La lutte contre les discriminations au Royaume-Uni

Les principales sources textuelles de lutte contre les discriminations

Il n’existe au Royaume-Uni aucun texte unique à caractère de constitution mais un ensemble de documents à valeur constitutionnelle. Aucun d’entre eux n’édicte de règle fondamentale de lutte contre les discriminations. Il n’existe donc pas d’interdiction constitutionnelle des discriminations.

En revanche, une série de lois de lutte contre les discriminations raciales et de genre (Race Relations Act, 1965. Sex Discrimination Act, 1975), inspirées du Civil Rights Movement aux Etats-Unis, a vu le jour au cours des années 1970. L’Equality Act 2010 (loi relative à l’égalité) réunit à présent toutes les dispositions de lutte contre les discriminations qui existaient au préalable et les complète. Cette loi a pour objectif de renforcer la lutte contre les discriminations en prenant en compte les progrès en matière d’égalité. En vertu de cette loi, il existe au Royaume-Uni neuf caractéristiques protégées (protected caracteristics) sur le fondement desquelles il est interdit de discriminer. Ces caractéristiques sont, dans l’ordre alphabétique dans lequel elles apparaissent dans l’Equality Act, l’âge, le handicap, le changement de sexe, le mariage ou l’union civile, la grossesse ou la maternité, l’origine ethnique, la religion ou croyance, le sexe et l’orientation sexuelle.

A cette loi s’ajoute le Human Rights Act (HRA) (loi relative aux droits de l’Homme) en date de 1998. Le Royaume-Uni est un système juridique dualiste dans lequel les textes internationaux n’ont d’effet qu’après le vote d’une loi interne de transposition. Ce n’est donc qu’après l’adoption du HRA que la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) de 1950 a enfin pris effet au Royaume-Uni. La CEDH et le HRA imposent l’application sans discriminations des dispositions qui figurent dans ces textes. L’art 14 de la CEDH traite spécifiquement de l’interdiction des discriminations. Cependant, il est de jurisprudence constante (arrêt Botta c. Italie, 1998) que cet article ne peut fonctionner indépendamment et doit impérativement être rattaché à un autre article de la Convention. Ainsi, c’est dans le cadre de l’exercice d’un des droits garantis par la CEDH qu’une personne peut revendiquer la violation de son droit à la non-discrimination tel que garanti par l’art. 14. Cet article n’est néanmoins pas indispensable pour qu’une discrimination soit identifiée et reconnue (arrêt Goodwin c. Royaume-Uni, 2002). Cette règle s’applique au Royaume-Uni comme dans tous les autres pays du Conseil de l’Europe.

Le Royaume-Uni étant un Etat membre de l’Union européenne (UE) depuis 1973, il est également soumis aux dispositions de lutte contre les discriminations qui en proviennent. L’UE était une union exclusivement économique lors de sa création mais elle a étendu ses compétences à de nombreux domaines, y compris aux droits de l’Homme et à la lutte contre les discriminations. Ainsi, des articles relatifs à la lutte contre les discriminations ont été incorporés dans les traités (art. 147 TFUE). Des directives et des règlements ont été adoptés dans ce domaine. Enfin, avec l’entrée en vigueur en 2009 du traité de Lisbonne, la Charte des droits fondamentaux de l’UE a acquis valeur juridique. Les dispositions qui y figurent s’imposent donc à tous les Etats membres, y compris le Royaume-Uni.

La lutte contre les discriminations au Royaume-Uni a donc des sources juridiques variées, aussi bien internes qu’internationales et européennes.

Les principales institutions administratives, législatives ou associatives de lutte contre les discriminations 

Malgré le système de Common Law en place et le fondement jurisprudentiel du droit britannique, le parlement joue un rôle important dans la lutte contre les discriminations. Le droit à l’égalité et la lutte contre les discriminations ont, au Royaume-Uni, un fondement statutaire ce qui est démontré par multitude de lois qui ont été adoptées en la matière depuis les années 1970, tel que le Equal Pay Act 1970 (loi relative à l’égalité de rémunération) et le Disability Discrimination Act 1995 (loi relative aux discriminations fondées sur le handicap), abrogé et remplacé par le Disability Discrimination Act 2005.

