L’évolution des voies de recours contre les sentences arbitrales internes et internationales : analyse de l’arrêt américain Biller v. Toyota et comparaison avec le droit français de l’arbitrage

 

Les avantages traditionnels de l’arbitrage sont aujourd’hui contestés. Les procédures d’arbitrage coûtent chères et peuvent durer, notamment lorsqu’elles sont accompagnées de procédures judiciaires parallèles. Une des qualités d’origine de l’arbitrage était le caractère final de la sentence arbitrale et l’intervention limitée des cours dans la procédure. De manière très générale, une sentence ne peut être soumise qu’à un certain type de recours, très restreints. Cependant, ce principe est lui-même attaqué par des créations législatives, judiciaires, et contractuelles. On différencie grossièrement deux types de voies de recours. Les premières sont les voies de recours directement tournées contre la sentence arbitrale. Les secondes sont celles qui contestent la reconnaissance ou l’exequatur d’une sentence étrangère. Cette analyse ne porte que sur le premier type, les voies de recours dont le but est d’annuler ou de modifier la sentence. Le principe fondamental en matière de compétence dans un recours contre une sentence arbitrale est le suivant : seules les juridictions du siège de l’arbitrage peuvent statuer sur la validité de la sentence arbitrale qui en découle (Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, 1999, §1564). On en vient alors à se demander où en sont les droits au regard des voies de recours disponibles contre une sentence arbitrale.

La France, comme les Etats-Unis, possède un système d’arbitrage avancé et bien défini. Ces deux systèmes sont relativement semblables en général mais connaissent des divergences fondamentales en terme de voies de recours et s’échangent tour à tour le prix de la pratique la plus favorable à l’arbitrage. Cet article traite de la comparaison des systèmes français et américain en matière de voie de recours contre une sentence arbitrale rendue dans leur territoire respectif. L’analyse portera d’abord sur l’arrêt Biller v. Toyota Motor Corporation du neuvième circuit des Etats-Unis et sur l’évolution de l’approche américaine des voies de recours en matière d’arbitrage puis sur la comparaison de cette approche avec le système français.

 

L’arrêt Biller v. Toyota et l’évolution des voies de recours en arbitrage aux Etats Unis

Dans l’arrêt Hall Street Associates v. Mattel du 25 mars 2008, la Cour Suprême a recadré les jurisprudence américaines sur la disponibilité des recours contre les sentences arbitrales par une règle claire mais victime depuis d’interprétations fluctuantes, illustrées notamment dans l’arrêt Biller v. Toyota du 3 février 2012.

 

L’arrêt du 25 mars 2008 et la politique fédérale en faveur de l’arbitrage, le Federal Arbitration Act

L’affaire Hall Street porte sur l’annulation puis la correction d’une sentence arbitrale par une cour qui s’est fondée sur des moyens créés par les parties dans leur compromis (voir Hall Street Associates v. Mattel, 552 U.S. 576, 579 et 580 (2008)). La question de droit posée à la Cour Suprême était la suivante : les parties à l’arbitrage peuvent-elles convenir de moyens de recours autres que ceux prévus par le Federal Arbitration Act (FAA) ? La Cour a répondu négativement et a étendu sa réponse à la disponibilité des voies de recours selon la loi fédérale. Elle y a posé le principe selon lequel les moyens prévus par le FAA sont exclusifs et ne peuvent être étendus par la common law ou les lois étatiques, pour un arbitrage régi par le FAA.

Cette loi énonce clairement que : « une cour doit confirmer une sentence à moins qu’elle ne soit annulée, modifiée ou corrigée selon les moyens prévus à l’article 10 de la loi » (Federal Arbitration Act de 1925, 9 U.S.C. §9). Si l’arbitrage est largement fondé sur le contrat, il a besoin d’un encadrement législatif pour être réellement efficace. De plus, cet encadrement juridique est nécessaire pour restreindre au maximum l’immixtion des cours dans la procédure arbitrale. Laisser les parties étendre le cadre de la loi sur les voies de recours causerait des interruptions systématiques par la partie perdante pour tenter d’annuler l’arbitrage et de revenir vers un règlement judiciaire du litige.

La Cour ne laisse donc comme voies de recours disponibles que celles prévues aux articles 10 et 11 du FAA, mais uniquement lorsque l’arbitrage est régi par le FAA. Elle précise en effet que ce n’est pas le seul moyen pour les arbitrages qui sont régis par une autre loi que le FAA. Si la clause compromissoire ne tombe pas dans le champ d’application du FAA ou si les parties décident d’appliquer une loi fédérée ou la common law, il pourra y avoir d’autres voies de recours comme la conformité à l’ordre public. C’est sur ce sujet que la position de la Cour demeure ouverte et sujette à diverses interprétations, comme on peut le voir dans l’arrêt Biller v. Toyota.

