Jeux d’argent en ligne : le choix de la prohibition par les Etats-Unis (Commentaire de l’article de Kraig P. Grahmann : « Betting on Prohibition : The Federal Government’s Approach to Internet Gambling »), par Sârra-Tilila Bounfour

Les jeux d’argent en ligne préoccupent les Etats-Unis, qui représentent le principal marché pour les sites internet qui les proposent. Le nouveau report de l’entrée en vigueur de la loi UIGEA adoptée en 2006 par le Congrès montre que la problématique est toujours aussi actuelle. Ainsi, le choix de la prohibition de cette activité par les Etats-Unis comme la France, au lieu de la réglementation, suscite encore le débat, notamment au regard du droit international mais est défendue par l’auteur comme l’option la plus cohérente et effective.

Comme en témoigne l’adoption d’un texte de loi légalisant les jeux d’argent en ligne en France par l’Assemblée nationale le 6 avril dernier non sans difficultés, suite à la demande de la Commission européenne d’ouvrir ce marché, la problématique des casinos virtuels et autres sites de paris en ligne n’apparait pas encore complètement résolue. Alors que le Congrès américain avait finalement adopté en 2006 une loi optant pour l’interdiction de cette activité par le biais du blocage des systèmes de paiement, l’entrée en vigueur du texte a de nouveau été repoussée au 1er juin 2010 sous la pression de ses opposants. Ceci met en lumière les difficultés liées à la mise en place d’un dispositif efficace pour contrôler une telle activité menée à l’échelle internationale, due à la nature même d’internet. De nombreux gouvernements ont déjà légiféré. Cependant, les solutions varient fortement et évoluent rapidement, comme en Suisse où presque un siècle de prohibition a été abandonné au profit d’une réglementation assouplie.

Des raisons communes aux gouvernements américain et français cherchant à restreindre l’activité de jeux d’argents en ligne. Les deux gouvernements expriment des préoccupations similaires concernant l’activité de jeux d’argent en général, et celle de jeux d’argent en ligne plus spécifiquement. M. Grahmann explique dans son article les raisons pour lesquelles le législateur américain souhaite contrôler l’activité, les classant en deux catégories. Il existe des raisons sociétales. De nombreuses statistiques démontrent que le phénomène d’addiction aux jeux d’argent est directement lié au nombre de casinos. L’addiction a des effets dévastateurs pour les particuliers tant au niveau social qu’au niveau financier en ce qu’elle mène souvent à l’accumulation de dettes pouvant aller jusqu’à la faillite personnelle. Internet augmente ce risque d’addiction de manière exponentielle en permettant l’ouverture de casinos et de sites de paris en ligne accessibles partout et tout le temps. De plus, l’auteur considère que l’accès est facilité pour les mineurs car les sites n’ont pas de moyens « raisonnables » de vérifier l’âge des joueurs. Cependant, la Française des Jeux montre qu’il est possible de contrôler en requérant une preuve que le consommateur est majeur pour pouvoir s’inscrire sur son site internet (en application de deux décrets du 7 mars 2007 interdisant la vente de billets de loterie aux mineurs). Les jeux d’argent en ligne représentent également un risque de fraude par les opérateurs pour les joueurs, qui s’exposent notamment au vol d’identité bancaire lors de leurs paiements ou à la manipulation des probabilités aux jeux. Le Congrès américain a également exprimé ses inquiétudes concernant l’utilisation des jeux d’argent en ligne pour faciliter le financement du terrorisme par le blanchiment d’argent, sans pour autant apporter de preuves concrètes. Les Etats-Unis ont par ailleurs invoqué des raisons financières, que la France partage. Au-delà du risque de dettes et de faillite personnelle pour les particuliers, les jeux d’argent ont un impact financier plus général sur la société. En effet, l’ouverture de sites de paris en ligne et de casinos virtuels crée peu d’emplois et n’a aucun effet favorable sur l’activité économique de la ville dans laquelle ils sont implantés contrairement aux casinos traditionnels ou organismes de paris tels que le PMU. Le fait que ces sites opèrent désormais le plus souvent à l’étranger, notamment dans des paradis fiscaux aux Caraïbes, cause également une baisse des revenus fiscaux considérant les recettes considérables que les jeux d’argent en ligne génèrent, surtout à l’approche d’un évènement tel que la Coupe de Monde de football. Les gouvernements disposent de peu d’outils contre ces effets néfastes dès lors que ces sites opèrent en dehors de leur territoire et que les juridictions ne peuvent pas étendre leur compétence sans limites.

