La complexité du conflit entre noms de domaines et marques « collectives » enregistrées préalablement par une Collectivité territoriale

Les noms de domaine peuvent être définis comme « dénominations uniques à caractère universel permettant de localiser une ressource ou un document sur Internet ». Contrairement aux créations esthétiques ou intellectuelles, leur origine est technique : ils s’inscrivent dans la sphère industrielle et commerciale en tant qu’outils d’accès à ce vaste réseau. Par ailleurs grâce au développement du numérique, les noms de domaine ont acquis une valeur immatérielle jusqu’ici inconsidérée. Cette double identification a mené à des discordances de points de vue doctrinaux quant à la qualification de ce nouveau type de signes. La prise en compte de leur fonction a logiquement conduit à une analogie avec les marques : ils servent pareillement à désigner, indirectement, des produits ou services proposés sur les sites web des entreprises qu’ils identifient ; toutefois la singularité du régime juridique des noms de domaine fait obstacle au recours au seul droit des marques pour les encadrer de manière exhaustive.

En plus de la question relative à leur nature juridique complexe, une nouvelle difficulté apparaît lorsqu’une marque dite « collective », composée exclusivement de dénominations géographiques, est enregistrée par une collectivité territoriale avant de faire l’objet d’un usage ultérieur comme nom de domaine par une entreprise privée. C’est à ce propos que s'est prononcée la Chambre civile de la Cour de cassation italienne, prima sezione, le 3 décembre 2010 (n. 24620).

 

Etant donné qu’en principe deux marques identiques peuvent coexister, le nom de domaine et

la marque le peuvent-ils aussi, et dans l’affirmative, coexistent-ils dans les mêmes conditions

que les premières ? Ces deux différents types de signes sont-ils soumis aux mêmes normes et

en est-il de même pour le droit français et pour le droit italien ?

 

Toute la problématique repose sur le fait qu’en dehors de l’arbitrage et des procédures mixtes de résolution des conflits telles que la plainte dénommée "Uniform Dispute Resolution Policy" (ci- après "UDRP"), il n’existe pas de règles particulières, ni en Italie ni en France, sensées remédier aux conflits entre les noms de domaine et les marques. Les juges italiens comme français se fondent sur le droit des signes distinctifs pour statuer. Cependant les conditions d’application divergent d’un système à l’autre. Globalement il existe deux cas de figure en la matière : soit la marque déposée reproduit un nom de domaine préexistant, soit le nom de domaine attribué reproduit une marque enregistrée ou une marque notoire préalable. C’est cette dernière hypothèse illustrée par le cas d'espèce qui encourage l’entité publique en sa qualité de demandeur au pourvoi à prétendre voir condamnée la société privée (défenderesse) à l’interdiction d’usage sur la toile des noms de domaine lui appartenant, ainsi qu’à la publication de la décision de la Cour suprême sur quatre journaux nationaux ; elle requiert à défaut le paiement par l’entreprise adverse d’une certaine somme d’argent chaque jour supplémentaire pendant lequel elle violerait ladite interdiction. Sa nature juridique n’étant pas décelée, contrairement à la marque qui est dotée d’une réglementation propre, le nom de domaine a pour origine une nature contractuelle.

 

L’objet de cette démonstration reposera sur les moyens utilisés par les tribunaux pour tenter de déterminer le cadre légal des rapports entre une marque et un nom de domaine exclusivement constitué de dénominations géographiques.

 

La nature juridique du nom de domaine et du droit sur la marque, sources d’insécurité juridique

 

Ce qui différencie majoritairement le nom de domaine de la marque repose sur le pouvoir

distinctif qui constitue l’essence même de celle-ci, face à un nom de domaine susceptible d’en

être dépourvu. La condition de distinctivité dans l'acquisition d'un droit de marque sur un signe prévue aux articles L. 711-1 et L. 711-2 du Code français de la propriété intellectuelle est essentielle. En effet la Cour d'appel de Paris définit la distinctivité comme étant « l'aptitude pour un signe à discriminer, aux yeux du public pertinent, les produits et/ ou services d'une entité par rapport aux autres signes utilisés sur un marché » (décision du 23 septembre 2009, n. 08/02816). Cependant, en l'absence de caractère distinctif d'une marque, le fait de l'utiliser sans autorisation comme nom de domaine n'est pas illicite selon le Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI Paris, 6 juin 2003, n. 03/55574).

