L’efficacité du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques en droit interne face aux mécanismes de droit international et au régionalisme de la protection des Droits de l’Homme par Eliette Gondoin

L’application du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques en droit interne nous amène à nous interroger sur les motivations des Etats lors de la signature du Pacte. La ratification du PIDCP est-elle liée à une réelle volonté des Etats d’assurer une protection supplémentaire à leurs ressortissants ou bien est-elle seulement un instrument utilisé à des fins politiques sur la scène internationale?

Les horreurs et les violations des Droits de l’Homme lors de la seconde guerre mondiale ont bousculé les bases morale, juridique et politique de la Communauté internationale. Depuis, la protection des Droits de l’Homme a acquis une nouvelle dimension. Dès le 10 décembre 1948, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) voyait le jour. En tant que résolution de l’Assemblée Générale des Nations - Unies, la DUDH est dépourvue de force obligatoire et avait dès le début la vocation à être conventionnalisée par la suite. Le désaccord des deux blocs relatif au contenu d’une telle convention a eu pour conséquence la signature de deux pactes distincts le même jour. L’un, reflétant l’idéologie occidentale, concerne les droits civils et politiques : le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (ci-dessous PIDCP ou le Pacte), l’autre, en accord avec les valeurs du bloc de l’Est concerne les droits économiques, sociaux et culturels : le Pacte relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels. Outre la signature tardive des pactes le 19 décembre 1966 soit douze ans après la signature de la DUDH, leur ratification a encore pris dix ans. Pour le PIDCP, il est intéressant de constater qu’un bon nombre d’Etats étant déjà respectueux des Droits de l’Homme ont ratifié ce texte assez tardivement comme par exemple la France et l’Australie qui ont promulgué le Pacte en 1980 ou bien la Suisse et les États-Unis seulement en 1992. L’application de ce traité en droit interne (voir l’article de Mandy Nicke) nous amène à nous interroger sur les motivations des Etats lors de la signature du Pacte. La ratification du PIDCP est-elle liée à une réelle volonté des Etats d’assurer une protection supplémentaire à leurs ressortissants ou bien est-elle seulement un instrument politique bien vu sur la scène internationale? Le États disposent en effet de différents mécanismes du droit international telles les réserves qui permettent de limiter l’efficacité du Pacte en droit interne après la ratification. La protection internationale des Droits de l’Homme doit en outre faire face au régionalisme de la protection des Droits de l’Homme ce qui peut amener à une interaction du Pacte avec les conventions régionales devant le juge national et ainsi réduire son efficacité en droit interne.

La possibilité de limiter l’efficacité du PIDCP en droit interne par des mécanismes du droit international

Deux facteurs au moins sont aptes à limiter l’efficacité du PIDCP en droit interne : le mécanisme des réserves et l’applicabilité du traité, bien que non ratifié, dans un ordre interne. Alors que les réserves sont un instrument courant du droit international, l’applicabilité d’un traité bien que non ratifié dans un ordre interne est chose plus rare puisque ce mécanisme va à l’encontre du principe de souveraineté des Etats. Concernant le Pacte, il apparaît, entre autres, dans le cadre de la rétrocession du territoire de Hongkong à la Chine.

L’article 19 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 mai 1969 permet à un État de formuler une ou plusieurs réserves lors de la signature, de la ratification, de l’acceptation, de l’approbation ou de l’adhésion à un traité dès lors que cette réserve n’est pas interdite par le traité ou n’est pas incompatible avec l’objet et le but du traité. Les réserves donnent ainsi la possibilité à un État d’exclure l’application d’une norme et restreignent donc le champ d’application du traité en droit interne. Il s’ensuit que de très nombreuses réserves amènent à remettre en question la motivation de l’Etat lors de la ratification du traité. Les réserves qui remettent en cause l’objet et le but du traité sont en outre problématiques. C’est par exemple le cas d’une réserve des Etats-Unis relative à l’articles 6 du Pacte portant sur un droit indérogeable: le droit à la vie. L’article 6 alinéas 5 interdit la sentence de mort pour des personnes âgées de moins de 18 ans. La réserve des Etats-Unis stipule que « les États-Unis se réservent le droit de prononcer la peine de mort contre toute personne y compris pour des crimes commis par des personnes âgées de moins de 18 ans. » Il y a ici contradiction entre l’obligation que veut imposer le Pacte pour le respect d’un droit indérogeable et son application en droit interne du fait de la réserve. Le Comité des Droits de l’Homme a donc consacré une observation générale à ce problème (Observation générale n° 24, Doc NU, CCPR/C/21/Rev.1/Add.6) et déclaré qu’ »en raison du caractère particulier d’un instrument relatif aux Droits de l’Homme, la compatibilité d’une réserve avec l’objet et le but du traité doit être établie objectivement en se référant à des principes juridiques. « Si la réserve est inacceptable « le Pacte et la disposition concernée s’appliqueront à l’Etat qui en est l’auteur. » Cette observation a le mérite de poser une limite aux Etats en matière de réserves mais soulève une question : Peut-on imposer une disposition à un État souverain, même dans le cadre du respect des Droits de l’Homme, alors que ce dernier l’a explicitement refusée ? La réserve des Etats-Unis relative à l’article 6 contraire aux obligations issues du PIDCP est devenue inopérante lorsque dans un arrêt du 1er mars 2005, Roper c. Simmons, la Cour Suprême des Etats-Unis a effectué un revirement de jurisprudence et statué que l’exécution de mineurs délinquants âgés de seize et dix-sept ans bafouait la Constitution des Etats-Unis. Dans son arrêt, elle précise en outre avoir pris en considération les évolutions sur ce sujet à l’échelon national et international.