De nombreuses tentatives législatives infructueuses. Face au développement de cette activité, le gouvernement américain a souhaité agir devant les tribunaux. Néanmoins, les lois existantes susceptibles de s’appliquer se sont révélées peu utiles. Le Wire Act de 1961 a criminalisé l’utilisation d’un moyen de communication par fil dans le cadre du commerce entre Etats pour placer un pari sportif. La Cour d’appel du 5e Circuit fédéral a répondu que le Wire Act s’appliquait uniquement aux paris sportifs et ne pouvait pas s’étendre aux autres types de jeux d’argent sur internet. Cette loi soulève également le problème de son application à des communications sans fil, notamment l’accès à ce type de site internet par téléphone portable. Le Travel Act, de 1961 interdit de mener intentionnellement une activité illégale en utilisant un moyen de communication entre deux Etats fédérés. La notion de « moyen de communication » a été entendue de manière large par les tribunaux mais il n’existe toujours aucune certitude quant à savoir si elle inclut internet et la technologie sans fil. Le législateur français est intervenu bien plus tôt pour interdire les jeux d’argent, et ce dès 1836 avec les loteries. La loi du 21 mai 1836 est aisément transposable à l’ère virtuelle puisque les critères établis par la loi peuvent être remplis par une loterie en ligne : une opération offerte au public, une espérance de gain, un gain acquis par la voie du sort et un sacrifice financier consenti par le participant. En 1891, l’interdiction est étendue aux paris hippiques encore illégaux aujourd’hui, à l’exception du PMU depuis sa création en 1930 qui bénéficie d’un monopole peu importe le support. Aux Etats-Unis, plusieurs propositions de loi ont donc été introduites tour à tour pour amender le Wire Act de manière à ce qu’il puisse servir à sanctionner pénalement l’activité de jeux d’argent en ligne. L’Internet Gambling Prohibition Act a été introduit en 1998 pour étendre le champ d’application du Wire Act en incluant les paris non sportifs, en interdisant expressément l’utilisation d’internet pour placer ou aider à placer des paris, et en requérant des fournisseurs d’accès qu’il bloquent l’accès aux sites internet de paris et toute publicité pour ces sites. Cette proposition de loi visait ainsi à punir les opérateurs et les parieurs en adaptant le langage du Wire Act à l’âge de l’internet. Le scandale Monica Lewinsky a néanmoins empêché son adoption. Le texte a été réintroduit en 1999 mais en limitant la responsabilité pénale aux opérateurs seulement et le rôle des fournisseurs d’accès au blocage de l’accès aux sites et à la prise de mesures raisonnable pour filtrer ces sites. La Chambre des Représentants a rejeté le texte, s’opposant à l’exemption en faveur des parieurs individuels et des ligues de fantasy sports. L’Internet Gambling Enforcement Act avance alors une nouvelle approche centrée sur une attaque visant le système de paiement qui soutient cette activité en ligne, le but étant d’interdire les transactions bancaires au profit des sites internet. Si le texte n’a jamais été soumis au vote du Congrès, il est néanmoins la source d’inspiration de l’Unlawful Internet Gambling Enforcement Act, première loi spécifique aux jeux d’argent en ligne adoptée par le législateur américain.