Malgré cela, il peut arriver que la reproduction d'une marque sur un site internet constitue un acte de « détournement de signes distinctifs » à l'encontre du titulaire de la marque, comme par exemple quand ces derniers sont associés à une représentation systématique de la mort (TGI Paris, 9 juillet 2004, n. 02/16189).

Qu'il s'agisse du nom de domaine ou de la marque, le pouvoir distinctif permet de conférer un monopole au titulaire du signe, mais alors que la fonction de la marque sera de désigner les produits ou services d’une entreprise déterminée, les noms de domaine non distinctifs (autrement dit génériques c'est-à-dire non territoriaux, ou descriptifs) fonctionneront, aux yeux du public, comme un outil de recherche de produits ou services sans faire référence à une entreprise particulière. Les noms de domaine génériques sont attribués après une demande à un sous- traitant (bureau d'enregistrement du nom de domaine), qui vérifie seulement que le nom n'est pas déjà utilisé sur Internet, par consultation des bases de données de noms de domaine. C'est ainsi que le nom de domaine ne se limite pas à être une simple adresse Internet offrant à l’utilisateur un accès au site portant la marque, il s’agit aussi d’un instrument pour attirer l’attention et encourager les usagers du web à visiter le site auquel il se réfère. En ce sens G. Loiseau a attribué au nom de domaine la qualification de « signe de ralliement de la clientèle ». Le pouvoir distinctif du domain name (tel qu’il est appelé en langage juridique italien) est présent uniquement lorsque le site est commercial, contexte dans lequel aucune loi spécifique ne prévoit sa protection. Il devient alors nécessaire de recourir au droit des marques et plus précisément aux dispositions relatives à leur enregistrement. Cela entraine une ambiguïté en pratique puisque la marque est un titre de propriété délivré par une autorité publique tandis que le nom de domaine est soumis à un enregistrement contractuel effectué auprès d’une autorité privée.

 

La doctrine française est partagée à propos de cette qualification ; elle hésite entre « équivalent électronique de l’enseigne » (à la lumière de la décision du TGI de Versailles, 5 juillet 2001), et «objet de propriété incorporelle » (retenue par la Cour d’appel de Paris le 18 octobre 2000 n. 1379), celle- ci étant basée sur le caractère exclusif que confère l'enregistrement à son titulaire, alors même que l’exclut l’alinéa premier de l'article L. 45-4 du Code des postes et communications électroniques : « l’exercice de leur mission ne confère ni aux offices, ni aux bureaux d’enregistrement de droits de propriété intellectuelle sur les noms de domaine ». Selon C. Manara in « Le Droit des noms de domaine » (Litec, 2012, n. 362), les noms de domaine ont « une fonction différente de celles des marques ou des autres signes distinctifs, en ce qu’ils permettent l’accès à une ressource connue ou supposée ».

En revanche la doctrine italienne discute un tout autre argument. Au-delà de la question de savoir si la Legge marchi (décret royal du 21 juin 1942, n. 929 encadrant les marques) pouvait s’appliquer aux noms de domaine, en l’espèce elle a dû se prononcer en premier lieu sur la rétroactivité des dispositions contenues dans le Codice della proprietà industriale (recueil des textes équivalent à notre Code de la propriété intellectuelle) à l’époque où les noms de domaine étaient nommés «*signes distinctifs atypiques ». En pratique les juges du fond dans les arrêts de la Cour de cassation italienne n. 17692/09 et 12562/02 avaient fait référence au droit de la propriété intellectuelle avant même l’entrée en vigueur des dispositions contenues dans le Codice susvisé. Au fil du temps le caractère distinctif n’ayant plus ni forcément ni systématiquement lieu d’être, il est apparu préférable de s’en tenir aux nouvelles dispositions législatives leur conférant la terminologie actuelle.

