L'évolution encore hésitante de la CJUE quant à une assimilation progressive des personnes mariées et des couples homosexuels unis civilement, en France et en Allemagne (Arrêt Römer, 10 mai 2011)

En France comme en Allemagne, des unions civiles, le PACS et le partenariat de vie enregistré, sont ouverts aux homosexuels, mais ce n'est pas encore le cas de l'institution du mariage. Dans le cadre de la lutte contre les discriminations fondées sur l'orientation sexuelle, la CJUE a été saisie lors de l'affaire opposant M. Römer à la Freie und Hansestadt Hamburg (CJUE, 10 mai 2011, Römer, C-147/08) à propos d'une pension de retraite perçue par un partenaire enregistré qui était inférieure à celle perçue par une personne mariée. La Cour s'est donc à nouveau penchée sur cette question sensible, faisant suite à l'arret Maruko (CJCE, 1eravril 2008, Maruko, C-267/06) pour y préciser sa position sur une éventuelle assimilation progressive des deux statuts.

 

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Le 17 mai dernier se déroulait la Journée Internationale contre l’Homophobie. L'homosexualité a été dépénalisée en France seulement en 1982, et elle est encore considérée dans plus de 80 pays comme un délit, voire punie par la peine de mort(Anne Chemin, Homosexualité : les droits avancent, la répression persiste, Le Monde n°20627, mercredi 18 mai 2011, pages 10-11). Les homosexuels sont également des victimes oubliées de l’Holocauste. Le §175 du Code Pénal de l’Allemagne nazie  incriminant l’homosexualité a été conservé sous sa forme originelle jusqu’en 1969. Aujourd’hui, suivant l’évolution de la société, des progrès sont sans cesse mis en œuvre pour lutter contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle. En 2008, à l’initiative de la France et des Pays-Bas, et avec le soutien de l’Allemagne, la déclaration dite « de New-York » a été présentée à l’Assemblée Générale des Nations Unies, condamnant les violences et traitements dégradants infligés aux homosexuels. Le 22 mars 2011, le Ministère des Affaires Etrangères s’est également engagé pour une dépénalisation universelle de l’homosexualité auprès du Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies «appelant à la fin des violences et violations des droits de l’Homme fondés sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre ». Les avancées sont donc notables dans la volonté politique au niveau international, mais le processus juridique national vers une égalité de traitement dans la pratique est long et source de polémique. Les inégalités entre couples mariés et couples de même sexe unis civilement sont encore nombreuses, en matière par exemple d’homoparentalité, de droits de succession, ou d’imposition, entre autres pour l’impôt sur le revenu en Allemagne(Interview Dirk Siegfried, Homosexuelle Paare können klagen, Financial Time Deutschland, 18 mai 2011).

 

Le 10 mai 2011, la Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu un arrêt(CJUE, 10 mai 2011, Aff. Jürgen Römer contre Freie und Hansestadt Hamburg, C-147/08)  répondant à une question préjudicielle de l’Arbeitsgericht Hamburg concernant un litige opposant Monsieur Jürgen Römer à la Freie und Hansestadt Hamburg. Le tribunal demandait son avis à la Cour sur l’interprétation de la directive 2000/78 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail et des principes généraux du droit de l’UE.

En l’espèce, M. Römer avait travaillé pour la Freie und Hansestadt Hamburg de 1950 à 1990 puis avait conclu en 2001 un partenariat de vie enregistré avec un homme. L’article 10 §6 du premier RGG du Land de Hambourg, disposition litigieuse, dispose que la pension de  retraite complémentaire versée à un prestataire marié non durablement séparé est calculée selon une classe d'impôt plus avantageuse que celle versée à un prestataire ayant conclu un partenariat de vie enregistré avec une personne de même sexe. Ceci constituerait, selon le requérant, une discrimination et une violation du principe de l’égalité de traitement. Il réclame le versement de la même pension de retraite complémentaire que perçoivent les prestataires mariés, ce droit résultant selon lui de la directive 2000/78.