 

L’arrêt Biller v. Toyota Motor Corporation, une interprétation de la décision Hall Street illustrant l’évolution de son « precedent »

Pour bien saisir l’arrêt Biller v. Toyota Motor Corporation, il faut comprendre le champ d’application du FAA. Il s’applique aux « contrats constatant une transaction impliquant le commerce » dans le sens fédéral du terme. Il suit la définition de la compétence fédérale selon la « commerce clause » de l’article 1 de la constitution américaine. Ainsi, lorsque un contrat n’est pas entièrement interne à un Etat fédéré, le FAA s’applique.

Dans la décision Biller v. Toyota du 3 février 2012, la cour fédérale d’appel du neuvième circuit illustre bien la situation qui suit Hall Street sur les voies de recours. Saisie pour un recours en annulation d’une sentence arbitrale, elle commence par identifier la loi applicable au recours, le California Arbitration Act (CAA) ou le FAA. La cour décide de l’application du FAA à la clause compromissoire. Elle en déduit que les parties ne peuvent pas prévoir contractuellement des moyens d’annulation différents de ceux énoncés par le FAA (Biller v. Toyota Motor Corp., 668 F.3d 655, 662 (9e Cir. 2012)). Cependant, la cour va appliquer le standard de la méconnaissance manifeste de la loi, qui n’est pas mentionné dans le FAA, en le plaçant dans le champ d’application du dernier moyen d’annulation de la loi, à savoir l’excès de pouvoir de l’arbitre (9 U.S.C. §10(a)(4)).

La cour d’appel défie en quelque sorte la Cour Suprême an argumentant que des moyens extérieurs étaient en fait la réunion de plusieurs motifs de l’article 10 du FAA, dont celui qui autorise l’annulation si l’arbitre a commis un excès de pouvoir (9 U.S.C. §10(a)(4)). La théorie de la méconnaissance manifeste de la loi est un moyen largement utilisé par les cours américaines pour annuler une sentence arbitrale. Il a été perçu soit comme un moyen extérieur au FAA, maintenant interdit, soit comme un moyen qui réunit plusieurs motifs du FAA. Le neuvième circuit a donc décidé, par l’arrêt Biller, de faire de la méconnaissance manifeste de la loi un moyen non pas créé par les parties mais un moyen découlant du Federal Arbitration Act, alors qu’on ne le retrouve aucunement dans les mots de la loi. Les autres alternatives, sans doute moins « insolentes » vis à vis de la Cour Suprême auraient été soit d’appliquer le FAA à la lettre et de rejeter un moyen qui ni figure pas, soit de soumettre le contrat au CAA ou à la common law puisque ceux-ci autorisent un élargissement des moyens d’annulation par les parties. Néanmoins, la cour finit par avoir une conclusion conforme à la politique américaine de l’arbitrage puisqu’elle confirme la sentence arbitrale et refuse son annulation.

Les circuits américains sont divisés sur l’interprétation de l’arrêt Hall Street. Comme le neuvième circuit, le deuxième circuit autorise la méconnaissance manifeste de la loi pour annuler une sentence (B/E Aerospace v. Jet Aviation St Louis, 2012 WL 1577497 (S.D.N.Y. May 3, 2012)). Les cinquième et onzième circuits, eux, n’acceptent plus ce moyen depuis 2008 (Wachovia v. Brand, 671 F.3d 472, 483 (4e Cir. 2012)). Finalement, le droit américain est théoriquement limité en terme d’annulation d’une sentence lorsque le droit fédéral s’applique, même si certains circuits se permettent quelques élargissements de la loi. L’article 10 du FAA reste en apparence très proche de l’article 1520 du Code de procédure civile français (CPC).

 

La proximité théorique des droits américains et français sur les voies de recours

En comparant les textes de loi français et américains sur l’arbitrage, on constate à première vue la proximité de ces deux droits. Cependant, les voies de recours contre les sentences arbitrales internes affichent des différences fondamentales.

 

Des critères relativement proches pour le recours en annulation d’une sentence internationale

On observe en France la même distinction entre sentence interne et sentence internationale qu’aux Etats-Unis. Le critère est le même que celui qui différencie l’arbitrage fédéré de l’arbitrage fédéral : l’implication dans le commerce international (ou fédéral), juridiquement ou matériellement.