 

Aujourd’hui l’opinion majoritaire se fonde sur la qualité « d’outil d’accès à Internet » pour confirmer le pouvoir distinctif dont sont dotés les noms de domaine, ayant ainsi une fonction publicitaire dont la finalité est d’attirer les internautes voire de les pousser à la consommation. Quant à la doctrine minoritaire, elle, repose sur la seule fonctionnalité relative à la simple connexion à une page web incluant un nom de domaine ne permettant pas d’identifier le titulaire du site mais uniquement un ensemble vague de produits et services.

 

Les techniques d'interprétation jurisprudentielle controversées du conflit entre ces signes

 

Traditionnellement le pouvoir distinctif des noms de domaine est évalué par les magistrats italiens relativement au droit des marques selon qu’il a un degré plus ou moins élevé relativement aux caractéristiques économiques des produits ou services proposés.

On assiste ainsi en Italie à l’application rationae temporis de la loi sur les marques étendue aux noms de domaine. En d’autres termes, selon l’intensité du pouvoir distinctif des noms de domaine et la prise en compte de la façon dont celui-ci permet leur interaction avec les autres informations contenues dans le site, le rôle d’identification du domain name, bien que plus explicite, sera évincé au profit de leur nature purement contractuelle. A titre d’exemple le portail du site agriturismo.it (soit « *agriculture.it ») a été jugé « trompeur » par l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato, (ci après Autorità Garante, autrement dit le Garant italien de la Concurrence et du Marché), le 23 février 2005, dans une décision n. 14101. Cette autorité argumente sur le choix du nom de domaine appréhendé globalement, en fonction du contenu du site dans son intégralité ; un choix qui en l'espèce aurait *encouragé l’internaute à avoir la conviction que les structures d’accueil ainsi répertoriées appartenaient toutes au même secteur, en l'occurrence agricole.

Cette pratique commerciale trompeuse, tout comme en France (article L.121-1), est interdite en Italie par le biais du Code de la consommation, il Codice del consumo.

 

Il est donc nécessaire, en présence d’un conflit opposant un nom de domaine à une marque, de se fonder sur des recueils éparses de textes divers (de sources normatives variées : lois, Chartes de nommage, … ou de source règlementaire, comme les règles additionnelles prévues par les Registres de domaines nationaux), soumis à la libre appréciation des tribunaux -qui eux mêmes en livrent une interprétation hétérogène- ainsi qu’à sa mise en œuvre, de forme contractuelle ou soumise aux diverses et nombreuses autorités compétentes (la « Naming authority » propre à l’Italie ou à la France, « l’Autorità Garante », l’organisme américain chargé de la gestion du réseau des identifiants sur Internet : « l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers » dite ICANN, l’Association française pour le nommage Internet en coopération dite « AFNIC », etc). Concrètement en cas de conflit sur l'utilisation du nom, le problème ne se pose qu'ex- post, à partir du moment où une personne s'estimant spoliée dépose une plainte devant les organismes mandatés par l'ICANN. La plainte est alors instruite suivant la procédure "UDRP" sus- citée. Cette solution est mixte en ce qu'elle correspond à la fois à l'arbitrage et au jugement. Elle est arbitrale en ce qu'elle ne se détermine pas en fonction d'une autorité supérieure traduite dans une législation unique et peut confier les dossiers à des experts sans nécessairement recourir à des magistrats. Il est par conséquent impossible de déterminer si un nom de domaine porte atteinte à une marque en examinant le nom à l’unique stade de son enregistrement. Alors l’article L45-2 du Code des postes et communications électroniques se révèle être en contradiction avec les dispositions du Code de la propriété intellectuelle qui requièrent nécessairement l’usage d’un signe pour qu’il corresponde aux critères d’application dudit régime. Or au moment de l’enregistrement, ni les bureaux et offices français ni ceux italiens ne procèdent à une recherche de disponibilité des noms de domaine demandés. Ainsi dès lors qu’un nom n’existe pas déjà à l’identique dans le domaine considéré, il pourra être enregistré, dans la limite du respect du principe de spécialité (qui bien que non explicitement cité est pareillement appliqué en droit italien).