Les réserves peuvent donc bien réduire l’impact du Pacte en droit interne mais ce dernier retrouve toute son efficacité lorsqu’une décision de droit interne en accord avec le Pacte rend la réserve inopérante. L’application d’un traité relatif aux droits civils et politiques dans un ordre juridique alors que l’État n’a pas ratifié le traité peut aussi être un facteur de l’inefficacité du Pacte en droit interne dans la mesure où ce dernier risque d’être ignoré et donc bafoué. Le Pacte est actuellement applicable à Hongkong, en Bosnie Herzégovine et à Macao, alors que ces pays ne l’ont pas ratifié. Nous nous attacherons à exposer la situation de Hongkong. Après 156 ans de domination britannique, le Royaume-Uni a rétrocédé Hongkong à la République populaire de Chine le 1er juillet 1997. Le Royaume-Uni ayant ratifié le PIDCP en 1976, le territoire de Hongkong bénéficiait des protections issues de ce traité. La Chine a quant à elle bien signé le Traité en 1998 mais ne l’a toujours pas ratifié. Les habitants de Hongkong désirant naturellement conserver les protections du Pacte, la Loi fondamentale de la Région administrative spéciale de Hongkong entrée en vigueur au 1er juillet 1997 comporte un article 39 qui prévoit que « les dispositions du PIDCP restent en vigueur et doivent être mises en œuvre au moyen de lois de la Région administrative spéciale ». Lorsqu’un Etat se trouve lier au Pacte sans réelle volonté politique comme la Chine, on peut douter de l’efficacité du traité dans ces cas-là. Et en effet une dégradation de la démocratie et des libertés, notamment de la liberté d’expression est constatée sur le territoire de Hongkong depuis 1997. Les observations et constatations de l’organe de surveillance du Pacte, le Comité des Droits de l’Homme n’ont pas d’autorité de force jugée et une violation du Pacte n’entraîne pas de sanctions juridiques. Cela n’amène donc pas les États liés au Pacte sans le vouloir à le respecter.

Entre les États qui s’engagent sans s’engager par le biais des réserves qui limitent le champ d’application du Pacte en droit interne et ceux qui se trouvent engager en dépit de leur volonté, l’efficacité du PIDCP en droit interne est bien, dans ces cas-là, remise en cause. Cela  soutient donc notre hypothèse qu’il y a des Etats signataires dont la motivation principale n’était pas obligatoirement de donner à leurs ressortissant une protection maximale des Droits de l’Homme.

On peut en outre se demander si la multiplication des instruments des Droits de l’Homme à l’échelle universelle et régionale ne constitue pas non plus un facteur apte à porter atteinte à l’efficacité du Pacte en droit interne.

L’interaction du Pacte avec les conventions régionales des Droits de l’Homme

La Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales (ci-dessous CEDH ou la Convention Européenne) était déjà en vigueur lors de la signature du PIDCP et elle assurait déjà une protection efficace des Droits de l’Homme aux citoyens européens. La Convention Américaine relative aux Droits de l’Homme (ci-dessous CADH ou la Convention Américaine) et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des peuples (ci-dessous Charte africaine) ont quant à elles été signées après 1966. Il est donc intéressant d’examiner la place du Pacte par rapport aux conventions régionales en droit interne sur le plan européen d’abord puis au niveau américain et africain ensuite