Au sein du parlement, il existe une commission des droits de l’Homme (Human Rights Committee). Celle-ci est composée de membre de la chambre des Communes et de la chambre des Lords. Elle se prononce sur les projets de loi en relation avec les droits de l’Homme, notamment la lutte contre les discriminations. Elle peut également attirer l’attention du parlement sur certaines questions liées à ce domaine. La commission ne peut pas se prononcer sur des affaires individuelles.

Par ailleurs, jusqu’en 2007, il existait trois commissions de lutte contre les discriminations, une pour les discriminations fondées sur l’origine ethnique, une pour les discriminations fondées sur le sexe et une pour les discriminations fondées sur le handicap. L’Equality Act 2006, loi précédant l’Equality Act 2010 et qui a été la première à réunir, en un seul texte, toutes les dispositions de lutte contre les discriminations au Royaume-Uni, a réuni ces commissions en une seule pour plus d’efficacité.

Ainsi, il existe aujourd’hui la Commission pour l’égalité et les droits de l’Homme (Equality and Human Rights Commission) qui a pris ses fonctions en 2007. Cette commission a réuni les compétences des commissions précédentes et a étendu son champ d’application. Les neuf caractéristiques protégées au Royaume-Uni sont ainsi représentées dans cette commission. Il s’agit d’une commission indépendante dont les membres sont nommés par le gouvernement. Ses fonctions, énoncées à l’art. 8 de l’Equality Act 2006, sont toutes relatives à la lutte contre les discriminations et à la promotion de l’égalité et des droits de l’Homme.

Cette Commission mène des campagnes de sensibilisation et de promotion de l’égalité et des droits de l’Homme. Du point de vue de la lutte contre les discriminations, la Commission intervient de plusieurs manières. Elle peut venir en aide aux victimes de discriminations qui agissent en justice, notamment lorsqu’il s’agit d’actions de groupes. Elle peut également dénoncer des services publics qui commettent des discriminations en violation du HRA auquel elles sont soumises.

Le Royaume-Uni dispose donc d’un système développé de lutte contre les discriminations aussi bien en amont qu’en aval.

Le rôle des juges et les modalités de preuve

Les Cours représentent la première ligne d’action des personnes victimes de discrimination. Ce sont les juges qui déterminent si une personne a effectivement subi une discrimination, si celle-ci est directe ou indirecte, si elle est justifiée ou non. Ce fonctionnement casuistique de lutte contre les discriminations correspond au système de Common Law. Les juges ont un rôle d’interprétation des lois applicables en matière de lutte contre les discriminations. Ainsi, dans l’arrêt Grainger plc c. Nicholson en date de 2010,[1] la Cour Suprême du Royaume-Uni a établi les critères pour qu’une croyance soit protégée par l’art. 10 du Equality Act 2010. Les juges permettent également de faire avancer le droit en l’absence de dispositions législatives. Dans l’arrêt Mandla c. Dowell Lee en date de 1982,[2] la chambre des Lords a ainsi retenu, en l’absence de protection contre la discrimination fondée sur la religion, que les membres de la religion sikh constituaient un groupe ethnique qui était donc être protégé par le Race Discrimination Act 1976 (loi relative aux discriminations fondées sur l’origine ethnique).

Il reste que la lutte contre les discriminations au Royaume-Uni est conçue principalement du point de vue de la relation entre l’employeur et l’employé. Ce sont donc les employment tribunals (conseil des prud’hommes) qui sont en charge de la plupart des affaires de discrimination en première instance.

