personne ayant un intérêt d’agir. Le tribunal peut se saisir d’office pour appliquer les conséquences découlant d’un contrat inexistant. »)

Les notions différentes, le fondement commun, en droit russe et en droit français des nullités.

Le principe de la nullité d’un contrat est le même dans les deux systèmes de droit. La nullité est une sanction frappant un contrat, qui a été conclu en violation des conditions légales de la validité. A coté des conditions générales de droit commun nécessaires pour tout type de contrat, il existe des conditions supplémentaires, qui peuvent être exigées pour des types de contrats spécifiques. Toutes les conditions de validité n’étant pas réunies, le contrat en question sera nul. Pour des raisons pratiques, on limitera notre étude comparative au droit commun des nullités dans les deux systèmes de droit.

Les divergences fondamentales des notions.

En droit français, on distingue généralement la nulliontrté relative et la nullité absolue des contrats (art. 1304 du C.civ. français). Alors, qu’en droit russe, on distingue la nullité d’un « contrat contestable » et la nullité d’un « contrat inexistant » (art. 166 du C.civ. russe). Il faut remarquer que le Code civil russe régit les relations civiles et commerciales. Ainsi, le traitement des nullités sera le même, dans les rapports civils et comme dans les rapports commerciaux. L’article 166, montre de manière très tranchée, la gradation entre ces deux nullités. Cette gradation est inhérente aux termes employés.

Le contrat « contestable », dans la logique du droit russe, est un contrat dont la validité peut être contestée. Cette logique veut dire que la nullité de ce type de contrat doit être débattue. Cette notion est, donc, mise en opposition avec la nullité d’un contrat « inexistant », dont la nullité ne doit pas être débattue. La procédure (voir infra) de nullité de ces deux types de contrats viciés va révéler, plus clairement, la distinction entre ces deux nullités.

Le contrat inexistant du droit russe, ne doit pas être confondu avec la « nullité obstacle » du droit français, qui, également, signifie que le contrat est inexistant de plein droit et qu’il ne peut avoir aucun effet (la théorie doctrinale de « l’inexistence », et Cass. Civ.1, 10 juin 1986, N°84-14241). La nullité « obstacle » et la nullité d’un contrat « inexistant », ne relèvent pas, toutefois, de la même institution. En droit français, la « nullité obstacle » signifie que les parties ne se sont pas entendues sur l’objet même du contrat, car les parties pensaient d’avoir conclu des contrats différents. Le contrat, pour cette raison, ne peut pas être exécuté. Néanmoins, on verra plus loin, que les conséquences de ces deux institutions sont assez proches.

(A titre de remarque, on peut relever qu’en droit de commun law, on retrouve la même idée de gradation: le contrat « void » et «voidable ». Le raisonnement est très proche. Sachant le caractère récent de droit russe, on peut supposer que dans le cadre des nullités, le droit russe s’est laissé influencer par le droit de common law).

Les notions de nullités sont, donc, incomparables en droit français et en droit russe. Néanmoins, l’examen approfondi de chaque type de nullité dans les deux systèmes, montre la grande similitude, quant au fondement de distinction des nullités.

Le même fondement de distinction entre les deux types de nullités.

En droit russe, en fonction de la gravité des vices, affectant les contrats, on distingue les « contrats contestables » et les « contrats inexistants » (pour comparer ces deux institutions juridiques, il faut recourir à une étude transversale des articles de §2, « La nullité des contrats », du Chapitre 9 du Code civil russe.) Ainsi, le contrat est dit « inexistant », s’il ne remplit pas les exigences requises par la loi ou par d’autres normes réglementaires, sauf si la loi prévoit expressément qu’il s’agira d’un contrat «contestable », ou si la loi prévoit d’autres conséquences (art.168. C.civ.ru). Donc, l’inexistence est une sanction par défaut. Dans la logique des différentes sanctions prévues par les textes (de l’art. 168 au 181 du C.civ.ru), on peut clairement tracer le fondement de distinction entre ces deux nullités.

Tout contrat conclu, de mauvaise foi, en violation de l’ordre public ou des bonnes mœurs, est inexistant (art.169 C.civ.ru). La violation des règles prévues pour protéger les majeurs incapables et les mineurs de moins de 14 ans, implique l’inexistence du contrat (sauf les petits contrats de tous les jours). Alors, que tout contrat conclu en violation des règles protégeant, de manière subjective, une partie au contrat (sans violer l’ordre public), sera « contestable ». De là, deux conclusions s’imposent.