En France, le Pacte est vingt fois moins invoqué que la CEDH à l’appui d’une requête auprès du juge administratif et en Allemagne le Pacte n’est quasiment jamais invoqué devant le Tribunal fédéral Constitutionnel lors des recours en violation des droits fondamentaux. Les parties lui préfèrent en effet soit leur droit interne, notamment pour les pays qui disposent d’un catalogue des droits fondamentaux soit la CEDH. La Convention Européenne entrée en vigueur vingt-trois ans plus tôt que le Pacte, le 3 septembre 1953, est mieux connue des juristes et considérée comme plus proche des traditions juridiques des États membres. Le système juridique de la CEDH repose en outre sur une protection juridictionnelle des droits énoncés assurée par une organisation internationale dont les arrêts ont autorité de chose jugée donc force obligatoire. Ce qui diffère des « general comments » ou « views » du Comité des Droits de l’Homme qui même s’ils ne sont pas sans effet au niveau politique ne sont pas obligatoires. Les parties invoquent donc rarement le Pacte et les juges malgré l’application directe des dispositions ne s’appuient que très rarement sur ce dernier et s’ils le font c’est plus pour conforter leur interprétation au vu de la CEDH donc à titre complémentaire. Toutefois si le Conseil d’État n’a jamais invoqué de manière autonome le Pacte, certaines juridictions, notamment helvétiques n’hésitent pas à se fonder exclusivement sur les dispositions du Pacte. Le Pacte comporte en effet des dispositions qui n’ont pas d’équivalent dans la CEDH car leur champ d’application est plus étendu que dans la CEDH. L’article 25 du PIDCP par exemple, qui garantit le droit d’accès à la fonction publique et à certains droits, a une portée plus étendue que l’article 3 du protocole nr.1 de la Convention Européenne. L’application du Pacte peut aussi permettre de contourner une disposition de la CEDH grevée d’une réserve qu’on ne retrouve pas dans le PIDCP. C’est ce qu’a fait le Tribunal Administratif de Strasbourg dans l‘affaire Simon du 8 décembre 1994 en appliquant l’article 14-7 du Pacte sans réserve pour contourner la réserve du gouvernement faite à l’article 6 de la CEDH concernant le principe de non cumul des peines. On ne peut donc nier une certaine efficacité au Pacte dans les droits internes même si ce dernier ne constitue pas LA référence au niveau européen en matière des Droits de l’Homme.

La CADH et la Charte Africaine sont entrées en vigueur en 1978 et en 1981 soit respectivement deux et cinq ans après l’entrée en vigueur du PIDCP. Le système de la Convention Américaine des Droits de l’Homme se rapproche de celui de la Convention Européenne aussi bien dans son contenu matériel qui met l’accent comme dans la CEDH, sur les droits politiques et civils, que dans son système juridictionnel qui repose sur la Cour Américaine des Droits de l’Homme et sur deux procédures : le recours individuel et le recours des Etats. Il peut donc être intéressant d’examiner si les décisions de la Cour Américaine ont une aussi grande influence en droit interne que les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, faisant ainsi reculer l’importance du Pacte dans les systèmes juridiques nationaux. Il convient tout d’abord de remarquer que la CADH n’a pas été ratifiée par les Etats-Unis et même pas signée par le Canada. Nous ne pouvons donc dans notre analyse que nous référer aux Etats d’Amérique latine, Etats souvent dans la tourmente aux niveaux économique et politique et dont les systèmes juridiques ne sont pas aussi bien ajustés que dans les Etats européens. En Argentine par exemple, on remarque une tendance à s’appuyer plus volontairement sur la CADH que sur les traités internationaux des Droits de l’Homme y compris le PIDCP. Sans tirer de conclusions hâtives, on constate donc qu’un système régional de protection des Droits de l’Homme efficace est à même de réduire l’efficacité du Pacte en droit interne puisque ce dernier ne sera pas souvent invoqué.

Depuis le 25 janvier 2004, date d’entrée en vigueur du Protocole créant la Cour Africaine des Droits de l’Homme et des peuples, l’Afrique compte un nouvel organe de protection des Droits de l’Homme. Cette cour a une compétence consultative (art. 4 du Protocole), une compétence de règlement à l’amiable des conflits (art. 9 du Protocole) et une compétence contentieuse (art. 3, 5, 6, 7 du Protocole). Comme celles des Cours Européenne ou Américaine, les décisions de la Cour Africaine ont force obligatoire. Toutefois les onze juges de la Cour africaine n’ont été élus que début janvier 2006 et il n’existe pour l’instant aucune décision de cette cour régionale, il est donc impossible pour le continent africain d’examiner l’interaction du Pacte avec les décisions de la cour régionale des Droits de l’Homme devant le juge national. Examen d’autant plus difficile que les systèmes juridiques des Etats en Afrique sont encore en voie de développement. Il est cependant intéressant de remarquer que la Cour peut être saisie pour examiner des affaires liées aux violations des dispositions de la Charte Africaine de 1981, des protocoles à cette Charte mais aussi de tout autre instrument pertinent relatif aux Droits de l’Homme ratifié par l’Etat en cause. Une violation des droits issus du PIDCP pourrait donc faire l’objet d’une décision de la Cour Africaine de Droits de l’Homme. On peut supposer que la Cour régionale pour rendre sa décision sur la violation du Pacte s’appuiera sur les observations et constatations du Comité des Droits de l’Homme, ce qui donnera à ces instruments et au Pacte lui-même une plus grande résonance sur le continent africain.

Bien que le Pacte ne jouisse que d’une efficacité restreinte dans les droits internes du fait des réserves ou des conventions régionales, on ne peut, pour conclure, réduire ce traité à un simple instrument politique. Même s’il ne dispose pas d’une place prépondérante dans les pays déjà respectueux des Droits de l’Homme, le Pacte peut être amené à jouer un rôle important dans les systèmes juridiques internes et régionaux où la protection des Droits de l’Homme n’est pas encore aussi bien garantie qu’en Europe.