La copie cache dans le droit européen du droit d’auteur par Guillaume Prouteau

En sursoyant à statuer dans l’affaire Public Relations Consultants Association v Newspaper Licensing Agency la Cour Suprême du Royaume-Uni laisse au soin de la Cour de Justice de déterminer si les copies cache peuvent faire l’objet d’une exception au sens de l’article 5.1 de la directive sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. Le sujet est délicat car le droit européen ne semble pas pouvoir tenir le rythme de l’évolution technologique, remettant en question la pertinence de la directive plus de 10 ans après son adoption.

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Alors que la Commission soumet la révision des règles de l’Union européenne en matière de droit d’auteur à une consultation publique depuis décembre 2013, les difficultés rencontrées dans l’adaptation de ces règles au contexte numérique actuel perdurent. Aussi apparaissent de nouvelles complications, à mesure que le volume du contenu mis en ligne augmente et que sa disponibilité auprès des  utilisateurs se développe. Les règles traditionnellement applicables aux supports physiques concernant les droits d’auteur semblent peiner à s’adapter pleinement aux contraintes techniques imposées par la digitalisation des œuvres et leur acheminement sur Internet.

La simple consultation d’un contenu mis en ligne entraîne automatiquement dans son procédé la reproduction en cache de ce contenu sur le terminal de l’utilisateur. Cette mise en cache, ou antémémorisation, est destinée à faciliter le traitement de l’information et sa disponibilité et est au cœur même du fonctionnement du réseau Internet puisque sans cette fonctionnalité il ne serait pas possible de gérer la surabondance de contenu. Ces reproductions sont automatiquement effacées et remplacées par les reproductions de contenus ultérieurement consultés par l’utilisateur.

Dans cette affaire, La société Meltwater offre comme service à ses clients de leur fournir une sélection d’extraits d’articles répondant à l’objet de leur recherche et de liens menant vers les pages internet où sont publiés ces articles. La Supreme Court of the United Kingdom (ci-après : Cour Suprême) était ici appelée à déterminer si l’accès à ces sélections et aux pages proposées par le biais des liens hypertextes qu’elles contiennent, constitue une atteinte au droit d’auteur et nécessite donc une autorisation préalable des ayant droits.  Devant l’ampleur des répercussions éventuelles, les juges ont choisi d’adresser à la CJUE la question suivante :

Le fait qu’une copie d’un contenu protégé par droit d’auteur puisse, dans le cadre d’un usage normal, demeurer dans le cache après que l’utilisation ayant donné lieu à cette copie soit terminée et ce jusqu’à ce qu’elle soit ultérieurement effacée par d’autres données et le fait qu’une copie demeurera à l’écran jusqu’à ce que l’utilisateur mette un terme à la session, satisfont-ils aux critères posés par l’article 5.1 de la directive 2001/29/CE?

I – Sur le caractère incident de la copie en cache

La directive 2001/29/CE, lorsqu’elle fait mention du droit de reproduction dans son article 2, entend aussi bien les reproductions directes ou indirectes ainsi que provisoires ou permanentes. Au Royaume-Uni, dans le domaine du droit d’auteur et du droit de reproduction, l’article 17(6) de la loi Copyright, Designs and Patents Act de 1988, précise que la reproduction doit aussi se comprendre comme la copie d’une œuvre qui serait transitoire ou incidente à une utilisation de l’œuvre. Le législateur français a retenu une approche tout aussi large de la reproduction mais fait usage d’une formulation beaucoup plus réduite puisque selon l’article L.122-3 du code de la propriété intellectuelle, la reproduction consiste dans la fixation matérielle de l'œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d'une manière indirecte. Cette définition ne distingue pas la reproduction selon sa durée et est assez vaste pour couvrir tous les actes de reproductions qu’ils soient temporaires ou incidents. De ce point de vue, on observe une convergence assez nette entre les droits nationaux et le droit européen ; résultat attendu de l’intégration de la directive de 2001 dans les ordres juridiques nationaux.