L’adoption d’une approche prohibitive. Les Etats-Unis ont confirmé leur choix de la prohibition des jeux d’argent sur internet en adoptant en 2006 la loi UIGEA, qui crée une nouvelle loi indépendante du Wire Act. La loi est focalisée sur le système de paiement à la base des sites de jeux d’argent en ligne. C’est pourquoi elle se trouve sous le Titre 31 du Code monétaire et financier et que le Congrès, dans les « congressional findings and purpose » de la loi (section justifiant le besoin d’adopter la loi), occulte les raisons sociétales traditionnelles, se limitant à expliquer que le risque financier pour les particulier lié aux jeux d’argent en ligne nécessite d’interdire les flux financiers vers ces sites internet. Interdire les mouvements de fonds est également le choix effectué en droit français à l’art. L 565-2 du Code monétaire et financier mais pour les flux en provenance des opérateurs d’une activité de jeux d’argent. La loi UIGEA établit ainsi des sanctions civiles, mais surtout pénales, criminalisant expressément l’activité de jeux d’argent en ligne. La première partie de la loi est consacrée aux concepts clés du dispositif mis en place. Ceux-ci sont définis de manière large. Si la notion d’« unlawful internet gambling » ne fait l’objet d’aucune précision, le législateur a cherché à définit le type de jeux d’argent visé par la loi en utilisant les désignations suivantes : « bet » et « wager », soit pari et mises. Une des questions soulevées à l’égard de la loi concerne son application au poker, le principal jeu de casino virtuel. Un des arguments avancé est que le poker n’entre pas dans la notion de « bet » ou de « wager », parce qu’il serait un jeu d’adresse. Le droit français limite son interdiction aux jeux de hasard, définis dès 1891 comme les « jeux dans lesquels la chance prédomine sur l’adresse et les combinaisons de l’intelligence » (Crim. 24 juillet 1891), et interprétés extensivement par la Cour d’appel de Paris pour qui un concours est illégal dès que le hasard intervient dans les résultats, ne serait-ce que secondairement (CA Paris 28 avril 1971). La loi du 12 juillet 1983 intervient bien plus tard pour criminaliser le fait de participer à la tenue d’une maison de jeux de hasard où le public est librement admis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Elle prévoit un régime dérogatoire pour les casinos des stations balnéaires, thermales ou climatique, étendu en 1988 aux villes de plus de 500 000 habitants, qui sont classées comme historiques et contribuent au moins à hauteur de 40% au fonctionnement d’un lieu culturel national. Or, ce régime d’exemption ne peut pas être étendu aux casinos virtuels car, en plus de la localisation, il est conditionné à la réunion des activités de spectacle, restauration et jeu sous une direction unique, ainsi qu’au respect de certains interdits de jeux notamment pour l’accès des mineurs, qui sont difficiles à appliquer en ligne. Le droit français n’interdit que les jeux de hasard contre argent. Néanmoins, la gratuité est interprétée restrictivement pour garantir l’efficacité de la prohibition. L’aspect monétaire est donc le centre des préoccupations. C’est pourquoi la loi UIGEA, centrée sur le blocage des fonds, définit la notion de « payment system », ou instruments de paiement, de telle manière à inclure une grande variété de transactions financières, y compris l’utilisation de carte de crédit par internet, de chèques et de transferts électroniques de fonds. Dans un deuxième temps, elle établit une exception pour les paris hippiques sur internet, légaux dans la majorité des Etats fédérés tandis que la France connaît un monopole étatique des paris hippiques au profit du PMU ; une exception qui limite considérablement le champ d’application de la prohibition. Si la loi UIGEA a finalement été adoptée en 2006 après de longs débats, son entrée en vigueur a de nouveau été repoussée jusqu’au 1er juin 2010 suite aux pressions des partisans de la réglementation.

