La consécration d’un principe de droit international par le Cour Européenne des Droits de L’Homme : Le principe de compétence universelle par Carole DA COSTA DIAS

La Cour Européenne des Droits de l’Homme fait appel dans sa décision Ely Ould Dah c/ France à des textes internationaux et à la jurisprudence de la CIJ et du TPIY afin de déclarer irrecevable une requête. La Cour consacre pour la première fois dans cette décision le principe de compétence universelle et l’application de la loi pénale du pays où se trouve l’accusé. Dans cette décision la Cour s’appuie très amplement sur les textes internationaux prohibant la torture afin de cautionner l’action de la France. CEDH, 17 mars 2009, Ely Ould Dah c / France, requête n° 13113/03

La décision Ely Ould Dah c/ France s’impose comme un arrêt de principe. En effet, pour la première fois, La Cour Européenne des Droits de l’Homme a déclaré le principe de compétence universelle compatible avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Dans cette décision, la Cour devait déterminer si la juridiction française avait la compétence pour juger de faits s’étant déroulé à l’étranger, par un étranger à l’encontre de victimes étrangères et appliquer la loi française. En l’espèce, Ely Ould Dah, le requérant, était officier dans l’armée Mauritanienne. En août 1998, il se rendit en France afin d’effectuer un stage à l’école du commissariat de l’armée de terre. Deux associations françaises de défense des droits de l’homme (la FIDH et la LDH) déposèrent alors plainte avec constitution de partie civile à son encontre pour des actes de tortures ou de barbaries commis en Mauritanie entre 1990 et 1991. En effet, Ely Ould Dah aurait participé à cette époque à des affrontements ayant eu lieu entre différentes ethnies en tant qu’agent des forces armées. Dans le cadre de l’opération de répression commanditée par le gouvernement mauritanien ont été faits des prisonniers. Le requérant, en tant qu’officier des forces armées, s’est livré à des actes de tortures ou de barbaries sur ces prisonniers. En 1993, le gouvernement mauritanien adopta une loi d’amnistie pour les infractions ayant été commises pendant les affrontements par les agents des forces armées. Le requérant est interpellé et mis en examen en juillet 1999 par les autorités françaises pour actes de tortures ou de barbaries. Placé en détention provisoire puis en liberté sous contrôle judiciaire, il prend la fuite. Un mandat d’arrêt fut délivré à son encontre en 2000. En 2001, il fut mis en accusation pour tortures et actes de barbarie et complicité. Le requérant interjeta appel de cette ordonnance. Débouté, le requérant forma un pourvoi en cassation. En 2005, la cour d’assises du Gard le condamna à 10 ans de réclusion criminelle en application de l’article 689-1 du code de procédure pénale. Cet article dispose qu’ «En application des conventions internationales visées aux articles suivants, peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises, si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable hors du territoire de la République de l'une des infractions énumérées par ces articles ». De plus, la Convention des Nations Unies de 1984 sur la torture était entrée en vigueur en France depuis 1987. Les conditions imposées par l’article 689-1 étaient donc réunies : Ely Ould Dah était sur le territoire français, il s’agit de tortures et d’actes de barbarie et s’applique donc la Convention des Nations Unies sur la torture. Devant la CEDH, le requérant invoque l’article 7 de la Convention qui prévoit le principe de légalité des délits et des peines. Selon lui, il ne pouvait être poursuivi et condamné par une juridiction française. Il estime en effet que rien n’indiquait qu’il pourrait être jugé en France alors qu’une de ces lois nationales l’avait amnistié. Par ailleurs, il soutient qu’au moment de la commission des faits, la torture ou acte de barbarie n’était pas érigé en infraction autonome en droit pénal français et que le nouveau code pénal lui avait été appliqué rétroactivement. La CEDH avait à déterminer les conditions dans lesquelles un Etat peut juger des faits ayant eu lieu dans un autre état tout en appliquant sa propre loi. En l’espèce, la CEDH devait donc reconnaître la compétence universelle de la juridiction française, ainsi que le fait que celle-ci condamne le requérant en application de la loi pénale française. Afin de légitimer l’action des juridictions française, la Cour va s’appuyer sur les textes internationaux prohibant la torture ainsi que sur la jurisprudence de juridictions internationales telles que la Cour Internationale de Justice (CIJ) ou le Tribunal Pénal International pour l’Ex-Yougoslavie (TPIY). Dans une perspective de droit comparé, cette décision est particulièrement intéressante d’une part car elle est la première du genre et d’autre part car elle consacre un principe de droit pénal international qui est celui de la compétence universelle. Du point de vue des interactions entre droit européen et droit international, cette décision est pertinente car on voit ici que la cour s’aventure dans un domaine qui est propre au droit international. Par conséquent, face au manque de source en la matière, elle est forcée de se tourner vers le droit international et sa jurisprudence pour résoudre le cas qui lui est exposé. Il paraît donc intéressant d’examiner comment la Cour a justifié l’action de la juridiction française en faisant référence au droit international.