L’exception de l’article 5.1 de la directive, paraphrasé par la Cour de Justice dans la décision Infopaq du 16 juillet 2009 est ainsi posée :

Les actes de reproduction provisoires visés à l'article 2, qui sont transitoires ou accessoires et constituent une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique et dont l'unique finalité est de permettre:

a) une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou

b) une utilisation licite

d'une œuvre ou d'un objet protégé, et qui n'ont pas de signification économique indépendante, sont exemptés du droit de reproduction prévu à l'article 2.

 

Le procédé de mise en cache d’une œuvre en vue de sa consultation répond bien à la définition d’une reproduction. Cependant, là où certains n’y avaient vu qu’une reproduction « neutre », sans valeur autonome et faisant partie intégrante de la consultation de l’œuvre, les juges de première instance et de la Cour d’Appel dans l’affaire Meltwater s’étaient opposés à ce que les copies cache puisse bénéficier de l’exception de l’article 5.1. Ainsi, il fut déterminé que la mise en cache si temporaire soit elle ne pouvait constituer une composante essentielle du procédé technique puisque d’une part, elle ne résulte que de la décision volontaire de l’utilisateur de visionner la page et d’autre part, parce qu’elle est le résultat même du procédé. C’est en effet à partir de la copie cache que l’œuvre est mise à disposition de l’utilisateur. En d’autres termes et d’après ces décisions, la copie cache doit s’apprécier comme constituant une reproduction rattachée directement à l’utilisateur et à son comportement et non comme une reproduction incidente à la numérisation et à la consultation en ligne de l’œuvre indépendamment de volonté de l’utilisateur.

 

 

Sur ce point, l’analyse de la Cour Suprême semble plus pertinente. Lord Sumption divise en quatre étapes une utilisation normale et courante d’internet au cours de chacune desquelles se produit une reproduction de l’œuvre. En premier lieu l’œuvre est copiée au sein des serveurs et routeurs pour permettre sa transmission à travers le réseau, la consultation de l’œuvre par l’utilisateur implique ensuite que la page sur laquelle elle se trouve soit affichée à l’écran et qu’une copie cache soit effectuée sur le disque dur. L’affichage à l’écran durera jusqu’à ce que l’utilisateur mette un terme à la consultation et la copie cache sera soit effacée automatiquement par le procédé technique soit effacée par l’utilisateur. De l’avis la Cour Suprême, aucune de ces étapes n’implique la volonté de l’utilisateur de faire une copie de l’œuvre (hormis s’il choisit de la télécharger ou l’imprimer), son seul but étant la consultation.

On voit ici se dessiner le premier enjeu lié à la décision de la Cour Suprême de porter la question à la Cour de Justice. Afin de permettre l’application la plus uniforme possible des dispositions de la directive, il est nécessaire d’en définir clairement la portée. Ici, la question de l’interprétation à donner à la notion de « partie intégrante et essentielle d’un procédé technique » sera capitale. En effet, même si la Cour Suprême du Royaume-Uni écarte l’élément intentionnel de la copie en cache, elle ne semble pas certaine que ces copies constituent une partie intégrante et essentielle de la consultation en ligne de contenus protégés.

 

II – Sur le caractère temporaire de la copie cache

La Cour Suprême s’est appuyée sur le point 64 de la décision Infopaq qui établit que la reproduction n’est provisoire "que si sa durée de vie est limitée à ce qui est nécessaire pour le bon fonctionnement du procédé technique concerné, étant entendu que ce procédé doit être automatisé de sorte qu'il supprime cet acte d'une manière automatique, sans intervention humaine, dès que sa fonction visant à permettre la réalisation d'un tel procédé est achevée".