Les critiques domestiques vis-à-vis de l’approche prohibitive de la loi UIGEA. L’auteur liste les critiques exprimées à l’égard de la loi UIGEA et de la prohibition plus généralement. Cette loi pose avant tout des problèmes d’interprétation de ces termes clés : « unlawful internet gambling » ne dispose d’aucune définition, « bet » et « wager » sont utilisés pour définir le types de jeux d’argent en ligne interdit mais demeure la question de la différence entre « chance gambling » et « skill gambling », jeux de hasard et d’adresse. La loi UIGEA a pour but d’empêcher les sites internet de recevoir le paiement des mises et paris par les joueurs. Le concept essentiel de ce dispositif est celui de « payment system », soit instrument de paiement. Néanmoins, la définition large donnée par le Congrès pourrait ne pas tenir face à la créativité des acteurs du secteur bancaire et au développement constant d’instruments financiers alternatifs. Plus généralement, le Congrès délègue entièrement la responsabilité de détailler les dispositions de la loi et de l’appliquer au Federal Reserve System, une agence exécutive fédérale chargée d’établir l’ensemble des règles obligatoires que les banques et organismes de carte de crédit doivent suivre pour identifier et bloquer les transactions sujettes à des restrictions. Par ailleurs, les partisans de la réglementation dénoncent la prohibition des jeux d’argent en ligne comme une solution servant plus les intérêts de l’alliance des casinos traditionnels contre les casinos virtuels plutôt que les ceux des joueurs. De plus, la prohibition serait ineffective car rendre les jeux d’argent illégaux ne ferait qu’encourager cette nouvelle économie souterraine, qui se développera à l’étranger, jouant de la mise en concurrence des législations nationales. Ainsi, le gouvernement américain ne pourra pas atteindre ces opérateurs de l’économie numérique. Les risques d’addiction et le problème de la protection des mineurs demeureront inchangés tant il est difficile de contrôler par des mesures nationales une activité virtuelle, par nature exercée au niveau international. La loi UIGEA serait aussi potentiellement anticonstitutionnelle. Le dispositif législatif consiste à priver les entreprises de leurs revenus sans aucune procédure juridique préalable, qu’il s’agisse d’une audience ou d’une notification. Or, priver une personne de sa propriété constitue une violation du principe de « due process of law » consacré par le 5e Amendement. La loi s’expose ainsi à partir de juin 2010 au risque d’être déclarée anticonstitutionnelle par certains tribunaux. A cela s’ajoute le fait que la lutte contre les jeux d’argent en ligne telle qu’organisée par la loi UIGEA ne comprend aucune disposition quant à la publicité des jeux d’argent en ligne illégaux, tandis que l’approche plus globale du droit pénal français prohibe la promotion au profit de ces sites qui ne seraient pas conforme à la loi française.

Les Etats-Unis confrontés à leurs obligations internationales. La plus grande faiblesse des législations prohibitives réside certainement dans leur incompatibilité avec le droit international en ce qui concerne les Etats-Unis, et le droit communautaire en ce qui concerne la France. L’une des critiques exprimées contre la loi UIGEA aux Etats-Unis touche ainsi à sa conformité au droit de l’OMC suite à la sentence arbitrale rendue contre les Etats-Unis le 10 novembre 2004. L’affaire a commencé par une décision de la Cour Suprême de l’Etat de New York selon laquelle la loi de l’Etat était applicable à un casino virtuel dont les serveurs étaient localisés à Antigua, et qui opérait donc à l’extérieur du territoire. Les juges du fond ont décidé qu’ils étaient compétents dès lors que les joueurs pouvaient miser et transmettre l’information depuis l’Etat de New York via internet. Une telle décision est similaire à celle adoptée par les juridictions françaises en matière pénale, reconnaissant leur compétence dès lors qu’un des éléments constitutifs de l’infraction est commis sur le territoire français (C. pén., art. 113-2, réaffirmé par TGI Nanterre, 15e ch., 15 mars 2007, Min. publ. c/ Patrick P… et a., RLDI oct. 2007, n°31 p. 29). Néanmoins, en matière délictuelle, elles ont limité leur compétence aux sites internet qui « visent le public français » (CA Paris, 4ème ch., sect. A, 26 avr. 2006, M. S. et société Normalu c/ société Acet). Les juridictions recherchent un certain nombre d’indices tels qu’un site hébergé en France, un site rédigé exclusivement en français, des paris sportifs proposés sur des matchs français ou encore la proportion des paris réalisés depuis le territoire français (Affaire ZEturf et Affaire du Real Madrid). La décision américaine est intervenue alors qu’Antigua, dans l’optique d’accroître l’activité de