La compétence universelle des juridictions françaises

La cour commence par reconnaître que les juridictions françaises bénéficient dans certains cas d’une compétence universelle en vertu de l’article 689-1 du code de procédure pénale. Pour cela, deux conditions doivent être réunies : que l’auteur se trouve « sur le territoire français et que cela intervienne en application de certaines conventions internationales. » Il était important de déterminer s’il s’agissait en l’espèce d’un cas de compétence universelle ou non. Si les conditions de la compétence universelle n’étaient pas réunies, l’actuation de la France ne serait pas légitime. En l’espèce, il s’agissait de juger un ressortissant mauritanien, ayant commis des actes de tortures ou de barbaries contre des prisonniers mauritaniens en Mauritanie. Le ressortissant mauritanien se trouvait sur le territoire français. La Convention des Nations Unies contre la torture de 1987 était déjà entrée en vigueur en France. Le cas d’espèce correspond donc exactement à la définition de la compétence universelle. Sans ce principe de compétence universelle, la France n’aurait pu intervenir car elle aurait été bloquée par le principe de personnalité. La Cour a donc brièvement vérifié que les deux conditions de l’application du principe de compétence universelle selon la loi française étaient réunies. Cependant elle ne semble pas se contenter de cette vérification. Elle tient à démontrer que l’intervention des juridictions françaises était essentielle au vue des normes de protection contre la torture. La cour débute son argumentation en déclarant que « l’interdiction de la torture occupe une place primordiale dans tous les instruments internationaux relatifs à la protection des droits de l’homme. » Pour appuyer cette affirmation, la Cour fait référence à la déclaration universelle des droits de l’homme dont l’article 5 dispose : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » La Cour fait également référence à l’article 5 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme qui dispose que (…) la torture physique ou morale et les peines ou les traitements cruels, inhumains ou dégradants sont interdits». Ensuite elle cite l’article 3 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui dispose que « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. » Il est intéressant du point de vue des interactions droit européen et droit international de voir que la Cour a choisi de mettre en avant des conventions internationales extérieures à la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Elle ne cite l’article 3 la Convention qu’en dernier et de façon plus brève. La Cour ayant pour but d’appliquer la Convention, il paraîtrait normal qu’elle soutienne son argumentation en se basant sur celle-ci. Pourtant en l’espèce, la Cour fait primer deux conventions internationales extérieures sur la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ce comportement peut s’expliquer d’une part par la volonté de la Cour de consacrer le principe de compétence universelle en démontrant que son importance dépasse le cercle du droit européen. D’autre part, il peut s’expliquer par la nécessité pour la Cour de soutenir sa thèse avec des textes à portée universelle tels que la Déclaration de Droits de l’Homme afin de lui donner plus de crédit. La Cour aurait donc besoin de faire référence à des textes extérieurs à la Convention afin de légitimer sa décision, comme si la seule Convention n’était pas suffisante.