La charge de la preuve se divise en deux étapes. Le demandeur doit en premier lieu démontrer l’existence et la nature des faits qui constitueraient une forme de discrimination. Une fois que l’existence de ces faits a été confirmée, la charge de la preuve bascule vers le défendeur qui doit démontrer qu’il n’y a pas eu de discrimination ou, dans le cadre de la discrimination indirecte, que celle-ci était proportionnée au but légitime à atteindre. Le défendeur ne peut se contenter de démontrer qu’il n’avait pas l’intention de discriminer. Toute discrimination directe est illégale.

Le rôle du juge dans la lutte contre les discriminations au Royaume-Uni est fondamental du fait du système de Common Law qui lui accorde une place et une importance particulière.

La notion de discrimination indirecte

La notion de discrimination indirecte existe au Royaume-Uni en vertu de l’art. 19 du Equality Act 2010. Elle a été importée des Etats-Unis suite à l’arrêt de Cour Suprême Griggs c. Duke Power Co. en date de 1971.[3] Cette notion a été reconnue la première fois dans le Sex Discrimination Act 1975 (loi relative aux discriminations fondées sur le sexe) et répétée dans le Race Discrimination Act 1976. Jusqu’aux Equality Acts, le Royaume-Uni a été réticent et a peu développé ce principe contrairement à la Communauté européenne qui a été le moteur dans le développement de la discrimination indirecte.

En vertu de l’art. 19 du Equality Act 2010, la discrimination indirecte fait référence aux dispositions, pratiques ou critères qui semblent généraux mais constituent une forme de discrimination à l’encontre d’une ou plusieurs personnes du fait d’une ou de plusieurs caractéristiques protégées. Cependant, contrairement aux discriminations directes qui, dès lors qu’elles existent ne peuvent pas être justifiées et sont, sauf rares exceptions en matière de religion, toujours contraires à la loi, les discriminations indirectes peuvent être justifiées si elles constituent un moyen proportionné d’atteindre un but légitime. En outre, le comportement de la personne qui a commis la discrimination est pris en compte dans la décision. Ainsi, dans l’arrêt Azmi c. Kirklees MBC en date de 2007,[4] le fait que l’employeur ait tenté d’aménager les besoins de l’assistante d'éducation et le fait qu’il était réellement difficile pour les enfants de la comprendre lorsque son voile cachait son visage a été pris en compte dans la décision. La Cour a reconnu qu’il y avait bien discrimination indirecte mais que le but était légitime et que les moyens étaient proportionnés. Le licenciement était donc justifié.

L’exemple principal de discrimination indirecte au Royaume-Uni est la série d’arrêts dits Eweida.[5] Dans cette affaire, la compagnie British Airways a mis en place une disposition qui interdisait le port de tout signe d’appartenance religieuse apparent. Madame Eweida souhaitait porter sa croix en pendentif de façon visible et soutenait que la disposition constituait une forme de discrimination indirecte à son encontre. La CEDH a finalement décidé que cette disposition constituait effectivement une forme de discrimination indirecte qui n’était pas un moyen proportionné d’atteindre un but légitime. Au contraire, dans l’affaire Chaplin, sur laquelle la CEDH s’est prononcée en même temps qu’Eweida ainsi que deux autres affaires similaires,[6] la CEDH a retenu que la discrimination indirecte était un moyen proportionné d’atteindre un but légitime puisque le port d’un pendentif qui n’était pas caché sous le chemisier de la demanderesse pouvait constituer un risque étant donné son emploi en tant qu’infirmière.

L’arrêt Mandla c. Dowell Lee[7] constitue un autre exemple de discrimination indirecte au Royaume-Uni. En l’espèce, un garçon avait été expulsé de son école car il refusait de retirer son turban ce qui était contraire au règlement intérieur qui imposait qu’aucun enfant n’ait la tête couverte. La chambre des Lords a retenu qu’il s’agissait effectivement d’une forme de discrimination indirecte. Bien que la règle soit générale, son application était plus difficile, voire impossible, pour les enfants sikhs comme le garçon qui a été expulsé.