 

Cet arrêt Römer s’ancre dans la continuité de la jurisprudence de la CJCE(devenue CJUE avec l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne), qui avait déjà élargi dans l’arrêt Maruko de 2008 (CJCE, 1eravril 2008, Aff. Maruko, C-267/06), les droits des couples de même sexe en matière de pension de réversion, et  constaté que la juridiction de renvoi reconnaissait le rapprochement vers une égalité des droits de ceux-ci avec les droits des couples mariés pour cette prestation.

 

Dans quelle mesure la Cour, dans son arrêt Römer, fait-elle progresser la lutte contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle en France et en Allemagne et joue-t-elle un rôle dans le rapprochement de la situation des couples de même sexe unis civilement et de celle des personnes de sexes différents qui sont mariées ?

 

En France comme en Allemagne, le pas de l’ouverture du mariage aux couples homosexuels n’a, malgré un vif débat, pas encore été franchi. En Allemagne, ils disposent depuis 2001 d’une forme d’union civile qui est réservée aux personnes de même sexe, le partenariat de vie enregistré (eingetragene Lebenspartnerschaft). A l’inverse, en France, le PACS a été instauré en 1999 aussi bien pour les personnes de même sexe que pour celles de sexes différents, apaisant ainsi les opposants à une union homosexuelle. Accorder des droits inférieurs aux pacsés ne semble donc pas être ouvertement une discrimination à l’encontre des couples de même sexe, étant donné que cette union est également ouverte aux couples de sexes différents. Un éventuel traitement moins favorable ne serait alors pas à reprocher à une intention discriminatoire fondée sur l’orientation sexuelle ! Des dispositions prévoyant une situation moins favorable pour les personnes pacsées que pour les mariées, pourtant apparemment neutres car pouvant aussi toucher des couples hétérosexuels pacsés, sont alors susceptibles de dissimuler une discrimination indirecte, définie à l’article 2-2 b de la directive 2000/78. En effet, le critère du mariage, apparemment neutre, peut occasionner un désavantage particulier pour les couples homosexuels, dans la mesure où ils ne peuvent pas contracter mariage, et ne peuvent donc pas remplir la condition, et ce même si les couples hétérosexuels en sont également affectés, car ces derniers ont, quant à eux, la possibilité de se marier s’ils le souhaitent(Prof. Jean-Philipe Lhernould, The prohibition of discrimination based on sexual orientation; the ECJ cases Maruko and Römer, ERA, 21 février 2011). Il faut donc veiller, au cas par cas à ce que le PACS, seule union civile ouverte aux homosexuels, ne cache pas des dispositions discriminatoires à leur encontre.

Depuis, sans pour autant ouvrir les mêmes droits que ceux dont disposent les personnes mariées, le partenariat enregistré et le PACS se sont peu à peu rapprochés de l’institution du mariage, par le biais de réformes législatives (en 2007 en France, en 2004 en Allemagne).

 

Concernant le domaine d’application de la directive, le droit de la famille, particulièrement imprégné des traditions nationales, relève du domaine réservé des Etats membres, comme confirmé dans l’arrêt Römer (point 38). Madame Christine Boutin, dans sa lettre adressée au juge en charge de l’affaire pour défendre la protection du mariage fermé aux personnes homosexuelles et des valeurs traditionnelles de la famille, invoque ici également l’argument d’une intervention contraire au droit de l’Union Européenne dans un domaine où elle n’est pas compétente. Selon elle, une acceptation par la Cour du versement d’une pension de retraite complémentaire égale à celle d’une personne mariée à un partenaire enregistré constituerai « une remise en question de la compétence [des] Etats à légiférer dans la politique familiale, une négation de l’application du principe de subsidiarité dans le domaine de la famille, la violation d’un principe fondateur de l’Union Européenne »(Lettre de Madame Christine Boutin adressée au juge en charge de l’affaire Römer, datée du 16 décembre 2010). En revanche, l'UE dispose d’une compétence en matière de lutte contre les discriminations résultant de l’article 19 I TFUE. La directive 2000/78 confirme en son article 1erqu’elle a pour objet de lutter contre les discriminations, notamment fondées sur l’orientation sexuelle et de faire appliquer le principe de l’égalité de traitement dans les Etats membres. La Cour doit être particulièrement attentive à ne pas empiéter sur le domaine du droit de la famille tout en jouant son rôle d’interprète de la directive et de contrôle de son application conforme au droit de l’Union.