jeux d’argent en ligne pour développer son économie, avait tenté de négocier avec les Etats-Unis, qui ont refusé de réglementer et ont opté pour la prohibition. Antigua a donc saisi l’organe de règlement des différends de l’OMC, alléguant que la législation américaine particulièrement, et celle d’autres Etats, violaient l’accord général sur le commerce des services (GATS) parce qu’elles ont pour effet d’empêcher Antigua de fournir un service. Le panel saisi a rendu une sentence arbitrale en faveur d’Antigua. L’organe d’appel a confirmé la sentence. Les arbitres ont reconnu l’existence de certaines préoccupations liées aux jeux d’argent en ligne, qui relèvent de la moralité publique et de l’ordre public. Cependant, ils ont enjoint les Etats-Unis de modifier leur législation sous peine de sanctions financières. Les Etats-Unis n’ayant procédé à aucune révision, Antigua a été autorisée par l’OMC à prendre des mesures de rétorsion commerciale jusqu’à 21 millions de dollars par an pour compenser le manque à gagner de ses entreprises. L’Union européenne a rejoint la bataille en passant dans un premier temps par la voie des négociations. Elle a ainsi obtenu des Etats-Unis certaines concessions dans d’autres domaines économiques en échange du maintien du statut quo. Cependant, les protestations des entreprises européennes de jeux d’argent en ligne se faisant de plus en plus fortes, l’Union européenne a finalement ouvert une enquête sur les mesures discriminatoires américaines, faisant ainsi pression sur les Etats-Unis pour revoir leur législation et ouvrir leur marché national.

L’incompatibilité du droit français au droit communautaire. Contrairement au droit américain, le droit français n’a pas été expressément condamné par la CJCE ou l’OMC. Si les jeux de hasard en ligne ne sont pas couverts par la directive sur le commerce électronique (dir. n°2000/31 CE du 8 juin 2000), la Commission européenne a néanmoins rappelé l’obligation d’ouvrir le marché du service des jeux d’argent en ligne et l’importance des grandes libertés de circulation dans le marché commun. Dans l’affaire ZEturf, le TGI de Paris saisi en référé par le PMU a enjoint l’entreprise maltaise de cesser d’opérer son site internet exclusivement rédigé en français, offrant la possibilité de placer des paris sur des courses hippiques se déroulant sur le territoire français tandis que l’accès au jeu était interdit aux résidents maltais. La Cour de cassation a partiellement cassé la décision affirmative de la Cour d’appel de Paris au motif qu’elle aurait du rechercher si le droit français en faveur d’une politique extensive du PMU était effectivement compatible avec la liberté d’établissement de l’art. 49 du Traité de Rome (Com. 10 juillet 2007). Le Parlement européen a réaffirmé qu’en vertu du principe de subsidiarité, il appartient à chaque Etat membre de réglementer l’activité spécifique de jeux d’argent en ligne (communiqué de presse du 10 mars 2009). La CJCE a d’abord reconnu aux Etats membres la possibilité d’imposer des restrictions sur cette activité mais seulement si ces restrictions sont « justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général, telles que la protection des consommateurs et la prévention de la fraude et de l’incitation des citoyens à une dépense excessive liée au jeu ». Ainsi, dans l’affaire Gambelli, la CJCE a jugé que l’approche prohibitive adoptée par l’Italie dans une loi pénale requérant une concession et une autorisation pour exercer l’activité de jeux d’argent en ligne était incompatible avec la liberté d’établissement et de prestation de services. C’est donc au juge interne de vérifier si la législation « répond véritablement aux objectifs susceptibles de la justifier et si les restrictions qu’elle impose n’apparaissent pas disproportionnées au regard de ces objectifs ». La Cour a confirmé cette tendance tout en durcissant sa position dans l’affaire Placanica, jugeant la législation italienne contraire aux articles 45 et 49 du TCE et rejetant les objectifs invoqués par l’Italie au regard de la lutte contre la criminalité et de sa volonté de limiter les possibilités des occasions de jeu. La France est d’autant plus susceptible d’être condamnée par la Cour que sa législation prévoir la faculté d’interdire les flux financiers en provenance de l’étranger, c’est-à-dire les transferts de fonds en provenance d’organisateurs d’activités de jeux en ligne. Or, la Commission européenne considère qu’un tel dispositif, semblable à celui consacré par la loi UIGEA, constitue une restriction à la libre circulation des capitaux en l’absence de preuves montrant que cette restriction est non discriminatoire, justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général, propre à atteindre l’objectif poursuivi et proportionné à cet objectif.