Il y a ainsi une multitude d’arrêts relatifs à la discrimination indirecte au Royaume-Uni. Malgré des débuts compliqués, il s'agit à présent un domaine particulièrement bien couvert dans le cadre de la lutte contre les discriminations.

Les discriminations positives (positive action) et leurs limites

Les discriminations positives (positive action) vont à l’encontre de la conception formelle de l’égalité au Royaume-Uni selon laquelle toute personne part du même point en termes d’égalité. Selon cette conception, accorder un avantage à une personne en fonction de certaines caractéristiques serait injuste et serait une violation de l’égalité.

Cependant, le droit de l’UE, en vertu de l’art. 157(4) TFUE, autorise les Etats membres à adopter des dispositions de discrimination positive. Au Royaume-Uni, malgré la réticence à leur égard, elles sont autorisées en vertu de l’art. 158 du Equality Act 2010. Celui-ci autorise les discriminations positives dans trois situations : pour lutter contre la sous-représentation, pour compenser l’effet de discriminations passées et pour aménager les besoins de différents groupes. La discrimination positive doit être proportionnée.

En pratique, la discrimination positive est très rarement autorisée. Les dispositions de lutte contre les discriminations au Royaume-Uni s’appliquent de façon identique à tous les groupes, qu’ils soient une minorité qui subit des discriminations régulièrement ou un groupe dominant. Ainsi, bien que la discrimination positive existe au Royaume-Uni, elle ne peut prendre la forme de quotas et ne doit en aucun cas faire d’une personne qui ne fait pas partie d’un groupe protégé une victime sous peine de rendre la disposition illégale car elle constitue une forme de discrimination, et ce, même si son objectif visé est innocent, voire louable (benign motive).

La règle en matière de discrimination au Royaume-Uni provient de l’arrêt James c. Eastleigh Borough Council en date de 1990[8] qui a retenu l’application du « but for » test. Pour déterminer s’il y a eu discrimination injuste, le juge doit se poser la question « si la personne ne détenait pas la caractéristique protégée, aurait-elle obtenu cet avantage ? » En l’espèce, M. James s’est rendu à la piscine avec sa femme qui avait le même âge. Il a dû payer l’entrée alors qu’elle avait accès gratuit car elle avait atteint l’âge de la retraite pour les femmes et lui n’avait pas atteint l’âge de la retraite pour les hommes. La Cour a retenu que si M. James n’avait pas été un homme, il n’aurait pas eu à payer l’entrée. Il s’agissait d’une forme de discrimination positive car le système de retraite sur lequel la piscine se fondait était lui-même discriminatoire. La Cour en est arrivé à cette décision alors même que l’objectif de la piscine – prendre en compte les différences entre les retraites des hommes et des femmes – était louable.

Le droit britannique autorise les discriminations positives mais la pratique reflète la réticence à leur égard ; l’autorisation semble ainsi plutôt théorique.

 


[1] Grainger plc c. Nicholson [2010] IRLR 4 (EAT).

[2] Mandla c. Dowell Lee [1982] UKHL 7.

[3] Griggs c. Duke Power Co. 401 U.S. 424 (1971).

[4] Azmi c. Kirklees Metropolitan Borough Council [2007] IRLR 434 (EAT).

[5] Eweida c. British Airways Ltd [2010] EWCA Civ 80. Eweida c. Royaume-Uni, [2013] ECHR 37.

[6] Chaplin v Royal Devon & Exeter Hospital NHS Foundation Trust [2010] ET 1702886/2009, Ladele v London Borough of Islington [2009] EWCA Civ 1357, MacFarlane c. Relate Avon Ltd [2009] UKEAT 0106 09 3011, Eweida and Others c. United Kingdom [2013] ECHR 37.

[7] Mandla c. Dowell Lee [1982] UKHL 7.

[8] James v Eastleigh Borough Council, [1990] IRLR 288.