 

Ces appréhensions différentes des noms de domaine ont mené à une instabilité regrettable qui s’accroit en cas de conflits entre ces signes. Afin d’uniformiser la perception juridique des noms de domaine et des marques, ils devront s'apprécier à un stade plus avancé, autrement dit après l’enregistrement et après l’usage -lesquels se seraient révélés insuffisants- soit à celui du moment de l'examen de l’étendue de leur protection.

 

Les enjeux de l’interdiction d’usage d’un nom géographique par une entreprise privée, antérieurement enregistré comme « marque collective » par une Collectivité territoriale

 

En l’espèce la Région avait enregistré comme marques collectives « Sudtirol » et « Alto Adige » référencées à des noms de domaine identiques. La spécificité des marques « collectives » est que celles- ci s’opposent à la marque « individuelle » qui appartient à une seule personne physique ou morale, en ce qu’elle *permet l’octroi d’une garantie d’origine, de nature, ou de qualité des produits ou services qu’elle distingue. Le droit français distingue également les marques collectives « ordinaires » de celles « de certification », tandis que l'ensemble des marques collectives italiennes englobent ces deux distinctions.

Son appellation sous-entend qu’elle est régie par les règlements d’usages entre entreprises ou à défaut par l’alinéa 1 de l’article 13 du Code italien de la propriété industrielle qui dispose que *ce type de marques confère une provenance géographique aux produits ou services visés. Contrairement au droit français, le terme « collectif » en italien implique que le professionnel respecte obligatoirement certains devoirs de droiture. Il s’agit du *"principe de loyauté" duquel découle le fait, pour le titulaire d’une marque qui serait composée de noms géographiques, si le nom se limite à la pure indication de provenance, de s’engager à n’en interdire l’usage dans le commerce à aucun tiers. En l’espèce malgré l’exclusion par le juge de l’application du droit des signes distinctifs, le recours au droit commercial a produit le même résultat : la Région s’est vue contrainte d’accepter l’emprunt de ses propres dénominations géographiques par autrui.

 

En France avant que soit adoptée une règle spécifique relative à la fraude, ce type de comportement violant les droits des titulaires de marques était déjà sanctionné par les juges et par l’AFNIC. En effet celle- ci a procédé au blocage en 2004 et 2005 des noms de domaine enregistrés de manière manifestement frauduleuse. Cette fraude se caractérise entre autres par la technique du «cybersquatting » lorsque le fraudeur emprunte la dénomination de personnes physiques ou morales existantes, en sachant que la société lésée avait procédé antérieurement à l’enregistrement de son nom de domaine. Les sanctions sont alors multiples : le gel ou le blocage du nom de domaine enregistré de mauvaise foi, l’interdiction d’utilisation, la radiation ou encore le transfert.

Le Tribunal de Vérone (le 25 mai 1999) avait lui sanctionné une telle fraude par le paiement d’une somme d’argent pour chaque jour d’utilisation illégale comme nom de domaine d’une marque qui était en cours d’enregistrement, sanction qui a probablement inspiré la demanderesse dans l’affaire qui retient notre attention. Toutefois la première décision italienne traitant du « cybersquatting » sanctionné sur le fondement du droit commun n'a été rendue par le Tribunal de Turin que le 23 décembre 2000. Il s’agissait d’une société qui avait utilisé le nom d’une chanteuse célèbre pour en faire usage comme nom de domaine de son site Internet. Le droit au nom, protégé par l’article 7 du Codice civile, a permis à la requérante d’obtenir gain de cause.

Sur le même fondement, dans notre arrêt n. 24620 de 2010, la demanderesse applique le droit commun pour se prévaloir du pouvoir distinctif des marques collectives et des noms de domaine identifiant les Régions Tyrol du sud et Haut Adige. Contrairement au Tribunal de Turin, la Cour de cassation rejette le pourvoi en faisant prévaloir la loi la plus spéciale qui est l’article 21 du décret n.929 sur l’article 7 du Codice civile. Contre toute attente et dans le même sens que la Cour d’appel, la Chambre civile nie tout pouvoir distinctif à ces noms de domaines en s’appuyant sur le droit commercial, au détriment des normes italiennes sur la propriété industrielle, et revendique qu’ils soient exclusivement composés de noms géographiques.