S’appuyant sur ses décisions antérieures, en particulier l’arrêt Maruko, la CJUE qualifie les pensions de retraite complémentaires de « rémunérations » et affirme sans problème particulier qu’elles entrent bien dans le champ d’application de la directive (Arrêt Römer, point 36).

 

En prenant pour base l’article 2 de la directive, la Cour expose que le principe de l’égalité de traitement est violé lorsqu’existe une discrimination directe ou indirecte. L’établissement de l’existence d’une discrimination directe est basé tout d’abord sur l’existence d’une situation comparable des couples mariés et des couples de même sexe unis par un partenariat de vie, et dans un deuxième temps, par un traitement moins favorable de ces derniers, basé sur un motif entrant dans le cadre de l’article 1.

1)   La CJCE, dans l’arrêt Maruko, exige seulement, partageant ici l’avis de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH, Arrêt Burden contre Royaume Uni, 29 avril 2008), que les situations en question soient comparables, mais pas identiques, et que l’analyse s’effectue « de manière spécifique et concrète au regard de la prestation concernée ». Cette appréciation de la comparabilité est confiée au juge national (Arrêt Maruko, point 73).

 

La CJCE a alors noté que la juridiction de renvoi estimait que la loi de 2004 modifiant la Lebenspartnerschaftsgesetz (LPartG) effectuait un « rapprochement entre mariage et partenariat de vie, qu’elle considère comme une assimilation progressive» (Arrêt Maruko, point 69).

La juridiction de renvoi a, dans l’arrêt Römer, considéré qu’il « n’existe plus de différence juridique notable entre ces deux états des personnes tels qu’il sont conçus dans l’ordre juridique allemand », mis à part le fait que l’un soit réservé aux personnes de sexes différents et l’autre aux personnes de même sexe(Arrêt Römer, Point 45).

En France, une loi de 2007 a également modifié les articles du Code Civil relatifs au PACS, rapprochant celui-ci du mariage, sans pour autant aller jusqu’à une assimilation.

La Cour ne se prononce pas sur la question du degré de rapprochement du partenariat de vie avec le mariage, mais précise bien qu’elle ne fait que rendre compte des conclusions de la juridiction allemande de renvoi qui, elle, considère qu’il y une assimilation progressive des deux statuts. Déjà en 2008, « le caractère ambigu de l’arrêt Maruko [résidait] dans la manière selon laquelle les tribunaux nationaux devraient opérer afin de décider si les relations de couple entre des personnes de même sexe sont susceptibles d’être considérées comme étant comparables au mariage. »(Mark Bell, Sur l’égalité d’accès aux avantages liés au travail pour les couples du même sexe ; réflexions concernant l’affaire Maruko, Revue du droit européen relatif à la non-discrimination, juillet 2009). Comme dans l’arrêt Maruko, « la question laissée en suspens correspond néanmoins au problème essentiel de l’assimilation ou non d’un mariage et d’un partenariat. La réponse accordée aux juges allemands ne les oriente pas vers l’une ou l’autre des options »(Monika Breitkopf, L’équivalence entre mariage et partenariat de vie,  http://m2bde.u-paris10.fr/, 2008).

 

La pension de retraite accordée par la Freie und Hansestadt Hamburg, nécessitant que le bénéficiaire soit marié et non durablement séparé, a ainsi pour but de profiter à la personne retraitée elle-même, mais également aux personnes vivant avec elle. La Cour se penche donc sur les droits et obligations de chacun des deux statuts au sein de la communauté de vie. La LPartG contraint les partenaires à une communauté de vie, à des obligations de secours et d’assistance (§2). On remarque que la LPartG renvoie expressément aux articles du Code Civil Allemand (BGB) relatifs au mariage. Certains sont applicables par analogie au partenariat (le §5 LPartG renvoie aux §§ 1360 S.2, 1360a, b, 1609 BGB). Les partenaires doivent également contribuer à la communauté de vie par leur travail et leur patrimoine (§5 LPartG). Ces mêmes obligations lient donc aussi les époux. Ainsi, les situations des époux et des partenaires sont bien, en l’espèce, comparables.

