ITALIE - COMMENTAIRE DE LA DERNIERE PROPOSITION DE LOI (N° 1913 DU 01/12/2009) VISANT A MODIFIER L’ARTICLE 1 DU CODE CIVIL ITALIEN EN CONFRONTATION AVEC LA REDACTION ACTUELLE DE CE MEME ARTICLE - Par Mathilde GUILLON

Résumé

Le statut de l’embryon se situe entre les sciences juridiques et les sciences naturelles, sa protection de l’embryon est nécessaire dans le sens où les scientifiques le considère comme un être humain ; mais à trop vouloir protéger on risque de tomber dans des contresens juridiques et priver des personnes déjà titulaires de droits et en pleine possession de la personnalité juridique physique. Le projet de loi portant à modifier l’article 1 du code civil italien tend à modifier la valeur de la personnalité juridique de l’enfant conçu et permettrait de reconnaitre des droits qui vont à l’encontre de ceux déjà reconnus à la femme.

Proposta di legge n° 1913 del 01/12/09 dai senatori d’Alia e Cuffaro. Modifica all’articolo 1 del codice civile, in materia di riconoscimento della soggettività giuridica di ogni essere umano fin dal concepimento :

Articolo 1 :

''1. L’articolo 1 del codice civile é sostituito dal seguente: «Art. 1. - (Capacità giuridica) . – Ogni essere umano ha la capacità giuridica fin dal momento del concepimento. I diritti patrimoniali che la legge riconosce a favore del concepito sono subordinati all’evento della nascita».''

Article 1 Code civil italien : ''« La capacità giuridica si acquista dal momento della nascita. I diritti che la legge riconosce a favore del concepito sono subordinati all'evento della nascita »''

INTRODUCTION

En Italie l’article 1 du code civil dispose que « la personnalité juridique s’acquière au moment de la naissance. Les droits que la loi reconnait en faveur de l’enfant conçu sont subordonnés à sa naissance ». Cet article, depuis des années, fait régulièrement l’objet de proposition de lois visant à changer le statut de l’enfant à naître. Le 20 juin 1995 le mouvement pour la vie (movimento per la Vita) italien a déposé devant la chambre des députés une proposition de loi d’initiative populaire signée par plus de 190.000 citoyens dans le but de changer l’article 1 du code civil. En effet la constitution italienne à l’article 71 reconnait aux citoyens le droit de déposer une proposition de loi (Il popolo esercita l'iniziativa delle leggi, mediante la proposta, da parte di almeno cinquantamila elettori, di un progetto redatto in articoli).Toutefois cette proposition ne fut jamais discutée devant la chambre des députés. Dernièrement, le 1 décembre 2009, deux sénateurs ont fait une nouvelle proposition de loi dont la teneur est égale à celle de 1995 c'est-à-dire reconnaître la personnalité juridique de chaque être humain dès sa conception, quitte à ce que certains de ses droits soient subordonnés à la naissance (« Chaque être humain a la personnalité juridique dès sa conception. Les droits patrimoniaux que la loi reconnait en faveur de l’enfant à naître sont subordonnés à l’avènement de la naissance »). Le sujet ne manque pas d’intérêt juridique car il touche chacun dans sa propre existence et délimite le commencement du droit à la vie protégé par l’article 2 de la convention européenne des droits de l’homme ; la déclaration universelle des droits de l’enfant approuvée par l’ONU en 1959 protège aussi ce droit à la vie en énonçant dans son préambule la protection des droits de l’enfant dans la période précédant sa naissance. Au-delà de l’intérêt juridique de ce sujet, qui me semble primordial car il contient beaucoup de contresens et non-sens tant dans la doctrine juridique (italienne et française) que dans la jurisprudence, en Italie l’intérêt y est aussi culturel. En effet, la place qu’occupe l’Eglise catholique tant dans la culture que dans les décisions politiques (voir le cas de la proposition de loi sur un PACS italien qui fut rejetée du fait des manifestations des associations catholiques visant à soutenir la famille) en fait un sujet culturel. Les enjeux de cet article sont nombreux et la proposition de modification de la loi pourrait être fatale pour les droits reconnus dans nos sociétés modernes, notamment les droits dits « de la femme ». En effet, le droit à l’avortement, reconnu en Italie en 1978, est à présent, dans certains milieux remis en question à la suite d’une erreur médicale survenue en juin 2009 lors d’un avortement thérapeutique (IMG). Cette intervention visait à supprimer l’un des fœtus atteint de trisomie 21, lors de la grossesse gémellaire d’une femme de 38 ans. Or, les médecins ont pratiqué l’interruption de grossesse sur le fœtus « sain ». Des fautes médicales similaires ont eu lieu en France sans qu’il ne soit jamais question de remettre en cause le droit à l’avortement (CEDH, 8 avril 2004), la seule question étant de réparer le dommage causé par la faute médicale (en l’espèce il s’agissait de l’inattention du médecin et il ne fut pas condamner pénalement).