 

En France l'enregistrement par une association du nom de domaine « paris- sans fil » a été jugé comme portant atteinte aux droits de la Ville de Paris (CA Versailles, 13 septembre 2007, n.06/03071) sur le fondement de l'article L. 713-5 Code de la propriété intellectuelle (ci après « CPI »). La raison était que « l'utilisation comme nom de domaine d'un nom identique à une marque notoire, même s'il se rapporte à une activité différente de celle du titulaire de ladite marque, engage la responsabilité civile de son titulaire ».

 

La question se pose de savoir si une collectivité territoriale italienne peut se prévaloir du caractère notoire d'une marque qu'elle a préalablement déposé. A ce sujet, l’article L711-4 h du CPI (français) délivre une réponse plus explicite en posant l’interdiction d’enregistrer comme marque « un signe qui porte atteinte au nom, à l’image ou à la renommée d’une collectivité territoriale » ; de cette manière, cet article interdit l'utilisation d'un nom de commune sur internet en l'absence de droit ou d'intérêt légitime sur ce nom révélant un « acte de parasitisme créant un préjudice d'image à la Commune concernée » sanctionné sur le terrain de la responsabilité civile. L’article L45-2, 3° CPI s’oppose également à l’enregistrement d’un nom de domaine identique ou similaire au nom de domaine d’une entité territoriale.

De plus l'article L. 45-2 sus- visé prévoit que l'enregistrement ou le renouvellement des noms de domaine peut être refusé, ou le nom de domaine supprimé lorsqu'il est « identique ou apparenté à celui de la République française, d'une collectivité territoriale, ou d'un service public national ou local (...) sauf si le demandeur justifie d'un intérêt légitime et agit de bonne foi ». Ces critères de bonne foi et d'intérêt légitime devront par ailleurs être précisés par décret en Conseil d'Etat.

 

En pratique les entités publiques françaises ne pourront obtenir une protection contre les noms de domaine que sur le fondement du droit des marques, si elles ont déposé leur nom en tant que marque, soit, à défaut, sur le terrain de l’article 1382 du Code civil. A l’exclusion de la fraude, l’atteinte au nom résultera de l’usage que fait le titulaire de son nom de domaine et de l’existence d’un risque de confusion ou d’un préjudice causé à la renommée de la collectivité.

 

Dans les systèmes juridiques italien comme français les enjeux liés à la protection des noms

de domaine respectant les droits sur la marque sont aléatoires. En principe si le nom de domaine et la marque, déposée au préalable, couvrent la même activité, le nom de domaine constituera une contrefaçon de la marque ; la preuve en est avec les articles 13 et 17 Legge marchi qui reconnaissent un « principe d’unité » des signes distinctifs dont la violation ne peut être faite que par la contrefaçon ou l’utilisation abusive d’un signe différent (usurpation de marque via une enseigne par exemple).

En outre pour de nombreuses casuistiques les magistrats recourent au droit civil de la responsabilité permettant le versement de dommages-intérêts.

 

La multitude de textes régissant les noms de domaine a des aspects contradictoires, mais ces lois « n'empiètent » pas réellement les unes sur les autres dans l'application qui en est faite par les juridictions, et se révèlent complémentaires. En effet, qu'il s'agisse du Code français des postes et communications électroniques dont les critères de bonne foi et d'intérêt légitime ne correspondent pas exactement à ceux prévus par le Code de la propriété intellectuelle -qui évoque le droit et l'intérêt légitime sur le nom, fondés sur le droit de la responsabilité civile- tous contribuent au respect du droit des marques et s'adaptent au droit contractuel, au nom de la lutte contre certaines pratiques du « cyber- squattage ».