Il apparaît à la lecture littérale de ce qui précède que si aucune intervention humaine n’est nécessaire à la disparition de la reproduction du disque dur de l’utilisateur, pour autant la copie en cache peut demeurer indéfiniment sur le disque dur si aucune nouvelle navigation n’est entamée. La durée de vie de la reproduction n’est donc pas limitée à la réalisation de sa fonction et, au sens de la décision Infopaq, n’est donc pas une reproduction provisoire. Cet argument était avancé par les défendeurs mais ne fut pas retenu par la Cour Suprême qui se réfère au considérant 33 de la directive 2001/29/CE qui place expressément la copie cache dans les reproductions bénéficiant de l’exception de l’article 5.1.

La question de la portée à donner à l’exception de l’article 5.1 et notamment concernant le caractère provisoire de la reproduction avait été abordée dès 1998 par le Conseil d’Etat dans un rapport sur les réseaux numériques. Le Conseil reconnaissait alors qu’une distinction entre les reproductions « volatiles » et les reproductions « temporaires » serait probablement opportune, l’exception ne recouvrant que la première hypothèse ainsi que les reproductions « dont l’existence n’excède pas la durée de la transmission. ». Plus encore, était alors envisagée la création d’une seconde exception pour les « copies techniques temporaires ». Sous cette catégorie ne se seraient trouvées que les copies cache effectuées sur les serveurs des fournisseurs d’accès et « dont l’existence n’excède pas la durée autorisée par le titulaire des droits par le dispositif technique approprié ». L’intention était louable mais ces recommandations n’auraient probablement pas su s’adapter à l’évolution extrêmement rapide de la technique dans ce domaine. Quel régime aurait-il fallu appliquer aux « proxies », serveurs intermédiaires qui, pour reprendre la formulation adoptée dans le considérant 33 de la directive, « permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission » ? Car pour le titulaire d’un droit d’auteur, la consultation de son œuvre via une reproduction située sur un proxy n’est pas prise en compte dans la comptabilisation du nombre de visite du site servant de base au calcul de la rémunération. Dans ces circonstances, la copie d’une œuvre pourrait être distribuée très largement et sans que son auteur ne bénéficie des retombées économiques de cette distribution. Faut-il comprendre, à la lecture du considérant 33, que le fonctionnement efficace des systèmes de transmission doit primer sur les intérêts des ayants droit ?

Ces éléments, soulevés par le rapport du Conseil d’Etat, n’ont pas été retenus lors de l’élaboration de la directive 20001/29/CE. Si le caractère temporaire de la copie cache peut être aisément soutenu, le débat semble se porter d’avantage sur son aspect de partie essentielle et intégrante du processus technique. Pour la Cour Suprême, la copie cache est une composante élémentaire de l’informatique moderne sans laquelle la navigation sur internet ne fonctionnerait pas correctement et efficacement, rejoignant ici encore le considérant 33 de la directive qui fait porter l’exception sur les actes qui « permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission ». On peut cependant noter à cet égard la décision Google c./ CopiePresse de la Cour d’appel de Bruxelles du 11 mai 2011 dans laquelle la copie cache n’a pas été considérée comme strictement nécessaire au processus technique de la navigation sur internet mais plutôt comme une mesure de confort pour l’utilisateur lui permettant un accès plus rapide aux contenus qu’il désire. Cette disparité dans les solutions illustre bien la pertinence de la question préjudicielle. La directive a posé une définition vaste de la copie qui s’est donc plutôt bien intégrée aux règles existantes en matière de droit d’auteur dans les Etats Membres, mais de nombreux éléments restent flous. L’application uniforme des dispositions de la directive, notamment de l’article 5.1, bénéficierait grandement d’une interprétation définitive par la Cour de Justice.

 

III – Le droit d’auteur et l’économie numérique, l’Europe en marche arrière ?

Une forte attente s’est créée autour de la réponse qu’adressera la Cour de Justice à cette question préjudicielle et ce pour plusieurs raisons.