La prohibition, seule approche possible ? En dépit de tous ces inconvénients, M. Grahmann défend la prohibition des jeux d’argent en ligne, prétendant qu’il s’agirait de la seule solution effective et cohérente. Effective car les jeux d’argent en ligne restent entièrement dans la sphère virtuelle, ce qui rend une réglementation pénale particulièrement complexe à exécuter. Cohérente car le Congrès a également opté pour l’interdiction de l’activité de vente d’alcool et de cigarettes en ligne par l’interdiction des transferts de fonds. Ces activités faisant, en dehors d’internet, l’objet d’une réglementation stricte similaire à celle des casinos traditionnels, il est recommandé de continuer de les traiter de la même manière sur internet. L’auteur note que l’interdiction non législative adoptée pour la vente de cigarettes présente des lacunes que la loi UIGEA évite puisque son dispositif permet à l’Etat où le dommage causé par l’activité de jeux d’argent en ligne de poursuivre l’entreprise pénalement et civilement, et ainsi d’obtenir des dommages et intérêts que l’Etat peut utiliser pour compenser le dommage subi par lui et ses résidents. Cependant, l’option américaine apparaît déjà bien plus qu’obsolète avant même son entrée en vigueur. Si les préoccupations au fondement de la loi UIGEA sont compréhensibles et d’ailleurs partagées par la plupart des Etats, la solution choisie a déjà été expressément condamnée par l’OMC et s’avèrera donc nécessairement coûteuse, voire impossible, à mettre en œuvre en dépit des accords négociés avec quelques Etats membres. De plus, le phénomène de mise en concurrence des droits nationaux à l’échelon mondial rend une approche aussi stricte ineffective comme en témoigne l’évolution de certains droits nationaux similaires. La France, pourtant porteuse d’une longue histoire de prohibition des jeux d’argent, a déjà entamé la révision de sa législation. Suite à l’appel de la Commission européenne, Eric Woerth avait annoncé en 2008 la libéralisation du marché des jeux de hasard en ligne. A l’approche de la Coupe de Monde de football, la majorité à l’Assemblée nationale s’est pressée d’adopter un nouveau texte le 6 avril dernier, opérant ainsi un changement fondamental vers la réglementation, non sans une forte opposition. Le texte adopté prévoit un système de licences pour les paris hippiques, les autres paris sportifs, et les jeux de casinos. Les opérateurs détenteurs d’une ou plusieurs de ces licences pourront désormais faire de la publicité pour leur site, mais devront s’engager en échange à respecter des règles visant à protéger les mineurs et lutter contre la criminalité et les risques d’addiction. L’ouverture du marché servira surtout les caisses de l’Etat avec la création d’une taxe de 2% sur l’ensemble des mises et paris placées par les consommateurs, dont les gains seront désormais consultables par l’administration fiscale. Il ne reste plus qu’à savoir si le texte deviendra effectivement loi. Bien qu’imposant toujours un certain nombre de restrictions sur l’activité de jeux d’argent en ligne, le droit français semble reconnaître le caractère impraticable d’une interdiction pure et simple. Plus généralement, aucune mesure nationale ne permettra à un Etat de véritablement contrôler les activités menées sur internet. Le développement incessant de la sphère virtuelle et la créativité des opérateurs de l’économie numérique requièrent désormais une coopération internationale, comme l’a recommandé dès novembre 2006 le rapporteur de la commission des finances du Sénat, M. François Trucy.

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