Plutôt que d'un conflit de normes, il s'agit d'une protection commune de l'ensemble de ces dispositions destinées à protéger les victimes d'agissements parasitaires. L'idéal serait de les unifier, de tirer le meilleur de chacune en les regroupant, ce qui rendrait leur application plus aisée et plus performante.

Pour l'heure, afin d’éviter toute insécurité juridique dans la résolution de ce type de conflits faisant appel à un nombre déjà trop important de textes, il est certainement plus avantageux de recourir au mode alternatif des procédures extrajudiciaires de règlement des litiges dont l’efficacité est transnationale.

 

Les conséquences du caractère illicite de la similitude entre un signe exploité comme nom de domaine et un signe employé à titre de marque

 

Conformément aux principes essentiels du droit des marques, qu’il s’agisse de la France ou de l’Italie, l’atteinte à une marque suppose l’usage d’un signe concurrent dans le même domaine de spécialité. Au sens d’une décision rendue par l’Autorità Garante : * « l’acquisition et l’usage d’un nom domaine correspondant à une marque appartenant à autrui et avec laquelle il n’existe aucun lien, en l’absence de tout rapport commercial, constitue une pratique commerciale trompeuse et déloyale car susceptible d’induire en erreur le consommateur ; cela constitue une violation des droits de propriété industrielle du professionnel et de la spécificité de garantie d’origine du produit se révélant contraire à la diligence professionnelle prévue par l’article 22 du Codice della proprietà industriale » qui interdit de « *choisir un nom de domaine pour un site web d’une marque dont un tiers est propriétaire ».

La règle devrait être que le nom de domaine rende le signe indisponible à titre de marque pour des produits identiques ou similaires (arrêt « Océanet » du TGI du Mans, le 29 juin 1999). Ce principe de spécialité suppose que l’on détermine quels produits ou services sont désignés par le nom de domaine.

Afin d’y parvenir, la jurisprudence française, constante depuis 2005 et sur la même lignée que la jurisprudence italienne, a proposé de s’attacher au contenu des sites web en cause pour vérifier les activités couvertes par le nom de domaine puis de le comparer aux activités couvertes par la marque. Lorsque les activités sont différentes, le risque de confusion pour le public disparaît et les signes peuvent coexister.

 

En l’occurrence la prima sezione de la Cour de cassation italienne en 2010 énonce que les marques enregistrées par la Provincia désignaient les produits, sans préciser la classe à laquelle ils appartenaient en vertu de l’Arrangement de Nice de 1957 relatif à la « classification internationale des produits et services aux fins de l’enregistrement des marques », ce qui aura eu comme effet pour la collectivité en question de ne pas pouvoir interdire l’usage du nom de domaine à autrui. Ce texte liste trente- quatre classes pour les produits et onze pour les services. Les sociétés victimes de pratiques déloyales, italiennes comme françaises, ont souvent recours à la protection de la classe 38, essentiellement relative aux télécommunications, car elle consiste à empêcher à des tiers de procéder à tout enregistrement ultérieur de noms de domaine identiques à la marque. En l’espèce les marques collectives de la Région, au sens de la *loi régionale de Bolzano n. 44/1976 intitulée «Création, introduction, et diffusion d’une marque de protection pour les produits de qualité de la région Trentin Haut Adige » sont répertoriées dans le secteur du tourisme, ce que ne manque pas de rappeler la Cour qui confirme que la société défenderesse « Internet consulting » s.a.r.l (italienne) a respecté en réalité le principe de spécialité du secteur en question, l’activité révélée par le nom de domaine limité à la seule description géographique ayant une finalité purement commerciale, et donc licite.

Cette théorie existait déjà en France où la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans l’arrêt « Locatour » du 13 décembre 2005 avait entériné l’idée selon laquelle un nom de domaine ne peut porter atteinte à une marque antérieure « peu important que celle-ci soit déposée en classe 38, pour désigner des services télématiques », que si les produits ou services offerts sur le site sont identiques ou similaires à ceux désignés par la marque, et de nature à entrainer un risque de confusion dans l’esprit du public. Ce risque de confusion est perçu par la jurisprudence italienne comme susceptible d’atteindre un degré plus élevé encore : celui du * « risque d’association » (Tribunal de Bergame, 3 mars 2003, n. 643).