Il semble opportun d’étudier les conséquences juridiques que pourrait avoir le changement de la loi, non seulement en confrontant la législation française et italienne mais aussi en se fondant sur les bases du droit européen et international. En effet, au niveau international, les déclarations en matière de protection de l’être humain sont nombreuses (Déclaration Universelle des droits de l’Homme, Déclaration des Droits de l’Enfant,…) tandis que la protection européenne en la matière ne fait pas défaut ni en théorie, grâce à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, ni en pratique (cf. les nombreux arrêts rendus par la CEDH en la matière).

1. La personnalité juridique.

Avant de parler de l’apparition de la personnalité juridique, il convient de faire le point sur les droits qu’elle inclut. En effet, la personnalité juridique peut se diviser en deux : d’un coté les droits patrimoniaux et de l’autre les droits extrapatrimoniaux. Cette division permet de faire la différence entre la personne juridique morale et la personne juridique physique ; les droits extrapatrimoniaux sont propres à la personne physique tandis que les droits patrimoniaux sont inhérents à la personnalité juridique morale comme physique. En l’espèce nous nous intéresserons à la seule personne physique. Les droits liés à la personnalité : les droits patrimoniaux et les droits extrapatrimoniaux.

Il existe trois catégories de droits patrimoniaux : les droits réels qui sont le pouvoir de disposer personnellement d’une chose c'est-à-dire un bien (le droit de propriété par exemple), les droits personnels c’est à dire le rapport de droit qui peut exister entre deux personnes (créancier et débiteur) et enfin les droits intellectuels beaucoup plus récents, qui sont le pouvoir de disposer d’une chose de l’esprit (le droit d’auteur).

En revanche, les droits extrapatrimoniaux sont des droits hors du commerce, ils sont attachés à la personne et, par essence, ne sont pas dans le patrimoine. Ils sont incessibles, intransmissibles et insaisissables par les créanciers. Ils n’ont aucune valeur pécuniaire. Les droits extrapatrimoniaux sont les droits civiques, les droits de la personnalité (droit à la vie, droit à l’intégrité, droit à la vie privée…) et les droits de famille (filiation, droits et devoirs des époux entre eux,…). Lorsqu’une personne humaine acquière la personnalité juridique, elle acquière tous ces droits dont elle aura la pleine jouissance (pour les droits patrimoniaux) que lorsqu’elle aura la capacité juridique (la majorité en principe).

L’apparition de la personnalité juridique : la naissance ou la conception ? Naissance ou conception ? Le débat fait rage. La cour européenne s’est toujours défendue de se prononcer sur ce sujet et laisse aux Etats le soin de légiférer en la matière. Ainsi dans un arrêt du 8 juillet 2004, elle refuse d’appliquer l’article 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, non qu’elle considère que l’embryon est dépourvu de toute possibilité de qualification en tant que personne, mais étant donné l’absence de consensus européen sur la question, la cour considère l’embryon comme une personne en devenir qui doit être protégée (en l’espèce si l’action pénale n’était pas la solution, la requérante avait la possibilité d’exercer un recours administratif). Elle laisse à la charge des Etats le soin de se prononcer sur le statut juridique de l’embryon : « il ressort qu'en France, la nature et le statut juridique de l’embryon et/ou du fœtus ne sont pas définis actuellement et que la façon d'assurer sa protection dépend de positions fort variées au sein de la société française ». Dans une autre affaire plus récente (CEDH 10 avril 2007 Evans c/ Royaume Uni), la cour a affirmé que l'article 2 de la Convention EDH protégeait le droit à la vie mais ne protégeait pas l'embryon. Il revient donc aux Etats de déterminer le point de départ du droit à la vie (CEDH, 7 mars 2006, Evans c/ Royaume-Uni).