On relève qu’en droit russe la distinction entre les deux types de nullité contractuelle de l’art.166 C.civ.russe, est faite par référence aux « intérêts ou à des raisons d’ordre public ». Or, on retrouve le même critère de distinction entre la nullité relative et la nullité absolue en droit français (Cass. Civ.3. du 5 déc. 2007, N°06-19690). Même si on ne peut faire aucun rapprochement des notions en elles-mêmes, le fondement de distinction entre deux types de nullité dans le droit français et le droit russe parait proche, voir identique. Pour conclure, on peut dire, qu’institutionnellement, l’homologue français de la nullité d’un contrat inexistant, c’est la nullité absolue. Alors, que la nullité d’un contrat contestable, rappelle plutôt, la nullité relative du droit français. Cette similitude se dessine, également, dans le cadre de droit d’agir « en nullité » (nullité est mise entre parenthèses, car pour l’action ayant pour objet un contrat inexistant, il ne s’agit pas d’une action en nullité proprement dite, mais d’une « action en application des conséquences liées à cette nullité » ou, on peut dire aussi, d’une action en « restitution »).

Le système russe et le système français révèlent, une similitude de périmètre des personnes pouvant agir « en nullité ». L’art.166.2 du C.civ. russe pose la règle de droit de l’action en nullité, en éclairant la raison de différenciation des deux nullités du droit russe.

Pour le « contrat inexistant » russe et la « nullité absolue » française, le principe est le même : toute personne ayant un intérêt d’agir peut faire une action pour contester le contrat en question. Mais pour le second type de nullité, qui ne relève pas de l’ordre public, le droit français n’ouvre l’action qu’à la personne protégée par la loi en question, alors que le droit russe ouvre le droit d’agir à « toute personne citée dans le Code ». Ainsi, on observe que le droit russe, dans certains cas, donne le droit d’agir à un cercle plus large des personnes, dont le ministère public ou une autorité indépendante. Néanmoins, le résultat est le même. Le principe est d’ouvrir l’action à la personne protégée, sauf exceptions, qui d’ailleurs existent en droit français (ex : demande en nullité du mandataire judiciaire des contrats conclus en période d’état de cessation de paiements de l’entreprise, C.com. L.632-1).

Quant à la prescription de l’action en nullité, les délais du droit russe sont nettement plus courts. La prescription de l’action ayant pour objet un contrat inexistant, est de trois ans, mais ce délai ne court que du jour où a commencé l’exécution de ce contrat (pour des raisons qu’on verra plus loin). Alors que, l’action en nullité ayant pour objet un contrat contestable, se prescrit en un an. Dans certains cas, le départ du délai d’un an est retardé au moment où ont cessé les violences, les menaces (sous lesquelles le contrat a été conclu), ou au moment où l’une des parties a eu ou aurait du avoir connaissance des circonstances, étant la cause de la nullité du contrat.

Avant la réforme de la loi du 17 juillet 2008, le droit français avait deux délais de prescription de l’action : 5 ans pour la nullité relative et 30 ans pour la nullité absolue, ce qui a été jugé comme très long à l’égard, notamment, de la sécurité juridique. Avec la loi du 17 juillet 2008, entrée en vigueur le 1er janvier 2009 (article 6), le législateur a voulu réduire les délais de prescription, et a fixé un délai de prescription de droit commun de 5 ans (pour toute action en nullité, relative ou absolue), sauf les cas où la loi fixe un délai plus court.

A coté du même fondement de distinction des types de nullité, les deux législateurs, ont prévu des conséquences très différentes, notamment pour le contrat « inexistant » russe, comparé à la « nullité absolue» française.

Les conséquences incomparables des nullités: la particularité de la nullité du contrat inexistant en droit russe (comparé à la nullité absolue française).

Le particularisme fondamental du droit russe est inhérent à la notion même du contrat inexistant. Dans la logique de droit russe, le contrat conclu en violation de l’ordre public est « inexistant » (art.166 C.civ.russe), en d’autres termes, juridiquement, il n’existe même pas. Cette inexistence du contrat est confortée par l’absence de recours judiciaire pour constater cette nullité. (Le même raisonnement a été fait par la jurisprudence française, en mettant en lumière « la nullité obstacle ». Selon le juge français, le contrat n’existe même pas et le recours devant le juge n’est pas, donc, nécessaire pour constater sa nullité.)

Le particularisme de droit russe se résume en l’absence du recours pour constater la nullité du contrat inexistant. En vertu de l’article 166.1, la nullité d’un contrat inexistant ne doit pas être demandée devant le juge, contrairement à la nullité absolue du droit français. Le contrat inexistant est nul de plein droit. Seule une action en application des conséquences liées à cette nullité, est envisageable. Le juge, même d’office, peut se saisir de la question, pour appliquer les conséquences liées à cette nullité (il s’agit d’une action en répétition ou en restitution, et non pas en nullité).