Prohibition de la torture : une norme impérative

Après avoir déclaré que l’interdiction de la torture occupe une place primordiale dans les textes internationaux, la Cour choisie d’aller encore plus loin, en déclarant que l’interdiction de la torture a valeur impérative ou jus cogens. Pour soutenir cette thèse, la Cour s’est appuyée sur la jurisprudence du TPIY dans l’affaire Le Procureur c. Anto Furundzija du 10 décembre 1998 n° IT-95-17/1-T ( ci-après Furundzija) selon laquelle «en raison de l’importance des valeurs qu’il protège, le principe de l’interdiction de la torture, est devenu une norme impérative de jus cogens, c'est-à-dire une norme qui se situe dans la hiérarchie internationale à un rang plus élevé que le droit conventionnel et même que les règles du droit coutumier ordinaire. » (pt153), « la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture rend compte de l’idée que celle-ci est désormais l’une des normes les plus fondamentales de la communauté internationale. » (pt154). Cette référence est un bon exemple de l’interaction entre le droit européen et le droit international dans cette décision. La Cour va élargir la portée de l’article 3 de sa Convention en ayant recours à une notion de droit international général, celle de norme de jus cogens. En effet, la notion de norme de jus cogens est définie par la Convention de Vienne du 23 mai 1969. Cela démontre la volonté de la Cour d’aller au-delà de l’énoncé de l’article 3 de la Convention. Cela démontre également le phénomène de dépendance de la cour envers le droit international. En effet, la Cour ne disposant pas de moyens suffisant afin de garantir une interdiction absolue de la torture, elle se tourne vers le droit international qui lui dispose d’une abondance de sources dans ce domaine, en l’espèce l’arrêt du TPIY Furundzija qui est un arrêt de principe en la matière. Puisque l’interdiction de la torture est une norme de jus cogens, la Cour avait donc à définir si la loi d’amnistie pouvait rendre inapplicable au cas d’espèce le droit français. Selon l’avis de la Cour, retenir uniquement la compétence juridictionnelle de l’état où ont été commises les infractions reviendrait à vider de contenu le principe de compétence universelle. En effet, l’état aurait tendance à agir en protection de ces ressortissants ou pourrait être sous l’influence des auteurs de l’infraction, ce qui rendrait toute poursuite des auteurs impossible. La Cour base ce raisonnement sur celui du TPIY qui dans sa décision Furundzija estime que « il serait absurde d’affirmer d’une part que, vu la valeur de jus cogens de l’interdiction de la torture , les traités ou règles coutumières prévoyant la torture sont nuls et non avenus ab initio et de laisser faire, d’autre part, les états qui, par exemple, prennent des mesures nationales autorisant ou tolérant la pratique de la torture ou amnistiant les tortionnaires. » (pt155). Pour renforcer cet avis, la Cour va également faire référence à la pratique de la Cour Internationale de Justice qui prévoit à l’article 17 de son statut que peut être jugée une personne amnistiée par un autre état avant son jugement dans son état d’origine. Cette référence à la méthode de la CIJ démontre le manque d’expérience de la Cour Européenne sur cette question. Elle semble en effet devoir légitimer son action au vue de la pratique d’une juridiction d’envergure internationale, qui elle est la juridiction compétente en matière de norme de jus cogens. Dans le cas présent, CEDH était sollicitée pour la première fois afin de vérifier la compétence d’une juridiction nationale en application du principe de juridiction universelle. Par ailleurs, il ressort de cet arrêt ainsi que d’autres jurisprudences antérieures que la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne dispose pas des outils nécessaires lorsqu’il s’agit de cas qui touche au droit international. En effet, comme on a pu le voir précédemment dans l’arrêt Siliadin (CEDH, 26 juillet 2005, Siliadin c/ France, n° 73316/01), la Cour est très dépendante du droit international. Dans cet arrêt, la Cour, afin de faire rentrer l’esclavage domestique dans le cadre de l’article 4 de la Convention, a interprété celle-ci à la lumière des Conventions Internationales pertinentes en matière de torture. Comme dans le cas présent, la Cour soutient son argumentation en faisant référence à des normes de droit international. La dépendance de la Cour vis-à-vis du droit international est frappante dans ces deux arrêts. Dans l’arrêt Siliadin la Cour utilise le droit international pour interpréter sa propre convention. Dans l’arrêt Ely Ould Dah, la Cour utilise la jurisprudence internationale afin de vérifier la compatibilité du principe de compétence universelle avec la Convention. La Cour semble donc dépendre du droit international pour justifier ces positions. La cour fait ensuite référence aux articles 4 et 7 de la Convention contre la torture. Ces articles prévoient l’obligation pour les états parties de s’assurer que les actes de tortures constituent une infraction dans leur droit interne. Ils prévoient également la compétence des autorités internes pour statuer dans les mêmes conditions que pour une infraction grave de droit commun. La cour considère donc que si les autorités internes ont la compétence, la loi interne doit alors également s’appliquer. La cour suit donc le raisonnement de la cour d’appel. Pour renforcer sa décision, la Cour fait référence à l’avis rendu par le Comité contre la torture des Nations Unies qui dans ces conclusions et recommandations avait salué la décision de la cour d’appel. En conclusion, nous voyons donc que la cour s’est appuyée quasi exclusivement sur les normes de droit international et sur la jurisprudence de juridictions internationales afin de déclarer irrecevable la requête d’Ely Ould Dah. Ceci traduit les lacunes de la Convention Européenne des Droits de l’Homme mais également la faculté d’adaptation de la Cour afin d’y remédier. Le droit européen et le droit international semblent donc fonctionner en coopération.

Bibliographie

CEDH : principe de la compétence universelle consacré, Pascal Jan, 31 mars 2009, www.droitpublic.net

Ould Dah c/ France (CEDH, 5° sect. décision sur la recevabilité, 17 mars 2009, req. N°13113/03) Nicolas Hervieu, Actualités Droits-libertés du 30 mars 2009, CREDOF.

La Cour Européenne consacre le principe de la compétence universelle, Alain Salles, Les nouvelles du droit international humanitaire, Périodique de la Croix Rouge de Belgique, Communauté Francophone, N° 31, Août 2009.

La compétence universelle de la France à l’épreuve, Lettre d’information de la coalition française pour la Cour Pénale Internationale n°11, juin 2009.

Juger les crimes contre l'humanité: 20 ans après le procès Barbie, Pierre Truche, ENS Editions 2009

La justice pénale internationale, Simone Gaboriau, Hélène Pauliat, Pulim, 2002

Dossier sur la Justice Pénale Internationale, Juridictions, Le rôle des juridictions nationales, la compétence universelle, La Documentation Française, Février 2010.

Dossier sur l’affaire Ely Ould Da, FIDH, www.fidh.org