Il semblerait que, pour la France comme pour l’Italie, le point de départ de la personnalité juridique soit la naissance, en effet, l’actuel code civil italien prévoit à l’article 1 que la personnalité juridique s’acquière au moment de la naissance. La loi française est moins explicite car le législateur s’est toujours gardé de définir l’embryon. Cependant il est considéré comme un être en devenir auquel la personnalité juridique sera rattaché au moment de la naissance.

Néanmoins, le point de départ de la personnalité juridique n’est pas toujours la naissance. Il peut se situer dès la naissance, à la condition suspensive que la naissance d’un enfant viable ait lieu. Ainsi l’article 1 du code civil italien dans son deuxième alinéa prévoit, que l’enfant conçu « concepito » a des droits mais que ceux-ci sont subordonnés à la naissance. Aussi voit-on apparaitre une certaine rétroactivité de la personnalité juridique ; dès la conception, l’embryon a des droits sous la condition suspensive de sa naissance. En droit français, cette condition suspensive existe aussi. Elle se fonde sur l’adage suivant: infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur (l'enfant conçu est tenu pour né dès qu'il s'agit de son intérêt). A la différence du droit italien, qui prévoit dans tous les cas que l’enfant conçu a des droits dès lors qu’il nait, le droit français ne prévoit ceci que lorsqu’il en va de l’intérêt de l’enfant. La proposition de loi déposée par les sénateurs va bien plus loin car, si elle garde cette condition suspensive pour les droits patrimoniaux (c'est-à-dire ceux qui ont une valeur pécuniaire), elle soumet les droits extrapatrimoniaux à la seule conception sans que soit pris en compte la naissance. Autrement dit elle reconnait l’embryon comme une personne humaine à part entière. En effet, les droits patrimoniaux bien que rattachés à la personnalité juridique ne sont disponibles que quand on acquière la capacité juridique alors que les droits extrapatrimoniaux sont les droits qui définissent la personne humaine. Cette proposition de loi entraine un respect de tous les droits extrapatrimoniaux et par dessus tout le droit au respect de la vie. 2. Les limites juridiques posées par la proposition de loi : les droits de la femme.

« La liberté de chacun s’arrête là où commence celle des autres ».

L’impact de la proposition de loi visant à modifier l’article 1 du code civil italien est grand en ce qu’il vient à contredire les droits des droits reconnus à la femme depuis 35 ans en France (loi Veil de 1975 modifiée en 2001) et 32 ans en Italie (loi de 1978 sur l’interruption volontaire de grossesse).

Si l’on reconnait à l’enfant conçu les droits extrapatrimoniaux dérivant de la personnalité juridique, on ne peut admettre le droit à l’avortement sans contredire l’article 3 de la constitution italienne (« Tutti i cittadini hanno pari dignità sociale e sono eguali davanti alla legge, senza distinzione di sesso, di razza, di lingua, di religione, di opinioni politiche, di condizioni personali e sociale »).