Ainsi, le contrat inexistant, contrairement à la nullité absolue, sera nul à perpétuité, si il n’a pas eu de commencement d’exécution. A défaut, si l’exécution a vu le jour, le délai de prescription de l’action en application des conséquences (ou en restitution) est de trois ans (voir supra). En droit français, la nullité peut également être invoquée par une partie en perpétuité, mais seulement comme une exception d’inexécution. D’ici, on peut tirer les similitudes des conséquences, même si les raisonnements sont fondamentalement différents.

Il faut remarquer, qu’en droit français, seule la partie au contrat, par le biais de l’exception d’inexécution, peut se prévaloir de la nullité du contrat à perpétuité (Civ.1re, 19 déc. 1995. Bull.civ. I, n°477), alors que, pour d’autres personnes, même ayant un intérêt d’agir, l’action sera close à l’expiration du délai de prescription (avec la réforme de 2008 cela sera de 5 ans). Or, en droit russe, vu que le contrat inexistant n’a aucune validité, toute personne peut s’en prévaloir de sa nullité, sans délai. En d’autres termes, si le contrat inexistant n’a pas eu d’exécution, le délai de prescription en application des conséquences ne commence pas à courir.

Cela peut paraître absurde, mais, en réalité, la logique de droit russe est bien réfléchie. Le législateur ne met pas en valeur la date de la conclusion du contrat inexistant, car très souvent elle est inconnue par les tiers intéressés. Tel est également le cas pour le législateur français, mais seulement depuis la réforme de juillet 2008. Le point de départ de la prescription de l’action en nullité absolue, ne commence qu’à partir du moment où la partie intéressée a eu connaissance des circonstances conduisant à cette nullité, et non plus de moment de la conclusion du contrat frappé de la nullité absolue (ainsi, le point de départ de la nullité absolue s’aligne avec celui de la nullité relative).

Par conséquent, pour les deux législateurs, le moment de la conclusion du contrat est, dorénavant, sans aucun effet. Ce qui compte pour le législateur russe, s’est le début de l’exécution avec le délai de prescription de 3 ans, alors que le législateur français, attache le point de départ au moment où l’intéressé a eu ou a du avoir connaissance des circonstances conduisant à cette nullité, avec le délais de prescription de l’action en 5 ans. Ainsi, malgré la complexité du raisonnement russe, le délai réel de la prescription de l’action (en application des conséquences) ayant pour objet un contrat inexistant, se prescrive en 3 ans, alors qu’en droit français, pour la nullité absolue, il est de 5 ans.

D’autre part, l’action en application des conséquences liées à l’exécution d’un contrat inexistant est punitive (art.169 du C.civ.ru). La (ou les) partie(s) au contrat, ayant conclut, de mauvaise foi, un contrat contraire à l’ordre public, sera privé de la contrepartie promise ou/et de la contrepartie perçue, au bénéfice du trésor public. Cette mesure de saisie confiscatoire a été jugée conforme à la Constitution de la Fédération de Russie (ne viole ni le droit de propriété, ni le principe de sécurité juridique), car elle est expressément prévue par la loi (l’arrêt de la Cour constitutionnelle de la Fédération de Russie du 21 octobre 2006).

Il faut remarquer que, contrairement au droit français, la loi russe permet, expressément, l’action en nullité de la personne de bonne foi qui a conclut un contrat contraire à l’ordre public (la jurisprudence française est restée longtemps indécise sur cette question, jusqu’à la décision de Cass.civ.1er, 25 janvier 2005, Bull. civ. I, n°35). D’autre part, contrairement à la nouveauté introduite par la réforme du juillet 2008 de la prescription du droit français, le droit russe interdit formellement toute modification contractuelle des délais de prescription (art.198 C.civ. russe).

Bibliographie :

Droit français : Code civil, Dalloz, édition 2009,

www.legifrance.gouv.fr

« Réforme de la prescription: trois petits tours au Parlement et quelques questions », par Laurent Leveneur, Revue mensuelle LexisNexis Jurisclasseur, Aout-Septembre 2008,

« Publication de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile », par Agnès Pimbert, maître de conférences en droit privé à l’université de Poitiers,

Droit civil, « les obligations », par Alain Bénabent, 11e édition, chez Montchrestien

Droit russe :

www.consultant.ru (système de données juridiques, pour la recherche de la législation et de la jurisprudence)

www.garant.ru (système de données juridiques, pour la recherche de la législation et de la jurisprudence)

Code civil de la Fédération de Russie, édition « Prospekt »

Le grand dictionnaire juridique russe, édition « Infra-M »