Pour les sentences rendues en France sur un arbitrage international, les voies de recours sont très restreintes. Pour un recours en annulation, les critères sont énoncés à l’article 1520 du CPC, comme le FAA à l’article 10. Les critères pour l’annulation d’une sentence fédérale ou internationale américaine sont : la fraude et la corruption vis à vis de la sentence et de l’arbitre, la partialité de l’arbitre, une faute de l’arbitre qui aurait porter atteinte aux droits d’une partie, et enfin l’excès de pouvoir de l’arbitre. On ne prend donc en compte que la qualité de l’arbitre et non la sentence en elle-même. La loi française se concentre elle aussi sur la personne du ou des arbitres mais diverge dans les deux derniers alinéas de l’article 1520 du CPC. Ces deux alinéas soumettent la validité d’une sentence internationale française au respect du contradictoire et de l’ordre public international. On pourrait interpréter le dernier alinéa de l’article 10 du FAA comme incluant le principe du contradictoire dans les droits des parties que l’arbitre doit respecter. Mais l’ordre public international, lui, demeure absent du FAA.

Avant l’arrêt Hall Street, les cours américaines appliquaient trois critères de common law en plus de ceux indiqués dans le FAA pour annuler une sentence. Ces critères étaient : la méconnaissance manifeste de la loi, l’irrationalité ou l’irrégularité de la sentence (arbitraire), et la violation de l’ordre publique (T. Carbonneau, The Law and Practice of Arbitration, 2nd ed., 2007). Ces critères, considérés comme extérieurs à la loi fédérale, devraient normalement être écartés depuis 2008, y compris la violation de l’ordre public. L’absence de jurisprudence sur ce dernier critère ne permet pas de savoir si l’ordre public ne permet plus d’annuler une sentence après Hall Street. On pourrait néanmoins interpréter la violation de l’ordre public comme découlant d’un des critères du FAA, comme les cours l’ont fait avec la méconnaissance manifeste de la loi. Quoi qu’il en soit, l’exception d’ordre public était déjà considérée comme très limitée avant 2008 et ne permettait que très rarement l’annulation d’une sentence. Il faut toutefois rappeler que c’est un moyen reconnu par les Etats-Unis pour refuser l’exequatur d’une sentence étrangère selon la Convention de New York de 1958.

Mais les voies de recours aux Etats-Unis ne se limitent pas au recours en annulation. Les parties peuvent demander la modification ou la correction d’une sentence. En effet, selon le FAA, les cours doivent reconnaître les sentences à moins qu’elles ne soient annulées, modifiées ou corrigées selon les articles 10 et 11. L’article 11 permet la correction et la modification d’une sentence arbitrale par une juridiction étatique, toujours à condition que le siège de l’arbitrage soit aux Etats-Unis. Toutefois, une modification ne se fera qu’en cas d’erreur grave de la part de l’arbitre. En France, les cours ne peuvent en aucun cas modifier la sentence d’un arbitre. L’article 1518 du CPC précise que le recours en annulation est la seule voie de recours disponible contre une sentence arbitrale internationale française. Il n’y a pas d’appel possible et les cours françaises ne peuvent pas modifier ou corriger la sentence d’un arbitre.

Les voies de recours dans l’arbitrage international ou fédéral sont donc régies très restrictivement dans les deux droits et malgré des différences légères, on observe l’engagement partagé en faveur de l’arbitrage et de l’efficacité des sentences. L’approche est très différente quand il s’agit d’arbitrage interne.

 

Deux systèmes plus favorables à l’arbitrage international qu’à l’arbitrage interne

La Cour Hall Street précise expressément qu’il existe de plus amples voies de recours pour les arbitrages qui ne sont pas soumis au FAA. Pour ce type d’arbitrages, les cours ont le choix d’appliquer les moyens prévus dans les textes internes, comme le CAA ou le Texas Arbitration Act, ou les moyens érigés par les cours dans leur fonctions normatives. Cela laisse aux parties un choix de critères beaucoup plus large pour tenter d’annuler une sentence arbitrale. Les parties peuvent même prévoir des voies de recours dans leur contrat. La conformité à l’ordre public est aussi un critère qui apparaît dans ces situations.

En France, le CPC prévoit aussi une procédure différente pour les voies de recours contre un arbitrage interne. Si les critères pour l’annulation d’une sentence sont presque identiques, il existe de nombreux autres recours qui ne sont disponibles que pour une sentence interne, dont l’appel. Avant la réforme du décret 13 janvier 2011, les sentences internes étaient susceptibles d’appel sauf disposition contraire par les parties (décret du 12 mai 1981, article 1482 du CPC (abrogé)). La formulation a été inversée en 2011. Désormais, « la sentence n’est pas susceptible d’appel sauf volonté contraire des parties » (article 1489 du CPC (en vigueur)). On peut déduire de ce changement que la France cherche à rendre plus difficile l’appel contre les sentences arbitrales, ce qui correspond à l’évolution générale de l’arbitrage en France. De plus, l’appel ne se fait que sur des considérations de droit et non de fait, contrairement à la modification et à la correction américaine qui peuvent porter sur des erreurs de fait.