Au-delà du droit à l’avortement, certains auteurs pensent que ce projet de loi remet également en question le droit à la santé. En effet, en poussant le raisonnement plus loin, reconnaitre la personnalité juridique de l’enfant conçu c’est mettre en péril la santé de la femme. Prenons l’hypothèse d’une femme enceinte qui doit se soigner (pour ne pas mettre en péril sa santé) et les médicaments prescrit risquent de mettre en péril la vie de l’enfant qu’elle porte. Pour ces auteurs, reconnaitre à l’enfant conçu le droit à la vie c’est interdire à la femme de se soigner pour ne pas risquer un dommage irréparable sur l’enfant à naitre. Si en théorie le raisonnement est valable, en pratique on peut le renverser. Prenons le cas en droit français de la légitime défense qui, bien que soumise à des règles strictes (agression actuelle, illégale et réelle/ défense nécessaire, immédiate et proportionnée), permet en cas de d’agression de commettre une action qui se révèlerait illégale dans une autre situation. On peut alors considérer que la femme enceinte qui a recours a des soins préjudiciables pour l’enfant conçu, est dans son droit, tant que ces soins sont nécessaires et proportionnés. Ainsi, le vote en faveur de cette proposition de loi aurait un impact conséquent sur les droits de la femme étant donné qu’il la priverait du droit à l’avortement. Cependant il me semble infondé de dire que son droit à la santé serait mis en danger.

Il semble impossible de résoudre ce débat qui porte plus sur la conception que chacun a de la vie que sur le droit lui-même. Débattre juridiquement sur ce sujet ne ferait qu’augmenter les contresens qui existent déjà : les scientifiques s’accordent pour dire que l’enfant conçu est un être humain, on interdit les recherches scientifiques sur les embryons (L 2151-5 du code de la santé publique) mais on ne le considère pas comme une personne et on permet la congélation des embryons surnuméraires comme si ceux-ci étaient des « choses » au sens juridique du terme. L’être humain en devenir est la définition qui semble être la plus adéquate car elle se situe entre les choses et les personnes et permet une protection minimale dans le sens où on reconnait qu’il y a la vie tout en sachant que cette vie, bien qu’existante, ne serait peut être jamais extra-utérine du fait de la main de l’homme ou du fait de la nature elle-même.

Le débat sur le statut de l’embryon est un débat fort intéressant mais il ne peut être objectif car il fait partie de la morale, l’éthique et la culture de chacun. Où commence la vie et où celle-ci s’arrête-t-elle ? On a récemment parlé en France de l’Etat civil de l’enfant mort-né (3 arrêts du 6 février 2008) et bien qu’une circulaire de 2001 préconisait que l’acte d’état civil (acte d’enfant sans vie) devait être dressé si l’enfant avait eu une durée de gestation de plus de 22 semaines et qu’il pesait plus de 500g, la cour de cassation a décidé qu’aucune condition relative au poids ou à la gestation ne pouvait être imposé au visa de l’article 79-1 du code civil. Dresser un acte d’enfant sans vie fait il de l’enfant conçu une personne ? La question reste entière. Il semble impossible d’arriver à un consensus. En effet, ce débat éthique porte plus sur la conception que chacun a de la vie, que sur le droit lui-même. Débattre juridiquement sur ce sujet ne ferait qu’accentuer les contresens qui existent déjà : les scientifiques s’accordent pour dire que l’enfant conçu est un être humain alors qu’on continue à pousser les recherches scientifiques sur les embryons. « L’être humain en devenir » est la définition qui semble être la plus adéquate car elle permet une protection minimale dans le sens où on reconnait qu’il y a la vie tout en sachant que cette vie, bien qu’existante, ne sera peut être jamais extra-utérine du fait de la main de l’homme ou du fait de la nature elle-même.

Bibliographie

Textes législatifs

Codice civile italiano
Code civil français
Costituzione italiana
Convention européenne des droits de l’homme

Articles de doctrine français et italiens
Cosimo Marco MAZZONI, La protection réelle de l’embryon, Droit et société 2005/1 - N° 60
Pierre MURAT, Les frontières du droit à la vie : l'indécision de la Cour européenne des droits de l'homme, Droit de la famille n° 10, 2004.
Frédérique DREIFUSS-NETTER, Statut de l’embryon et du fœtus, Etude 2008
Claire Neirinck, L’embryon humain : une catégorie à dimension variable ? D. 2003
Avvocato Giancarlo Frongia, Tesi di Laurea, art. 1 codice civile
Francesca Brunetta d’Usseaux Esistere per il diritto. La tutela del non nato 2001.

Sites internet
www.parlamento.it
www.l’osservatoreromano.it
www.altalex.com