 

Conformément à ce qui a été précédemment énoncé, il en résulte que les juges des deux Etat membres se doivent d’effectuer un contrôle a posteriori (ultérieur à l’enregistrement) de la licéité d’un nom de domaine.

Sur le terrain civil, il n'est pas rare que les titulaires des noms de domaine contrefaisants soient condamnés, outre le versement de dommages-intérêts, à la publication des décisions les condamnant à cesser l'utilisation de la marque contrefaite (TGI de Paris, 22 février 1999 n.99/51772) et/ ou à retirer ledit nom de domaine du réseau internet (TGI de Paris, 23 mai 1996, n.56551/96). Le quantum des réparations est évalué au cas par cas par les magistrats.

Pour toutes ces raisons la demande formulée par l'entitée publique dans notre affaire paraît totalement légitime, d'autant qu'il est fréquent que de la même façon les juges italiens, au sujet de la condamnation pour *cause de « dommage patrimonial » dérivant d’un préjudice moral provoqué par un comportement illicite intentionnel, appliquent en plus des dommages-intérêts, la sanction de la publication dans plusieurs journaux quotidiens et hebdomadaires de « large diffusion nationale » de la décision émanant des tribunaux prise contre l’usage d’un nom de domaine tiers (Tribunal d’Arezzo, 9 février 2010, n. 1693). Le constat est sans appel : la réglementation sur les marques, alors même qu'elle est réservée au législateur national, n'a pas empêché que les dispositions italiennes et françaises se rejoignent à ce sujet ; et l’absence de textes est systématiquement remplacée par les principes du droit commun, notamment en ce qui concerne le droit au nom prévu par les Codes civils des deux pays.

 

Cela est révélateur de la contrainte jurisprudentielle de prise en compte d’une double protection autant a priori qu’a posteriori. Paradoxalement, si elle n'est pas effectuée a posteriori, l’appréciation devra être mise à la charge d'une autorité privée, ce qui fera l'objet d'une censure a priori. Il en découle que la solution de recours à l’arbitrage n’est pas sans faille.

En tout état de cause, le rôle de l’usage des noms de domaine dans la protection des autres droits de propriété intellectuelle est déterminant. Dans ces deux systèmes le seul enregistrement identique à une indication géographique n' est aucunement constitutif d’une atteinte : pour que l’atteinte soit constatée, il faut que soit fait du nom de domaine un usage contraire aux règles protégeant ces signes, comme le prouvent le cas d’espèce autant que la jurisprudence française.

 

C’est ainsi sans hésitation, en dépit de l’ambiguïté perceptible quant au choix des textes encadrant la matière et en dépit de la spécificité de la casuistique examinée par les tribunaux avant de trancher en 2010, que cette décision témoigne d’une prouesse d’interprétation juridique du conflit entre noms de domaine et marques collectives, favorisant un juste équilibre entre ces signes, sans que l’un soit plus lésé que l’autre. Les appréciations italiennes autant que françaises du principe de spécialité, selon lesquelles il ne suffit plus d'être titulaire d'une marque antérieure à un nom de domaine identique choisi par un tiers pour s'y opposer avec succès, témoignent d'une nette évolution. En vertu de ce principe et de son interprétation jurisprudentielle dans ces deux Etats, si le tiers dépose le nom de domaine sans abus et en se fondant sur une marque licite, le titulaire de la marque initiale protégée dans une classe de produits et services différente de celle du titulaire de la marque ayant fait l'objet d'un dépôt à titre de nom de domaine ne pourra rien revendiquer.

Une fois encore dans ce domaine innovant, ce sont les juges qui permettent de délivrer une réponse contre les lacunes et incertitudes du droit lié au développement des technologies.

 

Nota bene : Les citations juridiques de source linguistique italienne précédées d’une astérisque (*) sont le fruit de mon propre travail de traduction.

 

Bibliographie :

 

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