D’une part, le sujet est sensible et fait l’objet  d’une actualité mouvementée. En effet , le droit européen propose des régimes différents pour les programmes et bases de données de celui appliqués aux œuvres « traditionnelles », or les données présentes dans une reproduction par cache ne sont pas uniquement celles de l’œuvre originale.  Très souvent les copies cache contiennent des éléments de programme et des éléments de base de données qui sont indissociables du contenu original à proprement parler. L’application de l’article 5.1 aux copies cache pourrait donc poser problème puisque les programmes et bases de données ne sont pas concernés par la directive. On retrouvera d’ailleurs ce problème tant dans le droit anglais que dans le droit français puisque les dispositions concernant les programmes et bases de données sont tirées de la directive 91/250/CEE. Ce constat permet de mettre en lumière la désuétude du droit européen lorsqu’il tente de concilier droit d’auteur et économie numérique. La consultation publique de la commission traite d’ailleurs spécifiquement de ce sujet puisque le régime applicable à la copie cache y est abordé. Pour souligner davantage la place que tient cette problématique dans l’actualité du droit européen on peut encore citer la décision de la Cour de Justice du 13 février 2014, dans laquelle la Cour a établi que publier sur une page internet des liens hypertexte redirigeant vers des contenus protégés par droit d’auteur sans autorisation de ce dernier ne constituait pas une communication au public au sens de l’article 3 de la directive 2001/29/CE.

 D’autre part il ressort clairement de l’arrêt de la Cour Suprême que la copie cache est inhérente à l’informatique moderne et la consultation par les utilisateurs par ce procédé est désormais courante, très courante, à tel point qu’une décision considérant la copie cache comme une atteinte aux droits d’auteurs; même si peu probable au regard de la jurisprudence récente de la Cour de Justice, de son pragmatisme et de l’objectif de la directive 2001/29/CE, serait très largement considérée par l’opinion comme une régression majeure. On pourrait d’ailleurs être surpris de la décision de la Cour Suprême. Si on peut comprendre la retenue dont elle fait preuve étant donnée l’importance de la question, on peut aussi regretter que la Cour Suprême ait adopté une position aussi frileuse.

Ces éléments démontrent clairement une volonté d’actualiser le droit d’auteur en Europe. De ce point de vue, la directive de 2001 a sans doute été adoptée trop tôt et rédigée de manière trop rigide pour pouvoir s’adapter pleinement aux évolutions de la technique. La directive semble s’être essoufflée et ce n’est pas un hasard si la Commission a récemment lancé une consultation publique sur la réforme du droit européen du droit d’auteur.   

 

Bibliographie :

 

  • Public Relations Consultants Association Limited v The Newspaper Licensing Agency Limited and Others, [2013] UKSC 18, On appeal from [2011] EWCA civ 890
  • Google Inc v Copiepresse SCRL [2007] E.C.D.R. 5
  • Nils Svennsson e.a. / Retriever Sverige AB, C-466/12, 13 février 2014
  • DIRECTIVE 2001/29/CE DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information
  • André LUCAS, Fasc. 1248 : DROITS DES AUTEURS . – Droits patrimoniaux . – Exceptions au droit exclusif (CPI, art. L. 122-5 et L. 331-4), Jurisclasseur, 19 Novembre 2013
  • Jérôme PASSA,  LA DIRECTIVE DU 22 MAI 2001 SUR LE DROIT D'AUTEUR ET LES DROITS VOISINS DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION, La Semaine Juridique Edition Générale n° 26, 27 Juin 2001, I 331
  • Public Consultation on the Review of EU Copyright Rules, Commission Européenne, 5 décembre 2013         
  • Joel SMITH, Rachel MONTAGNON, The Supreme Court’s opinion on Browsing : Public Relations Consultants Association Ltd v The Newspaper Licensing Agency Ltd, European Intellectual Property Review, 2013
  • Internet et les Réseaux Numériques, Collection Etudes du Conseil d’Etat, 1998