On peut finalement déduire que les voies de recours françaises sont plus encadrées et moins sujettes aux aléas des interprétations jurisprudentielles qu’aux Etats-Unis. Ceci s’explique facilement par l’opposition des traditions de common law et de droit civil. Les sources multiples du droit de l’arbitrage aux Etats-Unis créent une incertitude concernant la disponibilité des voies de recours contre une sentence interne.

 

Conclusion

On constate que le récent recadrage du droit fédéral par l’arrêt Hall Street permet aux sentences internationales rendues aux Etats-Unis d’être plus efficace puisqu’il restreint les possibilités de faire annuler une sentence selon le FAA. L’arrêt Biller v. Toyota montre cependant que les interprétations jurisprudentielles s’autorisent des débordements qui rendent moins prévisible l’application de la loi. L’avancée provoque néanmoins le rapprochement du droit national américain avec le droit français. Le constat est tout autre au regard des sentences internes puisque si la France n’ouvre que très peu les critères d’annulation, les Etat fédérés américains, eux, élargissent les possibilités d’annulation et par conséquent, élargissent aussi les risques d’inefficacité des sentences internes. Cependant, la réelle efficacité d’une sentence arbitrale dépend de son insertion dans l’ordre judiciaire, moyen par laquelle elle pourra obtenir sa force exécutoire.

 

Bibliographie

 

• Ouvrages spécialisés

- Vacation of Award, 2 Domke on Commercial Arbitration, 2011, partie XI, §40:3, et §38:24.

 

• Ouvrages généraux

- CARBONNEAU T. E., The Law and Practice of Arbitration, 2nd ed., World Arbitration and Mediation Review, 2007

- DELVOLVE J. L., ROUCHE J., POINTON G. H., French Arbitration Law and Practice, Kluwer Law International 2003.

- GAILLARD E., SAVAGE J., Fouchard Gaillard Goldman on International Commercial Arbitration, Kluwer Law International 1999, §§1564 et s..

- POUDRET J.F., BESSON S., Comparative Law of International Arbitration, Thomson 2007.

 

• Articles

- BERGER J. E., SUN C. « The Evolution of Judicial Review under the Federal Arbitration Act », 5 NYU Journal of Law & Business, été 2009, pp. 745-792.

- BRAMDAN B., « L’Efficacité des sentences arbitrales « étrangères » en droit français », Avocats-Publishing, 6 juin 2008.

- DEMINO W., « Vacatur of Arbitration Awards Under the FAA after SCOTUS Decision in Hall St. Assocs., L.L.C. v. Mattel, Inc., 128 S. Ct. 1396 (2008) », ADR Law Texas, 25 septembre 2009.

- KOVACS R., « Challenges to International Arbitral Awards – The French Approach », 11 Vindobona Journal of International Commercial Law & Arbitration, 2007, pp. 159-172.

- SAMRA H. J., « Two to Tango : Domestic Grounds for Vacatur under the New York Convention », 20 American Review of International Arbitration, 2009, pp. 367-389.

- « Droit interne français et convention de New York du 10 juin 1958 », D’Alverny, Demont, & Associé.

 

Textes

USA

- Federal Arbitration Act, 9 U.S.C. §§2, 9, 10, et 11.

- California Arbitration Act, 1 C.C.R §§1232-1258.

France

- Décret nº81-500 du 12 mai 1981(article 1482 du Code de procédure civile (abrogé)).

- Décret nº2011-48 du 13 janvier 2011 (articles 1489 à 1503 et 1514 à 1525 du Code de procédure civile).

 

• Décisions

- Cour d’appel pour le deuxième circuit, Yusuf Ahmed Alghanim & Sons v. Toys "R" Us, Inc., 126 F.3d 15 (2d Cir. 1997).

- Cour Suprême des Etats-Unis, Hall Street Associates, L.L.C. v. Mattel, Inc., 552 U.S. 576 (2008).

- Cour d’appel pour le neuvième circuit, Biller v. Toyota Motor Corp., 668 F.3d 655 (9th Cir. 2012).

- Cour d’appel pour le quatrième circuit, Wachovia Sec., LLC v. Brand, 671 F.3d 472 (4th Circ. 2012).

- District court pour le District Sud de l’Etat de New York, B/E Aerospace v. Jet Aviation St Louis, 2012 WL 1577497 (S.D.N.Y. May 3, 2012).