En droit français, les articles relatifs au mariage et au PACS sont présents dans le Code Civil, mais dans des titres distincts. Pour les époux, on parle de communauté de vie (Art.215), de devoir de respect, fidélité, secours et assistance (Art.212) ; pour les personnes pacsées, il ne s’agit que d’organisation de la vie commune (Art.515-1), et d’aide matérielle et assistance réciproques (Art.515-4). La question de la comparabilité est donc plus problématique en France.

 

2)   Dans un deuxième temps, la Cour a étudié l’existence d’un traitement moins favorable des couples partenaires par rapport aux couples mariés sur la seule base de leur orientation sexuelle. Il est vérifié que la pension complémentaire qu’aurait perçue M. Römer s’il avait été marié, et non partenaire, aurait été supérieure (Arrêt Römer, point 49). Pourtant, ce-dernier a du verser les même cotisations que les personnes mariées.

Les couples de même sexe, auxquels sont réservé le partenariat, font donc l’objet d’un traitement moins favorable, imposé par le Article 10 §6 1erRGG.

Il s’agit donc, en l’espèce, d’une violation de l’égalité de traitement, constitutive, selon la Cour, d’une discrimination directe.

On peut regretter que la Cour ne se soit alors pas penchée sur la question de la discrimination indirecte. Celle-ci serait envisageable lorsque la situation des partenaires de vie et des époux n’est pas comparable(Helmut Graupner, The ECJ Römer Judgement ; a first assessment, LGBTI Rights in the XXI century, International Conference, Florence, 12-13 mai 2011). Le critère, apparemment neutre, du mariage pour bénéficier d’une rémunération constitue pourtant un désavantage particulier pour les homosexuels qui sont dans l’impossibilité de remplir ce critère. L’existence d’une discrimination indirecte était la position défendue par l’avocat général Colomer dans l’arrêt Maruko. Cependant, « en proposant une analyse fondée sur la discrimination directe, [la Cour] a mis un terme au débat épineux qui portait sur le fait de savoir si cela était objectivement justifié que de limiter les avantages liés au poste de travail aux personnes mariées. »(Mark Bell, Sur l’égalité d’accès aux avantages liés au travail pour les couples du même sexe ; réflexions concernant l’affaire Maruko, Revue du droit européen relatif à la non-discrimination, juillet 2009).

Malgré tout, Christine Lüders, directrice de l’Antidiskriminierungsstelle des Bundes se réjouit du fait que « cet arrêt nous conforte dans le fait que nous devons rapidement poursuivre l’assimilation du mariage et du partenariat en Allemagne » (Communication : Gleiche Rente für Lebenspartnerschaft und Ehe – Leiterin der Antidiskriminierungsstelle des Bundes begrüßt Urteil des EuGH, 10 mai 2011).

 

L’Allemagne se dirige donc plus rapidement vers une assimilation globale du partenariat et du mariage. Certains pays européens, comme les Pays-Bas, la Belgique ou l’Espagne, autorisent déjà le mariage homosexuel.

Cependant, si des statuts différents, comme le PACS et le partenariat de vie enregistré, ont été créés, c’est sans doute que les sociétés françaises et allemandes n’étaient pas prêtes à accorder une égalité de droits aux homosexuels, et reconnaissaient, du moins en 1999 et 2001, dates de création de ces unions, une supériorité au mariage et à ces valeurs traditionnelles. L’instauration du PACS en France « participe [même] d’une forme spécifique de gouvernementalité des sexualités et tout particulièrement de l’homosexualité, non pour la condamner, comme autrefois, mais pour la placer dans un rang de subordination formelle. »(Daniel Borillo, Le Pacte civil de solidarité : une reconnaissance timide des unions de même sexe, Aktuelle juristische Praxis 299, 2001).

 

En France, la célébration d’un mariage entre deux hommes par Noël Mamère en 2004 a eu, malgré sa nullité, pour effet de relancer le débat sur la question. Le Conseil Constitutionnel a déclaré, le 28 janvier 2011, que l’interdiction du mariage homosexuel était conforme à la Constitution. Les articles 75 et 144 du Code Civil présentant le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme sont donc conformes à la Constitution, et n’enfreignent pas le droit à une vie familiale normale, comme cela l’a d’ailleurs été rappelé par la Cour de Cassation en 2007 (Cour de Cassation, Civ. 1ère , 13 mars 2007, n° 05-16627) concernant la nullité du mariage prononcé par Noël Mamère. Le Conseil Constitutionnel reste prudent et renvoie alors la résolution de cette question au législateur qui avait «estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille » (Conseil Constitutionnel, Décision n°2010-92 QPC du 28 janvier 2011).  Cependant, l’Assemblée Nationale a, le 14 juin dernier, à nouveau rejeté une proposition de loi visant à autoriser le mariage homosexuel.

 

La CESDH (Art.12)  emploie également les termes de « l’homme et la femme » concernant le droit au mariage. A l’inverse, la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (Art.9), annexée au traité de Lisbonne, ne  précise pas que le mariage serait réservé à l’homme et à la femme. On pourrait donc en déduire qu’elle autorise le mariage homosexuel. Cependant, dans son arrêt Schalk et Kopf c. Autriche, la CEDH(CEDH, 24 juin 2010, Aff. Schalk et Kopf contre Autriche, requête n°30141/04)affirme que la liberté est laissée à chaque Etat de permettre ou non le mariage entre personnes de même sexe.

 

La Cour, dans l’arrêt Römer, contourne sans y répondre la question d’une éventuelle justification d’une différence de traitement basée sur une disposition nationale, constitutionnelle, protégeant le mariage comme étudié ci-dessus, pourtant posée par l’Arbeitsgericht Hamburg dans sa question préjudicielle.

En France, le 10ealinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».

Les couples homosexuels ne sont pas présentés par le Code Civil comme membres de la même famille, mais cette dernière  n’est définie ni dans le Code Civil français, ni en droit constitutionnel.

En Allemagne, d’après l’Article 6 de la Loi Fondamentale (Grundgesetz), « le mariage et la famille sont placés sous la protection particulière de l’Etat » cité par la défenderesse(Arrêt Römer, point 27). 

L’Allemagne protège donc particulièrement le mariage. Les partenaires sont cependant reconnus comme membres de la même famille (§11 LPartG).

La lutte de certains pour une ouverture pure et simple du mariage aux homosexuels, plutôt qu’une égalisation progressive des droits des partenaires de vie avec les mariés, s’explique par la particulière protection, morale et juridique, offerte au mariage.

Le fait de continuer à réserver le mariage aux personnes de sexes différents et non aux homosexuels, et dans le même temps de conserver une protection particulière à l’institution du mariage montre que l’égalité des droits n’est de toute évidence pas encore ce qui est recherché par les dispositions législatives. Le fait de ne pas l’ouvrir aux couples de même sexe est donc une manière consciente de s’assurer qu’ils n’acquièrent pas une même protection. Le terme de mariage a aussi une signification fortement imprégnée par les traditions religieuses et morales, encore très présentes dans la société, reconnu comme l’union d’un homme et d’une femme. L’appellation « mariage » a donc une portée hautement symbolique, comme l’a constaté la Cour Suprême de Californie en 2008, chargée d’analyser la constitutionnalité du refus d’appeler « mariage » l’union homosexuelle, alors même que les droits et obligations portant sur les couples étaient similaires (Cour suprême de Californie, in re Marriage Cases, Opinion No S147999, 15 mai 2008 : « whether our state Constitution prohibits the state from establishing a statutory scheme in which both opposite-sex and same-sex couples are granted the right to enter into an officially recognized family relationship that affords all of the significant legal rights and obligations traditionally associated under state law with the institution of marriage, but under which the union of a same-sex couple is officially designated a domestic partnership »).

Pourtant, selon l'avocat général dans l'arrêt Römer, « le principe de primauté [ayant] une portée absolue », l’article 6 GG ne pourrait pas légitimer et justifier une disposition engendrant une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle(Conclusions de l’avocat général dans l’affaire Römer, présentées le 15 juillet 2010, points 165 et 175).

Le fait que la Cour élude la question d’un éventuel conflit avec des dispositions nationales, de niveau constitutionnel, n’est ici pas anodin, concernant ce sujet sensible de droit de la famille relevant de la compétence des Etats membres.

 

 L’applicabilité  des apports de la Cour dans les arrêts Maruko et Römer en France semble incertaine. La Cour précise en effet de manière très stricte la portée  de la reconnaissance en elle-même de la discrimination directe résultant de la disposition litigieuse. En effet, une disposition accordant une pension de retraite supérieure aux personnes mariées qu’aux partenaires est contraire à la directive 2000/78 sous deux conditions : le mariage doit tout d’abord, dans le pays en question, être réservé aux personnes de sexes différents, et coexister avec un partenariat de vie, correspondant au Lebenspartnerschaft allemand, réservé aux personnes de même sexe. De plus, la situation juridique et factuelle du partenaire doit être comparable à celle d’une personne mariée au regard de la prestation en question(Arrêt Römer, point 52).

La Cour a donc limité de manière très stricte la portée de son arrêt, de sorte qu’une telle décision soit presque exclusivement réservée à une application en Allemagne, ou à des pays où le régime du partenariat est strictement le même qu’en Allemagne.

La France, où le PACS est ouvert aussi aux personnes de sexes différents, ne pourra sans doute que difficilement, et au cas par cas, profiter de cette avancée en matière d’égalité de traitement fondée sur l’orientation sexuelle. En effet, l’accent mis sur une analyse spécifique et concrète par les juges nationaux de la situation concernée peut laisser ouverte une application par les juges français de la reconnaissance d’une discrimination dans une situation concrète similaire qui concernerait des pacsés. Mais cette décision européenne pourra avant tout être l’occasion d’une réflexion de l’évolution de la société française au sein de l'UE et d’une éventuelle nécessaire évolution juridique.

 

L’élaboration d’un Code Civil Européen permettrait d’avoir un régime unifié, en matière d’union ouverte aux personnes de même sexe, et peut-être même en matière de mariage homosexuel.

 

 

 

Eléments bibliographiques ● Monika Breitkopf, L’équivalence entre mariage et partenariat de vie, blog M2bde, 2008, http://m2bde.u-paris10.fr/content/l%E2%80%99%C3%A9quivalence-entre-maria... ● Mark Bell, Sur l’égalité d’accès aux avantages liés au travail pour les couples du même sexe ; réflexions concernant l’affaire Maruko, Revue du droit européen relatif à la non-discrimination, juillet 2009 ● Prof. Jean-Philipe Lhernould, The prohibition of discrimination based on sexual orientation; the ECJ cases Maruko and Römer, ERA, 21 février 2011 ● Daniel Borillo, Le Pacte civil de solidarité : une reconnaissance timide des unions de même sexe, Aktuelle Juristische Praxis 299, 2001● Helmut Graupner, The ECJ Römer Judgment ; a first assessment, LGBTI Rights in the XXI Century, International Conference, Florence, 12-13 mai 2011, http://www.graupner.at/e/person.php ● Anne Chemin, Homosexualité : les droits avancent, la répression persiste, Le Monde n°20627, mercredi 18 mai 2011, pages 10-11 ● Interview Dirk Siegfried, Homosexuelle Paare können klagen, Financial Time Deutschland, 18 mai 2011 ● Lettre adressée au Président de l’Assemblée Générale des Nations Unies, lue lors de la 63e session, le 22 décembre 2008, concernant la promotion et la protection des droits de l’Homme ● Conseil des droits de l’Homme – Déclaration appelant à la fin des violences et violation des droits de l’Homme fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, 22 mars 2011, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/entrees-thematiques_830/droits-homme_10... ● Lettre de Madame Christine Boutin adressée au juge en charge de l’affaire Römer, datée du 16 décembre 2010, http://www.partichretiendemocrate.fr/images/stories/downloads/lettre-jug...  ● Communication : Gleiche Rente für Lebenspartnerschaft und Ehe – Leiterin der Antidiskriminierungsstelle des Bundes begrüßt Urteil des EuGH, 10 mai 2011, http://www.antidiskriminierungsstelle.de/SharedDocs/Pressemitteilungen/D...